chapitre 16

16 : les emmerdes ne prennent pas de jour de congés

☽ ▵▿▵▿▵▿▵▿▵▿▵▿ ☾

- Vous êtes l'héritage de William Altmann ...

Si le choc que lui cause cette phrase prononcée par le patriarche Walcott est immense, Madeline reste parfaitement stoïque. Le monde a beau se mettre à tourner autour d'elle, une tempête peut bien se déclencher sous son crâne, elle demeure maître de ses émotions et de celles qu'elle désire afficher.

- Comment connaissez-vous mon père ? lui demande-t-elle, d'une voix ferme emplie de détermination

Une porte s'est entrouverte, lui permettant d'accéder à d'éventuelles réponses. Nul besoin d'hésiter longtemps avant de s'y engouffrer. Cependant, le père de Tia ne semble pas des plus disposés à se montrer coopératif. Un sourire progressif soulève ses traits, une sorte de rictus dénué de chaleur et désagréablement sinistre.

- Pauvre petite fille qui ignore tout de son père, si désespérée de trouver un modèle sur lequel s'appuyer, fanfaronne-t-il en ajustant les pans de sa veste de costume bleu marine
- À choisir, je préfère avoir grandi sans mon père biologique plutôt qu'avec un abruti dans votre genre ... on voit ce que ça a donné pour l'éducation de vos enfants, réplique la blonde en jetant un œil à Tia

Cette dernière, sentant son orgueil être attaqué, bondit furieusement vers l'immaculée. Son père l'empêche de poursuivre son offensive en lui barrant la route de son bras. Il n'accorde aucun regard à sa fille, ses yeux restent ancrés dans ceux de Madeline. Bien décidée à ne pas se laisser intimidée par ce baltringue en costume, elle soutient son regard et fait complètement abstraction du saignement de son nez ou de la brûlure sur le dos de sa main. Elle hausse un de ses sourcils et relève le menton, ouvertement provocante.

- Oui ... vous me le rappelez bien là ..., sussurre-t-il en plissant ses petits yeux étriqués. Lui aussi aimait défier les autres en s'accompagnant d'une attitude insolente et il ne s'en cachait jamais. Nombreux l'ont admiré pour ça mais cet instinct séditieux lui a causé bien des torts

Ça ne fait plus aucun doute, le père de Tia a connu William et de façon assez profonde visiblement. Pourquoi est-ce que toutes les personnes qui ont connu mon père ne me donnent pas envie de prendre le thé avec elles pour en discuter ? pense Madeline en retenant un soupir las. Elle songe au même instant à Priscilla Elder, la superviseure ayant évoqué le souvenir de son père lorsqu'elles se sont croisées près du kiosque abandonné dans les bois. Bien qu'elle ne soit pas de la même trempe que Gregor Walcott, on ne peut pas dire qu'une chaleur immense émane d'elle.

- Au moins, vous vous souvenez de lui. C'est bon signe, réplique l'immaculée
- Personne ne saurait oublier William Altmann, affirme le père Walcott avec un sérieux glaçant. Il avait compris avant tout le monde la voie qu'il était préférable de suivre. C'était un visionnaire, un guide à nul autre pareil. Irremplaçable, pour sûr

Il y a quelque chose d'étrange dans la façon dont Gregor évoque la mémoire de William, Madeline s'en trouve perturbée.

- Vous étiez proche de mon père, n'est-ce pas ? À vous entendre, on dirait qu'il était pour vous un modèle
- Ma petite, c'est bien plus que ça

L'immaculée s'apprêtait à rétorquer une phrase bien sentie qui pourrait faire ravaler à monsieur Walcott son petit air condescendant, mais Tia prend la parole avant qu'elle n'en ait la possibilité.

- Oh seigneur ..., soupire-t-elle en levant les yeux au ciel. Père ! Que fait-on d'elle ?

Madeline grimace, une fois de plus dérangée par les mots employés par l'un des membres de la famille Walcott ainsi que par le ton très déplaisant.

- Tu veux que j'arrange ton autre poignet ? assène-t-elle à sa rivale
- Pour le moment, rien du tout, intervient Gregor pour répondre à la question de sa fille
- Quoi ?! s'offusque cette dernière, un tourbillon de colère bouillonnant dans ses prunelles
- Laissons les jumeaux Harvey se dépêtrer de leur petit mystère familial. Mon petit doigt me dit que l'avenir réservera des surprises à notre duo de choc ...
- Si vous savez quelque chose à propos de la disparition de mon père-

Mais l'avertissement de Madeline ne connaîtra pas de fin, l'indifférence totale des Walcott quant à ses propos lui revient en plein visage. Gregor fait volte-face en lissant les pans de sa veste, l'ombre d'un rictus prétentieux aux lèvres. Ses chaussures de ville se mettent à couiner de nouveau tandis qu'il gravit les marches de l'escalier en colimaçon, quittant la ligne de mire de la blonde. Sa fille s'attarde quelques secondes, fusille Madeline de son regard enflammé et glisse quelques derniers mots courtois.

- Ce n'est que partie remise, bâtarde
- J'espère que tu ne tiens pas trop à ton autre poignet dans ce cas

Puis elle prend la suite de son père et disparaît dans les escaliers, laissant Madeline complètement seule dans le silence épais du sas circulaire. Ce calme lui fait reprendre conscience de sa personne, en passant par son corps. La douleur ressurgit brusquement, comme activé par un bouton poussoir. Elle essuie son saignement de nez d'un revers de main et examine le dos de son autre main. Le résultat n'est pas très beau à voir assurément, mais ça pourrait être pire. Une rougeur s'étale sur sa peau, une cloque disgracieuse de la taille d'un demi pouce s'est déjà formée. Bien que cette brûlure ne soit - heureusement - pas très étendue, ça n'empêche pas un vif élancement de s'étendre violemment à cet endroit.

- La vache ... comment un truc aussi stupide qu'une brûlure peut faire aussi mal ? souffle Madeline entre ses dents serrées

Cette altercation a compromis la mission qu'elle s'était fixée, à savoir : trouver son frère dans le but d'enterrer la hache de guerre. Tant pis, le moment de la réconciliation devra attendre. Ni une ni deux, la blonde passe la porte dissimulée sous l'escalier, repliant sa main douloureuse contre sa poitrine. Tandis qu'elle prend la direction de l'aile ouest afin d'atteindre l'infirmerie, elle sent qu'un filet de sang continue de perler de sa narine. Et puis, à l'angle d'un couloir, elle croise deux têtes bien connues en pleine discussion animée.

- - complètement imprudent de ta part, râle Julian
- Qu'est-ce que ça peut te faire, de toute façon ? réplique Zadig en haussant les épaules avec nonchalance
- Bordel Zadig, je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose ! C'est si compliqué que ça à comprendre ? s'agace son frère

Surpris autant par l'explosion soudaine de son aîné que par ses mots, le mannequin s'arrête de marcher et le dévisage longuement. Les deux frères s'observent pendant ce qui semble être des heures, jusqu'à ce que Madeline se râcle la gorge.

- Ton frère tient à toi ... tu crois que tu vas pouvoir te remettre de cette annonce ? raille-t-elle

Les Lington tournent la tête dans sa direction, étonnés de se faire surprendre ici. Puis, leurs expressions changent en une fraction de seconde lorsqu'ils aperçoivent la petite ligne rouge sous son nez. Machinalement, l'immaculée essuie le saignement avec son pouce. Le pouce de sa mauvaise main. Au même instant, Zadig et Julian posent le regard sur la brûlure de sa main. Le premier fronce ses sourcils avec perplexité, le second serre la mâchoire en peinant à dissimuler l'inquiétude voilant le bleu de ses yeux.

- Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Tu as eu des soucis avec une poêle à frire ? lui demande l'expatrié en France
- Qui t'a fait ça ? s'enquit le lunaire en s'approchant d'elle
- Qu'est-ce qui te fait croire que je ne me suis pas fait ça toute seule ? tente de plaisanter la blonde

Les deux frères la rejoignent, tous deux ouvertement soucieux.

- Je t'en prie Deli', tu n'es pas une bagareuse ... pas gratuitement en tout cas
- Il veut juste savoir dans quelle machoire va atterrir son poing, affirme le cadet. J'approuve complètement cette initiative, même si j'ai une préférence pour les rotules personnellement
- Merci les garçons mais je n'ai pas besoin de deux gardes du corps. Et puis, je me suis déjà chargée d'elle et elle n'était pas en très bon état non plus, répond Madeline avec un sourire en coin

Le même sourire, mi amusé mi impressionné, étire les traits des deux frères. Rassurés de voir que la lunaire n'a rien perdu de sa fougue, ils n'en restent pas moins inquiets quant à ses blessures.

- Viens, je vais t'arranger ça, lui dit Julian
- J'allais justement à l'infirmerie

L'aîné Lington lui coule un regard en biais, la tête légèrement penchée sur le côté. Traduction : « oublie cette idée et ne la propose plus jamais »

- Ne lui tiens pas tête, ça risque d'être long sinon, lui conseille Zadig
- Viens, je m'occupe de toi, réitère son frère sur un ton étrangement doux mais ferme

Un fin sourire étire malgré elle les lèvres de la blonde, qui se laisse mener jusqu'à la cuisine. La main rassurante de Julian ne quitte le haut de son bras que lorsqu'il se met à fouiller dans un placard d'angle au fond de la pièce. À l'intérieur, des boîtes de pansements côtoient des flacons d'alcool, des comprimés contre les maux de têtes ou encore des ampoules de sérum. Près d'un baume cicatricant, le lunaire déniche une boîte de tampons hémostatiques.

- Tu nous donnes les détails croustillants ou tu préfères passer pour Xena la guerrière sans explications ? l'interroge Zadig en appuyant sa hanche contre l'îlot central
- Vous allez sûrement péter un câble si je vous explique, soupire Madeline en s'asseyant à ses côtés
- On pétera un câble si tu ne nous expliques pas, de toute façon, lui assure Julian

Ce dernier, avec la plus grande délicatesse, redresse la tête de la blonde et insère doucement la petite mèche stérile dans sa narine. Ses doigts s'attardent sur sa mâchoire, la faisant frissonner malgré elle.

- Dis-le ou on n'aura pas d'autres choix que de te balancer à notre mère, la menace le mannequin avec un sourire malicieux faisant surgir sa fossette
- Tiens, c'est marrant que tu parles de votre mère ... ça ne la gêne pas que certains élèves soient ouvertement, et violemment, hostiles à la présence d'autres élèves ? Et que ça se traduise par une baston dans les couloirs lui passe au dessus de la tête ? balance Madeline

Une vague de colère vient de s'insinuer dans ses veines, éveillée par un profond sentiment d'injustice et la sensation de ne pas être prise en considération. Qu'une telle chose puisse se passer est assez choquant, aussi elle espère que cette histoire n'en restera pas là.

Les mains de Julian s'emparent de celle blessée de Madeline et, en ajoutant à ça les propos de cette dernière, comprend aussitôt. Il n'a pas besoin d'examiner longtemps sa brûlure pour saisir ce qu'elle signifie ni quel coupable trouver derrière un tel acte.

- J'en conclus que ce n'est pas contre ton frère que tu t'es battue ..., commente Zadig, qui lui n'a visiblement pas tout saisi
- Évidemment que non, réplique Madeline en le regardant d'une drôle de manière. Je ne me bats pas avec mon frère, même quand on est en froid ... je commence à m'inquiéter pour votre famille par contre
- Oh tu sais, tout peut arriver à une vitesse folle ! raille le cadet

Ses yeux verts scrutent son frère, mais ce dernier est à mille lieue de cette conversation. Seule une chose le préoccupe réellement. Une chose qui a eu le don de glacer le bleu de ses prunelles, rendues froides par l'amertume.

- Dashton et Tia ? comprend-il
- Seulement Tia, répond l'immaculée
- C'est Tia qui t'a fait ça ? s'affole Zadig qui comprend enfin la situation. Saperlipopette, jure-t-il en français. Mais il faut sérieusement que quelqu'un enferme cette famille de déglingués !

Son self-contrôle habituel s'est étiolé aussi facilement qu'une bobine de fil dans les pattes d'un chat. Son aversion pour le clan Walcott n'est sans doute pas étranger à sa prise de position radicale. Un rire ironique échappe à Madeline, elle tripote machinalement la mèche dans sa narine tout en secouant la tête de dépit.

- Tu as compris ça après que Tia se soit jetée sur moi comme une bête sauvage ou bien après que Dashton ait voulu t'envoyer une boule de feu dans la tête ? raille-t-elle sur un ton sarcastique empli de rancœur
- Tu as sauté l'épisode où ils ont craché leur venin sur tout ceux qu'ils n'estiment pas être à la hauteur de leur standing, se moque-t-il en imitant une position guindée et maniérée. Sans oublier le moment où ils ont roulé sur l'honneur des Lington
- Ils ne s'en tireront pas comme ça, ajoute son aîné avec fermeté

Julian entoure ses mains autour de celle de Madeline, qui lui lance un regard dubitatif. Le lunaire presse sa paume contre sa brûlure et ferme les yeux. Aussitôt, une caresse de fraîcheur souffle sur le dos de sa main, apaisant complètement les élancements de douleur. Un soupir de soulagement échappe à la blonde qui, surprise, dévisage le lunaire.

- Ça devrait aider à cicatriser plus rapidement, lui assure-t-il à voix basse

Pour autant, la main de Julian ne quitte pas celle de Madeline. Le bleu et le vert sont solidement ancrés l'un à l'autre, tels deux aimants ne pouvant pas lutter contre les lois de la physique.

- Merci, souffle l'immaculée

Étrangement, elle se sent tout à coup stupide avec son tampon enfoncé dans le nez sous les yeux de Julian.

- Je n'aime pas te voir souffrir, confit-il

« Donc je ferai mon possible pour que ça n'arrive pas » peut presque lire Madeline dans les yeux bleu clair de l'aîné Lington. Cette idée cause du trouble en elle, son estomac se contracte d'une manière singulière et intriguante.

Cet échange de regard, ce moment de connexion intense prend fin par un râclement de gorge tout à fait subtil. Tous deux sortent de leur bulle et se tournent vers Zadig, dont le fin sourire mutin ne vise pas à être discret. Ajouter à ça des sourcils arqués et le grand retour de sa fossette et vous avez l'expression la plus malicieux et entendue qui soit.

Précipitamment, ils rompent leur contact physique, tels deux enfants pris la main dans le sac de bonbons. En parlant de main, la blonde en profite pour jeter un œil au dos de la sienne pour voir une fine pellicule de givre recouvre délicatement sa brûlure.

- Vire moi cet air de ton visage, lui lance Julian
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il a, mon visage ? Tu trouves qu'il exprime quelque chose de particulier, peut-être ? raille-t-il en désignant son visage
- Ta fossette te donne du charme mais elle est rarement synonyme de bon présage, rétorque Madeline. Ça veut dire que je préfère ne pas savoir ce qu'il se passe à l'intérieur de ton crâne

Le mannequin lève théâtralement les yeux au ciel, avec l'art et la manière de la drama queen qu'il est au fond de lui. Il doit se résoudre à regagner son sérieux, la situation l'exige.

- Qu'est-ce qu'on fait à propos de Tia ? demande-t-il
- On ne peut pas en rester là, c'est impossible de continuer comme ça, affirme Julian
- Je peux toujours retourner lui péter l'autre poignet, suggère Madeline

Une nouvelle fois, une étincelle d'admiration brille dans les yeux des deux frères lorsqu'ils observent la blonde. Cette dernière est encore habitée par la colère, ce qui motive cette tendance un peu violente.

- Je dois aller en parler à votre mère, décrète-t-elle. C'est elle la directrice de l'Académie, elle doit être avertie des crises qui naissent dans son école si on veut qu'elle les gère comme il se doit
- Elle voudra sûrement prévenir le père de Tia ..., se lamente Julian en croisant les bras
- Oh pas besoin, il est au courant. Il était là pendant qu'on se crépait le chignon, avec sa fille

Les mots de Madeline ont l'effet d'un coup de tonnerre foudroyant sur les frères Lington.

- Je te demande pardon ? disent-ils en même temps

Zadig est interloqué, la tête penchée sur le côté. Julian semble en état d'alerte, de plus en plus furieux. Ce qui n'est pas dans les habitudes du jeune homme de perdre son sang froid. Le bleu de ses yeux se refroidie davantage, contrastant follement avec la flamme de colère qui fait vibrer son corps.

- Il a pointé le bout de son nez pointu dans son horrible costume à rayures et ses foutues chaussures de ville qui couinaient. Peut-être qu'il avait peur que j'amoche trop sa fille ... bref, il savait que Tia s'en prendrait à un immaculé. On aurait dit qu'il l'encourageait même. Mais quand il a su mon nom, il-

La jeune femme s'interrompt, pas certaine de savoir quoi révéler à ses amis. Ses yeux verts pivotent de l'un à l'autre, réfléchissant à toute vitesse.

- Il ? répète Zadig pour l'encourager à continuer
- Il a profité de certains points sensibles très personnels, répond-elle

En coulant un regard vers Julian, la blonde remarque qu'il semble comprendre la complexité de la situation. Après tout, elle lui a confié pas mal de choses à propos de son père et après qu'ils aient espionné tous les deux la conversation de Grace avec Finn, Julian peut facilement additionner deux et deux.

- Quel connard, ce type. Tu vois, je ne croyais pas que je pouvais encore moins l'apprécier mais la vie est pleine de surprises ! ironise Zadig
- Quite à parler de Tia à votre mère, autant mettre le père dans le même panier, dit la blonde
- Je ne sais pas ce que maman aura la possibilité de faire, contre Julian. Elle ne pourra sûrement pas renvoyer les Walcott de l'Académie
- Et pourquoi ?! Ils ne l'auraient pas volé, ces ordures, s'offusque la jeune femme
- Parce que tant qu'ils sont ici, ils sont en sécurité. Maman ne voudra pas qu'ils soient privé de la protection qu'offre l'Académie

Même si elle sait qu'il a raison, les mots de Julian ne suffisent pas à éteindre la flamme de colère courant à travers ses veines. Elle émet un petit persifflement d'agacement, secouant légèrement la tête.

- Ils se foutent de l'Académie Dawson, ils se moquent ouvertement des autres élèves ... si tu veux mon avis, ils ont mérité de se retrouver livrer à eux-mêmes, déclare-t-elle avec amertume
- Je sais, je comprends ton avis. Je suis aussi remonté que toi, soupire Julian
- Alors on a qu'à exposer les choses de cette manière là à ta mère, elle sera obligée de céder
- Excellente idée ! Maman ne pourra pas refuser de les expulser ou ça serait le plus gros scandale du siècle ... non mais, personne n'amoche ma blonde préférée gratuitement, s'exclame Zadig en entourant de son bras les épaules son amie blessée

☽⁂☾

- Je refuse de les expulser, déclare Grace Lington
- Quoi ?!

Madeline ne s'énerve pas souvent mais quand elle s'énerve, il vaut mieux ne pas se trouver à proximité. Et là, la cocotte-minute menace d'exploser.

- Je refuse de les expulser, répète la directrice, implacable
- Mais-, commence à protester Julian
- Maman-, ajoute au même moment Zadig
- Et cette décision ne changera pas, assène leur mère

Tous réunis dans le bureau de cette dernière, l'ambiance n'est pas toute rose. Installée derrière un majestueux bureau en bois blanc, Grace fait face à ses deux fils et à Madeline, assis dans des fauteuils matelassés en velours blanc.

Le trio était plus que déterminé à faire entendre raison à Grace quant au cas problématique que représente la famille Walcott, son inflexibilité pourrait bien refroidir soudainement leur enthousiasme.

Enfin ça, c'est sans compter sur l'entêtement dont peut faire preuve Madeline lorsque quelque chose la contrarie énormément. Et c'est le cas avec ce qu'elle vient de subir, elle est remontée comme un coucou suisse.

- Donc vous allez tolérer ce genre de comportement dans votre école ? réplique-t-elle en désignant son visage
- Je n'ai jamais dit ça, répond Grace

La directrice plante son regard droit et décidé dans celui de la blonde, l'ombre d'une expression compatissante sur le visage.

- Cette manifestation de violence ... c'est au-delà de tout ce que je souhaitais éviter à tout prix, se lamente-t-elle

Ses traits se durcissent brutalement, faisant ressortir la cicatrice près de sa narine avec plus de netteté.

- De toute évidence, mes discours, qui visaient à encourager la cohésion entre les deux sections, n'ont pas porté leurs fruits. C'est un constat que je ne saurais tolérer plus longuement. Un tel comportement n'est en rien acceptable. Je m'entretiendrai dès la première heure avec Gregor Walcott
- Profitez-en pendant qu'il rode dans les parages en soutenant l'impulsivité de sa fille, raille amèrement Madeline
- Le patriarche n'est pas le seul souci de cette famille de fumiers notoires, soit dit en passant, glisse Zadig

Parfaitement détendu dans son fauteuil, le mannequin use de son fameux petit air désinvolte qui prétend ne pas y toucher. Pourtant, le fond de sa pensée est exposée au grand jour.

- Zadig a raison, ce n'est pas la première fois qu'on en parle en plus, approuve Julian
- Attends une petite minute ... tu viens de dire que j'avais raison ? s'exclame son cadet en se penchant dans son siège
- La ferme, le réprimande son aîné
- Est-ce que tu peux me répéter ça ? C'est simplement pour le plaisir auditif que cette phrase me procure
- Ou simplement pour flatter ton égo, suggère Madeline
- Effectivement, mon égo fait des cabrioles en ce moment même, plaisante le mannequin, sa fossette en pleine action

D'un geste sec et brutal, la directrice frappe du plat de sa main la surface parfaitement polie de son bureau blanc. Ce simple geste suffit à faire revenir le calme et le sérieux au sein du trio.

- Je sais ce que vous pensez de la famille Walcott, commence-t-elle
- Ce ne sont que des-
- J'ai eu l'occasion d'entendre tout le bien que tu pensais d'eux après votre petite altercation lors de la soirée de rentrée, Zadig, le coupe sa mère
- Curieux, je me rappelle plutôt d'un nombre colossal de noms d'oiseaux qui ont éclaté dans ce bureau, ironise Julian

Son frère pouffe, Madeline réprime un sourire en coin. Si Julian s'y met aussi, la pauvre mère de famille n'est pas sortie des ronces avec eux.

- Ce que je vous ai affirmé quant à ma décision de les maintenir à l'Académie n'a pas changé, déclare Grace. En ouvrant de nouveau les portes de cette école, j'ai fait la promesse que chaque élève y serait en sécurité. Je refuse de trahir cette promesse, qu'importe les circonstances. Tant que Tia et Dashton Walcott sont entre les murs de ce château et dans le périmètre de la propriété, ils ne risquent rien. Et ça, c'est ce qui prime par-dessus tout

Elle assène cette dernière phrase telle une sentence résolument irrévocable, écartant l'envie à quiconque de protester.

- Maintenant, ce qu'il s'est passé aujourd'hui est grave. Très grave. On ne peut évidemment pas le balayer d'un revers de main et en rester là. En tant que directrice de l'Académie Dawson, c'est à moi que reviens la tâche de déterminer la sanction la plus appropriée que vous recevrez toutes les deux
- Toutes les deux ? répète Madeline en penchant la tête sur le côté, incrédule

Son étonnement souffle comme un ouragan sur sa colère, elle s'en trouve abasourdie quelques secondes.

- Il me semble, selon vos dires, que vous ne vous êtes pas contentée de subir les assauts de mademoiselle Walcott, observe Grace

Quelques secondes seulement suffisent à faire disjoncter la jeune femme. Cette phrase ranime les braises encore chaudes de son énervement.

- Pardon ?! J'aurais dû la laisser me tabasser sans rien faire ?! s'offusque la blonde en levant les bras au ciel
- Je n'encourage pas la violence, mademoiselle Harvey. C'est pour cette raison que vous recevrez une sanction vous aussi
- C'est ridicule-, commence Julian
- Et je n'encourage aucun d'entre vous à protester, coupe sa mère. Ma décision est prise, elle se doit d'être juste. Maintenant, si vous le voulez bien, je dois prendre contact avec Gregor Walcott. Bonne fin de journée à vous trois

Ainsi congédiés, le trio se résout à quitter le bureau de la directrice sans ajouter un mot. Une fois dans le couloir à l'accès très restreint, ils le parcourent en silence, comme enveloppés par une espèce de transe de réflexion intense. Ils atteignent le sas circulaire du troisième étage, Julian referme la porte du couloir privé à clef derrière eux.

- Bon ... on ne va pas mentir et dire qu'on soit surpris par sa décision, amorce Madeline
- Je ne m'attendais pas à ce maman décide de guillotiner Tia sur place publique devant toute l'Académie ... mais j'aurais aimé qu'elle la fasse au moins écarteler, raille Zadig en haussant une épaule
- Je n'espérais pas un miracle mais franchement ... qu'est-ce qu'elle peut être bornée ! s'agace son aîné
- Ce n'est pas votre mère pour rien, s'amuse la blonde avec un sourire en coin

Les deux frères se jettent un coup d'œil en biais avant d'esquisser le même sourire que leur amie. C'est un fait qu'ils ne peuvent pas nier, ils ont bien hérité de l'entêtement de leur mère.

- N'empêche que je n'approuve pas qu'elle te sanctionne toi aussi, ajoute Julian
- Ça ne me fait pas rêver non plus. Au moins, elle a le mérite de rester droite dans ses bottes et de respecter ses principes. Même si ça ne fait pas mes affaires, soupire Madeline
- Foutus principes. J'ai bien envie de lui dire deux mots à propos de ça, soupire-t-il en jetant un œil à la porte permettant de retourner s'expliquer avec sa mère
- Et qu'elle se mette ta punition là où je pense, ajoute son cadet

Mais Madeline ne prête plus attention à la phrase pleine de finesse de Zadig, quelqu'un qu'elle connaît très bien vient d'émerger dans le seuil de forme ronde du troisième étage. Venant tout droit de l'aile sud, celle dédiée à la galerie de portrait des différents directeurs de l'Académie Dawson, Jefferson marche, la tête baissée, visiblement dans ses pensées.

Si l'immaculée s'est retrouvée dans ce couloir où elle est tombée sur Tia aux envies sanguinaires, c'est parce qu'elle était à la recherche de son frère. Je l'ai trouvé, finalement, songe-t-elle. Il y a à peine deux heures de ça, son but était d'enterrer la hache de guerre avec Jefferson afin de briser ce froid qui les sépare actuellement. Entre temps, elle a failli se transformer en torche humaine mais cet objectif est peut-être encore atteignable.

Son jumeau redresse enfin la tête, ses yeux se plantent sur elle. En une fraction de seconde, ses traits se durcissent puis se rendent d'une manière différente, chargée d'une inquiétude brutale. Les sourcils froncés, le regard ouvertement soucieux, Jefferson inspecte sa sœur avec des prunelles pleines d'interrogations.

La présence de la mèche stérile dans sa narine lui revient tout à coup, elle la retire et s'assure que son saignement de nez est bien terminé. Du coin de l'œil, elle voit Julian donner un coup de coude à Zadig et faire un mouvement de tête vers l'escalier.

- On va vous laisser, dit-il en faisant un petit sourire réconfortant à Madeline
- Ah bon ? s'étonne le mannequin
- Oui, on va les laisser, confirme Julian en empoignant son frère. Tu sais ce que c'est quand des frangins ont des choses à se dire, frérot
- Je ne vois pas pourquoi on aurait des choses à me dire, je n'ai aucun défaut, s'amuse Zadig

L'aîné ne laisse pas le temps à son cadet de sortir une énième bêtise, il l'entraîne à sa suite vers l'escalier. Les deux frères coulent un regard plein d'encouragements à la blonde, qui se dirige vers le sien en prenant une profonde inspiration.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu t'es cognée contre un mur en glissant sur une plaque de verglas ? lui demande Jefferson, sincèrement préoccupé
- Je me suis plutôt cognée contre une lunaire raciste en glissant sur son animosité, répond sa sœur

Jefferson penche la tête sur le côté, un peu perdu. Madeline balaye la conversation d'un revers de main, elle ne tient pas à perdre une seule seconde à parler de Tia alors que son frère vient d'abaisser la barrière qui s'était érigée entre eux depuis plusieurs jours.

- Peu importe. Je te cherchais justement, j'aurais aimé qu'on discute un peu ...

Elle laisse la fin de sa phrase légèrement en suspens, jogeant la réaction de son jumeau. Pas de masque impassible, pas de raideurs soudaines ... c'est un bon début. L'immaculée porte ses yeux verts en direction du couloir dont a émergé son frère.

- Tu as trouvé la galerie des directeurs ? l'interroge-t-elle
- J'ai eu envie d'être curieux, acquiesce-t-il. Et je n'ai trouvé qu'un gros trou à l'endroit qui m'intéressait le plus

Le moment est venu de se jeter à l'eau, Madeline n'a plus le choix. La bombe doit être désamorcée, l'occasion se présente maintenant.

- Je suis désolée de t'avoir caché que papa était passé par l'Académie Dawson, j'aurais dû essayer de t'en parler dès que je l'ai appris, s'excuse la blonde
- Tu sais Made, au fond je comprends que tu l'aies gardé pour toi. Je me ferme comme une huître dès qu'on parle de William, ce n'est pas franchement engageant pour avoir une conversation sérieuse, admet-il en haussant timidement une épaule

D'abord surprise par les propos de son jumeau, l'immaculée sent que le nœud qui paralysait son estomac depuis leur dispute est en train de se dénouer. Elle scrute intensément Jefferson, attentive à ce qu'il veut lui dire.

- Peut-être que si j'étais moins allergique à tout ce qui le concerne, tu ne te serais pas sentie obligée de garder ça pour toi. Alors désolé de m'être emporté et de t'avoir fait la gueule comme un enfant de cinq ans, ajoute-t-il avec un petit sourire gêné

Profondément soulagée, Madeline ne sait pas comment exprimer sa joie. Elle se contente de sourire à son frère, qui semble retrouver petit à petit sa joie de vivre habituelle. Après avoir été pétrifié par la mauvaise humeur ces derniers jours, les traits de Jefferson retrouvent leur innocence et leur légèreté de coutume.

- Tu ne peux pas savoir combien ça me fait du bien de t'entendre dire ça, soupire-t-elle
- Profites-en, ce n'est pas tous les jours que je te dis que tu as raison, plaisante-t-il
- Je crois que je vais le noter quelque part pour ne pas oublier

Les jumeaux s'aventurent à rire doucement, tous deux soulagés d'entrevoir le retour à la normale de leur relation.

- En parlant d'oubli ... pourquoi le portrait de William ne fait pas partie de la super galerie de selfies des directeurs ? lui demande Jeff en désignant du pouce le couloir concerné
- Je l'ignore. C'est ce que j'essaye de découvrir

Une idée germe alors dans son esprit, la blonde saisit cette opportunité de renouer encore un peu plus avec son frère.

- Tu voudrais m'aider dans mes recherches ?

Le footballeur y réfléchit durant plusieurs secondes. Il médite cette proposition avec application et finit par redresser ses yeux dans ceux de sa jumelle.

- Peut-être un jour. Pour le moment, j'ai encore besoin de temps pour me faire à l'idée. Mais peut-être qu'un jour, je me joindrais à toi oui

Cette demie approbation, aussi mince soit elle, suffit à faire gonfler de bonheur le cœur de Madeline. C'est un petit pas, déjà gigantesque à ses yeux.

- Ça me va, fais-moi signe le jour où tu voudras déterrer les squelettes de l'Académie, raille-t-elle

Les jumeaux se regardent en riant, tous les deux plus que ravis de se retrouver. Pour eux qui n'ont jamais eu l'habitude d'être séparé bien longtemps l'un de l'autre, ces derniers jours ont quelque chose d'irréel et d'étrange. La simple pensée que cette parenthèse au goût amère soit terminée fait souffler un vent de légèreté dans la poitrine de Madeline.

- Tu as-
- Madeline ! Ça tombe bien que tu sois là, je te cherchais justement ! s'exclame une voix depuis l'aile est

Luke, le bibliothécaire, apparaît d'un pas pressant du couloir, un parchemin à la main. Ses yeux marrons pétillent d'impatience, signe qu'une découverte majeure est à l'origine de cette excitation.

- Je l'ai enfin retrouvé, sourit-il en haussant plusieurs fois les sourcils d'un air joueur

L'esprit encore consacré à sa fraîche réconciliation avec son frère, la blonde se trouve un peu perdue face au bibliothécaire. Elle fronce les sourcils en secouant légèrement la tête.

- Je savais que je l'avais lu quelque part dès l'instant où tu as évoqué ce mot ... il m'a fallu quelques heures pour mettre la main dessus et c'est chose faite !
- Pardon mais ... de quoi parle-t-on là, actuellement ? interroge la jeune femme en se pinçant l'arête du nez
- Et qui êtes-vous ? Si ce n'est pas impoli de le demander comme ça, ajoute Jefferson

Encore plus perdu que sa sœur, le footballeur ne cache pas néanmoins sa curiosité vis-à-vis du nouveau venu.

- Je m'appelle Luke, je suis le bibliothécaire de l'Académie, répond ce dernier
- Luke m'aide à en savoir plus sur l'Académie et sur ... certains trous, ajoute Madeline

Elle jette un regard appuyé à son jumeau, espérant qu'il comprendra le sens caché derrière ces quelques mots. Les yeux de Jefferson se plissent, réfléchissant si intensément qu'on pourrait voir les rouages de son cerveau s'activer. Puis, sa bouche forme un « O » parfait de réalisation et ses sourcils se redressent d'un seul coup.

- Et ce que j'ai trouvé va peut-être remplir certains de ces trous, s'enthousiasme Luke

Il tend à Madeline le parchemin, qu'elle examine avec perplexité.

- C'est ça, votre grande découverte ? Un papier miteux qui ressemble à un gruyère ? raille-t-elle

En effet, le parchemin n'est pas en très grande forme. Bien que la page soit de couleur claire, témoin de sa relative modernité, des trous de tailles variées abîment sa surface.

- On ne remplit pas des trous par d'autres trous, dit Jefferson avec innocence
- Jettez un coup d'œil quand même, conseille le bibliothécaire

S'exécutant, Madeline se concentre à déchiffrer le contenu du parchemin. Les premières phrases viennent rafraîchir sa mémoire, elle se souvient avoir parlé à Luke de la Sphère il y a quelques heures.

« Ce jour m      une face sombre de lune. Des traîtres avaient infiltré Sphère, ces per    se   so   révélés au grand jour. Leu   intentions hostiles défigurent la lune. No   ons perdu pl   urs   bres, d'autres ont vu leur éclat faiblir. La Sphère a été bris    ,   e ne pe   réapparaître.

Ces détracteurs sont recherchés, mais rien afin les retrou    plus   pidement. La lune est en danger.

Heure   ment pour la communauté, le Maître du Tangible n'a pas    sur   ce. Il pourrait cependant to    c  

Je suis contraint de formuler une éclipse.  

J'espère que la lune s'en remettra. Je   is per   de qu'e dura mal   ut.

Finn Colao »

Madeline est si absorbée par cette lecture qu'elle n'avait pas remarqué son frère lisant par-dessus son épaule. Lui qui ne voulait pas être mêlé à tout ça, la curiosité le pousse finalement à plonger tête la première dans ce parchemin de l'étrange.

Devant la perplexité affichée par la blonde, Luke tente de la rassurer.

- Je ne sais pas exactement de quoi il s'agit mais ça paraît important, lui assure-t-il
- On dirait une sorte de compte-rendu, observe-t-elle. Mais entre le langage codé et les trous, c'est difficile d'y voir clair
- Un compte-rendu de quoi ? Qu'est-ce que ce charabia signifie ? demande Jefferson

Sa sœur se tourne vers lui, agréablement surprise par son intérêt. Si Jeff se prend au jeu dans ce méandre de recherches à décortiquer, ça pourrait bien être l'occasion pour eux d'enquêter ensemble sur l'Académie et sur leur père.

- Ça signifie que le mystère s'épaissit davantage, que le monde des lunaires est bien plus compliqué qu'il n'y paraît et que l'Académie Dawson n'a pas réouvert ses portes par hasard, expose-t-elle
- Le mystère s'épaissit ... on ferait bien d'appeler Scooby-Doo, s'amuse-t-il
- On aura besoin de bien plus que le Scooby gang pour venir à bout de tout ça ... mais c'était une idée comme une autre

Aux grands maux les grands remèdes !

☽ ▵▿▵▿▵▿▵▿▵▿▵▿ ☾

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top