𝟐𝟑 ¦ 𝐋𝐄 𝐑𝐄𝐕𝐄𝐍𝐀𝐍𝐓
𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟑 ━ 𝟏,𝟕𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
Le Revenant, Les Fleurs du Mal,
Cʜᴀʀʟᴇs Bᴀᴜᴅᴇʟᴀɪʀᴇ (1857)
L'appartement de Jean était sans dessus dessous. Le désordre avait envahi les moindres recoins de ses vingt mètres carrés dont le sol était tapissé de feuilles et de crayons en tous genres. Pourtant, le jeune artiste évoluait dans la pièce sans difficulté, enjambant machinalement chaque obstacle se dressant sur son chemin. Il avait visiblement l'habitude de vivre dans un tel environnement lorsqu'il se trouvait au beau milieu d'un projet artistique conséquent, comme c'était présentement le cas. Tout en essayant de ranger un peu les lieux, au moins pour dégager un passage entre les points stratégiques de son logement (tels que les toilettes), Jean rouspétait contre l'un de ses professeurs. Car c'était à cause de ce vieux croûton que l'étudiant se trouvait dans tous ses états.
— Non mais tu te rends compte, râlait-il encore, nous donner un projet pareil à rendre sous moins d'une semaine ?!
Sagement assis sur le lit qui avait miraculeusement échappé au chahut ambiant, Marco écoutait son ami bougonner avec tant de passion. Ces derniers jours, Jean avait été tellement occupé qu'il en dormait à peine. Les deux jeunes hommes ne s'étaient ainsi pas revus depuis leur soirée en boite de nuit, ce qui expliquait pourquoi Jean semblait déborder d'énergie ; il était simplement heureux de pouvoir passer un peu de temps avec Marco. Seulement, depuis qu'il était arrivé, il avait l'impression que son invité ne l'écoutait que d'une oreille. Son esprit paraissait comme... ailleurs. Réalisant qu'il ne devait pas être très agréable de l'entendre se plaindre de la sorte, Jean s'arrêta pour lui offrir un sourire embêté.
— Désolé, je t'ennuie avec mes histoires, pas vrai ?
— Quoi ? s'étonna Marco. Non ! Pas du tout, je t'assure.
Le jeune homme soupira. Ses mains se posèrent sur son visage qu'il frotta un instant, étirant la peau tachetée de ses joues. Jean songea alors qu'il avait l'air un peu fatigué.
— C'est moi qui m'excuse, reprit Marco. J'ai conscience de ne pas être de très bonne compagnie, aujourd'hui.
— Quelque chose te préoccupe ?
— On peut dire ça, hésita-t-il.
Jean reposa aussitôt les feuilles volantes qu'il tenait pour venir s'asseoir à côté de son ami. Il posa une main rassurante contre sa nuque, à la naissance de ses cheveux bruns.
— Tu veux en parler avec moi ? s'enquit-il.
— Pas vraiment. Pas maintenant, en tout cas. Oh, et ça n'a rien à voir avec toi, au cas où tu te poserais la question, s'empressa de préciser Marco. Je ne voudrais pas que tu t'imagines le contraire. C'est juste... autre chose.
— D'accord, fit simplement Jean. Mais je peux peut-être faire quelque chose pour t'aider à aller mieux ?
Ses yeux chocolat encrés dans les siens, Marco parut réfléchir pendant un court instant. Il tourna finalement son buste vers Jean et vint poser son front contre son épaule.
— Être avec toi, ça me suffit, murmura-t-il.
Sans un mot de plus, son ami l'accueillit à bras ouverts dans une étreinte réconfortante. Les deux jeunes hommes passèrent les dernières heures de leur journée au lit, allongés sur les draps aux imprimés dinosaures. Ils profitèrent ainsi d'une pause bien mérité, afin de reposer leurs corps comme leurs esprits. Pour Jean, c'était aussi l'occasion parfaite de faire courir ses doigts sur la peau de son modèle préféré. Sous prétexte de lui prodiguer un massage, il encouragea rapidement Marco à retirer ses vêtements, lesquels entravaient inévitablement ses gestes. Leur propriétaire s'exécuta sans broncher, car il comptait bien en profiter pour se faire cajoler un peu.
Jean commença par masser ses jambes, avant de remonter le long de son dos, puis de ses bras. Il effectua d'abord des mouvements légers visant à échauffer ces trois zones. L'objectif étant de les alterner avec des frictions plus toniques, il utilisa progressivement des pressions et des étirements plus appuyés au niveau des nœuds de tension importants. Jean s'appliqua, désireux de porter une attention égale à l'ensemble du corps de son modèle pour en débloquer les points clé. Pour clore cette étape, le masseur amateur s'attarda quelques instants sur le cuir chevelu de Marco, qui gardait ses yeux clos.
Puisqu'il n'avait pas l'intention de faire les choses qu'à moitié, Jean s'en alla chercher une petite bouteille d'huile dans sa salle de bain. Ainsi imbibées du liquide parfumé, ses mains se posèrent à nouveau sur la peau tachetée et en massèrent chaque millimètre carré. La douceur de ses gestes fit presque ronronner Marco. Pour un peu, le jeune homme se serait presque endormi. Lorsqu'il eu terminé, une petite heure plus tard, Jean l'invita à se redresser afin d'effectuer quelques étirements de précaution visant à réveiller le corps en toute tranquillité. Mieux valait éviter un mouvement brusque qui viendrait bêtement réinstaller de vilaines tensions.
Maintenant qu'il en avait fini avec ce massage, Marco attrapa Jean par la taille et l'incita à s'allonger tout contre lui. Le jeune artiste le laissa faire, acceptant de se constituer prisonnier de cette étreinte dont il semblait avoir grand besoin. Ses doigts se glissèrent d'eux-mêmes dans les mèches sombres qui lui chatouillaient le menton au rythme de leur respiration. Quelques minutes plus tard, Jean comprit que, cette fois-ci, Marco s'était vraiment endormi sous ses caresses. Il continua néanmoins de le câliner jusqu'à ce que son beau au bois dormant n'ouvre ses paupières, une paire d'heures plus tard.
— Tu peux rester dormir ici, si tu veux, lui proposa Jean.
Dehors, le jour commençait déjà à décliner. Quoi que tenté, Marco finit par décliner l'invitation, prétextant qu'il ferait mieux de rentrer chez lui et d'ainsi éviter d'attirer la curiosité de sa famille. Sur le pas de la porte, il ne manqua pas de remercier Jean à travers un très, très long baiser d'au revoir qui leur laissa à tous les deux l'esprit drôlement cotonneux.
Une fois qu'il eu quitté la résidence de son ami, Marco passa un unique coup de téléphone. L'échange ne dura que quelques secondes, puis le jeune homme raccrocha. Il rejoignit ensuite l'arrêt de tramway le plus proche et prit celui qui desservait la ligne une. Cette dernière ne lui permettrait pas de rentrer chez lui, mais Marco avait d'autres plans plus importants en tête pour le reste de la soirée. Une demi-heure plus tard, il descendit du véhicule et parcouru à pieds les deux ou trois cents mètres qui le séparaient encore de sa destination.
À peine eut-il pressé l'interphone que la porte devant lui s'ouvrit sur Ymir, qui devait l'attendre de pied ferme depuis son appel. La jeune femme s'écarta pour le laisser monter jusqu'à son appartement, situé au premier étage d'une maison que d'anciens propriétaires avaient décidé de cloisonner pour faire de la location. Ymir se dirigea machinalement vers le réfrigérateur pour leur trouver quelque chose à boire le temps de cette conversation dont il ignorait encore le sujet. Marco ne manqua pas de remédier à ce problème.
— J'ai croisé Romain, lâcha-t-il simplement.
La jeune femme reposa sur le plan de travail la bouteille de jus de fruit qu'elle tenait. Sans un mot, elle se pencha vers un placard d'où elle sortit également une bouteille en verre au liquide transparent. À vue d'œil, elle versa une dose généreuse de cet alcool dans deux verres en plastique, qu'elle compléta avec le jus de cranberry. Les deux ami‧e‧s s'installèrent sur le canapé un peu enfoncé qu'Ymir avait récupéré dans un vide grenier et qui dissimulait une tache d'humidité sur le mur.
— C'était en boîte, l'autre soir ?
— Tu l'as vu ? s'étonna Marco.
— J'ai cru l'apercevoir, de loin. Mais je n'en étais pas certaine. Qu'est-ce qui s'est passé, exactement ?
Le jeune homme soupira lourdement. Avant de répondre, il porta son verre à ses lèvres, espérant se donner du courage. L'alcool lui brûla la gorge, mais il l'avala sans broncher.
— On se frayait un chemin pour partir, avec Jean, raconta-t-il. Nos épaules se sont accrochées à ce moment-là. Je l'ai tout de suite reconnu. Et je sais qu'il m'a aussi reconnu.
— Il t'a dit quelque chose ? lui demanda Ymir.
— Non. Mais j'ai reçu un message, il y a trois jours.
Marco sortit son téléphone portable afin de montrer à son amie ce que Romain lui avait précisément envoyé. Ymir l'étudia un long moment, les sourcils froncés. C'était une accroche banale, visant apparemment à prendre de ses nouvelles, accompagnée d'une émoticône au visage souriant. C'était un message simple, presque gentil, mais qui causait à son destinataire une douleur sourde dans sa poitrine.
— Tu ne lui as pas répondu ? s'enquit prudemment Ymir.
— Je ne sais pas quoi répondre. Je ne sais même pas si j'ai envie de lui répondre. Après tout, à quoi bon ?
Marco soupira de plus belle. Sa tête retomba sur l'assise du vieux canapé tandis qu'il posait une main sur ses yeux fatigués.
— Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à l'ignorer ? lâcha-t-il enfin d'une petite voix. Comment font tous ces gens normaux, qui se séparent et qui arrivent à se croiser sans même se regarder ? Ça fait déjà deux putain d'années. Alors pourquoi est-ce que j'ai tant de mal à le laisser partir ?
— Peut-être que tu t'attaches plus vite et plus fort que les autres, commença doucement Ymir, c'est vrai. Mais ce n'est pas une mauvaise chose. Ça fait partie de toi. Et c'est la preuve que ton affection est précieuse. Car quand tu aimes quelqu'un, tu ne fais jamais les choses à moitié. Ce n'est pas qu'une histoire de cœur ou d'esprit. Ça te prend jusqu'aux tripes. Tu le vois peut-être comme une faiblesse aujourd'hui, parce qu'une relation en particulier t'a blessé. Mais au quotidien, je pense que c'est aussi une force que tu as tendance à sous-estimer.
Marco lui offrit un faible sourire.
— Après tout ce qu'il m'a fait, quand même...
— C'est peut-être précisément la raison pour laquelle tu n'arrives pas à tourner la page, argua Ymir.
— Parce que je le déteste ? s'étonna Marco.
— Parce que tu es en colère.
Face à l'air perplexe de son ami, Ymir développa.
— Le type disparaît de ta vie pendant deux ans après t'avoir brisé le cœur tel le dernier des salopards. Aujourd'hui, il se pointe comme une fleur et veut reprendre contact avec toi, comme si de rien n'était. C'est juste dégueulasse. À ta place, je lui aurais craché au visage. Ta colère est légitime, Marco.
Le jeune homme médita un instant sur ses paroles.
— Alors, quoi ? Tu me conseilles... d'aller le voir ?
— Pourquoi pas, répondit Ymir en haussant les épaules. Si ça peut t'aider à aller mieux. Ce n'est pas une mauvaise idée, du moment que tu prends cette décision pour toi. Pas pour lui.
Sans un mot, Marco prit une longue gorgée du mélange alcoolisé. Il devrait encore y réfléchir, avant de faire un choix.
Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
J'ai pu remarquer que mon absence comme mon retour en avait surpris quelque un·e·s ! Pour celleux qui l'ignoreraient, je suis beaucoup plus active sur Instagram (evilyalie) où je partage ma progression sur chaque chapitre ainsi que les dates des prochaines publications (ce qui inclut évidement le pourquoi du comment de mes retards ou de mes pauses).
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