𝟎𝟒 ¦ 𝐋𝐄𝐒 𝐍𝐔𝐀𝐆𝐄𝐒

𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟎𝟒 ━ 𝟏,𝟖𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
Le Voyageur Contemplant une Mer de Nuages,
Cᴀsᴘᴀʀ Dᴀᴠɪᴅ Fʀɪᴇᴅʀɪᴄʜ (1818)

     Aujourd'hui, Marco était enrhumé. Le pauvre garçon avait le nez rouge à force de se moucher et l'air abattu de celui qui ne pouvait plus respirer que d'une seule narine. Depuis qu'il l'avait rejoint à la bibliothèque universitaire de son campus, Jean était témoin de la vitesse à laquelle se vidait son paquet de mouchoirs. S'il n'aimait pas voir son modèle préféré frappé par le vilain froid hivernal, l'artiste qui était en lui se réjouissait de pouvoir observer les nouvelles expressions qu'il adoptait. Ces derniers temps, Jean avait pris l'habitude de retrouver Marco pendant que l'étudiant en psychologie travaillait sur ses devoirs ou ses révisions. Au fil des heures passées ensemble, le carnet de l'artiste se remplissait progressivement d'un tas de portraits inspirés par Marco, qu'il s'efforçait de représenter sous tous les angles.

     — Ça te dirait d'aller quelque part la semaine prochaine ?

     L'idée trottait dans la tête de Jean depuis un petit moment.

     — Tu penses à un endroit en particulier ?
     — Je suis un étudiant en art, lui fit remarquer Jean. J'ai évidemment envie de t'emmener au musée des beaux-arts du coin. Mais on peut aller ailleurs, si tu préfères.

     Après tout, songea-t-il, Marco avait probablement déjà visité les lieux si sa mère enseignait dans le milieu artistique. En réalité, cela faisait des années que celui-ci n'y avait pas mis les pieds, si bien qu'il n'en gardait qu'un vague souvenir.

     — D'accord pour le musée. On se dit samedi ?
     — Ce serait mieux en semaine, estima Jean. Il y a moins de monde. Tu me fais voir ton emploi du temps ?

     Ils s'accordèrent sur le mardi après-midi suivant, après leurs cours du matin et avant les travaux dirigés du soir de Marco. Ce jour-là, les deux jeunes hommes se quittèrent en bons termes, la date du fameux rendez-vous en tête.

     Pourtant, en fin de semaine, Jean eut l'impression que les messages de Marco étaient soudainement devenus plus froids. Il évita d'abord d'y porter trop d'attention ; l'étudiant en psychologie était probablement un peu stressé à l'approche des examens, voilà tout. Seulement, lorsque celui-ci annula sans état d'âme leur rendez-vous de mardi par un simple texto, Jean en fut franchement étonné. Ses yeux ne se détachèrent pas de l'écran de son téléphone portable pendant de longues secondes, si bien qu'Annie s'en inquiéta.

     — Quelque chose ne va pas ?

     Jean lui souffla que non, même s'iels savaient tou·te·s les deux que oui, quelque chose était décidément bizarre. Le jeune homme pouvait bien sûr se tromper, mais il avait sincèrement eu l'impression que Marco commençait peu à peu à l'apprécier. Alors pourquoi annuler leur premier vrai rendez-vous de la sorte ? C'était à n'y rien comprendre, et Jean estimait qu'il méritait au moins quelques explications. Soupçonnant qu'il ne tirerait rien de Marco par messages, il se résolu à attendre la fin de son cours magistral pour lui passer un coup de fil.

     Il craignit d'abord que son interlocuteur ne prenne pas son appel, mais après quelques longues sonneries, Marco décrocha enfin son téléphone.

     — Hey, fit Jean. J'ai reçu ton message. Tu viens pas mardi ?
     — Désolé, j'aurais dû t'appeler. Je te pensais occupé.
     — Non, c'est pas grave. Enfin si, un peu quand même. J'aurais juste voulu savoir pourquoi tu annules. Je croyais qu'on s'était mis d'accord pour la date. Tu as eu un imprévu ?

     Il y eu un drôle de silence à l'autre bout du fil.

     — Écoute Jean, c'est vraiment pas contre toi, mais je- je peux pas faire ça.
     — Tu ne peux pas... venir au musée avec moi ?
     — Non, je ne peux pas, affirma Marco avec aplomb. Je ne sais pas comment tu as l'habitude de fonctionner. J'imagine que tu sors à tout le monde le même baratin, le même regard, les mêmes sourires. J'imagine que tu les fais tou·te·s se sentir spécial‧e. Mais je ne suis pas comme toi. Je ne cherche pas quelqu'un pour... pour me réchauffer le temps d'un hiver. Ou d'une nuit. Ce n'est pas fait pour moi. Alors je- je crois qu'il faut mieux qu'on arrête tout maintenant. C'est mieux comme ça. Je suis désolé, Jean. C'était cool de te connaître.

     Et il raccrocha. Son interlocuteur en resta sans voix, les yeux rivés sur l'écran de son téléphone. L'appel avait duré moins de trois minutes. Jean se repassa aussitôt en boucle les quelques paroles que Marco lui avait adressé en lieu et place d'explication, mais il peinait à en comprendre le sens. Avait-il fait quelque chose de mal ? De déplacé ? Quand bien même il s'efforça de réfléchir à ce sujet, il ne se souvenait pas avoir fait ou dit quoi que ce fut de répréhensible en compagnie de Marco. Jean était quelqu'un d'honnête ; il n'avait jamais cherché à cacher ses intentions ou ses motivations. Alors pourquoi Marco agissait-il comme s'il avait été blessé par son comportement ?

     Plus il y songeait, plus Jean avait l'impression de devenir fou. Le lendemain, il se résolu à envoyer un message à Armin, dans l'espoir d'obtenir quelques informations. Ce n'était probablement pas très correct d'agir ainsi dans le dos de Marco, mais ce dernier ne répondait plus à ses messages. Le blondinet se montra réticent à entamer la conversation. En insistant, Jean apprit finalement que son ami s'était rendu chez Ymir, quelques jours plus tôt, et qu'il agissait bizarrement depuis. Marco connaissait Ymir depuis le collège, il n'y avait donc rien d'étonnant à cela.

     Jean estima d'abord que cette piste ne menait nulle part. Et puis, au détour d'un couloir, il tomba sur un certain Eren Jäger. Jean se souvint alors qu'Ymir étudiait à l'URF de Droit avec Mikasa Ackerman, qui était justement la sœur adoptive du jeune homme brun (qui arpentait les lieux comme un seigneur féodal dans son château). Si Jean savait tout cela, c'était pour une raison très simple : il avait eu un petit coup de cœur pour Mikasa, deux ans plus tôt, en la rencontrant lors d'une soirée. Eren avait eu vent de cette histoire et, depuis, les deux garçons partageaient une sorte de rivalité qui commençait à s'essouffler.

     Quelle était la probabilité qu'Eren et Marco se soient rencontrés ? Les mathématiques ne constituaient pas vraiment l'un des points forts de Jean qui s'épargna la peine de faire fonctionner son cerveau inutilement. Il préféra héler Eren à travers le hall pour lui poser lui-même la question. Car si cet idiot avait effectivement soufflé des choses compromettantes à son sujet, Jean aimerait vraiment le savoir.

     — Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas crié mon prénom avec tant d'enthousiasme. Qu'est-ce qui t'amènes à moi ? À part mon magnifique faciès, j'entends.

     Voilà exactement pourquoi Jean n'aimait pas parler avec Eren ; ce type était juste trop lourd, même pour lui.

     — Ton magnifique faciès ? releva-t-il en ricanant. Ta tête est tellement grosse que tu commences à t'envoler comme une montgolfière. Fais gaffe, tu vas bientôt toucher le plafond.
     — Je rêve ou tu viens d'interrompre ma merveilleuse journée dans le seul but de m'insulter ?

     Pour une fois, cet idiot n'avait pas vraiment tort. Jean s'efforça donc de rester suffisamment calme, juste le temps de lui poser une seule petite question.

     — C'est vachement random, mais tu n'aurais pas récemment rencontré un certain Marco, à tout hasard ?
     — Mais si ! Je l'ai croisé avec Mika et Ymir, en début de semaine. Il paraît que c'est un ami d'Armin. Tu sais que je le connais depuis la maternelle ? Le monde est vraiment petit !

     Jean se sentit grimacer. Voilà qui n'annonçait rien de bon.

     — D'ailleurs, continua l'autre, on a un peu parlé de toi ! Il a semblé drôlement intéressé quand j'ai mentionné le fait qu'on se connaissait. C'est un nouveau pote ?
     — Plus ou moins, marmonna Jean. Mais j'ai l'impression qu'il n'a pas trop apprécié votre échange, alors j'aimerais bien que tu me fasses le tableau de ce que tu es allé lui raconter.
     — Des trucs banals. Il voulait savoir comment on s'était rencontré. Alors je lui ai dit qu'on étudie au même endroit, mais qu'on se croise surtout en soirée. Faut dire qu'on est un peu les stars de cette promotion, pas vrai mon Jeannot ? Oh ! s'exclama ensuite Eren. Je lui ai aussi raconté la fois où je t'ai surpris dans les toilettes d'une boîte de nuit avec cette fille, tu t'en souviens ? C'était franchement drôle. Enfin, ton copain avait l'air un peu choqué, peut-être qu'il est timide ?

     Jean avait déjà commencé à s'éloigner ; inutile de rester écouter toutes les autres imbécilités qui s'échappaient de la bouche d'Eren, il en savait déjà assez.

     — Hey, Jean ! lui lança celui-ci. Mon offre de la dernière fois tient toujours, si jamais tu te posais la question !

     Le susnommé ne prit même pas la peine de se retourner. Actuellement, un plan à trois avec Eren et son copain du moment était franchement la dernière chose dont il avait envie.

     Suite à cette discussion, Jean se demanda ce qu'il pouvait faire pour arranger les choses avec Marco. Tout portait à croire que ce dernier s'était mépris sur lui, la faute à Eren qui l'avait décrit comme un incorrigible coureur de jupons. Belle image ! Marco s'était à coup sûr éloigné parce qu'il ne voulait pas être associé à la réputation qu'il se traînait. Ce constat blessa Jean, mais cela ne changea rien au fait qu'il aurait aimé s'expliquer.

     Le vendredi soir, il consulta pour la énième fois ses notifications, espérant recevoir une réponse du brun. Une fois de plus, il soupira, s'attirant le regard des autres sur lui.

     — Oh, fit Maddie, je connais ce genre de soupir. Qui est donc la demoiselle qui te mène la vie dure ?
     — Ce n'est pas une demoiselle. En fait, c'est le modèle de la dernière fois. Tu sais, avec ses taches de rousseur.
     — Quoi, le brun ? Celui que tu voulais déshabiller ?
     — Très précisément.
     — Espèce de petit coquin, tu ne m'avais pas dit que tu l'avais retrouvé ! Quel est donc le problème ? Il ronfle ?
     — Eh bien, je n'ai pas encore eu le loisir de le découvrir...

     Il adressa un sourire malicieux à Madeleine.

     — Le problème, reprit Jean plus sérieusement, c'est qu'il a entendu des trucs moyens sur moi et, depuis, il me fait la tête.
     — Si ce n'est que ça, il te suffit d'aller lui parler.
     — Sauf qu'il ne répond pas à mes messages...

     Madeleine balaya ses excuses de la main.

     — De mon temps, on n'avait pas tous ces appareils. Et ça n'empêchait pourtant pas les garçons ne me courir après. Comment crois-tu qu'ils s'y prenaient, gros malin ?

     Jean réalisa que sa voisine avait raison ; pourquoi attendre une réponse qui n'arrivait pas ? Si Marco ne venait pas à lui, il n'avait qu'à faire le premier pas, une fois de plus.

Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Parce qu'une histoire n'est pas une histoire sans sa dose de problèmes, here comes the drama !

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