𝟏𝟏 ¦ 𝐋𝐀 𝐂𝐇𝐀𝐈𝐒𝐄
𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟏 ━ 𝟏,𝟓𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
La Chaise,
Vɪɴᴄᴇɴᴛ Vᴀɴ Gᴏɢʜ (1888)
Jean coupa le moteur après s'être garé sur le parking du magasin. Lorsqu'il lui avait proposé un second rendez-vous, Marco s'était imaginé beaucoup de scénarios possibles, mais celui-ci n'en faisait décidément pas partie.
Une fois son idée en tête, Jean lui avait caché leur destination jusqu'au bout, s'amusant à garder le mystère entier. En le voyant emprunter la voiture d'Armin, Marco s'était demandé s'il n'allait pas l'emmener jusqu'à la côté normande. Cette hypothèse l'avait un peu fait paniquer, car il aurait eu du mal à justifier une telle absence à ses parents. Mais Jean les avait simplement conduit en périphérie de la ville, dans un quartier non-desservi par le réseau de tramway.
Et les voilà qui se retrouvaient devant un magasin IKEA, reconnaissable à son logo bleu et jaune. Mais que venaient-il faire dans une enseigne spécialisée dans le commerce de détail ? Marco ne manqua pas de jeter un regard surpris à Jean qui souriait, fier de son idée pour le moins improbable.
— J'ai besoin d'une chaise de bureau, se justifia celui-ci. Et il paraît que les rendez-vous IKEA sont à la mode. Alors, autant faire d'une pierre deux coups !
Bien que toujours surpris par ce programme, Marco suivit Jean qui se dirigeait vers l'entrée du magasin. Après tout, à force de le côtoyer, il avait remarqué que l'artiste aimait bien sortir de l'ordinaire avec des plans drôlement farfelus. Une fois les portes automatiques passées, ils empruntèrent aussitôt les escalators, direction le premier étage et ses expositions. En débouchant dans les premiers salons, Marco fut pris d'un sentiment de nostalgie. Il regardait un peu partout, retrouvant la curiosité qu'il avait eu enfant face à ces mises en scène. On avait l'impression de visiter une grande maison. Maintenant qu'il le voyait sous cet angle, il commençait à comprendre pourquoi ce genre de rendez-vous pouvait être sympathique.
Ils atteignirent rapidement l'espace dédié au mobilier de bureau et Jean se mit en quête de la chaise parfaite. Se montrant étonnamment compliqué, il en testa plusieurs qui ne lui donnèrent pas satisfaction. L'une était trop dure, l'autre pas assez grande, celle-ci n'avait pas de roulettes et la couleur de celle-là n'allait pas avec son papier peint. Un vrai casse-tête ! Marco l'exhorta à se décider, mais malgré ses ronchonnements, voir Jean courir d'une chaise à l'autre pour en tester la douceur sur son délicat fessier (comme il l'appelait) l'amusait beaucoup. Au bout d'une demi-heure de recherche intensive, l'artiste avait enfin sélectionné deux articles entre lesquels il hésitait encore. Leurs allées et venues ne passant pas inaperçu, ils furent approchés par une conseillère de vente.
— Bonjour. Est-ce que je peux vous aider ?
Jean, qui se souciait plus de passer du temps avec Marco que de trouver une chaise de bureau, lui répondit qu'il était du genre indécis mais que, merci bien, ils arriveraient à s'en sortir. L'employée du magasin ne sembla pas comprendre qu'il essayait simplement de la renvoyer poliment. Au lieu de les laisser seuls, elle l'interrogea sur ses critères de recherche et lui vanta les mérites de plusieurs produits. Elle ne faisait que son travail, bien sûr, mais Jean la trouvait franchement envahissante. Il fit exprès de se montrer peu emballé par ce qu'elle racontait, espérant qu'elle se désintéresse ainsi d'eux, mais la conseillère n'avait pas l'air de vouloir les lâcher.
Jean glissa un regard en coin à Marco qui ne semblait pas plus à l'aise que lui. Il lui trouva également la posture un peu trop tendue, la mâchoire un peu trop contractée, l'air un peu trop renfrogné, et se demanda ce qui contrariait tant son beau brun. Était-il lui aussi embêté par ce pot-de-colle ? Ou alors...
Jean détailla rapidement l'employée devant lui : environ vingt-trois ans, des cheveux blonds coupés en carré, de grands yeux marrons qui clignaient très vite et un sourire un peu trop rayonnant pour être simplement professionnel. Jean lui en fit un en retour, juste pour voir sa réaction. Le ravissement se lut aussitôt sur son visage. Le châtain comprit qu'il lui avait tapé dans l'œil et que cela énervait un peu Marco qui l'avait lui aussi remarqué. C'était probablement mal, mais Jean tira une certaine satisfaction de cette pointe de jalousie.
Sans plus prêter attention aux paroles de la conseillère, il réessaya une dernière fois les deux chaises de bureau qu'il préférait. Il finit par se décider sur un modèle à l'assise tissée très confortable dont le nom était imprononçable.
— Je pense que je vais prendre celle-ci. Mais il faut encore choisir la couleur... T'en penses quoi, bébé ?
Il se tourna vers Marco à qui il destina un clin d'œil discret. Pris de surprise par le surnom utilisé, les joues du brun se teintèrent de rouge. Marco se racla la gorge, essayant de reprendre ses esprits, car il avait comprit l'objectif de cette plaisanterie. Jouant le jeu, il s'approcha de la chaise en question pour en lire l'étiquette.
— Pourquoi pas du blanc ? proposa Jean.
— Trop salissant. Le bleu irait mieux avec tes draps.
Si l'oreille de l'employée avait pu lui faire défaut la première fois, cette remarque plutôt intime eut le mérite de mettre les choses au clair. Les deux garçons repartirent donc avec les références du modèle choisi, laissant derrière eux une conseillère un peu déçue.
— Alors comme ça, tu te souviens de la couleur de mes draps ? s'intéressa Jean avec un sourire en coin.
— Bien sûr. J'ai quand même dormi dedans...
Et Jean espérait qu'il y dormirait encore à l'avenir, de préférence assez fréquemment, mais il garda ses pensées pour lui. Ils poursuivirent leur parcours à travers le labyrinthe d'IKEA, échangeant leurs opinions sur les mises en scène (c'est-à-dire critiquant tout et n'importe quoi).
Dans les chambres, Jean craqua pour une housse de couette avec des dinosaures. Le produit s'adressait certainement aux enfants, mais cela ne l'empêcha pas d'embarquer un set avec lui. Un peu plus loin, le magasin proposait un choix démesuré de peluches en forme d'animaux. Jean dénicha un tricératops orange, qui mesurait pas moins de soixante-dix centimètres, pour aller avec sa housse de couette. De son côté, un gros caméléon multicolore attira l'attention de Marco.
— Tu aimes les caméléons ?
— Siméon les adore. C'est le surnom que Maman lui donne.
Voyant qu'il hésitait, Jean lui chaparda la peluche.
— On le prend ! décida-t-il.
Au détour de la pièce suivante, il attrapa un grand sac IKEA jaune pour ranger tout ce qui lui encombrait les bras. Puisqu'il était de toute manière déjà parti pour dépasser son budget initial, il y ajouta un plaid, dont il demanda à Marco de choisir la couleur pour lui. Jean compléta ses achats par un stock de bougies et trois minuscules plantes en pot.
— Je n'arrive jamais à les garder en vie, avoua-t-il, mais ça ne m'empêche pas d'en racheter. Je suis du genre persistant.
Ce ne fut qu'après deux heures passées à déambuler dans le magasin qu'ils arrivent enfin dans l'immense endroit où étaient entreposés les meubles. Jean y trouva les roulettes de sa chaise, mais il lui fallait récupérer le dossier plus loin. Ils passèrent donc en caisse pour régler leurs achats. Marco n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche que Jean avait déjà scanné l'étiquette du caméléon.
— C'est la pension alimentaire qui régale.
Il avait un peu fait chauffer son compte en banque aujourd'hui, mais le plus cher restait la chaise de bureau qui constituait une dépense essentielle. Du reste, il ne risquait pas de se retrouver à découvert pour si peu, alors il pouvait bien se permettre quelques plaisirs. La seule chose qu'il appréciait chez son paternel était probablement son argent et le confort que ce dernier lui apportait au quotidien. Aujourd'hui, il lui permettait d'offrir une peluche à Siméon et de récolter un remerciement de Marco.
Après les caisses, ils patientèrent quelques minutes au point de retraits des marchandises pour que Jean récupère l'autre partie de sa chaise dont il ne possédait actuellement que le bas.
— Tes parents sont divorcés ? s'intéressa alors Marco.
— Séparés. Ils n'ont jamais été mariés.
— Et tu vois encore ton père ?
— Pas vraiment. On se parle un peu, mais ça s'arrête là.
Jean ne semblait pas vouloir discuter de sa relation compliquée avec son paternel, alors Marco n'insista pas dessus. Il préféra orienter la conversation vers sa mère dont il semblait beaucoup plus proche. En effet, Jean se montra plus bavard à son sujet. Une fois son dossier récupéré, ils retrouvèrent la voiture d'Armin dont ils chargèrent le coffre.
— Alors, quel est ton verdict sur IKEA ? demanda Jean.
— C'était original, avoua Marco. J'ai passé un bon moment.
Jean eut un sourire triomphant tandis qu'il s'installait derrière le volant et démarrait le moteur, prêt à repartir.
— Ça veut dire que j'aurais droit à un autre rendez-vous ?
— Peut-être...
Marco se surprenait lui-même à adopter un air si mystérieux, quand bien même il savait déjà qu'il aurait accordé à Jean tous les rendez-vous qu'il pourrait lui demander.
Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Un petit chapitre plus doux pour souffler un peu et laisser à ces deux-là le temps de se rapprocher <3
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