𝟑𝟎 ¦ 𝐋𝐀 𝐓𝐄𝐑𝐑𝐀𝐒𝐒𝐄
𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟎 ━ 𝟏,𝟗𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
Terrasse du café le soir,
Vɪɴᴄᴇɴᴛ Vᴀɴ Gᴏɢʜ (1888)
Il était un peu plus de dix-neuf heures lorsque Marco arriva aux abords de l'ESAM. Le soleil qui brillait encore haut dans un ciel aussi bleu que dégagé annonçait la couleur du printemps qui bientôt s'achèverait. Les journées s'étiraient à l'approche de l'été et les soirées se faisaient plus douces, ce qui encourageait naturellement les riverains à sortir. Néanmoins, Marco ne s'attendait pas à croiser autant de monde autour de l'école supérieure d'arts et médias. Surtout un vendredi soir, où la perspective du week-end poussaient de nombreux‧ses étudiant‧e‧s à rentrer au plus tôt chez elleux. Un peu perdu parmi tous ces gens, Marco poussa la porte du bâtiment et se faufila dans le hall, où ses yeux scrutèrent les visages à la recherche d'un jeune artiste en particulier. Jean l'attendait un peu plus loin, négligemment installé sur un sofa. Marco le rejoignit en jetant des regards curieux autour de lui.
— C'est drôlement animé par ici, s'étonna-t-il.
— Oh, c'est la période des accrochages de diplômes, expliqua Jean. Ça vient tout juste de commencer, alors il y a un peu de monde aujourd'hui. Ce sera probablement plus calme le reste du mois, même si on aura des visites en fin de journée.
— Des accrochages ? Ce sont des genres d'expositions ?
Jean hocha la signe en signe d'acquiescement.
— C'est ça, confirma-t-il. Les étudiant‧e‧s de troisième et de cinquième année qui passent respectivement leur licence ou leur master exposent leurs productions finales à l'école. Mais d'autres accrochages peuvent avoir lieu au court de l'année ; lors d'évènements culturels ou pendant les portes ouvertes, par exemple. Ce sont toujours des périodes très animées.
— On dirait bien, commenta Marco. C'est chouette.
— Je sors de l'atelier de ta mère, mais Annie et Hitch sont restées dans le coin pour y jeter un œil. Tu veux faire un tour ? lui proposa alors Jean. On n'est pas pressé.
À l'origine, Marco s'était déplacé à l'ESAM car Jean l'avait invité à venir prendre un verre en ville avec plusieurs ami‧e‧s de leur promotion. Iels venaient de terminer leurs évaluations de fin de second semestre ; un évènement qui méritait d'être arrosé. Mais puisqu'il était là et qu'il avait un peu de temps libre, il aurait été bête de ne pas en profiter pour regarder ces fameux accrochages. Marco accepta donc volontiers de suivre Jean, qui l'entraînait déjà dans les couloirs de son école.
Les deux jeunes hommes déambulèrent de pièce en pièce et prirent le temps d'observer les différents projets exposés. Il y avait vraiment un tas de choses très différentes, tant en raison de la nature intrinsèque de l'œuvre, de la technique utilisée, de l'effet recherché, de la présentation des éléments... Une exposition aussi simple que celle-ci mettait en lumière la diversité des formes d'art qui cohabitaient ici ensemble dans un même espace. Comme la plupart des autres visiteur‧se‧s venu‧e‧s de l'extérieur, Marco avait l'impression de se trouver dans un petit musée. De temps en temps, Jean se chargeait de lui donner une analyse sur certaines œuvres : il énumérait les probables inspirations, il présumait les éventuelles aspirations, il admirait les méthodes employées... Le jeune artiste n'était pas avare de commentaires pour la majorité des estampes, des fresques, des tableaux, des sculptures, des photographies, des collages, des maquettes. En revanche, il se faisait plus discret face aux œuvres les plus modernes qui s'avéraient fort abstraites.
— Ne me regarde pas comme ça, pouffa Jean avec embarras. Pour être honnête, je n'ai aucune idée de ce que la plupart de ces productions sont censées représenter.
— La beauté de l'art contemporain... ironisa Marco.
— Sans conteste ma bête noire. J'entends que le processus artistique est très important, que certaines œuvres doivent être expliquées pour avoir du sens, mais... J'accorde beaucoup trop d'importance à l'esthétique pure et simple pour comprendre pourquoi ce genre de choses entre dans la catégorie des arts, soupira-t-il. Non mais sérieusement, regarde ce truc !
L'œuvre que Jean désignait avec une telle perplexité ressemblait ni plus ni moins à un tas de laine de verre suspendu au plafond par un crochet. Et en l'absence de cartel explicatif, le jeune artiste se trouvait tout bonnement incapable de comprendre ce qui avait bien pu passer par la tête de son auteur‧e pour créer quelque chose d'aussi étrange. Mais les visiteur‧se‧s n'étaient pas au bout de leurs surprises. Car de nombreuses œuvres pour le moins déconcertantes les attendaient encore dans les pièces suivantes. Marco eut ainsi le loisir de trouver une chaise bancale dont on avait scié un pied, deux tables en bois qui paraissaient sortir d'un magasin de récupération, un vase entouré de papier aluminium et une chenille faite de papiers colorés qui épousait la forme du mur. Ce fut devant cette dernière qu'ils retrouvèrent Annie et Hitch.
— C'est quoi, le message derrière ce gros ver de terre multicolore ? se demandait très sérieusement Hitch. Que le vivant est merveilleux ? Que le monde est plus beau en couleur ? Que les chenilles sont heureuses malgré leur vie éphémère ? À moins que ce soit en hommage au mois des fiertés qui approche... T'en pense quoi, Jean ?
— J'en pense que j'ai vraiment besoin de ce verre.
Le reste du groupe s'empressa d'approuver. Iels quittèrent l'ESAM et se dirigèrent vers la station de tramway afin de remonter sur le centre-ville. Une fois descendu à bon port, iels flânèrent un peu dans les rues piétonnes avant de rejoindre le reste de leurs ami‧e‧s qui s'étaient déjà attablé‧e‧s sur la terrasse d'un bar animé. Un serveur vint rapidement prendre leur commande. Il y avait là quelques visages que Marco ne connaissait pas, alors il fallut faire les présentations. Jean veilla à garder son beau brun près de lui pour éviter que celui-ci ne soit mal à l'aise. On apporta aux dernier‧e‧s arrivant‧e‧s leurs très attendues consommations, et la soirée pu continuer.
Marco se détendit très vite au contact du groupe. Les étudiant‧e‧s en art étaient décidément des personnes très sympathiques dont il s'accommodait plutôt bien ; peut-être parce qu'iels dégageaient justement la même énergie que sa mère et son petit frère qu'il avait l'habitude de côtoyer. Les jeunes gens discutèrent un peu des accrochages qu'iels avaient rapidement regardés, mais la discussion ne s'arrêta heureusement pas aux seuls domaines artistiques.
Puisque l'année universitaire touchait à sa fin, le groupe s'enquit des projets de chacun‧e pour l'avenir, proche comme lointain. À l'instar de certain‧e‧s de ses ami‧e‧s, Jean avait déniché un stage de deux semaines dans une galerie d'art qui avait accepté de l'accueillir le mois prochain. Après cela, il avait également décroché un emploi de serveur dans un restaurant du centre-ville pour l'été. En ce qui le concernait, Marco s'était tourné vers un environnement qu'il espérait un peu plus calme : la bibliothèque municipale. Un peu de tranquillité lui fera le plus grand bien avant d'attaquer sa première année de master à la rentrée.
— D'ailleurs, c'est quoi l'intitulé de ta formation ? lui demanda Jean. Je ne me rappelle pas te l'avoir demandé.
— C'est le parcours psychologie psycho-dynamique clinique et pathologique. En gros, c'est très axé sur la prévention, l'évaluation et l'intervention auprès des personnes qui présentent des souffrances psychologiques, tenta d'expliquer Marco. C'est un diplôme qui me permettrait d'intervenir dans le milieu éducatif ou judiciaire, par exemple.
Jean poussa un sifflement admiratif.
— C'est super. Ça t'ouvres un peu plus de portes que le métier de thérapeute classique en milieu hospitalier ou libéral.
— Exactement. Comme je ne suis pas encore très fixé sur ce que j'ai envie de faire plus tard, j'ai pensé que ce serait mieux d'agrandir mon panel de débouchées possibles.
Marco appréciait bien sûr le contenu de ses études ; du moins, la plupart du temps. Mais il restait incertain quant à la perspective de faire de la psychologie le fondement même du futur métier qui serait le sien. Le jeune homme craignait de tomber dans une routine qui l'ennuierait ou de ne pas avoir les épaules suffisamment solides pour supporter une telle tâche. Il était loin d'avoir la passion qui animait le regard de tou‧te‧s ces étudiant‧e‧s d'art qui entouraient le reste de la table. La fibre artistique, c'était une évidence ou ça ne l'était pas.
Pourtant, en les écoutant discuter, Marco réalisa que beaucoup d'entre elleux ne savaient pas exactement quel métier iels aimeraient bien faire une fois leur diplôme en poche. Il était vrai que le milieu de l'art pouvait s'avérer capricieux en terme de débouchées professionnelles solides. Sans surprise, Jean était aussi de celleux qui n'avaient pas d'idée précise en tête. Le jeune artiste aimerait avoir le luxe de toucher un peu à tout avant de se décider ; si l'envie lui prenait seulement de se décider. Marco sourit en songeant qu'une carrière flexible lui irait probablement comme un gant.
Le groupe se sépara aux alentours de vingt-et-une heures. Certain‧e‧s rentrèrent à pieds ou en voiture, mais la plupart prirent le tramway. Jean et Marco se retrouvèrent bientôt seuls dans la même rame. Assis l'un à côté de l'autre, ils regardaient le paysage urbain défiler à travers les vitres du véhicule tandis que leurs doigts se cherchaient. L'annonce de son arrêt surprit Marco, qui n'avait pas vu le temps filer. Il se releva pour suivre les quelques personnes qui, comme lui, allaient descendre à cette station. Sa main ne suivit pas immédiatement le reste de son corps, car retenue en arrière par celle de Jean, qui déposa un baiser sur ses doigts en guise d'aurevoir. Comme d'habitude, Marco sentit son cœur s'emballer à ce geste tendre.
Les portes se refermèrent dans un bruit trident et le véhicule reprit sa route dans les rues caennaises. Le jeune homme reprit sa place à côté de Jean, qui lui adressa un regard surpris. Lorsque ce dernier lui demanda pourquoi il n'était pas descendu, Marco haussa simplement les épaules.
— J'ai envie de rester avec toi un peu plus longtemps, lui confia-t-il en toute honnêteté. Enfin, reprit-il avec moins d'assurance, seulement si tu veux bien de moi, évidement.
Franchement réjouit par la tournure des évènements, Jean lui répondit par un grand sourire. Cette fois-ci, il prit la main de Marco dans la sienne avec la ferme intention de ne pas la lâcher de sitôt. Il continua de la serrer lorsqu'ils descendirent du tramway, puis lorsqu'ils remontèrent la rue jusqu'à sa résidence, et même lorsqu'ils grimpèrent les trois étages qui les séparaient de son appartement. Jean relâcha alors sa prise, mais ce fut au tour de Marco de le retenir près de lui.
La pièce était plongée dans le noir, mais il n'avait pas besoin de lumière pour trouver les lèvres de Jean. Il l'embrassa une fois, deux fois, trois fois. Puis sa bouche dévia vers son oreille, où elle lui souffla les trois petits mots qu'il n'avait pas encore eut l'occasion de lui avouer en retour. Ces mêmes trois petits mots qu'il avait eu si peur d'entendre, mais dont il ne voulait plus se cacher. Marco regretta un instant de ne pas pouvoir clairement distinguer l'expression de Jean, à ce moment précis, car elle valait sûrement le détour. Néanmoins, il n'y songea plus dès lors que sa bouche se pressa de nouveau contre la sienne. Il devina sans peine que le jeune homme souriait tout en l'embrassant, et ce simple constat le fit lui-même sourire en écho. Cette nuit-là, Jean et Marco refirent l'amour comme si c'était la première fois.
Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
J'espère que vous aimez la fin de ce chapitre autant que moi ♡
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