𝟐𝟗 ¦ 𝐋𝐄 𝐂𝐎𝐄𝐔𝐑
𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟗 ━ 𝟏,𝟖𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
Il pleure dans mon cœur,
Pᴀᴜʟ Vᴇʀʟᴀɪɴᴇ (1874)
Ce matin-là, Marco s'éveilla avec la désagréable impression de ne pas avoir assez dormi. Bien que l'envie de continuer sa nuit était grande, il coupa la sonnerie stridente de son alarme. Le jeune homme se redressa en position assise sur son lit, il étira ses membres amorphes, puis il se résolut enfin à sortir des couvertures. Une fois ses vêtements enfilés, Marco descendit au rez-de-chaussée pour prendre son petit-déjeuner. Dans la cuisine, il retrouva Siméon qui n'allait pas tarder à partir pour le collège. Il ébouriffa gentiment les cheveux de son jeune frère qui rouspéta pour la forme. Siméon suivit Marco des yeux, alors que celui-ci se préparait son chocolat chaud quotidien. Le jeune homme ne remarqua son regard insistant qu'une fois installé en face de lui. Perplexe, ses sourcils se haussèrent en une moue curieuse.
— T'étais bourré, quand t'es rentré cette nuit ?
— Pas du tout, répondit Marco. Pourquoi ?
Siméon prit une petite seconde pour réfléchir.
— Je t'ai vu embrasser Jean, avoua-t-il.
Marco manqua de s'étouffer avec sa gorgée de chocolat chaud. Il toussota un peu plus que nécessaire, espérant gagner quelques secondes pour trouver une réplique adéquate.
— Si t'étais pas bourré, ça veut dire que vous sortez ensemble ? insista Siméon, qui avait de la suite dans les idées.
— Pas vraiment, souffla Marco. Pas encore.
Siméon sembla sincèrement déçu par cette réponse. Ses sourcils se froncèrent et sa tête s'inclina légèrement.
— Je suis pas sûr de comprendre, poursuit-il finalement avec hésitation. Vous avez l'air de vous aimer, pourtant.
— C'est vrai, mais...
Marco s'arrêta net, réalisant que sa bouche venait de parler toute seule, sans avoir préalablement obtenu son autorisation. Il venait d'avouer à son petit frère qu'il était amoureux alors même qu'il peinait encore à se l'avouer à lui-même. Pourquoi diable son esprit fonctionnait-il aussi étrangement, ces derniers temps ? Marco ferma les yeux, et soupira.
— Je ne suis pas certain que s'aimer suffise, termina-t-il.
— Peut-être pas tout le temps, concéda Siméon. Mais c'est quand même un sacré bon début, tu crois pas ? Pour le reste, vous pouvez toujours trouver une solution plus tard. Ensemble.
Marco resta un peu sonné par la manière dont tout semblait si simple, dans la bouche de son petit frère. À l'entendre parler, l'amour était une chose merveilleuse et précieuse qu'il ne fallait pas craindre, mais choyer. C'était un trésor, un miracle, une chance. C'était le moteur universel de la vie. Marco se souvenait encore de l'époque où il partageait cette vision insouciante. Quelques années plus tôt, il avait accueilli l'amour avec joie et avec gratitude. Inconsciemment, il avait laissé un filtre rose se déployer devant ses yeux, l'empêchant de voir l'envers du décor. Jusqu'à ce que celui-ci ne se brise en mille morceaux, emportant son cœur dans cette débâcle.
Siméon ne tarda pas à prendre le chemin du collège, laissant son grand frère seul avec ses pensées. Enfin ; c'était sans compter sur l'apparition soudaine d'Isaac, qui fit presque sursauter Marco. Ce dernier adressa au nouveau venu un regard méfiant, qui fut royalement ignoré. Il avait comme l'impression que le timing de l'aînée des Bodt était un peu trop parfait pour que sa présence dans cette cuisine soit une simple coïncidence... L'air de rien, Isaac remplit tranquillement la bouilloire d'eau et prit tout son temps pour choisir son sachet de thé. Néanmoins, la pression qu'il pouvait sentir sur son dos le conduit finalement à confirmer ce dont Marco se doutait déjà : il avait bien surpris sa conversation avec leur benjamin.
— Siméon a raison, tu sais. C'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine t'a piqué, d'abandonner tous les rêves parce que l'un d'entre eux ne s'est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu'on a échoué...
Isaac se retourna à temps pour voir son petit frère lever les yeux au ciel, un demi sourire aux lèvres.
— D'accord, j'arrête de citer Antoine de Saint-Exupéry pour t'embêter, promit-il. Mais je maintiens ce que j'ai dit.
— Vous vous êtes vraiment passé le mot, ce matin...
— Que veux-tu ? Siméon ne parle plus que de Jean depuis qu'il le connaît, et je me désespère de te voir faire un pas en arrière après chaque pas fait en avant. Papa ne comprend pas trop ce qui se passe, mais je ne serais pas surpris que Maman t'en touche un mot d'ici un jour ou deux. Je me suis dit que tu préférerais peut-être en discuter avec moi, avant d'en arriver là.
Face à cette argumentation visiblement travaillée, Marco se contenta de soupirer. De son côté, Isaac prit le temps de se verser une tasse d'eau bouillante dans laquelle il plongea son sachet de thé. Ensuite, seulement, il tira une chaise pour s'asseoir à côté de son petit frère.
— Tu l'aimes vraiment, ton Jean ?
— Beaucoup, murmura Marco.
— Alors qu'est-ce qui cloche, avec lui ?
— Rien, souffla-t-il. Absolument rien.
— Tu penses qu'il pourrait te faire du mal à son tour ? Parce que si c'est le cas, je peux tout de suite me charger de-
— Au début, j'en étais certain, le coupa Marco. Mais plus maintenant. Jean n'est vraiment pas ce genre de personne.
Le ton catégorique qu'il avait employé ne manqua pas piquer la curiosité d'Isaac, qui releva un sourcil étonné. Car s'il était intrigué, il n'était pas encore convaincu. De fait, il n'avait eu l'occasion de croiser Jean qu'à une seule petite reprise, ce qui ne lui avait pas vraiment permis de bien cerner le jeune homme. Avant de pousser son petit frère dans les bras du premier venu, Isaac tenait tout de même à s'assurer qu'il pouvait lui faire un minimum confiance. Et cela nécessiterait un peu plus qu'une description aussi vague. Au vu de son long silence et de son regard insistant, Marco comprit que son aîné espérait entendre quelques détails supplémentaires.
— Jean est quelqu'un de très attentionné, expliqua Marco avec un certain embarras. Il m'encourage souvent à sortir de ma zone de confort, mais il s'assure toujours que je ne me sente pas obligé de le suivre dans ses idées les plus farfelues. Il connaît mes limites et il les respecte. Il me pousse à verbaliser mes angoisses pour qu'on trouve des solutions ensemble. Il a toujours été incroyablement patient avec moi. Et surtout, surtout, il ne m'a jamais menti une seule putain de fois.
— Tout le contraire de Romain, on dirait.
Marco acquiesça silencieusement. Isaac était l'unique membre de sa famille qui connaissait toute l'histoire derrière sa relation avec son ancien petit-ami. La nouvelle de sa rupture n'était évidement pas passée inaperçue, à l'époque, mais seul Isaac en avait appris tous les détails. Car c'était naturellement vers son grand frère que Marco s'était tourné, lorsqu'il avait eu le cœur brisé en un million de petits morceaux.
— Tu aimes un garçon charmant sous tous rapports qui t'aime aussi, résuma alors Isaac. Mais dans ce cas, Marco... De quoi as-tu peur, exactement ?
L'air soudainement exténué, le principal intéressé prit son visage entre ses mains et se frotta les yeux.
— J'en sais rien, souffla-t-il. Et c'est ça, le problème. Jean est... Il est juste parfait, Isaac. Alors qu'est-ce qui cloche avec moi ? Elle sort d'où, cette angoisse qui me tord le bide ? Pourquoi est-ce que je m'inflige encore ça ?
Pensif, Isaac prit quelques secondes pour réfléchir.
— Romain a cassé la confiance que tu accordais aux autres. Tu te méfies des gens, tu mets du temps à t'ouvrir. Tu te protèges, et c'est normal après ce qui t'est arrivé. Tu as offert le même traitement à Jean, en le rencontrant, sauf qu'il s'est montré suffisamment tenace pour passer à travers ta carapace. Et j'ai l'impression que c'est précisément ça, qui te fait peur.
— Parce que je n'y étais pas préparé ? s'interrogea Marco.
— En partie, poursuivit Isaac. Tu l'as dit toi-même : Jean arrive à te donner toutes les garanties dont tu as besoin sur le plan émotionnel. Ce qui, à première vue, devrait s'apparenter à une victoire écrasante. Le soucis c'est qu'ici, on dirait que ça te donne paradoxalement l'impression d'avoir échoué.
L'aîné des Bodt marqua un silence, puis il soupira.
— Ce que j'essaie de te faire comprendre, Marco, c'est que tu as le droit d'être aimé. Plus important encore, tu le mérites.
Isaac chercha le regard de son jeune frère, or celui-ci baissa la tête, et les mains qui soutenaient son front empêchaient quiconque de surprendre l'expression de son visage. Isaac ne bougea pas, laissant à Marco le soin de réfléchir à ses mots. Mais au vu de sa réaction, de sa position, de son mutisme, l'aîné songea qu'il devait malheureusement avoir vu juste.
— Même après... tout ça ? souffla enfin Marco. Tous ce temps, toute cette peur, toute cette angoisse, tous ces doutes, tous ces je ne sais pas, je ne veux pas, je ne peux pas ?
Sa voix se mit à trembler sur les dernières syllabes. Isaac posa une main sur son avant-bras. Celle-ci était bouillante d'avoir trop longtemps serré contre elle la tasse de thé.
— Tu avais le droit de prendre toutes tes précautions avant de t'engager dans cette relation, lui assura-t-il. Tu avais le droit de te méfier, de douter et même de le tester si l'envie t'en prenait. Ce sont toutes ces petites choses qui te permettent aujourd'hui de me dire que tu te sens en sécurité avec Jean. Et j'en suis très heureux pour toi. C'est pour ça que ce constat n'invalide en aucun cas le reste du processus. Car même si tu es arrivé à la conclusion que ce garçon ne te blessera pas, ça ne veut pas dire que tu n'avais pas de raison de te méfier au début.
— C'est vrai, mais... J'ai l'impression d'avoir perdu un temps monstre, expliqua Marco. D'avoir abusé de sa patience. Pire encore, de continuer de le faire chaque jour qui passe.
— Et pourtant, il est encore là, lui rappela Isaac.
Le jeune homme redressa la tête, l'air complètement perdu.
— Je pense que tu devrais simplement lui parler, Marco. Lui expliquer tout ce que tu m'as dit, et tout ce que tu n'arrives pas à me dire. Tu me promets que Jean ne t'a jamais menti. Dans ce cas, ne mérites-t-il pas ton honnêteté en retour ?
— Tu me suggères de... de lâcher prise ?
— Une chose que tu détestes, j'en suis certain. Mais j'ai peur que tu ne sortes jamais de cette situation si tu n'oses pas te faire un peu violence. Jean n'a peut-être plus rien à te prouver, mais ça ne semble pas être ton cas, lui fit remarquer Isaac.
Marco ne put s'empêcher de grimacer, car c'était effectivement l'impression qu'il avait depuis quelques temps...
— Et puis, soyons honnêtes, qu'est-ce que tu comptait faire, exactement ? Le repousser indéfiniment ? Le laisser filer ? plaisanta alors Isaac. Parce que ton Jean, j'ai pas l'impression qu'il soit du genre à te lâcher aussi facilement. Il m'a l'air drôlement bien accroché. Et toi aussi, ajouta-t-il pour conclure.
Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Cette histoire c'était aussi l'occasion pour moi d'enfin donner à Marco la famille qu'il mérite ♡
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