𝟐𝟖 ¦ 𝐋𝐀 𝐕𝐀𝐆𝐔𝐄

𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟖 ━ 𝟐𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
La Grande Vague de Kanagawa,
Kᴀᴛsᴜsʜɪᴋᴀ Hᴏᴋᴜsᴀɪ (1831)

     Armin freina avec un temps de retard. La voiture rencontra un peu trop brusquement le relief d'un dos d'âne, mettant à mal ses suspensions vétustes. Drôlement secoué‧e‧s, les occupant‧e‧s du véhicule rouspétèrent contre leur conducteur qui se contenta d'une moue désolée. Pour sa défense, le jeune homme connaissait très mal le quartier dans lequel se déroulait la soirée qu'iels essayaient de rejoindre. Et si ses trois passager‧e‧s ne perdaient pas une occasion pour se plaindre de son sens de l'orientation désastreux, aucun‧e d'entre elleux ne s'était avéré‧e suffisamment malin‧e pour lui indiquer clairement la route à suivre. Une véritable équipe de bras cassés !

     À force de ratisser les rues du coin, Armin parvint enfin à identifier de quel pavillon s'élevait la musique qu'on entendait raisonner dans le voisinage. Il fit un dernier tour de quartier pour trouver une place de stationnement, puis il coupa enfin le contact avec un soupir de soulagement. Les jeunes gens sortirent du véhicule, mimant pour certain‧e‧s des mouvements d'étirement volontairement exagérés. Armin leva les yeux au ciel face au cinéma de Jean et de Hitch.

     — Dépêchez-vous, bordel. On se les pèle, râla Annie.

     Se pliant de bonne grâce à cette injonction, les jeunes gens se mirent en marche. Une paire de minutes plus tard, iels retrouvèrent le pavillon d'où s'échappait le rythme d'une musique en vogue. Armin se chargea de sonner à la porte, puis de confier à l'organisateur de la soirée les collations qu'iels avaient apportées en guise de frais de participation. À cause de leurs déambulations et de leurs détours, le groupe n'était pas vraiment arrivé en avance. De nombreux‧ses fétard‧e‧s avaient déjà investi les lieux, des canapés du salon à la dernière chaise de la salle à manger. Mais ce fut en remarquant la présence d'un certain brun, accoudé au comptoir de la cuisine, qu'Annie se pencha vers l'oreille de son petit-ami.

     — Tu ne m'avais pas dit qu'il serait là, lui reprocha-t-elle.
     — Je n'en savais rien, se défendit Armin. Je n'en ai pas parlé avec lui. Il est probablement venu avec Ymir.

     Comme pour appuyer ses dires, la jeune femme fit son apparition aux côtés de Marco, accompagnée d'Historia.

     — Ça ne fait rien, les rassura aussitôt Jean. On n'est pas du tout en froid, vous savez. On se parle, on se voit...
     — Peut-être, ronchonna Annie, mais je sens bien que l'ambiance est un peu différente entre vous. Le but de cette soirée, c'était aussi de te changer les idées.

     Quand bien même la jeune femme avait raison, son ami ne le lui avoua pas. Suite à son échange avec Marco, à la sortie de ses examens, les deux jeunes hommes avaient repris le cours normal de leur relation. Enfin, presque. Car il y avait une retenue nouvelle entre eux qui témoignaient du respect mutuel de leur promesse. Même s'ils s'échangeaient quotidiennement des messages, même s'ils se voyaient régulièrement dans son appartement, Jean offrait un minimum de distance à Marco. Il tempérait sa prise d'initiative ainsi que ses extravagances habituelles. À vrai dire, ils n'avaient pas refait l'amour depuis le jour où Jean avait accidentellement déclamé le sien.

     Néanmoins, ce léger trouble qui subsistait entre eux ne devrait pas les empêcher de passer une bonne soirée ensemble. Du moins, Jean l'espérait sincèrement. Et pour s'en assurer, il alla directement le vérifier auprès du principal intéressé. Marco parut un peu étonné de le voir s'avancer, mais il ne laissa transparaître aucun embarras lorsqu'il les salua, lui et Ymir. Puisqu'il était face au bar, Jean en profita pour se servir un verre de quelque chose. Tou‧te‧s trois discutèrent un peu, par dessus le vacarme ambiant. Et même s'il s'efforçait de ne pas penser au pire, Jean ne tarda pas à remarquer que Marco montrait des signes d'inconfort. Incertain, le jeune artiste se pencha vers son oreille pour en avoir le cœur net.

     — Ça t'embête que je sois là ?
     — Pas du tout. Je suis content de te voir.
     — T'es sûr ? Parce que tu as l'air... tendu.
     — Merde, fit Marco. Ça se voit tant que ça ?

     Il se passa une main sur la nuque, l'air ennuyé.

     — En fait, ce n'est pas toi le problème...

     Jean réalisa qu'il fixait un point situé derrière lui. Sans brusquerie, il jeta discrètement un œil par dessus son épaule pour comprendre ce que Marco lui désignait silencieusement. De toute évidence, il devina qu'il ne devait pas s'agir de quelque chose, mais de quelqu'un. Dans le salon, les yeux de Jean tombèrent justement sur une tête blonde aux cheveux légèrement bouclés. Le jeune homme en question était entouré de plusieurs personnes, mais même au milieu de ce groupe, il attirait aussitôt l'attention. La faute à son sourire charmeur ou à son air décontracté, sans doute, qui lui permettaient de mener aisément la conversation. Mais quand bien même cette dernière semblait passionnante, les yeux noisettes du jeune homme n'arrêtaient pas de regarder en direction de Marco.

     Jean n'avait jamais vu ce garçon de sa vie, il en était certain. Mais s'il ignorait son identité, ce n'était visiblement pas le cas de son beau brun. Et malheureusement pour cet inconnu, ses multiples œillades appuyées n'étaient pas du tout appréciées de leur destinataire. Comprenant que ce petit cirque pourrait durer très longtemps, Jean proposa à Marco d'aller prendre l'air dans le grand jardin qu'il avait aperçu en arrivant. Puisqu'il y faisait un peu frisquet, en raison de l'heure tardive, le petit groupe trouva facilement un coin d'herbe où s'asseoir.

     Armin, Annie et Hitch les y rejoignirent un peu plus tard, apportant quelques bouteilles de bière avec elleux. Iels discutèrent gaiement tout en étanchant tranquillement leur soif. Jusqu'à ce qu'Ymir donne un coup de coude à Marco, attirant son attention sur l'arrivée d'un certain blondinet dans les parages. Jean vit le visage de son beau brun se crisper lorsque ses yeux rencontrèrent ceux du jeune homme, qui n'avait pas l'air de vouloir le lâcher. Son manège commençait sérieusement à agacer Jean, qui se doutait bien que cet imbécile partageait, d'une façon ou d'une autre, un passé commun avec Marco. Et s'il devait parier, il aurait probablement misé sur cet ancien petit-ami dont la relation lui avait fait plus de mal que de bien. Franchement jaloux, Jean se pencha vers Marco.

     — Besoin d'aide pour t'en débarrasser ?

     Le brun se tourna vers lui, visiblement intrigué.

     — Qu'est-ce que tu as en tête ? souffla-t-il.

     Jean vida d'un trait le reste de son verre. Puis, sans quitter Marco des yeux, il vint s'installer à califourchon sur ses cuisses. Armin et Annie restèrent bouches bées, tandis qu'Hitch et Historia les sifflèrent avec un air amusé. Quant à Ymir, elle zieuta discrètement en direction du jeune homme aux boucles blondes, lequel n'avait (évidement) rien manqué de la scène.

     — On dirait que ça marche, leur fit-elle savoir.

     Ce simple constat ne suffit pas à satisfaire Jean, qui pouvait sentir le poids de son regard sur eux. Et il entendait bien lui faire comprendre que Marco était désormais hors de sa portée.

     — Embrasse-moi, murmura-t-il à son attention.

     La dernière syllabe manqua d'être étouffée par les lèvres qui s'écrasèrent aussitôt sur les siennes, pour débuter ensemble un ballet passionné. Les yeux clos, leurs propriétaires laissèrent leurs corps se découvrir comme s'ils avaient été séparés des semaines durant, alors que cette retenue qui existait entre eux ne datait que de quelques jours. Les doigts de Jean s'accrochèrent aux épaules et aux cheveux de son partenaire ; ceux de Marco se perdirent sur ses cuisses, ses hanches, sa taille. C'était comme faire l'amour tout habillés.

     Chaque seconde passée à respirer était une seconde de perdue pour s'aimer. Lorsqu'ils se détachèrent enfin l'un de l'autre, ils étaient tous deux à bout de souffle. Marco cligna des yeux plusieurs fois, comme s'il était surpris de se réveiller dans le monde réel. Réalisant qu'ils venaient de se donner en spectacle, le jeune homme sentit son visage s'empourprer. Il enfouit aussitôt celui-ci contre l'épaule de Jean. L'espace d'un instant, il avait complètement oublié l'endroit où il se trouvait et les gens qui l'entouraient. Un peu sonné‧e‧s, celleux-ci restèrent un long moment sans faire le moindre commentaire.

     — S'il vous prend l'envie de recommencer, par pitié, prenez une chambre, les conjura finalement Annie.

     La déclaration de la jeune femme fut suivie d'un fou rire nerveux collectif. De son côté, Marco se garda bien de leur avouer qu'il avait un début d'érection... Pendant que les autres avaient déjà trouvé de nouveaux sujets de discussion, il prit quelques minutes pour calmer ses ardeurs naissantes. Heureusement pour lui, la présence de Jean sur ses cuisses empêchaient leurs ami‧e‧s d'y regarder de trop près. Mieux encore, le responsable de son trouble ne semblait pas non plus avoir remarqué son léger inconfort, puisqu'il n'y fit aucune allusion. En revanche, Jean ne quitta pas ses jambes de la soirée. Et même s'il n'y avait aucune raison pour leur petit manège de durer aussi longtemps, aucun d'entre eux n'allait se plaindre de cette position plus qu'agréable.

     Vers deux ou trois heures du matin, plusieurs fétard‧e‧s avaient déjà abandonné les lieux et la soirée commençait vraiment à s'essouffler. Le petit groupe décida qu'iels en avaient suffisamment profitée et qu'il était temps, pour elleux aussi, de rentrer. Jean se releva, quittant ainsi les cuisses de Marco qui eut soudainement froid. En se redressant à son tour, il grimaça sous l'effet des fourmillements qu'il ressentait dans ses jambes, rendues cotonneuses sous le poids de Jean. Une fois ces picotements passés, les deux jeunes hommes suivirent leurs ami‧e‧s qui ne les avaient pas attendu pour rentrer à l'intérieur, car certain‧e‧s voulaient faire un tour aux toilettes avant de partir. Alors qu'ils remontaient le jardin pour les rejoindre, un certain blondinet dont ils avaient presque oublié la présence se dressa sur leur chemin.

     — Hey, Marco ! s'exclama-t-il en souriant.

     Le susnommé eut aussitôt un mouvement de recul face à la main qui s'apprêtait, l'air de rien, à se poser sur son épaule.

     — Ne me touche pas, siffla-t-il. Je croyais avoir été suffisamment clair avec toi, Romain, pour te faire comprendre que je ne voulais plus jamais être confronté à ta personne.

     Jean constata que le fameux Romain ne sembla pas apprécier la réaction franchement sèche de Marco. Le pauvre garçon n'avait visiblement pas l'habitude qu'on lui dise non. Une seconde plus tard, il essaya déjà de détendre l'atmosphère.

     — Je ne te pensais pas si rancunier ! Et puis, c'était il y a vachement longtemps, toute cette histoire, argua-t-il en souriant. On peut quand même rester potes, tu crois pas ?

     Face à sa manière de toujours dédramatiser les choses, Marco eut un rire profondément jaune. Romain lui prouvait, une fois de plus, qu'il n'avait pas changé. Derrière lui, le groupe de personnes avec qui il avait passé la soirée ne se gênaient pas pour observer la scène avec curiosité. Iels voulaient du spectacle ? Marco allait leur en donner. Il fit un pas vers Romain, un doigt accusateur pointé dans sa direction.

     — J'ai trouvé quelqu'un qui m'aime sans me mentir. Tu saisis ? Quelqu'un qui ne m'a jamais pris pour acquis et qui continue de me le prouver tous les jours. Quelqu'un qui apaise mes angoisses au lieu de les nourrir. Tout ce que tu étais incapable de faire, en somme, l'accusa-t-il. Il n'y a plus qu'une seule chose que j'attends de toi : c'est que tu sortes de ma vie. Te voir agiter la queue dès que j'entre dans une pièce, ça commence à me gaver. Alors trouve-toi vite un autre imbécile à baratiner, parce que moi, j'ai assez donné.

     Marco attrapa la main de Jean dans la sienne et l'entraîna à l'intérieur du pavillon, laissant derrière eux un Romain incrédule. Lui-même un peu sonné, Jean se contenta de hocher la tête lorsque son beau brun lui demanda s'il pouvait le ramener chez lui. Ymir et Historia repartirent donc ensemble, tandis que le reste du groupe se serra dans la voiture d'Armin. Arrivé devant la maison des Bodt, Jean fit savoir aux autres qu'il revenait, et s'élança à la suite de Marco. Il le rattrapa et l'embrassa longuement avant de le laisser partir. Puis il reprit sa place à l'intérieur du véhicule, l'esprit drôlement étourdi.

     — Au cas où tu te poserais encore la question, je te le confirme : t'es bel et bien piqué, déclara Annie.

Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
J'aime beaucoup trop ce chapitre !! C'est une scène que j'ai en tête depuis très très longtemps, et je trouve aussi qu'il est riche en tension (dans tous les sens du terme).

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