𝟏𝟐 ¦ 𝐋𝐄 𝐁𝐀𝐈𝐒𝐄𝐑

𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟐 ━ 𝟏,𝟖𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
Le Baiser,
Gᴜsᴛᴀᴠ Kʟɪᴍᴛ (1909)

     Leur professeur de neurobiologie adaptative étant comme souvent en retard, les étudiant‧e‧s de troisième année en psychologie bavardaient à voix haute entre elleux ou en profitaient pour faire une petite sieste. Il était déjà dix-huit heures et, le cours ne terminant qu'à vingt heures, il y avait de quoi être fatigué‧e. Marco se réinstalla auprès d'Armin, déposant une tasse de café devant lui. La substance n'avait rien de ragoûtante, mais elle contribuerait au moins à les maintenir éveillés jusqu'à ce soir. À peine assis, Marco sortit son téléphone pour regarder le message que Jean lui avait envoyé, quelques minutes plus tôt.

     — Tu réponds drôlement vite maintenant, remarqua Armin.

     Marco se mordilla la lèvre. Son ami avait raison : ses échanges avec Jean s'étaient fait plus réguliers, plus spontanés aussi. Marco aimait vraiment discuter avec lui et, surtout, il n'essayait plus de se persuader du contraire. Son absence de réponse rendit Armin suspicieux.

     — Vous êtes ensemble ?
     — Non ! assura Marco un peu trop brusquement. Enfin- non. On ne sort pas ensemble. Mais c'est un peu... ambigu.

     Armin haussa un sourcil perplexe.

     — Vraiment ? Je ne l'ai pas rencontré beaucoup, ton Jean, mais il ne m'a donné l'air d'être un type ambigu. Au contraire ; il paraît plutôt direct dans ses mots comme dans ses actions.

     Il n'avait pas tort. On pouvait dire ce qu'on voulait de Jean, mais il brillait au moins par son honnêteté. Ce trait de caractère ne représentait pas toujours une qualité, pour diverses raisons, mais il se trouvait que Marco le tenait en grande estime.

     — Tu dis que la situation est ambiguë, poursuivit Armin. Mais ne l'est-elle pas parce que tu en as décidé ainsi ?

     Marco ouvrit la bouche pour répondre, mais il ne sut que dire. La voix de son professeur le fit sursauter ; il ne l'avait pas vu entrer dans l'amphithéâtre. Ses doigts pianotèrent machinalement sur le clavier de son ordinateur portable, mais son esprit s'égara souvent durant ce cours magistral. Les paroles d'Armin tournaient en boule dans sa tête, et, plus il se les répétait, plus il leur reconnaissait des airs de vérité. À vingt heures, leur professeur leur souhaita une bonne fin de soirée et Marco quitta son UFR avec un début de migraine.

     — J'y pense, demanda-t-il soudain à Armin, mais tu ne m'as jamais dit comment ta relation avec Annie avait commencé.
     — Ça n'a rien d'incroyable ou d'original, le prévint celui-ci. J'ai rencontré Annie en soirée. On a discuté, on s'est plu ; alors on a échangé nos numéros pour pouvoir discuter encore plus. Un mois plus tard, on sortait ensemble. Et ça va faire trois ans.
     — C'est ce qu'on appelle être efficace.
     — Peut-être. Chaque relation est différente, fit-il remarquer. J'aime ce que j'ai avec Annie. Mais je ne suis pas sûr que ça te conviendrait, par exemple. On se prend souvent la tête pour des bêtises, tu sais. Ça ne dure jamais longtemps et on ne s'en tient pas vraiment rigueur, mais je pense que ça t'userais.

     Marco n'avait pas vu les choses sous cet angle-là. Maintenant qu'il y pensait, Armin arrivait parfois à l'université avec ses sourcils froncés car Annie et lui s'étaient quitté sur un désaccord le matin même. Lesdites tensions s'apaisaient souvent d'ici le lendemain, mais elles resurgissaient de temps en temps. Bien sûr, les disputes étaient normales au sein d'un couple ; deux personnes ne peuvent pas s'accorder sur tout. Mais Armin avait raison : Marco ne pourrait pas supporter cette fréquence car il avait l'habitude de prendre les choses à cœur.

     — Pour en revenir à Jean, repris Armin. Je sais que tu lui plais. Et je vois qu'il te plaît aussi. Alors bien sûr, je pense que ce serait du gâchis de vous arrêter là.

     Il marqua un silence, veillant à choisir ses mots.

     — Mais je ne suis pas dans ta tête. J'imagine que tu as de bonnes raisons de douter comme tu le fais. Je sais qu'il y a des choses que tu ne me dis pas. Des souvenirs dont tu ne veux pas parler. Pas avec moi, en tout cas. Je comprends ça. Mais peut-être que tu pourrais en discuter avec quelqu'un d'autre ?

     Marco fut étonné de voir qu'il en savait ; non, qu'il en avait deviné autant. Armin avait un véritable talent pour analyser et cerner les autres, c'était ce qui l'avait amené à poursuivre des études en psychologie qui s'avéraient brillantes. D'abord gêné d'être ainsi exposé au grand jour, Marco balbutia des excuses et des remerciements. Armin avait encore raison : il devait parler à quelqu'un qui savait et qui pouvait donc le guider.

     À peine sorti du tram, il sortit son téléphone et composa le numéro d'Ymir. Son ancienne camarade de lycée décrocha heureusement à la quatrième sonnerie.

     — T'aurais du temps pour parler ? lui demanda Marco. Désolé, je sais qu'il est tard et que tu dois être occupée, mais-
     — Je suis en train de manger du taboulé devant la nouvelle saison de Criminal Minds. Et je peux déjà te dire que ce sera pas la meilleure de la série. De quoi tu veux parler ?

     C'était sa manière de lui faire comprendre qu'elle était entièrement disponible pour lui.

     — Tu te souviens de Jean ?
     — Le type qui voulait se taper Mika ?
     — Précisément. Sauf qu'il veut plus vraiment se taper Mika.
     — Oh, fit Ymir. Il t'a fait des avances ?
     — En fait, c'est un peu plus compliqué que ça...

     Marco s'employa alors à lui raconter les évènements des derniers mois, de sa rencontre avec Jean à leur situation actuelle, ce qui ne fut pas chose facile. Depuis l'autre bout du fil, Ymir s'efforçait de suivre le cours de ses explications.

     — Attends, attends, l'arrêta-t-elle soudain. Depuis combien de temps ça dure, cette histoire ?
     — Trois mois ? Peut-être quatre.

     Ymir poussa un sifflement admiratif.

     — À tout hasard, tu sais combien de temps il s'est intéressé à Mika ? Trois semaines, lui apprit-elle. Et on considérait déjà que c'était un record pour lui ! Qu'est-ce que tu lui as fait pour qu'il soit aussi raide dingue de toi ?

     Marco marmonna qu'il n'avait absolument rien fait, ce qui était vrai ; il avait même tout bonnement ignoré Jean les premières semaines suivant leur rencontre. C'était l'artiste qui avait insisté à plusieurs reprises pour le revoir encore et encore, alors même que Marco tentait de se faire oublier.

     — Donc si j'ai bien compris, ton problème c'est que tu plais à Jean... et qu'il te plaît aussi ? En quoi c'est un problème ?
     — Tu sais très bien pourquoi c'est un problème.

     Il entendit Ymir soupirer à l'autre bout du fil.

     — Encore lui, hein ? Ça fait déjà deux ans, Marco.

     Peut-être. Mais, quelque part en lui, la plaie restait douloureuse, comme une veille blessure qui faisait encore des siennes, qui s'accrochait à la manière d'un fantôme.

     — J'aurais dû lui casser les dents quand j'en avais l'occasion, grommela Ymir. T'aurais pas dû m'en empêcher, à l'époque. Je suis sûre que tu te sentirais beaucoup mieux.
     — La violence ne résout pas tout.
     — La violence aurait pu lui remettre les idées en place, rétorqua son amie. Ce type était nul. Et ça me fait franchement chier de voir qu'il t'empêche encore d'être heureux.
     — Je n'ai que des doutes. Rien de bien méchant.

     Ymir marmonna quelque chose qui ressemblait à un désaccord. Elle se savait particulièrement bornée, mais Marco l'était aussi à sa manière. Elle ne pouvait pas le faire changer d'avis en une soirée, mais elle pouvait essayer de provoquer l'impulsion, le déclic qui le pousserait à agir.

     — Tu réfléchis beaucoup, Marco. C'est génial d'avoir autant de connexions cérébrales, tu peux accomplir un tas de trucs que je suis incapable de faire ou même d'imaginer. Mais tout analyser, tout anticiper, ça permet aussi à tes peurs de grandir. Et on sait tou·te·s les deux que t'en as un paquet.

     Marco déglutit, mais il ne dit rien.

     — N'écoute pas que ta tête, le pressa Ymir. Quand ton être tout entier te crie de faire quelque chose, parfois, la meilleure décision à prendre, c'est de foncer. Et tant pis pour les conséquences. T'entends ?
     — J'entends, souffla Marco. Merci, Ymir.

     Il raccrocha. Face à l'Orne, il ferma les yeux, prit une profonde inspiration, puis expira doucement. Lorsqu'il rouvrit ses paupières, il savait exactement ce qu'il voulait faire ; ce qu'il allait faire. Car ce soir, Marco ne rentrait pas chez lui. Au contraire, il fit demi-tour pour retrouver la ligne de tram et s'engouffrer dans la prochaine navette. Tandis que celle-ci le conduisait à l'arrêt suivant, il envoya rapidement un message à sa mère pour lui dire qu'il passait la nuit chez Ymir et qu'elle ne devait pas s'inquiéter.

     Arrivé aux abords de la gare ferroviaire, il se débrouilla avec l'aide non-négligeable de son téléphone pour retrouver le chemin qu'ils avait emprunté, le jour où Jean l'avait conduit chez lui. Il prit quelques mauvaises intersections, se trompa de rue, revint sur ses pas et chercha à nouveau, mais il finit par atteindre la fameuse résidence étudiante. Seulement, il y avait beaucoup de boutons à côté de la porte, et Marco ne savait pas sur lequel appuyer. Il passa donc un coup de fil à Jean.

     — C'est quoi le numéro de ton appartement ?
     — Le seize, pourqu-

     Marco lui raccrocha au nez et pressa le numéro correspondant. La porte s'ouvrit quelques secondes plus tard dans un grésillement sonore. Plus déterminé que jamais, Marco ne s'arrêta que devant l'appartement seize où il frappa sans même se laisser le temps d'hésiter. Son cœur battait furieusement dans sa poitrine, et sa course effrénée dans les escaliers n'en constituait pas l'unique raison.

     Jean lui ouvrit, les sourcils légèrement froncés. Voir Marco débarquer chez lui au début de la nuit était clairement l'une des dernières choses auxquelles il s'attendait. Il ouvrit la bouche, mais il n'eut pas l'occasion de parler. Laissant tomber son sac de cours, Marco s'avança aussitôt à l'intérieur de l'appartement en poussant Jean du plat de la main. Celui-ci se retrouva acculé au mur, les yeux écarquillés par la surprise.

      — Jean, je vais t'embrasser, le prévint Marco. Alors si toutes tes belles paroles n'étaient que du vent, si ce n'est pas ce que tu veux, c'est le moment ou jamais de me le dire.

     Face à ce regard qui lui témoignait tant son sérieux que ses envies, Jean se sentit trembler. Marco était le seul qu'il avait autant convoité, le seul qu'il avait autant désiré. Il voulait le faire sien depuis trop longtemps pour pouvoir résister. Alors comme Ève avant lui, il n'hésita pas à croquer le fruit défendu.

     — Fais-le, souffla-t-il. Fais ce que tu veux de moi.

     Au moment même où Marco se pencha pour l'embrasser, la migraine qui lui martelait le crâne s'arrêta, remplacée par le désir brûlant qui s'empara de tout son corps.

Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
J'ai (peut-être) oublié de vous publier ce chapitre hier... oups ! En plus je dois dire que j'ai hâte de lire vos retours sur celui-ci 👀

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