𝟏𝟒 ¦ 𝐋𝐄 𝐏𝐄𝐍𝐒𝐄𝐔𝐑

𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟒 ━ 𝟐𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
Le Penseur,
Aᴜɢᴜsᴛᴇ Rᴏᴅɪɴ (1882)

     Ce matin, Marco se sentait drôlement léger. Ses écouteurs enfoncés dans les oreilles, il se dirigea sans empressement vers son campus pour assister aux cours de cette nouvelle journée qui n'était définitivement pas comme les autres. Il arriva en psychologie cognitive avec un peu de retard, ce qui ne lui ressemblait guère, et pourtant il ne se hâta pas de rejoindre Armin qui l'attendait, quelques rangs plus hauts. Son ami lui lança un regard curieux, mais il patienta jusqu'à la pause pour aller à la pêche aux informations.

     — Il s'est passé quelque chose de bien ? s'enquit-il alors. Je te trouve étonnamment détendu pour un jeudi matin.
     — Parce que, d'habitude, je suis tendu ? s'amusa Marco.
     — Plutôt, oui. Je crois que c'est la première fois que je te vois arriver en retard, pourtant ça n'a pas l'air de te perturber. Tu as la tête de celui qui n'a pas beaucoup dormi et je ne reconnais pas ce pull. Sans compter que tu as passé la moitié des quarante dernières minutes à sourire bizarrement. Si je ne te connaissais pas aussi bien, je dirais que tu as passé la nuit en bonne compagnie, conclu Armin.

     Marco se sentit rougir à mesure que le blond analysait chacun de ses faits et gestes comme il le faisait si souvent (et avec justesse). Sa réaction seule suffit à vendre la mèche.

     — D'accord, d'accord ! J'étais bien chez Jean, lui avoua-t-il. Bordel Armin, c'est pas possible d'être aussi observateur. T'es pire que ma mère ! ronchonna-t-il pour la forme.

     Bien qu'il ait réussi à lire en lui comme dans un livre ouvert, Armin laissa échapper une exclamation de surprise.

     — Pour de vrai ? Vous avez couché ensemble ?

     Il veilla à parler tout bas pour éviter qu'on ne les entende. Un amphithéâtre bondé n'était certainement pas le lieu idéal pour ce genre de conversation. Enfin ; leurs camarades de promotion se trouvaient bien trop occupé‧e‧s par leurs propres discussions pour payer attention à ce qu'ils se chuchotaient. Marco se sentit néanmoins rougir et vérifia que personne ne posait un regard trop appuyé sur eux avant de répondre à son ami, hochant simplement la tête en silence. Au sens large du terme, il avait bien couché avec Jean cette nuit. Et il avait pour ainsi dire un peu de mal à le réaliser.

     — Et... c'était comment ? Je ne veux pas savoir les détails ! lui assura Armin. Juste... comment tu te sens ?
     — Comme tu me l'as si bien fait remarqué, je n'ai pas beaucoup dormi, je porte un pull qui ne m'appartient pas et, apparemment, je souris tel un idiot, répéta Marco en s'esclaffant. D'après toi, j'ai passé une bonne nuit ?

     Les deux amis échangèrent un regard complice. De par sa nature réservée, Marco n'était habituellement pas du genre à déballer des détails aussi intimes de sa vie. Mais pour une raison ou une autre, il fut heureux d'en partager une partie avec Armin. Il lui rapporta notamment les grandes lignes de sa conversation avec Ymir et sa décision aussi surprenante que soudaine de payer une petit visite nocturne à Jean.

     — T'es en train de me dire que t'as débarqué chez lui, sans prévenir, et qu'à peine la porte ouverte, tu lui as sauté dessus ?
     — Ça fait très prédateur, dis comme ça, je te l'accorde.

     Marco rougit au simple souvenir de cette scène. De son côté, Armin poussa un sifflement admiratif.

     — Je ne te pensais pas aussi fougueux.
     — J'ai fait beaucoup de folies cette nuit.

     Il glissa un regard lourd de sous-entendus à Armin qui s'amusa de le voir si confiant et si rayonnant. De prime abord, Marco ne paraissait pas aussi impénétrable qu'Annie ou aussi débordant que Jean. Il était simplement un peu discret, n'avait pas un mot plus haut que les autres et se fondait facilement dans la masse. Mais aujourd'hui, il semblait plus vivant que jamais. Et si c'était assurément une vision qui lui faisait plaisir, Armin se sentit obligé de lui poser la question fâcheuse.

     — Est-ce que vous avez un peu parlé ?

     Marco se souvenait d'avoir dit et entendu beaucoup de choses, mais son ami blond ne faisait probablement pas référence aux gémissements et aux supplications de Jean.

     — Qu'est-ce que tu entends par parler, exactement ?
     — Tu sais... Partager vos pensées. Communiquer.

     Marco était du genre à trop réfléchir, ainsi Armin le pensait tout à fait capable d'initier une conversation sur l'oreiller avec son partenaire pour s'assurer de leurs attentes mutuelles. À en juger par son regard fuyant et son rire gêné, Armin devina qu'ils n'avaient pas vraiment pris la peine de parler d'eux. Et connaissant Marco, il y avait fort à parier que sa remarque finirait par le tourmenter d'une manière ou d'une autre.

     — Rien ne presse, lui affirma-t-il en espérant le rassurer. Mais penses-y, la prochaine fois que tu le vois. C'est important de parler avec les gens qui nous entourent.

     Marco acquiesça en silence à ses mots. Tandis que leur cours de psychologie cognitive reprenait, il s'efforça de se concentrer sur leurs explications de leur professeure pour éviter à son esprit de s'égarer. Mais les vieilles habitudes avaient la peau dure, ainsi Marco ne put empêcher ses méninges de cogiter un peu trop pour son propre bien.

     Bien qu'il eut agi sur un parfait coup de tête, Marco ne regrettait rien. Il avait passé une nuit incroyable, assurément l'une des plus belles de sa vie. Jamais il n'aurait pu trouver la force ou même la volonté de nier une telle vérité. Après leurs étreintes, Jean et Marco s'étaient endormis, quelques heures seulement. Le manque de sommeil les avait fait grimacer au petit matin, lorsque leur deux réveils s'étaient successivement déclenchés. La situation aurait pu être gênante, pourtant Marco se ressentit aucune honte, aucun embarras. En s'éveillant dans ces draps dinosaures, aux côtés de Jean, il eut l'impression d'être à sa place et ne voulut plus la quitter. Les deux amants traînèrent un peu au lit avant de se préparer pour la journée. Ils avaient tous deux un cours qui commençait à dix heures, mais ils ne se pressèrent pas outre mesure. Marco était partit le premier, son université étant plus loin. Sur le pas de la porte, Jean l'avait embrassé paresseusement en guise d'aurevoir.

     Depuis, Marco avait un peu la tête dans les nuages. Tout s'était déroulé sans accroc, comme dans un rêve. L'odeur de Jean l'enivrait encore ; il la sentait sur son pull et sur sa peau. Il venait d'y goûter pour la première fois et il en était déjà l'esclave le plus dévoué. Marco aurait souhaité garder Jean pour lui tout seul. Mais en avait-il le droit ?

     Sans le vouloir, il se rappela les propos d'Eren, le frère de Mikasa, sur les péripéties habituelles de Jean. Iels étaient nombreux‧ses à le voir comme un charmeur qui préférait des nuits éphémères aux engagements à long terme. Seulement, Marco secoua la tête pour en chasser ses pensées. Non, il avait déjà eu cette discussion avec Jean. Il savait que ce dernier n'avait jamais eu l'intention de la même manière que le reste de ses conquêtes. Il lui avait assuré qu'il voulait plus qu'un simple coup d'un soir. Mais que voulait Jean, exactement ?

     Marco avait peut-être été le témoin direct de ses attentions, de ses gestes, de ses mots, seulement Jean n'avait jamais explicitement précisé quel genre de relation il attendait de lui. Ils s'échangeaient des messages, ils sortaient au musée et, maintenant, ils s'embrassaient. À ce titre, ils ne ressemblaient plus à de simple amis (si tant est qu'ils l'aient été), mais semblaient trop affectueux pour être des sexfriends. Dans ce cas, que leur restait-il ?

     Marco se souvient de la question que lui avait posée Armin, la veille, en lui demandant s'ils étaient ensemble. Sa réponse s'était alors faite hésitante et, à vrai dire, Marco la maintenait. Car en dépit de la nuit dernière, il ne se sentait pas prêt à qualifier Jean de petit-ami. L'idée avait beau être attrayante, elle lui laissait un arrière goût désagréable dans la bouche. Une relation de couple se basait essentiellement sur la confiance, et la sienne ne se gagnait plus aussi facilement. Marco réalisa alors que Jean n'était pas le problème auquel il se trouvait confronté. Car celui qui l'empêchait d'avancer, celui qui n'arrivait pas à lâcher prise sur le passé, ce n'était nul autre que lui-même. Marco était son propre prisonnier.

     L'après-midi venait tout juste de commencer, pourtant il se trouvait déjà inévitablement préoccupé. Le matin même, il avait quitté Jean tout sourire, la tête dans les nuages, mais il fallait encore que l'angoisse vienne lui gâcher son plaisir. Marco essaya de se concentrer sur ses longues heures de travaux dirigés, malheureusement son cerveau était habitué à réfléchir à plusieurs choses en même temps.

     Tandis qu'il changeait de salle, à seize heures, il eut la surprise de recevoir un appel de Jean. Marco s'immobilisa aussitôt en plein milieu du couloir, obstruant le chemin d'autres étudiant‧e‧s qui le contournèrent avec un air ennuyé. Le téléphone continuait de vibrer entre ses doigts et Marco paniquait légèrement à l'idée de décrocher. Il avait pensé à Jean toute la journée et, maintenant que celui-ci l'appelait, il n'avait aucune idée de ce qu'il pourrait bien lui dire. Il essaya d'abord de se calmer. En toute logique, c'était Jean qui voulait lui parler. Et Marco ne perdait rien à l'écouter.

     — Hey, fit Jean. Tu aurais deux minutes devant toi ? Je sais que tu dois avoir cours, alors je ne t'embêterais pas longtemps.
     — Eh bien... Oui, pourquoi ?
     — J'ai beaucoup pensé à toi, aujourd'hui, avoua-t-il d'entrée de jeu. Et je me suis rappelé que tu avais une légère tendance à trop réfléchir. On n'a pas vraiment pris le temps de parler au sens propre du terme. Alors je me suis dit que c'était précisément ce genre de situation qui pouvait te faire angoisser.

     Marco en resta d'abord sans voix. Bon sang, comment Jean avait-il deviné un truc pareil ? Il se sentait drôlement gêné.

     — Merde. Je suis si transparent ?
     — Peut-être un peu, reconnu Jean. Du moins, pour moi. Ça veut dire que j'ai eu raison de t'appeler ?
     — Je pense que oui, finit par soupirer Marco. Après tout, j'étais justement en train de trop... réfléchir.

     À l'autre bout du fil, Jean sembla chercher ses mots.

     — Marco, qu'est-ce que tu as pensé de cette nuit ?
     — C'était... C'était incroyable, avoua-t-il en rougissant.
     — Génial. Parce que c'était incroyable pour moi aussi. Et je ne te cacherais pas que je meurs d'envie de recommencer.

     Les mots de Jean rendirent son sourire à Marco. Ce dernier était au moins rassuré d'entendre que le plaisir avait bien été partagé. Il voulu répondre qu'il avait tout autant hâte que lui de refaire un saut dans ses draps, mais il se stoppa au souvenir de ce que cet aveu impliquait. Jean sentit son hésitation.

     — Qu'est-ce qui te tracasse ? Dis-moi.
     — Ça m'embête de ne pas savoir ce qu'on est, lui confia Marco. Mais d'un autre côté, je ne suis même pas sûr de ce que je veux. Désolé, je passe pour le type super compliqué...
     — On n'est pas obligé de se définir, lui affirma alors Jean. Ça me convient très bien, d'aller à ton rythme.
     — Tu- Tu serais prêt à faire ça ?
     — Bien sûr. Parce que tu en vaux la peine.

     Marco se demandait si Jean avait seulement une petite idée de l'effet que ce genre de phrases pouvait avoir sur lui. À ce train-là, son pauvre cœur lâcherait avant l'heure. Des voix étouffées se firent entendre du côté de Jean.

     — Désolé, on est un peu court niveau temps. Dis, j'ai entendu qu'une exposition temporaire sur Van Gogh venait d'ouvrir. Le genre projection d'art. Ça te dirait de venir avec moi ? proposa-t-il. On en rediscutera à ce moment.

     Marco accepta de l'y rejoindre pendant le week-end.

     — Oh, et emmène Siméon, s'il est intéressé, ajouta Jean. Même avec ce bonhomme dans les parages, je trouverais bien le moyen d'être seul avec toi.

     Lorsqu'il raccrocha, Marco se sentait définitivement mieux. Jean était le sujet de la plupart de ses dernières angoisses mais, pour une raison ou une autre, il arrivait aussi à les calmer.

Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
De retour après une petite pause ! On reprend avec une petite discussion ma foi nécessaire car (en dépit du drama) ici on soutient une communication de qualité (:

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