chapitre 23

23 : c'est vraiment l'hôpital qui se fout de la charité

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Piégée dans un flou distant, voilà la sensation que ressent Madeline. À certains moments, elle ne se sent plus maîtresse de son être. À d'autres, le reste du monde lui paraît si éloigné qu'elle craint de ne plus jamais y avoir pied.

Les heures - ou jours, elle l'ignore - qui suivent sont nimbées d'un brouillard trop épais pour être percé. L'inconscience et la lucidité se confondent, telles deux entités siamoises. On ne sait pas où l'une se termine et où l'autre commence.

Par moment, la blonde sent son esprit s'éveiller mais sans parvenir à atteindre son corps. La seconde d'après, ses membres aimeraient se manifester mais subitement, elle n'est plus rien d'autre qu'une coquille vide. Une bataille intérieure fait rage, la jeune femme s'efforce de faire coïncider les points essentiels à son réveil, en vain.

Dans son état, tout est trop dur, trop épuisant. L'espace d'un moment de capitulation, Madeline rend les armes. Et c'est là qu'une voix surgit dans son esprit. Une voix inconnue, celle d'un homme d'âge mûr à l'accent anglais très prononcé.

- Madeline ... tu dois te réveiller. Bats-toi et ouvre les yeux

Une telle douceur émane de cette voix qu'une impression de chaleur emplit la blonde. Elle n'a jamais entendu cette personne auparavant, pourtant ce ton paternel lui apporte un réconfort immédiat. Ainsi qu'un regain de force et de détermination.

Rendre les armes n'est pas dans ses habitudes, hors de question de le faire maintenant. Madeline redouble d'effort, pousse sa volonté à son maximum et brise une barrière mentale. Et enfin, elle parvient à ouvrir les yeux.

Sa première impression est que la lumière environnante est trop blanche, trop vive. Elle est tentée de refermer les paupières mais craint de ne plus réussir à les rouvrir par la suite. Alors elle cligne plusieurs fois des yeux pour essayer de s'accommoder à la luminosité.

- Chérie, elle se réveille, dit une voix
- Oh mon dieu ! s'exclame une autre

Son corps lui paraît un peu engourdi, comme s'il avait été anesthésié avec une triple dose. Elle ne ressent que vaguement la main qui presse la sienne, ainsi que le tube glissé dans ses narines. Les yeux plissés, elle se concentre sur la personne lui tenant la main. Cette action, simple en somme, lui coûte pourtant beaucoup d'effort, une vague de fatigue l'embrume de nouveau.

- Tout va bien, mon poussin ... tout va s'arranger. Les médecins s'occupent de toi, tu peux te reposer

Madeline a tout juste le temps de comprendre qu'il s'agit de ses parents, Jodie et Peter, avant que le voile sombre du sommeil ne s'abatte à nouveau sur elle.

☽⁂☾

Au milieu de cette brume dense, Madeline oscille entre rêves inconscients et tressauts brefs dans la réalité. La plupart de ces moments de clarté sont si furtifs qu'elle n'est pas entièrement sûre d'être réveillée.

Parmi les inventions qui occupent son esprit lors de son repos, l'une d'elles se distingue des autres car elle n'a rien d'une machination onirique. La jeune femme est portée dans une journée s'étant réellement passée. Elle replonge dans le souvenir d'un après-midi entre amis, dans la salle d'art du château, en plein mois de février.

Le froid intense qui s'est abattu il y a quelques jours sur la région décourage quiconque de profiter de son week-end à l'extérieur du château. Au lieu de ça, l'envie de rester bien au chaud, emmitouflé dans un plaid ou près d'un feu, détrône toute concurrence. La bande d'amis au grand complet a décidé d'occuper leur samedi avec une compétition plus ou moins amicale portant sur l'art dans sa plus large palette. Même Julian s'est joint à eux et a accepté avec enthousiasme de se prêter au jeu.

Peinture à huile ou gouache, aquarelle, crayons, fusains, pastels ... toutes les techniques sont bonnes pour réaliser le plus beau des tableaux. Enfin, le plus beau des tableaux possibles.

- On n'a pas décidé de ce que gagne celui qui fait le plus beau tableau, commente Jeff
- Tu dois toujours avoir une carotte pour avancer toi, c'est dingue, raille Phoebe
- C'est stimulant ! se défend le footballeur. Je suis un sportif, je suis plus productif quand j'ai un but
- Essaye déjà de faire quelque chose de potable pour commencer. Je me souviens des dessins que tu faisais gamin, et ce n'était pas vraiment Monet, le taquine Madeline

Jefferson fait une moue vexée en adressant son majeur à sa sœur, elle lui renvoie son geste en lui tirant la langue.

- Je ne suis pas sûr que quelque chose de la qualité de Monet sorte de cette salle d'ici la fin de la journée, s'amuse Julian
- Oh tu vas être surpris, frangin, réplique Zadig
- Par qui ? l'interroge Phoebe
- Par toi ? ajoute l'aîné du groupe

Il éclate de rire en restant concentré sur sa palette de couleurs, ce qui n'affecte pas pour autant la grande confiance que ressent son petit frère concernant ses propres capacités.

- Si je gagne, je l'expose, déclare-t-il en se reculant pour mieux admirer la progression de son œuvre. Je le mettrai bien en évidence à la cafétéria, pour que tout le monde puisse se délecter de mon talent
- Alors fais gaffe à ce que tu peins si tu ne veux pas nous couper l'appétit, plaisante Andrea
- C'est ça ou je le propose au Louvres, alors je vous prie d'accepter mon cadeau sans râler
- C'est trop d'honneur, merci bien chéri, réplique Madeline

La phrase du mannequin éveille de nombreux éclats de rire dans la salle d'art, celle de la blonde ne fait que renforcer la bonne humeur légère d'un après-midi inspirant leur activité artistique. Dans un excès de théâtralité qui le caractérise grandement, Zadig envoie un baiser plein d'ironie vers son amie. Cette dernière fait mine de se pâmer de bonheur, avant de se concentrer à nouveau sur sa toile en chantier. Du bout d'un pinceau plat, elle mélange un peu de noir à un bleu marine afin d'obtenir une teinte qui tend à se rapprocher d'un ciel nocturne.

- Moi je pense qu'il faut qu'on se méfie d'Arnie, il est un peu trop silencieux à mon goût, dit Madeline en jetant un œil à ce dernier
- Moi ? s'étonne Arnie en levant le nez de sa feuille blanche décorée de plusieurs traits de fusain. Je suis photographe, pas artiste peintre
- C'est exactement ce que dirait quelqu'un qui gère en dessin juste pour qu'on l'oublie dans un coin, renchérit Phoebe
- Le pauvre, tout le monde va mettre beaucoup de pression sur ses épaules, ajoute Kleo avec un petit sourire peiné
- Et tout le monde va être royalement déçu, termine Zadig

Les minutes suivantes se font dans un silence presque studieux, seulement troublé par les bruits des coups de pinceaux, des tubes de peinture ou soupirs concentrés. Jusqu'à ce que l'irlandais du groupe éclate de rire, purement et simplement.

- Oh la vache, ça ne ressemble vraiment à rien ! s'esclaffe Andrea à propos de sa toile

Sa déclaration est si soudaine qu'elle surprend tout le monde, la désinvolture avec laquelle il annonce ça a de quoi arracher des rires.

- Je savais que je n'avais pas de pouvoirs, mais je n'ai définitivement pas celui de dessiner comme un maître par magie, renchérit-il en essuyant ses larmes de rire
- Vous pensez que ça existe ? Des lunaires dont le pouvoir serait de tout réussir ou d'être un pro des pinceaux sans effort ? demande Jefferson avec curiosité
- Je n'espère pas, ça serait de la triche ! rétorque Madeline
- Ces fumiers seraient les plus chanceux du monde, commente Arnie
- Ou ce serait les plus grands escrocs de la Terre. Personnellement, je préfère ne devoir mon talent qu'à moi-même, avoue Zadig, sans arrogance mais avec au contraire beaucoup de sérieux et de sincérité

Au fond, Madeline partage cet avis. Elle a beau ne pas être une experte en peinture, elle apprécie essayer de rendre l'image dans sa tête le plus joliment possible sur sa toile. Elle donne de sa personne en peignant des arbres dans un panel de noir et de bleu foncé. Ce qu'elle aime par dessus tout, c'est pouvoir être fière du résultat, peu importe à quoi il ressemblera.

- Ceci dit, ils n'auraient probablement pas le droit de se servir de leur talent de toute façon, observe le petit frère de Kai
- Pourquoi ça ? lui demande l'irlandais
- Parce que l'existence des lunaires doit rester secrète, vous vous rappelez ?

Ce n'est un secret pour personne, surtout pour ceux qui ignoraient tout des lunaires avant de recevoir la convocation de l'Académie Dawson, à l'instar des jumeaux.

- Je ne comprends pas pourquoi cette règle nous est imposée ... je veux dire, qu'est-ce qui pourrait bien arriver si les lunaires arrêtaient de se cacher ? Certains ont des dons qui pourraient être utiles au monde et au reste de l'humanité, constate Kleo

Et de fait, la brune n'a pas tort. Madeline s'est plusieurs fait cette même réflexion. Elle n'est à priori pas la seule, plusieurs de ses amis s'interrompent dans leur création. Tous les regards se braquent sur Julian qui, sentant le poids de sept paires d'yeux posées sur lui, hausse les sourcils de manière interrogatrice.

- Pourquoi est-ce que vous me regardez comme si j'étais censé avoir la réponse à cette question ?
- Parce que tu es le plus vieux d'entre nous, répond Madeline avec un sourire en coin
- Et donc ?
- En tant que doyen, tu es supposé être plein de sagesse et de connaissances, ajoute Phoebe

Zadig pouffe d'un grand éclat de rire, sa fossette apparaît pour creuser sa joue gauche.

- Mon frère, ce grand sage ! s'amuse-t-il
-

C'est surtout parce que tu es proche de ta mère qu'on te le demande, reprend Arnie

- Le fils de la directrice doit bien connaître des choses sur les lois de notre monde, enchaîne Andrea. Et sur les raisons derrière tout ça
- Je suis aussi le fils de la directrice, je te signale, lui rappelle le mannequin
- Ouais mais toi, ça ne compte pas

Pas une once de méchanceté dans la phrase d'Andrea, ça n'empêche pas Zadig de surréagir comme une diva, surtout lorsque Phoebe et Jefferson rigolent dans leur coin.

De son côté, Julian prend le temps de réfléchir à la question qui lui est posée. Il s'arrête de dessiner et pose son pinceau, absorbé par ses pensées.

- Ce que je sais, c'est que le monde a besoin de mouvements pour évoluer. Si plus personne ne se confronte à la difficulté, tout finira par stagner. Laisser faire les lunaires à leur guise, c'est la solution de facilité. Les humains verront les lunaires comme des sortes de dieux et ils finiront par baisser leur garde. Ça ne sera pas long avant que les lunaires mal intentionnés saisissent cette opportunité à leur avantage et là, vous pouvez dire adieu à la cohabitation et au progrès du monde. Ils prendront le dessus, se feront maîtres de notre petite planète bleue et personne ne veut prendre ce risque, explique-t-il

Ses mots ont l'écho d'une sentence peu réjouissante à travers la salle d'art et portent à la réflexion. Le lunaire se saisit de son pinceau une nouvelle fois et le lève près de sa toile, sur le point de s'y remettre, avant de s'interrompre encore.

- Et ça, c'est uniquement si les humains nous acceptent. La deuxième alternative, c'est qu'ils nous rejettent pour notre différence ou qu'ils aient peur de l'influence que nos pouvoirs peuvent avoir sur le monde, continue-t-il
- C'est vrai, ils pourraient carrément flipper, acquiesce Madeline
- Vous pensez vraiment qu'ils nous repousseraient, juste parce qu'on est ... différents ? demande Kleo, soucieuse
- Il faut voir ... tu as eu des nouvelles des sorcières de Salem récemment ? plaisante Julian

Si sa phrase est vouée à les faire sourire, elle n'est pourtant pas complètement anodine. Une forme de vérité limpide y est nichée, tout le monde a saisi le parallèle.

- Si on pouvait éviter de passer pour des bêtes de foire et finir au bûcher, ça ne serait pas de refus, raille Zadig
- Il faudrait sûrement faire un peu de pédagogie pour qu'ils ne se sentent pas terrifiés par nos capacités, suggère Kleo, toujours pleine de bonne foi. Ils pourraient voir qu'on n'a pas de mauvaises intentions
- Et qu'est-ce que tu fais des cinglés qui prévoient de raser la population des immaculés ? réplique Arnie
- Et bien ...

Kleo ne trouve rien à répondre, voyant bien le problème de cette situation hypothétique.

- Vous voyez, rien n'est simple. Alors pour s'éviter des problèmes, il vaut mieux savourer l'anonymat, conclue Julian
- Pour vivre heureux, vivons cachés ... ce n'est pas ça le dicton ? s'amuse Jefferson
- Très juste, approuve Andrea en claquant des doigts en direction du footballeur

Le groupe reprend petit à petit le cours de sa création effervescence, mais l'expatrié en France ne peut pas se retenir d'ajouter une phrase tout ce qu'il y a de plus Zadig.

- Enfin bref, merci de nous avoir éclairé de tes lanternes pleines de sagesse frangin. Asservissement, forme de racisme aux super-pouvoirs ou génocide potentiel ... oui, tu nous as bien remonté le moral, ironise-t-il
- Vous vouliez une réponse, ne vous plaignez pas si elle ne vous plaît pas ! se défend Julian en levant une main en guise de preuve d'innocence
- Fais gaffe Julian, il va te tenir responsable du tableau repoussant qu'il est en train de peindre, le taquine Madeline
- Je ne te permets pas de déblatérer ce genre de conneries à propos de ma forme d'art chérie ! s'offusque le cadet Lington

Mais de conneries, il n'en est pas vraiment question au final. Après une bonne heure à peinturlurer, à dessiner et à se tâcher de la tête aux pieds, le groupe d'amis met fin à son petit concours artistique. Tout le monde se prête au jeu et présente son œuvre, plus ou moins fièrement.

Les rires se font nombreux face au dessin d'Andrea, qui est bien le premier à s'en moquer. Son essai de nature morte n'a jamais aussi bien porté son nom : le bouquet qu'il a dessiné a connu des jours meilleurs, ce fouillis fleuri pourrait avoir été peint par un enfant de cinq ans. Phoebe ne fait pas beaucoup mieux avec une représentation peu flatteuse de Zadig, qui est à deux doigts de l'apoplexie en voyant le désastre. Le mannequin, quoi qu'il en dise, ne figure pas non plus en haut du classement, avec sa collection de macarons qui a l'air d'avoir passé beaucoup trop de temps au four.

En milieu de classement, on retrouve ceux qui se sont bien défendus. Jefferson a réalisé un ciel au coucher du soleil très réussi tandis que sa jumelle a peint une forêt enneigée dans une nuit bleutée plutôt jolie. Julian lui a opté pour un ponton en bois où est assise une figure de dos, les pieds dans l'eau. Quant à Arnie, sa représentation abstraite au fusain porte tellement bien son nom que personne n'y voit la même chose. Là où Madeline voit une vache, Andrea voit un hot-dog ... au moins, son parti pris ne laisse personne indifférent.

Mais la grande gagnante de ce concours, à la surprise générale, n'est autre que Kleo. Son aquarelle représente à la perfection une surface d'eau miroitante et étincelante, où flottent de belles fleurs roses et violettes.

- J'hallucine ... c'était de toi dont il fallait se méfier et tu ne nous as rien dit ! s'exclame Phoebe
- Comme quoi il faut se méfier de l'eau qui dort, s'amuse Madeline en passant un bras sur les épaules de Kleo
- Je ne voulais pas briser les rêves de Zadig à propos de son entrée au Louvres, plaisante-t-elle
- Je crois que je ne suis pas fait pour vivre à la lumière tout compte fait, se rattrape le mannequin. Je vais écouter mon frère adoré et rester dans l'ombre pour conserver mon mystère
- Tu m'écoutes, maintenant ? Merde, la fin du monde est proche

À ce moment-là, la fin du monde était encore loin. Il n'y avait rien de plus qu'un excellent moment passé entre amis et même si à présent, Madeline repense à cette journée différemment, c'est ce qui prime sur le reste.

☽⁂☾

Lorsque les souvenirs mêlés aux nuages troubles des rêves se dissipent enfin, Madeline parvient à ouvrir les yeux. Presque aussitôt, elle ressent une toute autre impression à travers tout son corps. Il ne lui semble plus aussi engourdi que lors de son premier bref réveil, et lui paraît de nouveau plus tangible. La sensation de planer dans du coton a diminué, elle sent ses membres ainsi que les petites douleurs qui accompagnent chacun d'entre eux. Elle respire aussi plus facilement et remarque de suite que le tube qu'elle avait senti dans ses narines a disparu. Ce n'est pas pour autant qu'elle est d'attaque à courir un marathon mais c'est déjà une petite amélioration notable.

Ses yeux mettent plusieurs secondes à s'accoutumer à la lumière blanche de la pièce, elle cligne des paupières plusieurs fois pour mieux voir ce qui l'entoure. La première chose entrant dans son champ de vision est posée sur une table de chevet, juste à côté de sa tête. Dans un petit vase en verre fin, une rose aux pétales glacés a été déposée. Délicate en apparence et pourtant si forte de l'intérieur, la fleur semble lui souhaiter un bon retour parmi le monde éveillé. Un fin sourire étire les lèvres de Madeline, elle finit par tourner la tête et découvre son décor.

Sans surprise, elle se trouve dans une chambre d'hôpital, aux murs blancs et au mobilier typiquement aseptisé. Les bips réguliers d'une machine lui parviennent en fond sonore, tandis qu'elle ne peut s'empêcher de remarquer combien le tissu des draps est désagréable contre ses jambes.

En tournant légèrement la tête vers la droite, ses yeux se posent sur Phoebe, postée face à une fenêtre. Son regard est perdu dans les nuages gris régnant dehors, les traits de son visage sont tiraillés par la tourmente et l'inquiétude. Ses boucles noires sont bien ébouriffées et rassemblées à la va-vite dans une queue de cheval approximative. On est bien loin du look sexy et irréprochable que Madeline l'a vu arborer pour la dernière fois, lors de sa soirée d'anniversaire.

- Je crois que j'ai loupé le gâteau, lance la blonde d'une voix faible, rendue rauque par une longue période de mutisme

La tête de la métisse pivote instantanément, un sourire ému, empreint de soulagement, soulève ses lèvres en une seconde. Sa poitrine s'affaisse d'un coup, relâchant une respiration contenue depuis des jours.

- Hey toi, tu nous as fait une belle peur, lui dit-elle doucement en s'approchant du lit

Madeline tente de se redresser contre ses oreillers, une quinte de toux vient ponctuer son geste. Se faisant, elle sent une pointe désagréable tirailler sa peau au niveau de son ventre. Phoebe l'aide à se redresser dans le plus grand soin et lui tend un verre d'eau. L'immaculée boit avidement le contenu du verre, le liquide rafraîchissant fait immédiatement le plus grand bien au désert sec qui avait élu domicile dans sa gorge.

Grâce à ce verre, Madeline sent qu'une petite impulsion de vie vient de renaître dans tous ses membres. Son amie récupère le verre vide, le dépose sur la table de chevet et s'assoit à ses côtés, sur le bord du lit.

- Désolée d'avoir gâché la fête en me faisant poignarder par une tarée, plaisante la blonde
- C'est clair que j'ai connu mieux comme cadeau d'anniversaire, ironise la brune avec un sourire un peu triste

La fatigue de la lunaire est évidente et même si le soulagement a détendu son visage, Madeline voit que les derniers jours n'ont pas été tendres avec elle.

- Ça craint, on dirait que je me suis fait massacrer sans rien dire ... pourtant je me suis bien défendue, soupire la blonde. Je suis sûre que Ginger Dofrost aurait été fière de moi si elle m'avait vu me battre comme une pro
- Je te crois sur parole, rit Phoebe. On n'a pas eu le temps de voir les dégâts que tu as causé sur l'autre folle avant que-

La pâtissière s'interrompt avant de secouer la tête, ravalant ses paroles.

- Peu importe. Ce qui compte avant tout, c'est que tu ailles bien
- Bien ? ironise Madeline
- Que tu sois en vie. Le reste ... on fera avec, lui assure sa voisine de palier avec un vrai rire joyeux

Puis soudain, la première véritable pensée qui traverse l'esprit de la blonde réveille une violente vague de panique en elle.

- Et Jeff ? Comment va Jeff ? s'exclame-t-elle dans l'urgence
- Il va bien, ne t'en fais pas ! la rassure aussitôt Phoebe

Le poids qui écrasait sa poitrine s'envole, d'un coup d'un seul.

- Il s'est fait agressé lui aussi le soir de mon anniversaire, par un mec aussi timbré que celle qui s'en est pris à toi. Ils se sont battus sur le parking de son centre d'entraînement à Brestham et apparemment, ton frère a mis la misère à l'autre. Bon, il s'est pété le bras et a perdu son portable dans le feu de l'action mais au moins, il ne s'est pas fait poignarder, explique Phoebe avec une lueur malicieuse dans le regard
- Encore trop frais. Littéralement, râle Madeline en jetant un regard noir joueur à la métisse
- Ton frangin est à deux chambres de la tienne, ta mère a insisté pour que vous soyiez dans le même hôpital. Et à ce qu'il paraît, c'est ici que vous êtes venus au monde ... si ce n'est pas mignon ça

C'est bien le style de ma mère de faire des confessions intimes comme ça dans une situation pareille, pense Madeline avec une envie de lever les yeux au ciel. D'ailleurs, en parlant de maman ...

- Je ne veux pas jouer les stars ou que tu crois que ta compagnie ne me régale pas suffisamment mais ... je pensais que le comité d'accueil serait plus large que ça pour quelqu'un qui aurait pu mourir il y a quelques jours, raille Madeline
- Tes parents sont en train de parler aux médecins, je vais aller les chercher. Je reviens, ne bouge pas d'ici, lui lance Phoebe sur un ton appuyé et blagueur
- Vas-y, je t'attends là, réplique la blonde sur le même ton

Les retrouvailles avec ses parents, Madeline s'attendait à ce que ce soit l'équivalent de recevoir un camion d'émotions en pleine figure. Et ça a été le cas. Heureusement, c'était bien moins douloureux que de se faire poignarder au ventre.

Après un flot de larmes - de la part de sa mère -, un étalage de surnoms mièvres et ridicules - toujours de la part de sa mère - et surtout beaucoup de paroles de soulagement - de la part de ses deux parents cette fois -, Madeline reçoit un second camion en pleine figure. Un camion d'informations cette fois, sur son état, son évolution, la liste de toutes ses blessures et de ce que les médecins ont fait pour la rafistoler.

- Maman, je n'ai pas très envie de me farcir un épisode de Grey's Anatomy sortant de ta bouche, la coupe la blonde, la tête s'apprêtant à exploser
- Oh oui, désolée ma chérie. C'est le côté maman poule qui ressort, s'excuse Jodie avec un sourire doux
- Tout ce que tu dois retenir, c'est que tu as été une battante, reprend Peter. Ça fait plusieurs jours que tu es à l'hôpital et ton état s'améliore à vue d'œil
- Tu es restée inconsciente le premier jour, ce qui est tout à fait normal. Le lendemain, tu as réussi à ouvrir les yeux quelques secondes. Depuis, tu as de petits moments de conscience très courts et les médecins ont dit que c'était encourageant, renchérit sa mère

Petit à petit, Madeline parvient à assembler les pièces de son puzzle mental difficile à reconstituer. Par contre, elle est certaine d'une chose : son état n'est pas le seul à l'inquiéter.

- Et Jeff ? Phoebe m'a dit qu'il allait bien mais-
- Ton frère va bien, lui assure de suite sa mère en lui prenant la main pour la calmer
- En fait, ce qui l'inquiète le plus en ce moment, c'est de savoir comment tu vas, lui confie Peter
- Ça et la nourriture d'hôpital j'imagine, se moque gentiment la blonde

Ses parents acquiescent en riant, ce qui leur fait le plus grand bien. Leurs traits fatigués n'échappent pas à Madeline mais tout comme pour Phoebe, le soulagement a déjà redonné de belles couleurs à leurs visages.

- Oh mon poussin, tu ne peux pas savoir combien je suis heureuse de revoir tes yeux et ton beau sourire, soupire Jodie en caressant le dos de la main de sa fille
- Je suis sûre que je dois avoir une tête d'enfer, ironise cette dernière
- Ce n'est pas pire que de te voir au réveil, les matins de départ en vacances aux aurores, plaisante son père de cœur

Des rires échappent à la blonde et à cet instant, elle oublie momentanément toutes les petites douleurs titillant son corps. Mais son état la rattrape bien vite, elle grimace en sentant la peau de son ventre la tirailler.

- Désolée ma chérie, on va devoir faire venir un médecin pour qu'il t'examine maintenant que tu es réveillée
- Génial, j'adorais jouer au docteur quand j'étais petite de toute façon

Sauf que l'entrevue qui suit n'a pas grand chose en commun avec un jeu enfantin. La médecin vient vérifier son état de santé, fait quelques relevés et détaille ensuite avec précision tous les dommages que sa petite altercation avec l'Obliquée a causé. Au milieu de termes scientifiques bien trop complexes, Madeline parvient à constater que les choses auraient pu tourner avec beaucoup plus de gravité pour elle.

- L'ensemble de vos coupures est superficiel, elles ont été soignées et ne seront plus qu'un souvenir dans une ou deux semaines. L'essentiel du travail s'est concentré sur les points de suture qui ont été nécessaires. D'abord sur votre cuisse, ceux-ci ne m'inquiètent pas et ne laisseront que peu de traces. La zone qui doit être surveillée est la blessure de votre abdomen, dans la région ombilicale. Il a fallu faire un bon nombre de points et ils doivent être surveillés encore plusieurs jours
- Ça veut dire que je ne vais pas pouvoir terminer la soirée d'anniversaire de ma meilleure amie tout de suite, je suppose ? demande Madeline avec une moue sarcastique
- On va vous garder à l'œil encore un peu, mademoiselle Harvey, acquiesce la femme avec un petit sourire bienveillant. Vous avez besoin de repos, d'énormément de repos. C'est pour ça que je ne peux toujours pas autoriser de visiteurs autres que votre famille

La blonde allait se plaindre de cette politique anti-amis quand une pensée lui traverse l'esprit. Pourtant, c'est Phoebe qui était là quand je me suis réveillée ...

Bien sûr, avec une amie qui n'a pas besoin de porte d'entrée classique, le droit de visite n'a plus tellement d'importance.

Ça explique certainement pourquoi autant de bouquets de fleurs jonchent la table au bout de son lit. Ainsi que la petite attention spéciale, sur la table de chevet en forme de rose aux pétales glacées.

☽⁂☾

Dépitée, affamée et contrariée. Voilà l'état d'esprit de Madeline quelques jours plus tard, devant son plateau repas du soir. À deux doigts de la crise de nerfs, elle ne parvient pas à retenir son grognement profond, à mi-chemin entre un cri de supplice et un soupir désespéré.

- Wow wow wow, j'ai dû me tromper de chambre ... je ne savais pas qu'ils gardaient des bêtes sauvages dans l'hôpital

La tête de Jefferson apparaît dans l'encadrement de la porte, suivi du reste de son corps. Son bras gauche est en écharpe et va sûrement le rester un petit bout de temps, mais son état général a connu de très belles améliorations dernièrement. À tel point qu'il rend visite à sa jumelle dès qu'il s'ennuie, c'est-à-dire très très fréquemment. Et même s'il n'a plus le droit de quitter sa chambre une fois l'heure du repas passée, ça fait plusieurs soirs qu'il se prend pour un espion en mission d'infiltration.

Il vérifie le couloir une dernière fois avant d'entrer dans la chambre de sa sœur à pas de loups.

- C'est ça, fous toi de moi. Je suis sûre que tu n'en mènes pas large non plus quand les infirmiers t'amènent ce qu'ils appellent à tort « le repas ». Franchement, ils espèrent vraiment nous faire reprendre des forces avec ça ?! s'agace la blonde en désignant la bouillie loin d'être appétissante dans son assiette
- J'avoue que je ne m'éclate pas trop niveau gastronomie, admet tristement Jeff en s'asseyant au bout du lit de sa jumelle

Comme pour illustrer ce qu'il avance avec plus de vérité, un gargouillis retentit dans la pièce. Le footballeur pose sa main sur son ventre, sa bouche forme un O parfait.

- J'aurais préféré mourir poignardé que mourir de faim, ça aurait eu plus de classe sur mon épitaphe, raille Madeline
- Et ben dis donc, tu n'as pas trop le moral toi ce soir ! observe son frère
- Tu dis que tu ne t'éclates pas avec la gastronomie de l'hôpital, moi je ne m'éclate pas tout court, répond la blonde en s'écroulant dans ses oreillers. J'ai interdiction de faire quoi que ce soit alors que je me sens bien mieux ! Mon corps est en train de se remettre à vitesse grand V mais par contre, mon esprit se meurt d'ennui

Les points de suture la piquent soudainement à la fin de son geste désespéré, comme pour lui rappeler le pourquoi de sa présence à l'hôpital. Elle réprime une grimace mais grogne entre ses dents, pour de multiples raisons.

- Je vais devenir folle à force de rester cloîtré ici. J'en ai un peu marre que mon occupation du soir soit de décorer ton plâtre
- Et bien ce soir, tu n'auras pas besoin de barbouiller mon plâtre de tes horreurs pour tuer le temps. Changement de programme !

Jefferson bondit sur ses pieds, de bien meilleure humeur tout à coup. Un grand sourire sur-vitaminé illumine son visage, ce qui fait se froncer les sourcils de sa sœur.

- Quoi ? Tu as réussi à voler un jeu de société ? Youpi, c'est la grande aventure, ironise-t-elle
- Non, figure-toi qu'on a eu une petite idée et que-

Sa phrase est interrompue par le bruit de crépitements. En tournant la tête, Madeline voit des étincelles vertes apparaître près de la fenêtre. Puis, la silhouette d'une femme se dessine au milieu des étoiles de couleur émeraude et enfin, Phoebe fait son entrée dans la chambre.

- Soirée pyjama à l'hôpital ? Pourquoi pas, lance Madeline, heureuse de voir son amie
- Tu as vraiment besoin de changer d'air si une soirée pyjama à l'hosto te fait frémir, se marre cette dernière

La métisse s'appuie des deux paumes sur la table au bout du lit, un fin sourire mutin logé au coin des lèvres. Ses lunettes noires et dorées ne parviennent pas à camoufler la lueur malicieuse qui anime ses prunelles marrons. Si on ajoute à ça l'impatience mal contenue de Jefferson, il n'en faut pas plus pour piquer à vif la curiosité de Madeline.

- Dis-moi au moins que tu me ramènes quelque chose de mangeable, la supplie-t-elle. Il est hors de question que je mange encore une fois cette purée pâteuse au goût de carton
- Désolée, je n'ai rien pris avec moi, répond la lunaire en tâtant les poches de sa veste en cuir. Mais j'ai une alternative qui va beaucoup plus te plaire
- Un chef étoilé fait une livraison dans ma chambre ? tente ma blonde
- Non
- Ma mère a cuisiné quelque chose ?
- Non
- Un plan d'évasion ?

Phoebe dodeline la tête de gauche à droite, son sourire conspirateur prend de l'ampleur.

- En quelque sorte. Et en dépit des apparences, je ne suis pas venue les mains vides

Elle lève son bras, paume ouverte vers le vide et ferme les yeux pour se concentrer. Ce n'est pas la première fois que Madeline observe sa voisine de palier user de ses pouvoirs pour modeler un portail et pourtant, elle ressent toujours le même émerveillement en la voyant accomplir cette prouesse. Et au souvenir de la jeune femme effrayée de ne pas maîtriser ses pouvoirs, c'est une pointe de fierté qui se joint à cette joie. Elle en a fait du chemin depuis le soir de la fête de rentrée de l'Académie, où elle avait eu peur de m'envoyer en pleine Toundra, pense-t-elle.

Les étincelles se multiplient et s'organisent en forme d'arche. Ce passage s'agrandit et atteint le sol, jusqu'à pouvoir laisser passer une personne familière. En le voyant ici, Madeline oublie bien vite que sa préoccupation la plus vive il y a quelques minutes était consacrée à son semblant de dîner. Dès qu'elle trouve le réconfort de ses yeux bleus, une étincelle se ravive au fond d'elle.

- Julian !
- Salut Madeline, la salue-t-il

Le sourire du jeune homme exprime tant à la fois, en partant de la joie évidente de revoir son amie blessée, en passant par le soulagement de la savoir en relative bonne santé pour finir avec un relâchement brutal d'une pression épuisante dûe aux jours d'incertitude.

La blonde n'a pas le temps de s'appesantir plus, le portail de Phoebe se referme subitement. Un cri de surprise réagit à cette coupure nette, cri qui ne provient d'aucun d'entre eux mais qui appartient néanmoins à une voix bien connue.

- Oh merde ! râle Phoebe en s'empressant d'ouvrir une nouvelle porte
- Il va être ravi du voyage à mon avis, rit Jefferson

La brune bombarde le footballeur d'un regard noir, les étincelles vertes reprennent leur position. Zadig fait alors son entrée, l'air outré pour n'étonner personne.

- Tu m'as claqué la porte au nez ! s'offusque-t-il
- Pardon, je ne l'ai pas fait exprès ! se défend aussitôt Phoebe
- Tu as réussi à garder un portail ouvert pour faire passer une quarantaine de personnes et là, tu me laisses dehors ?!
- Oui et ben désolée ! Ça arrive parfois sans prévenir, je n'ai pas un minuteur intégré !
- Une quarantaine de personnes Phoebe ! Et il fallait que tu aies une panne de batterie aujourd'hui ? Sur moi ?!
- La perspective de notre mort imminente était sûrement une motivation stimulante, je suppose, rétorque la brune en croisant les bras

Comme si se faire refouler par le portail de Phoebe était la pire chose qui soit, Zadig secoue la tête en levant les yeux au ciel.

- Ne t'en fais pas, ton égo s'en remettra. Éventuellement, se moque son frère aîné
- Je ne sais pas si l'égo de notre Zadig national peut se remettre de la moindre petite fêlure, plaisante Madeline
-

Ravi de voir que frôler la mort n'a rien enlevé à ton sens de l'humour, chérie, réplique le mannequin

- Je n'allais quand même pas t'abandonner maintenant alors qu'on s'est retrouvés il y a quelques mois, chéri, renchérit-elle sur le même ton joueur

Voir Julian et Zadig en chair et en os devant elle est un véritable bonheur pour l'immaculée. Les derniers jours d'immobilisme forcé et d'ennui n'ont pas été tendres avec elle, alors pouvoir être en compagnie de ses amis lui fait un bien fou. Beaucoup plus efficace que n'importe quel médicament.

Côtes à côtes, les frères Lington apportent tant de charisme et de classe avec eux qu'ils dénotent franchement dans cette chambre triste et toute pâle. Madeline remarque que leurs traits sont légèrement plus tirés qu'à l'accoutumé, ce qui prouve que la blessure de la blonde a tourmenté assez violemment ses proches. Néanmoins, leur apparente bonne humeur vient détendre leurs visages et n'enlèvent rien à leur superbe.

Ce n'est d'ailleurs pas le seul point qu'ils partagent, l'aîné et le cadet ont apporté avec eux des cadeaux fleuris de toute beauté. Zadig, voyant toujours les choses en grand, tient deux énormes bouquets de fleurs dans ses mains. L'un blanc et violet, avec des lupins, des tulipes, des giroflées et autres fleurs printanières au charme délicat. Le seconde est une explosion de couleurs, une véritable œuvre d'art de gaieté saisonnière.

- Vous avez dévalisé le fleuriste du coin ? plaisante-t-elle
- Il a dû être content quand vous êtes passés à la caisse, s'amuse Jefferson
- Content, je ne dirais pas ça. Il était même assez soulagé de nous voir partir ... après la demi-heure qu'on a passé dans sa boutique, dit Julian en jetant un regard lourd de sens à son frère
- Quoi ? Ce n'était pas très commerçant de sa part d'afficher son manque de patience comme ça ! se défend Zadig. Je n'arrivais pas à me décider, donc j'ai pris les deux. Désolé d'être perfectionniste et de ne pas me dépêcher à un faire un choix à la va-vite, contrairement à certain ...
- Je savais ce que je voulais, pas besoin de s'éterniser dans ce cas là

Les deux bouquets choisis par Zadig sont magnifiques, ça ne fait aucun doute. En revanche, celui de Julian touche Madeline en plein cœur. Et à voir ses prunelles bleues posées sur elle, dans l'expectative, la blonde comprend qu'il attend de voir s'il a visé juste.

- Des œillets ? Excellent choix, sourit-elle

À la fois soulagé et ravi que le bouquet lui plaise, Julian se fend d'un sourire plus large. Une petite partie de Madeline s'étonne qu'il se soit souvenu de ses fleurs préférées, une autre part n'est pourtant pas surprise de cette attention. C'est Julian après tout, ses attentions sont toujours parfaitement maîtrisées. D'ailleurs, il a pris soin de glisser quelques roses givrées dans le bouquet, ce qui le rend d'autant plus spécial. Et forcément, d'autant plus beau.

- Merci pour les fleurs les garçons, elles sont superbes. Et merci d'être là d'ailleurs, vous ne pouviez pas me faire plus plaisir
- Oh je crois que si. Je comprends que me voir te comble de bonheur mais j'espère que ce qu'on a prévu te fera encore plus plaisir, insinue Zadig

Intriguée par toutes ces cachotteries, Madeline interroge ses amis du regard à tour de rôle. Personne ne lui répond, ils sont bien trop occupés avec leur sourire conspirateur.

- Il va falloir que je vous tire les vers du nez ou ... ?
- Ce soir, c'est plan d'évasion, lui répond Julian avec un clin d'œil
- Évasion temporaire mais c'est l'intention qui compte, ajoute Phoebe

Une vague d'excitation parcourt Madeline, comme elle n'en a plus ressenti depuis des jours.

- Tu es peut-être en convalescence mais ça ne veut pas dire que tu es obligée de te morfondre sur toi-même comme une vieille fille, lui lance l'expatrié en France
- Tes paroles me réchauffent le cœur
- On va te remonter le moral, tu l'as bien mérité après t'être battue comme une ninja ! s'exclame son frère

Plus que partante, Madeline accueille avec enthousiasme cette perspective. Au moment de quitter son lit, un moment de doute l'habite brièvement. Peut-elle faire confiance à son corps ? Est-elle suffisamment remise pour se tenir sur ses jambes ?

Ni une ni deux, elle balaye ses incertitudes et choisit de se fier à ses bonnes sensations. Pour éviter de prendre froid dans sa robe d'hôpital, elle enfile avec précaution le jogging que lui a apporté Phoebe ainsi qu'une veste. Pas n'importe quelle veste : la veste en jean de Julian, celle qu'il lui avait prêté le soir de l'incendie en forêt et qu'il ne lui a jamais reprise. Elle interroge du regard son ami, qui lui renvoie un haussement d'épaule faussement innocent. Mais à voir la façon dont Julian la regarde quand elle enfile sa veste, elle se décide à garder le vêtement quelques jours de plus.

Avec une grande prudence et surtout, l'aide de Phoebe et Jefferson, Madeline parvient à se mettre debout. Les douleurs se sont estompées, se muant en gêne largement supportables. Seuls les points de suture à son ventre la tiraillent encore un peu, ceux de sa cuisse ne se sentent même plus. Relativement rassurée, la blonde laisse néanmoins sa meilleure amie et son frère la soutenir.

- Prête pour l'aventure ?
- Et comment. Sortez-moi de ce trou

Madeline ferme les yeux, heureuse de se laisser guider dans cette évasion mystérieuse. Derrière ses paupières closes, de la lumière vive éclaire la pièce comme un phare. La sensation de fraîcheur, caractéristique des pouvoirs de Phoebe, la parcourt tout entière pendant plusieurs secondes avant de s'envoler tout aussi simplement. Et si l'impression qu'une brise souffle toujours, ce n'est plus dû au don de la métisse.

La blonde ouvre ses yeux verts et comprend l'origine de cette fraîcheur. Ils se trouvent sur un toit-terrasse de restaurant, aux vues des nombreuses tables, du bar et du coin lounge qui agrémentent l'espace extérieur. À la lumière des éclairages dorés, elle s'aperçoit qu'ils se trouvent sur le rooftop d'un des hôtels les plus chics de la ville. Le mobilier aux lignes soignées et aux matériaux précieux est un indicateur, mais c'est surtout la vue à couper le souffle qui lui apporte cette confirmation.

D'ici, on peut admirer le centre de la ville, toujours illuminé et animé, avec la cathédrale dépassant de l'ensemble d'immeubles, ainsi que les abords aux quartiers résidentiels plus calmes et verdoyants. Cherryton s'étend de toutes parts et déploie son charme anglais de ville active et pourtant si conviviale. Au-dessus de leurs têtes et de leur bourgade adorée, la lune scintille, majestueuse.

- On t'a préparé des petits remontants, dit Jefferson

Son jumeau montre du doigt l'espace lounge, déjà prêt à accueillir la bande d'amis. Les canapés et les poufs confortables sont disposés autour d'une table basse, jonchée de tous les plaisirs coupables et les péchés mignons de Madeline. Y compris d'imposantes carafes en verre au liquide blanc joliment rosé. Son fameux lait-fraise, évidemment.

- Je parie que c'est mieux que la bouffe d'hôpital, ajoute Julian sur un ton joueur
- Oh mon dieu, vous ne pouviez pas trouver mieux pour me combler de joie dans mon état, je crois que je pourrais verser une larme, confesse la blonde. Je vous ai déjà dit que je vous adorais ?
- Tu peux le répéter plusieurs fois si tu veux, ça fait toujours plaisir à entendre, approuve Zadig en bombant le torse
- Comme si tu avais besoin qu'on te flatte l'égo, ironise Phoebe
- Je n'en ai pas besoin, ça ne veut pas dire que ce n'est pas agréable !

Madeline balaye ses amis du regard avec un sourire, ravie que la complicité qu'ils partagent soit le brin de normalité l'aidant à se sentir bien. Un peu comme une sensation d'être à la maison en somme.

Le groupe prend place dans le salon de jardin et commence à dévorer de bon cœur les mets en tous genres et les petites douceurs de leur mini buffet de qualité. Madeline se sent revivre, à bien des égards. D'un point de vue gustatif premièrement, et d'un point de vue social ensuite.

En plus de ses amis les plus proches l'entourant actuellement, la blonde reçoit également de belles surprises venant des autres membres de son cercle. Andrea et Kleo l'appellent tous deux en visio pour lui transmettre toutes leurs bonnes ondes et leur souhait de la voir au plus vite. Arnie lui use de sa faculté à établir un lien mental avec une personne de sa connaissance pour projeter un double de lui-même, l'espace de quelques agréables minutes de retrouvailles. Pour ce qui est de son grand frère Kai, il lui a déjà laissé plusieurs bouquets de fleurs à son chevet ainsi que des messages sur son portable. Blair, la sœur aînée de Julian et Zadig, lui passe même un coup de fil pour prendre de ses nouvelles avec l'élégance et la douceur qui la caractérise. Et par le biais de Jefferson, Jesse lui transmet un bon rétablissement.

Tout ceci lui redonne un baume au cœur immense. Elle parvient enfin à oublier sa mésaventure dans la ruelle, son assaillante guidée par la haine et les points de suture qui la contraignent à rester assise. Mais qu'à cela ne tienne, ça ne l'empêchera certainement pas de s'amuser !

Les blagues s'enchaînent, les rires se multiplient, les taquineries se font nombreuses, ceux qui sont en état se mettent à danser aux rythmes des chansons diffusées par les enceintes. Il n'y a rien d'autre que la légèreté d'un moment unique entre amis, seulement les souvenirs et les photos prises sur le vif qui graveront ces instants dans leurs mémoires pour des années.

À mesure que la soirée avance, chacun y va de son petit quart d'heure de folie. Tandis qu'elle croque dans un scone recouvert de confiture de framboise, son frère raconte en détail sa bagarre épique de l'autre soir comme un conteur d'histoires héroïques :

- Et je lui ai fait regretter d'être venu m'enquiquiner ! termine Jefferson
- Je pourrais en dire autant. Ce n'est pas flagrant vu comme ça mais je pourrais en dire autant, plaisante Madeline
- On te croit, on a bien vu qu'elle n'était pas dans une forme éclatante après que tu te sois chargée d'elle, pouffe Zadig dans son verre de tequila

Les sourcils de la blonde se soulèvent d'étonnement. Pour elle, tout un pan de cette terrible soirée n'est qu'une page blanche immense n'ayant pas encore trouvé de quoi être complété. Le fin mot de l'histoire est inconnu au bataillon, et elle n'a plus envie de subir ça encore longtemps.

- Vous l'avez vu ? Celle qui s'en est pris à moi ? Personne n'a voulu me dire quoi que ce soit mais, elle s'est échappée ou quelque chose comme ça ?

Ce qui est vrai, la condition de son assaillante est un point d'interrogation pour elle. Depuis qu'elle a repris connaissance, ni ses parents ni Phoebe ne lui ont parlé d'elle ou de ce qui a suivi le coup de poignard. Pas même Jefferson, qui n'est pourtant pas un champion pour tenir sa langue.

Toutes les paires d'yeux se portent sur Julian, tantôt avec insistance, tantôt avec un amusement mal dissimulé. Le principal intéressé ne cille pas, mais aucun mot ne franchit ses lèvres alors que les autres semblent s'attendre à ce qu'il soit le premier à répondre à cette question. Comme rien ne vient, Madeline s'impatiente en tapotant de façon répétée son verre de lait-fraise avec son index.

- Vraiment ? Aucun d'entre vous ne va me raconter ce qu'il s'est passé ensuite ? Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, j'ai loupé un épisode pour cause de blessure à demi mortelle, renchérit-elle avec un sourire sarcastique
- Julian s'est occupé d'elle, tout simplement, lâche Jefferson

La pianiste dévisage longuement son jumeau, comme s'il venait de dire la plus grosse énormité de l'année.

- Il n'y a rien de simple dans cette histoire, frérot, réplique-t-elle
- Julian l'a gelé sur place. Je crois qu'on peut dire sans mauvais jeu de mot que mon frangin a perdu son sang-froid, s'amuse Zadig en tapotant l'épaule de son frère
- Je n'ai pas trop apprécié qu'elle tente de te tuer, répond simplement l'ainé Lington

La brutalité de cette réponse percute Madeline de plein fouet. Elle avait envisagé plusieurs scénarios et après coup, ils étaient tous à des années lumières de la vérité. De ses yeux verts, elle dévisage Julian sans trouver quoi dire. Le lunaire soutient son regard sans baisser la tête, parfaitement en paix avec ses actions et ses responsabilités. Ses prunelles ont pris leur teinte la plus claire, celle du bleu glacial qui prouve sa témérité motivée par la rage. Il assure pleinement son geste, c'est pour cette raison que son visage est aussi détendu.

- Comme tu m'avais dit sortir pour appeler ton frère, je ne me suis pas inquiété tout de suite. Mais au bout d'un moment, tu ne revenais toujours pas et je trouvais ça bizarre. Phoebe et moi, on est sortis dans la ruelle pour venir te chercher. Et c'est là qu'on t'a découvert, commence-t-il à raconter
- On s'est précipités quand on t'a vu en sang par terre, tu étais encore consciente quand on est arrivés près de toi. La tarée n'avait pas pris la fuite et elle n'en a pas eu le temps. Julian l'a emprisonné dans une cascade de glace, et c'était la chose la plus impressionnante que j'ai vu de mes propres yeux, poursuit Phoebe
- Quand je t'ai pris la main, que j'ai senti combien ta température avait chuté rapidement ... ça m'a fait partir en vrille. Je me suis laissé contrôler par ma colère et ma peur et d'un coup, j'ai juste eu à tout relâcher. Je n'ai jamais mobilisé autant de pouvoirs aussi vite sans avoir besoin d'y réfléchir, j'étais guidé par mes émotions. Je voulais lui faire payer d'avoir menacé ta vie et c'est ce que j'ai fait

À ces mots, un frisson fait tressaillir le cœur de Madeline. L'idée que Julian soit sorti de ses gonds par peur de la perdre lui fait ressentir quelque chose ... elle ne devrait probablement pas mais une part d'elle apprécie et sans qu'elle s'en aperçoive, un sourire étire ses traits.

- Et je ne regrette rien, termine-t-il avec un sourire enjoué allant à l'encontre de la sérieuse déclaration qu'il vient tout juste de faire
- Tu fais bien, elle n'a eu que ce qu'elle méritait cette folle, lâche Phoebe en levant son verre

Julian et elle trinquent, Zadig et Jefferson ne sont pas en reste.

- Carrément ! On ne touche pas à ma sœurette comme ça, renchérit ce dernier
- Tu avais déjà un chevalier servant, tu as maintenant une escouade à tes pieds, chérie, lui lance le mannequin, la fossette en action

Autant de dévotion l'emplit d'une vague pure de bonheur et à cet instant, ses amis lui paraissent être l'une des plus belles choses en sa possession.

Tout le reste s'estompe. Elle ne pense plus à ses blessures et ses plaies encore visibles, elle n'accorde pas plus d'attention à ses points de sutures dont les stigmates marqueront certainement sa peau pendant un long moment. Elle ne se préoccupe même plus du sort de son assaillante et de ce que cette agression peut bien causer comme remous. Tout ce qu'elle voit, tout ce qui lui importe, ce sont les liens étroits s'étant noué avec ses amis aussi paumés qu'elle dans leur monde des plus instables et nébuleux.

- Vous êtes vraiment la meilleure bande de potes qui existe sur Terre, leur dit-elle sincèrement
- Ohlalah, c'est adorable ça ! rit Phoebe qui tente de cacher combien ce compliment la touche par l'humour
- Mais c'est vrai et je n'ai pas peur de vous le dire en face ! Vous êtes les meilleurs, ne changez rien
- Toi d'abord, sourit Julian avec un clin d'œil

Sans même avoir besoin de se consulter, ils lèvent tous leur verre et trinquent tous ensemble, comme pour sceller les paroles de la blonde à une promesse muette.

- C'est vrai qu'on est géniaux, acquiesce Zadig en haussant nonchalamment une épaule
- Et en prime, on a assuré pour la soirée remontage de moral surprise, renchérit Jefferson tout sourire
- Un conseil : la prochaine fois que vous voulez m'organiser une soirée surprise de ce genre, pas la peine d'attendre que je me fasse trouer le ventre, raille Madeline

Tout le monde se met à rire à la plaisanterie de la pianiste, qui préfère de loin plaisanter de son cas plutôt que d'en pleurer.

- Surtout que vous avez raison, c'est une super soirée, avoue-t-elle
- Mais est-ce qu'une soirée peut vraiment être réussie tant que je ne vous ai pas fait l'honneur de mes talents de danseur et de mon corps qui se mouve avec finesse ? C'est un non catégorique, affirme Zadig en tapant sur son portable pour changer la musique diffusée par les enceintes
- Alors là, tu n'as jamais dit une chose aussi vraie de toute ta vie ! s'exclame Madeline
- Et merde, c'est maintenant que la soirée dérape, s'amuse Julian

Alors que les premières notes d'une chanson entraînante emplissent le toit-terrasse, ce début de nuit festif s'apprête à prendre un tournant encore plus mémorable. Ils célèbrent tous de manière détendue et un brin débridée les paroles, ravis d'être en vie, ensemble, sous les rayons de la lune

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