𝟐𝟎 ¦ 𝐋𝐄 𝐃𝐈̂𝐍𝐄𝐑
𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟎 ━ 𝟏,𝟖𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
Le Dîner,
Cʟᴀᴜᴅᴇ Mᴏɴᴇᴛ (1868)
Vendredi soir, après des travaux dirigés d'anglais toujours aussi soporifiques, Jean s'empressa de rejoindre l'atelier de Madame Fontenelle. Comme chaque semaine, il se glissa par la porte de derrière pour s'installer à côté de Madeleine. Aujourd'hui, le sac de la pâtissière dégageait une alléchante odeur de chocolat. La faute au brownie qu'elle y avait glissé et dont Jean ne tarda pas à chaparder un généreux morceaux. Tout en dégustant son goûter, l'étudiant en art se concentra sur le modèle du jour : une dame d'une trentaine d'année qui posait nue pour elleux.
Tandis qu'il réalisait ses différents croquis, Jean remarqua à plusieurs reprises le regard de sa professeure préférée posé sur lui. Ce qui n'était encore qu'une impression se révéla avérée lorsque, à la fin de son atelier, Alix Fontenelle l'apostropha avant qu'il ne quitte la salle. Elle l'attira dans un coin tranquille, au fond de la pièce, afin de lui parler discrètement.
— Siméon m'a expliqué qu'il était chez toi, mercredi.
Jean s'était douté que la conversation tournerait autour de l'adolescent. En rentrant chez lui, Siméon avait certainement raconté ses dernières mésaventures à sa mère, compromettant ainsi son histoire d'exposé chez un copain.
— Je voulais te remercier d'avoir été là pour mon fils, poursuivit Alix avec un sourire chaleureux. Jean, je ne sais pas trop quelle est ta relation avec Marco. Mais Siméon semble beaucoup t'apprécier, lui aussi. Et je sais que ta réaction comptait beaucoup pour lui. Alors merci beaucoup.
— Je n'ai vraiment rien fait de particulier, lui assura Jean.
Il était drôlement embarrassé de recevoir la reconnaissance de sa professeur pour si peu, mais cette dernière ne semblait assurément pas partager son avis.
— J'aimerais beaucoup que tu viennes dîner à la maison.
L'étudiant resta interdit, pris de court par sa proposition. Un dîner chez les Bodt ? Voilà qui n'était pas rien ! S'il avait l'habitude de sortir en soirée, il avait peu d'expérience en ce qui concernait les repas de famille (surtout quand celle-ci n'était pas la sienne). Cette invitation réveilla en lui un sentiment qu'il ne rencontrait pas souvent : la timidité. Jean se balança nerveusement, ne sachant pas s'il devait ; non, s'il pouvait accepter ou non. Après tout, il n'était pas le seul impliqué par cette décision... Comme si elle pouvait lire en lui, Madame Alix anticipa sa prochaine question.
— Marco est d'accord, lui dit-elle. J'en ai déjà parlé avec lui, si c'est ce qui t'inquiète. Que dirais-tu de demain soir ?
Jean n'avait rien de prévu, alors il finit par acquiescer, un léger sourire au visage. Sa professeure parut sincèrement ravie.
Le lendemain matin, Jean prit tout de même l'initiative d'appeler Marco. Il ne doutait pas du bien-fondé des propos tenus par la mère de ce dernier, loin de là, mais il tenait malgré tout à confirmer leur véracité auprès du principal intéressé.
— Hey, fit Jean. Ta mère m'a invité à manger, ce soir.
— Oui, je suis au courant.
Marco semblait être dans un endroit bruyant. Si la mémoire de Jean ne lui faisait pas défaut, l'étudiant en psychologie devait tout juste sortir de son dernier cours de la semaine.
— Siméon était un peu bizarre, mercredi. Il nous a dit qu'il avait eu ses règles. Maman voulait appeler la mère du copain chez qui il avait prétendument passé la matinée. Alors il a fini par lui avouer qu'il était chez toi, expliqua Marco.
— Je m'en doutais. Ça ne t'embête pas trop, qu'elle ait découvert qu'on se voyait ?
— Maman n'avait pas du tout l'air surprise, alors... Je crois qu'elle le savait déjà. Elle a probablement estimé que c'était l'occasion de t'inviter. Et ça expliquerait pourquoi elle est venue me demander ma... permission, en quelque sorte.
Jean se sentit sourire, car lui non plus n'était pas tant étonné. Alix Fontenelle faisait vraisemblablement partie de ces parents ayant développé un sixième sens aussi fascinant que terrifiant.
— En parlant de ça, poursuivit-t-il. Je voulais justement être sûr que ma venue ne te dérangeait pas.
— Ce n'est pas le cas, lui assura Marco. Je ne serais probablement pas très à l'aise, surtout au début, mais je suis content que tu viennes. Est-ce que ça te dérange, toi ?
— Non ! lâcha un peu trop hâtivement Jean.
Il sursauta au son de sa propre voix et se sentit rougir. Pourquoi diable avait-il répondu aussi vite et aussi fort ?
— Bien sûr que non, reprit-il plus doucement. Je veux venir. Et je vais venir. Si tu es d'accord, évidemment.
Jean crut entendre son interlocuteur pouffer, à l'autre bout du fil. Mais peut-être n'était-ce là que son imagination qui lui jouait des tours. Déjà, la voix de Marco s'élevait de plus belle.
— Alors à ce soir, Jean.
Le susnommé raccrocha en souriant. Pour une raison ou une autre, il avait aimé la façon dont sonnait cette phrase. Ce soir, il dînerait donc chez les Bodt. La maîtresse de maison lui avait indiqué qu'il pouvait les rejoindre aux alentours de dix-neuf heures, ce qui lui laissait le reste de la journée. Seulement, son esprit se trouva bien trop agité pour accomplir la moindre tâche importante. C'était à peine s'il parvenait à relire ses cours sans en perdre le fil ! Jean ne tenait tout simplement plus en place, la faute à l'appréhension comme à l'impatience.
Ce jour-là, le jeune homme mit une éternité à choisir ses vêtements. Il farfouilla dans tous les recoins de son placard, à la recherche d'une tenue qui serait à la fois confortable et élégante, sans pour autant donner l'air d'en faire trop. Il essaya plusieurs combinaisons devant son miroir et sollicita même l'avis de ses deux acolytes, Hitch et Annie. Grâce à leurs conseils avisés (et leurs soupirs répétés), Jean opta finalement pour un pantalon marron clair et un col roulé beige.
À dix-neuf heures pétantes, le châtain se tenait juste devant la porte d'entrée des Bodt. Le doigt suspendu au-dessus de la sonnette, il attendait que son rythme cardiaque retrouve une fréquence un peu plus normale. Était-ce vraiment le stress qui faisait s'affoler son cœur ? Ses doigts se serrèrent inconsciemment autour du bouquet de fleurs qu'il avait acheté, un peu plus tôt dans la journée. Alix n'en attendait probablement pas autant de sa part, mais il aurait tout de même été malpoli de se présenter les mains vides.
Jean prit finalement une grande inspiration avant d'enfoncer son index sur le petit appareil, lequel produisit aussitôt un bref son aigu. Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit sur Marco qui lui adressa un sourire timide.
— Hey, soufflèrent-ils en même temps.
Jean aurait aimé tendre sa main vers la sienne pour embrasser ses doigts, mais il s'y refusa. Il ne voulait pas qu'on les surprenne, ce qui les mettraient définitivement dans l'embarras. Ce soir, il se contenterait donc du sourire de Marco. Ce dernier se décala pour l'inviter à entrer. Jean n'avait pas fait deux pas à l'intérieur que Siméon pointait déjà le bout de son nez. Il ébouriffa les cheveux de l'adolescent qui était, comme toujours, ravi de le voir.
— Devine ce qu'on mange ! lui chuchota-t-il.
— Du caméléon ? plaisanta Jean.
Siméon leva les yeux au ciel.
— Quel humour ! ironisa-t-il. Tu devrais bien t'entendre avec Papa. Ses blagues sont vraiment trop nulles.
— Eh ! s'éleva une voix faussement indignée.
En voyant que leur invité était arrivé, le père de famille se leva du canapé sur lequel il se trouvait assis afin de le saluer.
— Je suis Gabriel. Ravi de te rencontrer, Jean. J'ai cru comprendre que tu étais comme une sorte de célébrité, ici !
L'étudiant serra timidement la main qu'il lui tendit, aussi amusé qu'embarrassé par sa dernière remarque. Dans la foulée, il fit également connaissance avec l'aîné de la fratrie, Isaac, qui se présenta à son tour. Si sa mémoire ne lui faisait pas défaut, le jeune homme aux cheveux longs suivait des études de journalisme, comme son père avant lui. Jean n'avait jamais eu le moindre complexe sur sa taille qu'il jugeait plus que raisonnable, mais les deux Bodt étaient sacrément grands. Enfin, le nouveau venu ne manqua naturellement pas de saluer la maîtresse de maison qui le remercia pour les fleurs.
— Tu as de la chance, chuchota Siméon à l'oreille de Jean, c'est Isaac qui s'est occupé de la cuisine aujourd'hui. Maman et Papa ont voulu t'épargner leurs talents culinaires douteux.
— Iels sont si terribles que ça ? s'amusa le châtain.
— Rien que la semaine dernière, Papa a fait cuire des cordons bleus dans la crêpière. Elle a pas trop aimé...
Jean n'était probablement pas plus doué que les parents Bodt en la matière, mais les anecdotes de Siméon eurent au moins le mérite de le détendre un peu. Iels s'installèrent bientôt dans la salle à manger, autour de la table sur laquelle Alix déposa un plat fumant. Jean ignorait ce dont il s'agissait, mais la bonne odeur qui s'en dégageait suffit à lui mettre l'eau à la bouche. Les repas qu'il arrivait difficilement à se préparer dans son petit appartement se composaient principalement de pâtes ou de riz assortis d'haricots verts décongelés. En comparaison, ce qu'il avait sous les yeux lui paraissait bien plus appétissant.
Le dîner se déroula aussi bien que Jean aurait pu l'espérer. Certes, il fut d'abord un peu gêné de se retrouver au milieu de cette grande famille qui profita de sa présence pour lui poser un tas de questions. Mais iels se montrèrent tou‧te‧s très bienveillant‧e‧s avec lui, ainsi Jean ne se sentit ni exclu, ni oppressé. Et cerise sur le gâteau : le gratin aux aubergines, aux tomates et aux morceaux de chèvre frais était encore plus délicieux qu'il en avait l'air. On garda tout de même une petite place pour le dessert, à savoir des tartelettes de fruits.
Jean ne vit finalement pas les heures passer. Mais lorsque la soirée se termina, il fut temps pour lui de rentrer. Il voulait se lever de bonne heure le lendemain afin de ne pas arriver trop tard chez sa mère, avec qui il passerait son dimanche. Avant de partir, Jean ne manqua pas de dire aurevoir à tout le monde et de remercier Alix pour l'invitation. Marco insista pour le raccompagner jusqu'à l'arrêt du tramway, alors les deux jeunes hommes remontèrent la rue ensemble.
— On dirait que ça s'est bien passé, commenta Jean.
— Oui, acquiesça Marco, c'était chouette.
Il se tut avant de poursuivre, sur le ton de la plaisanterie :
— À ce rythme-là, tu vas vraiment séduire toute la famille.
Jean s'esclaffa. Il jeta un rapide coup d'œil autour d'eux, puis il glissa une main dernière la nuque de Marco afin de l'embrasser. Dieu savait qu'il en avait eu envie toute la soirée.
— Ne t'inquiètes pas, souffla-t-il. Tu restes mon préféré.
Il lui vola un autre baiser avant de s'éloigner, car il apercevait le tramway qui s'approchait. Ils se souhaitèrent une bonne nuit, et Jean monta à l'intérieur du véhicule.
Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Jean chez les Bodt ! C'est que les choses semblent devenir sérieuses (:
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