chapitre 3
o3 : ça commence à ressembler beaucoup à Noël ... ou à un beau merdier
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- Livraison express venant tout droit du Pôle Nord ! s'écrie Madeline en tambourinant à la porte malgré l'énorme carton chargé dans ses bras
Heureusement pour elle, quelqu'un vient lui prêter main forte en ouvrant presque aussitôt la porte d'entrée.
- Salut maman ! sourit la blonde
- Bonjour ma chérie, comme je suis contente de te voir ! s'exclame sa mère
- Je te prendrais bien dans mes bras mais je suis un peu encombrée
- Entre et dépose ça dans le couloir
Écoutant les directives de sa mère, Madeline pénètre sans plus attendre dans la maison de son enfance. L'effet est immédiat, comme si le simple fait de passer la porte avait un pouvoir magique sur elle. Un sentiment de plénitude l'envahit par grandes vagues, retrouver les murs de son enfance la fait se sentir en sécurité, enveloppé d'un cocon protecteur.
Pourtant, elle adore la vie qu'elle mène dans le vaste appartement qu'elle partage avec son frère, il n'y a aucun doute là-dessus. Mais revenir là où ils ont grandi, là où tout s'est construit laisse des traces. Retrouver ses racines est important, surtout pour Madeline.
Après avoir déposé son carton au pied de l'escalier qu'elle a dévalé mainte fois à une vitesse excessive - et pas toujours par les marches, ça serait d'un ennui - en compagnie de son jumeau, elle peut enfin se tourner vers sa mère et la saluer comme il se doit.
- Comment vas-tu, mon chat ? lui demande cette dernière en serrant sa fille dans ses bras
- Bien, encore mieux depuis que je sais qu'on fait le sapin aujourd'hui, répond Madeline en riant
- C'est la tradition, Noël ne peut pas commencer tant qu'on n'a pas fait le sapin tous ensemble !
La fille s'écarte pour mieux détailler sa mère, qu'elle regarde avec les mêmes yeux qu'une enfant admirative. Aussi loin que remonte sa mémoire, Madeline a toujours regardé sa mère de cette manière et elle est convaincue que rien ne fera changé ça.
Jodie Harvey a tranmis ses mèches blondes à sa fille et partage les mêmes prunelles bleues que Jefferson. Son visage fin est d'une beauté simple, sans superflus, qui ne fait que s'embellir avec les années. Mère et fille ne peuvent pas se renier, le lien de parenté saute aux yeux.
Malgré les épreuves que la vie a mis en travers de son chemin, Jodie est toujours restée la tête haute, prête à affronter le monde sans sourciller parce qu'elle possède la force la plus puissante qui existe : celle d'être mère. Personne ne pourra lui arracher ça, personne. C'est bien pour cette raison que Madeline aura à jamais un regard adorateur lorsqu'il est posé sur sa génitrice. En plus d'avoir été une maman exemplaire depuis leur tendre enfance, elle les a toujours couvert d'affection tout en sachant quand être stricte lorsque c'était nécessaire.
Il n'y a donc pas que sa faculté à porter magnifiquement la veste de blazer avec n'importe quelle tenue qui émerveille sa fille !
- Papa est là ? demande Madeline
Papa. Ce mot, simple en apparence, suscite toujours un ras de marais d'émotions chez Jodie, qu'elle manifeste par un sourire. Presque imperceptible mais témoin d'un soulagement apaisé et d'un bonheur qu'elle a longtemps souhaité ressentir.
- Il est parti à la boulangerie, chercher une petite surprise pour le goûter, répond la mère avec un clin d'œil
- Oh super, j'adore les surprises pâtissières, s'enthousiasme la fille
- Tu es bien trop gourmande, jeune fille
- Quoi ? Tu vois une autre raison d'être sur Terre que pour manger ?
Jodie éclate de rire, entraînant la deuxième blonde de la famille avec elle. Elle finit par se pencher vers le carton qu'a apporté Madeline, la curiosité étant le vilain défaut héréditaire des Harvey.
- Qu'est-ce que tu m'amènes aujourd'hui ?
- Quelques décos de Noël qu'on a acheté avec Jeff le mois dernier, répond Madeline en accrochant son manteau à carreaux au porte-manteau de l'entrée. Il faut toujours un peu de neuf pour rehausser nos vieilles choses
- Tu en as gardé pour vous, j'espère ? demande Jodie sur un ton de reproche
Madeline connaît bien sa mère et savait très bien qu'elle ne voudrait pas les voir faire des achats pour la maison familiale sans penser d'abord à eux. Ce n'est pas une question financière, le métier de Madeline et surtout celui de Jefferson suffisent amplement à les faire vivre convenablement, mais c'est une question de principe. Jodie est une mère avant tout, elle fait passer ses enfants avant tout le reste et a du mal à entendre que l'inverse soit possible.
- Ne t'inquiète pas maman, on a fait notre sélection à nous, lui assure sa fille avec un sourire. Quand on fera notre sapin, on pourra sortir toutes les choses beaucoup trop jolies qu'on n'a pas pu laisser dans le magasin
- Vous avez été raisonnable, évidemment ? rit Jodie
- Évidemment, comme toujours, ment la fille avec ironie
Pendant que mère et fille déballent le carton, admirent les nouveaux ornements et petites décorations, partagent leurs avis avec des sourires juvéniles et répandent des paillettes partout, deux voix approchent de la maison avant de pousser la porte d'entrée.
- Regardez qui j'ai trouvé devant la maison
- Jeff, tu es arrivé ! sourit Jodie
- Salut maman ! Salut frangine !
Madeline se retourne pour voir entrer son frère et son père, qui tient une boîte blanche entre ses mains. Le coin de ses lèvres se soulève à la vue de sa famille, enfin réunie. Tandis que sa mère prend dans ses bras son fils, elle s'avance vers Peter, l'homme qui l'a élevé.
- Bonjour papa, sourit-elle
- Bonjour Del', tu vas bien ? lui demande-t-il en enroulant son bras libre autour d'elle
- Ça dépend de ce qu'il y a dans cette boîte en carton, plaisante-t-elle en lui rendant son entreinte
Elle jette un regard affamé à cette boîte mystère, comme si elle se donnait du mal pour voir au travers.
- Tu ne le sauras pas avant l'heure du goûter
- Mais-
- Et ce n'est pas négociable ! Ne me fais pas à un caprice à ton âge, ça ne te réussit pas, rit Peter
- Qu'est-ce qu'il y a dans la boîte Papa ? renchérit Jeff en prenant la voix d'un gamin de six ans
- Interdiction d'ouvrir cette boîte tant que vous n'avez pas mérité ce qu'il y a a l'intérieur, décrète leur père
- Mérité ? C'est nouveau ça, on a une récompense si on se tient bien ? pouffe Madeline
- Comme les bons points à l'école, ajoute Jefferson
- Quels bons points ? Tu n'en as jamais eu, le nargue sa sœur
Avant que cette histoire de bon point ne termine mal et avant que Jeff ne trouve une réplique délicate à offrir à sa jumelle, Jodie reprend les rênes de cette discussion avec son autorité naturelle.
- Vous n'êtes pas venus ici pour vous goinfrer, vous êtes là pour honorer une de nos traditions de Noël : la décoration du sapin, leur rappelle-t-elle. Mais avant ça, la séance de sport est obligatoire : allez chercher les cartons de décorations rangés au grenier
- Du sport, j'en fais assez toute la semaine, bougeonne Jeff en ne cachant pas une certaine mauvaise volonté
- Tu dis ça tous les ans pour y échapper, je vais finir par croire que tu as peur de la bête griffue du grenier, se moque gentiment Madeline
- Je crois que tu as trouvé l'explication, il est toujours aussi terrorisé par la bête griffue, renchérit Peter avec un rire provocateur
- Arrêtez avec ça ! Je n'ai pas peur et je vais vous le prouver ! Aller Made, on va dans le grenier !
Bien déterminé à prouver à sa famille sa bravoure et leur faire ravaler leurs moqueries, il s'élance dans l'escalier, sa sœur à sa suite. Arrivant presque au sommet du volet de marche, il s'arrête néanmoins et se tourne vers ses parents.
- Où sont les cartons, au fait ?
- Ils n'ont pas bougé, ils sont toujours dans l'armoire que votre grand-mère vous a légué, répond Peter en insistant sur le « vous »
Le simple souvenir de cette armoire suffit à déformer les traits des jumeaux en une grimace identique. Ils se lancent un regard, se criant mutuellement au secours alors que leur père se délecte de son petit effet.
- Oh ... ce truc affre-, commence Jeff
- Un peu de respect pour ta grand-mère, je te prie, le coupe Jodie avec fermeté
- Ce meuble très ancien ? se rattrape son fils. Oui, on voit bien. On voit très bien, même trop bien
- Peut-être que la bête griffue se cache à l'intérieur de l'armoire, s'amuse Madeline
- C'est ça ... ça serait l'endroit parfait pour foutre un monstre, soupire Jeff
Les jumeaux terminent de monter l'escalier et se dirigent vers l'ancienne chambre de Jefferson, là où se trouve la trappe d'accès pour se rendre dans le grenier. C'est bien parce qu'il dormait sous ces combles poussiéreux que l'histoire de la bête griffue est née.
Dans n'importe quelle maison, il n'est pas rare d'entendre d'étranges bruits provenir d'un grenier, en particulier la nuit. Alors lorsqu'il était encore petit, à l'âge où le noir de la nuit camoufle des monstres sanguinaires, où on a trop peur de sortir son pied en dehors de la couette au cas où une main cachée sous le lit viendrait l'attraper, les sons inquiétants qui passaient au-dessus de sa chambre ont plusieurs fois nourri des peurs infondées. Ce qui n'était dû certainement qu'à quelques souris est devenu un mythe sans précédent.
Pour le taquiner et pour qu'il se rende compte tôt ou tard qu'il n'y avait pas de quoi avoir peur, Madeline a inventé qu'une bête griffue vivait sous les toits de leur maison. Peter s'est prêté au jeu, ce qui ne faisait pas vraiment les affaires de Jefferson qui pensait réellement qu'un monstre logeait au-dessus de sa chambre !
Heureusement, au bout d'un long moment, il a compris que la bête griffue n'était rien d'autre qu'une mauvaise blague montée de toutes pièces par sa sœur et son père. Depuis, la famille ne manque pas de lui rappeler ce souvenir très embarrassant pour son égo.
Les jumeaux entrent dans l'ancienne chambre de Jefferson, où le papier peint vert est toujours recouvert par de nombreux posters de - tenez-vous bien - footballeurs. Ensemble, ils parviennent à déplier l'escalier qui permet d'accéder au grenier et ils soulèvent la trappe. Quand enfin ils posent les pieds dans le grenier, des nuages de poussières se soulèvent sur leur passage et tout autour d'eux.
La poussière fait éternuer plusieurs fois Jefferson, qui se met à battre des bras pour chasser les petites particules en se plaingnant à propos du ménage non fait. Classique.
- Notre magnifique armoire est juste là
Madeline lui montre le fameux meuble, autre grande histoire de la famille. Entre des piles de cartons, des caisses de vieux jouets et un guéridon démodé se dresse une imposante armoire en bois massif très foncé. Sa taille est gigantesque, très peu adaptée à la vie en appartements - aussi spacieux soit-il - et tellement profonde qu'on pourrait se rendre a Narnia sans problème. Des pieds jusqu'au sommet des doubles portes sont sculptés de grosses roses, des feuilles de lierre et des visages d'angelots franchement flippants.
- Non mais sérieusement, ce n'est pas étonnant que personne n'ait voulu la prendre, râle Jeff
- C'est sûr que personne ne s'est plaint, ça les arrangeait bien que mamie Beth nous lègue cette horreur, confirme sa sœur
- Tout ça parce qu'on se mettait là dedans quand on jouait à cache-cache
- Pire cachette du monde, d'ailleurs
Elle finit par tourner les poignées en laiton et ouvre les battants, découvrant la dizaine de cartons et de boîtes renfermant les décorations de Noël. Juste à côté de l'armoire se trouvent les cartons plus encombrants qui ne tiennent pas à l'intérieur, comme le sapin.
- Aller, c'est parti, dit Jefferson
Le frère et la sœur commencent leur session de sport, faisant des aller-retours entre le grenier et le salon, en passant évidemment par l'escalier pour sculpter les cuisses. Au bout d'un bonne demi-heure, toutes les décorations ont fait leur petit voyage.
- On est bon ? On a tout pris ? demande Jefferson à sa sœur en passant la tête par la trappe
- On a tout, confirme-t-elle en balayant le grenier du regard. Tiens, ce n'était pas là avant ...
Au fond du grenier, derrière le jouet piano qu'elle avait eu pour ses six ans et la vieille vaisselle de mamie Beth, une petite commode blanche qui a bien vécu a été entreposée. Ce n'est pas tant le meuble en lui-même qui a retenu son attention mais plutôt la grande boîte rouge posée dessus.
- Qu'est-ce que c'est ? questionne son frère
Madeline soulève le couvercle de la boite et y découvre des objets qu'elle n'avait encore jamais vu chez elle auparavant. Plus elle les examine, plus la réponse lui apparaît comme évidente.
- Je crois que ... ces affaires sont à papa
- À papa ? Pourquoi elles seraient là ? Papa et maman gardent tout dans leur chambre
- Non pas Peter ... notre vrai père, William, dit Madeline en relevant la tête
L'expression de son frère se durcit aussitôt, ses traits deviennent rigides et plus crispés.
- Oh, tu veux dire : l'homme qui nous a abandonné, crache-t-il avec amertume
Piquée à vif par cette réplique, Madeline ressent une lassitude et une pointe d'agacement se mélanger au fond d'elle.
- Il ne nous a pas abandonné, il a disparu et tu le sais très bien, rétorque-t-elle d'un ton plus sec qu'elle ne l'aurait voulu
Jefferson souffle par le nez avec dédain et secoue la tête.
- Oui ...« disparu » , on va dire ça, souffle-t-il
Ce sujet sensible marque une nouvelle différence de plus entre les jumeaux, un contraire parfait qui les a toujours opposé. C'est très certainement la plus grosse fracture qui existe entre eux.
- Tu n'as jamais laissé le bénéfice du doute, reprend Madeline d'une voix plus mesurée pour ne pas créer une dispute entre eux. Tu es tellement convaincu qu'il est parti alors qu'on n'en sait rien, personne ne sait ce qu'il s'est passé. Même pas maman
- Made, sois sérieuse cinq minutes. Cet homme s'est volatilisé du jour au lendemain, on venait tout juste d'avoir un an, il n'a laissé aucune trace derrière lui. La police n'a jamais pu aboutir à un enlèvement ou à un meurtre, c'est comme s'il n'avait tout simplement jamais été là, lui explique calmement son frère
Ils ne tiennent pas à se prendre le bec sur ce sujet épineux, ni l'un ni l'autre ne veut que leur position respective ne brise leur complicité. Le ton est donc maîtrisé, chaque mot soigneusement choisi pour ne pas froisser.
- Je sais que tu continues d'espérer qu'il réapparaîtra un jour
- C'est notre père, murmure Madeline d'une petite voix
- C'est notre géniteur, pas notre père. C'est Peter qui nous a appris à faire du vélo, c'est Peter qui nous lisait une histoire le soir, c'est lui qui nous a aimé comme un vrai papa le ferait, contredit Jefferson. Sa disparition a plus de vingt-cinq ans et jamais, pas à un seul instant, je n'ai ressenti un manque
- Bien sûr, je sais très bien tout ça. Tu sais mieux que quiconque que j'aime Peter, que je le considère comme mon père. On ne pourra jamais assez le remercier pour avoir aidé maman à retrouver le sourire, sans avoir eu peur quand il a vu deux gosses dans ses pattes. C'est pour ça que la situation est si compliquée. Une part de moi s'en veut de garder espoir pour William, ce n'est pas juste pour Peter, mais est-ce qu'on peut m'en vouloir ?
Son frère prend une profonde inspiration qui étonnement, relaxe ses traits. Ses yeux bleus se posent avec bienveillance sur sa sœur, un petit sourire triste se faufile au coin de ses lèvres.
- Non, personne ne peut t'en vouloir, lui assure-t-il. Je comprends ce que tu ressens, crois-moi. Même si on ne sera probablement jamais d'accord sur le sujet ...
- Probablement jamais non, admet-elle avec un petit rire
Afin de lui prouver que cette discussion ne jette aucun froid entre eux, Jefferson lui adresse un sourire plein de bonne humeur.
- Aller viens, maman et papa vont se demander ce qu'on fait. On a un sapin à décorer !
- J'arrive dans une minute
Le footballeur hoche la tête avant de rescendre l'escalier, disparaissant de la vue de sa sœur. Madeline se retrouve seule, face à cette boîte rouge pleine de souvenirs.
Bien trop curieuse, elle ne résiste pas à l'envie de découvrir son contenu. La boîte renferme quelques affaires qui appartenaient certainement à son père, de vieux journaux et des cahiers à spirales qu'elle ne prend pas le temps de feuilletter. Ce qui l'attire, c'est une boîte ronde et blanche, ornée de motifs dorés d'étoiles de mer. Le couvercle de la boîte est de la forme d'un coquillage et lorsqu'elle le soulève, Madeline découvre qu'il s'agit d'une boîte à musique.
Deux personnages, un couple en train de danser, se mettent à tourner sur eux-mêmes dès que les premières notes de la boîte retentissent. D'abord surprise, la blonde reconnaît aussitôt la chanson sur laquelle s'animent les deux danseurs.
- Love of my life, chuchote-t-elle
Cette magnifique chanson de Queen prend un tout autre visage avec cette version boîte à musique, aux notes simples et qui suffisent pourtant à faire sourire Madeline. Telle une petite fille, elle admire le couple danser au milieu d'un décor de vagues et d'écume, profitant sans se lasser des notes de musique touchantes qui résonnent profondément en elle.
Cette boîte à musique est un magnifique objet, elle n'a pas du tout envie de le voir prendre la poussière dans une boîte enfouie au fond du grenier. Cette boîte est la preuve irréfutable, tangible et vraie de l'amour qui a uni ses parents. Madeline a en conscience bien sûr, elle et son frère ne seraient pas là si rien n'avait existé, mais n'en avoir aucun souvenir rend cette réalité floue. Cette boîte à musique incarne le messager d'un amour dont elle a connaissance, qu'elle a tant imaginé sans en avoir été le témoin.
- Madeline ! Tu viens ou tu as décidé de dormir au grenier avec la bête griffue ? s'exclame la voix de sa mère depuis le rez-de-chaussée
Entendre sa mère sort la blonde de ses pensées, elle secoue la tête pour se ressaisir et se résoud à refermer la boîte, la remettant là d'où elle vient.
- J'arrive !
S'apprêtant à replacer le couvercle sur la boîte en carton, elle interrompt son geste lorsqu'une lueur brillante capte son regard. Elle fouille dans le coin de la boîte et en ressort un anneau en argent. Le bijou est décoré d'une gravure de chaque étape du cycle de la lune, Madeline passe son doigt sur ces dessins en songeant avec certitude que cette bague appartenait à son père.
Quelque chose s'emballe en elle, comme si elle pouvait enfin frôler un lien avec son père. N'en déplaise à son frère, elle ne pourra jamais réprimer l'envie de comprendre ce qui est arrivé à William, ni l'espoir qu'elle entretient de le revoir un jour. Il y a certainement une explication, il y a toujours une explication, pense-t-elle.
C'est cette foi tenace qui encourage Madeline a passé l'anneau autour de son pouce, pour qu'une petite part de son père soit toujours avec elle.
En vitesse pour ne pas faire attendre plus longtemps sa famille, la blonde referme la boîte et la remet correctement sur la commode. Elle descend l'escalier et replace la trappe, laissant ce qu'il s'est passé au grenier en ces lieux. La journée d'aujourd'hui est consacrée à la préparation du sapin, à rien d'autre. Rien ne saurait perturber cette tradition. Rien.
Pendant le reste de l'après-midi, la famille Harvey reconstituée se plonge dans l'euphorie des fêtes de fin d'année avec un bonheur non dissimulé. Sur des airs bien connus et des musiques festives, ils déballent les cartons, dévoilent les décorations, jouent avec les guirlandes pour s'en faire des écharpes, partagent des souvenirs d'enfance tout en rendant leur sapin le plus beau possible.
Comme le veut la tradition, c'est Jodie qui pose l'étoile au sommet du sapin. Jeff insiste ensuite pour suspendre une boule qu'il avait fabriqué lui-même à l'école alors qu'il n'avait pas plus de cinq ans, bien que ce ne soit pas la décoration la plus jolie qui existe. Quant à elle, Madeline place le reste des boules avec minutie pour ne pas surcharger visuellement les branches de sapin.
Quand les aiguilles de l'horloge ont dépassé les cinq heures, tout le monde prend une pause tant attendue pour dévorer les beignets à la crème de marron que Peter est allé chercher un peu plus tôt dans la journée. Mais pas le temps de s'éterniser trop longtemps, le sapin est loin d'être le seul élément à décorer, bien au contraire. Pendant que la mère et la fille peaufinent les derniers détails du sapin, Jefferson rejoint Peter dans la décoration du reste du salon. Et il y a du travail aussi !
Tout se fait dans la bonne humeur et même si tout le monde sait que la maison ne pourra pas être entièrement décorée d'ici ce soir, ça n'enlève rien à cette tradition qu'ils aiment tous honorer en famille. Le mois de Décembre est toujours le prétexte idéal pour se rassembler et passer de temps ensemble, au plus grand bonheur de Jodie qui regarde toujours sa famille avec beaucoup de tendresse.
Oui mais voilà, toute bonne chose à une fin. Un nuage peut venir assombrir un soleil éclatant en un rien de temps sans qu'on ne l'ait vu arriver. Et c'est exactement ce qu'il se passe lorsque Jefferson prend la parole :
- Au fait, il s'est passé un truc bizarre hier midi
- Comment ça ? lui demande sa mère
- On venait de finir de manger et on allait tous retourner sur le terrain pour s'entraîner mais une fille a voulu me parler. Elle sortait de nulle part alors j'ai cru que c'était une supporter un peu trop dévouée. Sauf qu'elle n'était clairement pas habillée comme une fan de foot dans son costume bordeaux. Elle m'a donné un truc que je n'ai pas encore ouvert, elle a insisté en me disant que c'était super important. On dirait un rouleau de sopalin
Le parfait équilibre de cette journée vole en éclats dès que Jefferson rapporte cet événement. Le costume bordeaux, le rouleau ... Madeline sent son estomac se contracter brusquement.
- Un étui avec une lune dessus ? demande-t-elle en revoyant Kai lui tendre l'objet dans sa tête
- Oui, c'est ça ! Comment tu sais ? Tu l'as trouvé dans mon sac ? Tu sais que je n'aime qu'on fouille mes affaires, râle Jeff
La désinvolture et le ton détaché de son frère n'apaisent pas le mauvais pressentiment de la blonde. Tandis que son frère n'a pas l'air d'accorder une importance débordante à cet événement, Madeline y voit un signe inquiétant. À ses yeux, l'affaire semble sérieuse et cet enchaînement de faits ne peut pas être dû au hasard. À nouveau, les jumeaux ont une réaction contraire face à une situation.
- Parce que j'ai exactement le même rouleau dans mon sac, répond-elle, l'air grave et les traits tiraillés par l'appréhension
- Tiens c'est curieux ça. C'est la même fille qui te l'a donné ? Elle était grande, super jolie mais beaucoup trop sérieuse. Elle m'a dit de garder précieusement le sopalin si je ne voulais pas perdre ma place à " l'Académie ", dit Jeff en mimant des guillemets. Je n'ai aucune idée de quoi elle voulait parler mais bon ...
- Ce n'est pas possible ..., souffle Jodie
Elle est soudain prise d'un vertige en laissant une gémissement plaintif s'échapper de sa gorge. Peter se précipite vers elle et l'aide à s'asseoir dans un fauteuil, Madeline et Jefferson échangent un regard inquiet.
- Qu'est-ce qui ne va pas, ma chérie ? s'enquit Peter
- C'est le beignet aux marrons qui ne passe pas ? renchérit le fils
La blonde ne dit rien, elle regarde avec angoisse sa mère fermer brièvement les yeux et se concentrer sur sa respiration. La main de Jodie sert si fort celle de Peter que ses jointures virent au blanc. Madeline a peur de comprendre la raison du malaise de sa mère, elle ne peut cependant pas chasser la supposition qui s'impose dans son esprit. Lentement, elle s'accroupit auprès de sa mère et lui demande d'une voix étonnement maîtrisée, sûre d'elle.
- Tu sais de quoi il s'agit, c'est ça ?
Jodie prend une inspiration de plus avant de plonger son regard dans celui de sa fille. Tout doucement, comme si elle craignait de la conséquence de sa réponse, elle hoche la tête.
- L'Académie Dawson, école de formation des lunaires, murmure-t-elle. J'ai cru qu'il n'était pas sérieux quand il me racontait tout ça, que ce n'était que le fruit de son imagination ou un moyen de me faire rire ...
- Qui ça ? Qui délirait ? questionne Jefferson
Jodie peine à déglutir, la boule qui noue sa gorge est pratiquement visible aux yeux de tous. Ses sourcils sont à la fois froncés et haussés, en une expression chargée d'émotions intenses. Elle lève lentement les yeux, faisant osciller son regard entre ses deux enfants.
- Votre père ... William. Il m'avait parlé de tout ça mais je n'en avais pas cru un mot. C'était insensé, digne de fiction ! Mais maintenant, tout ce qu'il m'a raconté est en train de devenir réalité
- Tout ça quoi ? De quoi tu parles ? s'agace Jeff
- De quoi te parlait papa ? Quel est le rapport avec ce qu'on vit, Jeff et moi ? demande Madeline
Les jumeaux cherchent à comprendre, veulent des réponses mais pas pour les mêmes raisons. Jodie sait qu'elle leur doit des explications, c'est pourquoi elle inspire profondément avant de prononcer des mots qu'elle n'aurait jamais penser laisser sortir de sa bouche avec autant de sérieux.
Des mots qui changeront leur existence à tous.
- William ... il était un lunaire. Ce qui fait de vous des lunaires aussi, mes enfants
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