𝟎𝟐 ¦ 𝐋'𝐈𝐃𝐄́𝐀𝐋
𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟎𝟐 ━ 𝟐𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
L'Idéal, Les Fleurs du Mal,
Cʜᴀʀʟᴇs Bᴀᴜᴅᴇʟᴀɪʀᴇ (1857)
Le samedi soir suivant, Jean avait rejoint Hitch à la sortie du métro aux alentours de vingt-et-une heures trente. Les deux acolytes connaissant très mal le quartier de Caen où la rame les avait conduit‧e‧s, iels mirent un temps monstre avant de trouver l'adresse envoyée par Annie. Leur amie se trouvait déjà sur les lieux ; la chanceuse avait fait le déplacement avec son copain qui possédait une voiture un peu vieille, mais toujours en état de rouler.
Jean et Hitch se débrouillèrent finalement en suivant la musique et les lumières qui s'échappaient de la maison où se déroulait la fameuse soirée. Puisqu'iels n'étaient franchement pas en avance, la fête commençait déjà à battre son plein. Les invité‧e‧s semblaient principalement occupé‧e‧s à discuter joyeusement entre elleux tout en piochant dans les apéritifs mis à leur disposition. Il y avait moins de gens que ce à quoi s'attendait Jean ; probablement car la plupart des étudiant‧e‧s rentraient chez elleux pour le week-end.
Il chercha Annie du regard, ce serait-ce que pour les saluer, elle et Armin. Hitch repéra le couple dans un coin de la salle à manger, entouré de quelques autres jeunes avec qui iels papotaient tous deux. Jean reconnu certaines connaissances qu'il salua brièvement, mais se montra plus chaleureux envers Historia, une ancienne camarade de classe du lycée. La blondinette était accompagnée d'une grande brune nommée Ymir ; certainement sa petite-amie que Jean n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer. Il échangea quelques banalités avec le couple, l'air de rien, mais il ne put s'empêcher de relever les taches de rousseur qui ornaient le visage d'Ymir. Décidément, le souvenir de son bel inconnu le suivait partout.
En tournant simplement la tête, il tomba même sur une silhouette qui ressemblait beaucoup à celle qu'il avait dessiné avec tant d'ardeur, des semaines plus tôt. Plus le jeune homme se rapprochait, plus Jean s'amusait à relever les similitudes avec le fils de sa professeure : de sa large carrure à ses vêtements amples, de ses courts cheveux à son visage ovale. Ce fut seulement lorsque le nouveau venu s'arrêta à côté d'Armin, lui glissant quelque chose à l'oreille, que la réalité frappa Jean. Car cet inconnu ne ressemblait pas seulement au modèle de l'atelier ; c'était précisément lui, sans aucun doute possible.
Jean en resta bouche bée. S'il y avait bien une chose à laquelle il ne s'attendait pas, c'était de tomber par hasard sur celui qu'il cherchait justement à oublier l'espace d'une soirée. Quand bien même, l'artiste n'allait certainement pas se plaindre de la tournure des évènements. Ses yeux restèrent accrochés au visage du beau brun qui, finissant par sentir leur poids sur lui, se tourna dans sa direction. Le simple froncement de ses sourcils indiqua à Jean qu'il l'avait lui aussi reconnu.
— Oh, fit Annie en remarquant leur échange silencieux. Ne me dit pas que c'est lui ?
— Vous vous connaissez ? demanda innocemment Armin.
— En quelque sorte, répondit Jean en souriant.
Il se retient d'en ajouter plus. Après tout, ses ami‧e·s n'avaient pas besoin de savoir que ce jeune homme occupaient la plupart de ses pensées depuis des semaines, que l'artiste se mordait les doigts à l'idée de ne plus jamais le revoir ou qu'il n'avait actuellement qu'une seule envie en tête : le dessiner sous toutes ses coutures. À vrai dire, il n'avait même pas besoin de parler : la lueur qui brillait dans ses yeux ambre trahissait à elle seule ses intentions pour le moins inconvenantes. Ce fut probablement pour cette raison que le brun (dont il ignorait toujours le prénom) s'appliqua à éviter son regard au cours des minutes qui suivirent.
Mais Jean trouva bien l'opportunité de rester en tête-à-tête avec celui-ci. Lorsque la musique ambiante laissa place à des sons plus festifs, les invités se regroupèrent dans le salon pour y danser. Contrairement à leurs amis qui suivirent le mouvement, son beau brun ne bougea pas d'un poil, visiblement peu attiré par l'idée de se déhancher au milieu de tous ces corps transpirants. Jean y vit l'occasion qu'il attendait.
— Viens, je crois qu'il y a un jardin derrière.
Lui attrapant l'avant-bras, il leur fit traverser la salle à manger et la cuisine, où il attrapa deux bières au passage, avant de sortir à l'air libre. Par ce temps frisquet, il y avait peu de monde dehors, à l'exception d'un groupe de fumeurs. Une fois leur manteau revêtu, la température restait supportable. Jean avisa deux chaises de jardin sur lesquelles il les fit s'asseoir côté à côté. D'habitude, il aimait faire la fête et danser jusqu'à en avoir mal aux pieds, mais ce soir, il préféra user de ce temps précieux pour faire connaissance avec son nouvel ami.
— Et si tu commençais par me dire ton prénom ?
— C'est Marco. Ravi de te rencontrer, Jean.
Ledit Jean prit une seconde pour se remettre de la façon dont son prénom sonnait si merveilleusement bien dans sa bouche. Loin de lui l'idée d'effrayer son interlocuteur dès leur seconde rencontre, mais il avait franchement envie de le kidnapper pour découvrir toutes ses expressions.
— Je suis si célèbre que ça ?
— Ma mère parle souvent de toi, expliqua Marco en haussant les épaules.
— En bien, j'espère. Que t'as-t-elle raconté de beau ?
Le brun hésita un instant à répondre.
— Il paraît que tu as eu un coup de foudre artistique pour moi, ou quelque chose du genre. Ce sont ses mots, précisa-t-il.
Un sourire étira les lèvres de Jean. Comme il s'y attendait, Madame Alix avait vu clair à travers ses bégaiements décousus.
— Elle n'a pas tort, concéda-t-il sans détours. Je t'ai cherché, tu sais.
— Je sais, souffla Marco. Je me demande bien pourquoi. Je ne pense pas avoir quoi que ce soit de si spécial.
Jean haussa un sourcil étonné. Comment pouvait-on être si beau et avoir une si faible estime de soi ? Tout en se penchant vers Marco, il posa innocemment une main sur sa cuisse.
— Je pourrais te donner un millier de raisons qui attestent du contraire, murmura-t-il. Tu veux les entendre ?
Marco avisa successivement le ton suave employé, la lueur presque dangereuse qui habitait son regard et la chaleur qu'il sentait percer à travers le tissu de son pantalon. Pour toutes ses raisons, il préféra secouer prudemment la tête de gauche à droite. Jean eut un sourire en coin ; il était probablement un peu déçu de cette réponse négative, mais la réaction de Marco lui prouvait que ses intentions ne le laissaient pas de marbre.
— Pose pour moi, demanda soudainement l'artiste. S'il-te-plaît, ajouta-t-il tout de même. Tu n'as pas besoin de revenir à l'atelier. Juste pour moi.
Marco laissa échapper un rire.
— Tu es encore plus direct que je l'imaginais.
— Comment est le moi que tu t'imaginais ? s'enquit Jean avec un intérêt non feint.
— Celui décrit par ma mère, se justifia Marco. Impatient. Confiant. Persévérant. Malicieux. Bon vivant. Un poil arrogant. Et terriblement talentueux, conclu-t-il finalement.
Jean poussa un sifflement admiratif face à cette ribambelle d'adjectifs utilisés pour le qualifier.
— On dirait que tu m'as bien cerné. J'aimerais pouvoir me vanter d'en savoir autant sur toi, mais ce n'est pas le cas. Tu voudrais bien m'aider à y remédier ?
— Qu'est-ce que j'y gagne ?
— Le plaisir de ma compagnie ? hasarda Jean.
Marco haussa un sourcil, peu convaincu. Cela ne découragea pas l'artiste qui s'empressa de rebondir sur une autre question ; la première d'une longue série. Son interlocuteur lui répondait toujours de manière assez concise, sans trop s'épancher, mais Jean s'estimait déjà très heureux de pouvoir lui parler. Il en apprit ainsi davantage sur son mystérieux coup de foudre artistique qui semblait un poil plus bavard depuis qu'il descendait tranquillement sa bière. Marco n'avait que vingt ans, soit un an de plus que lui. Il était en licence de psychologie, dans la même promotion qu'Armin. C'était d'ailleurs ce dernier qui l'avait traîné à cette soirée, ce qui n'enchantait pas vraiment Marco, peu adepte de ce genre de sorties. D'autant plus qu'en présence d'Annie, il avait franchement l'impression de tenir la chandelle du couple.
Marco ne raconta pas grand-chose de plus, mais Jean eut tout de même l'impression de commencer à cerner sa personnalité. Il jouait le rôle du réservé, de celui qui n'aimait pas vraiment parler de lui et, en effet, il ne semblait pas être le genre à s'ouvrir au premier venu. Pourtant, Jean pressentait que ce Marco avait bien des choses à dire, des mots qui restaient coincés au bord de ses lèvres car il refusait de les laisser s'en échapper. Heureusement pour lui, Jean était très doué pour délier les langues.
— Pourquoi tu ne veux pas poser pour moi ?
— On ne connaît à peine. Et je n'ai jamais posé en dehors de cet atelier. C'était une exception, insista Marco. Je ne serais absolument pas à l'aise.
Non, il ne pourrait décidément pas rester immobile et impassible pendant de longues heures, surtout si le regard posé sur lui appartenait à ce jeune artiste dont l'étrange passion le faisait littéralement frissonner.
— Dans ce cas, s'obstina Jean, si on apprenait un peu à se connaître avant, tu pourrais accepter plus tard ?
— Pourquoi tiens-tu tant à ce que je pose pour toi ?
— Je croyais que tu ne voulais pas le savoir.
Marco détourna les yeux et sortit un mouchoir de sa poche. Le froid commençait à lui piquer le nez. Jean lui proposa aussitôt de rentrer au chaud, ce qu'il accepta. À l'intérieur, le nombre d'invité·e‧s avait baissé, en témoignait la piste de danse partiellement délaissée. Marco réalisa qu'il avait déjà passé deux bonnes heures en compagnie de Jean. Ils rejoignirent leurs ami·e·s avec lesquel‧le‧s ils discutèrent pendant une petite heure supplémentaire. Aux alentours de deux heures du matin, Marco commença à bailler.
— Tu veux rentrer ? lui demanda Jean à l'oreille.
— J'aimerais bien. Mais Armin doit me ramener.
Jean jeta un coup d'œil au blondinet qui ne semblait guère en état de tenir un volant. Le tramway ne passant plus depuis belle lurette, sa voiture était pourtant le seul moyen de transport à leur disposition. Puisqu'il n'avait que très peu bu et qu'il était en possession d'un précieux permis de conduire, Jean se proposa finalement pour ramener tout ce beau monde. Il irait redéposer la voiture d'Armin dans la journée. La soirée touchant à sa fin, ses ami‧e·s acceptèrent l'offre de bon cœur.
Iels embarquèrent tous à bord du bolide : Jean derrière le volant, Marco sur le siège passager avant et Hitch à l'arrière avec le couple de blondinets. Il déposa d'abord ces derniers, qui étaient les plus éméchés, et garda le meilleur pour la fin. En plus, il se trouvait que son beau brun n'habitait pas très loin de son propre appartement. Une fois qu'ils furent garés devant sa maison, Marco hésita au moment d'ouvrir la portière.
— Merci de m'avoir tenu compagnie ce soir, lui dit-il finalement. C'était sympa de ta part.
— Il n'y a pas de quoi, lui assura Jean. À vrai dire, j'avais prévu de prendre le dernier tram. Je ne serais pas resté plus longtemps si je n'étais pas tombé sur toi.
Ce n'était que la stricte vérité, mais ces mots firent leur petit effet. Marco se mordilla la lèvre, comme tiraillé entre l'envie de partir et celle de rester. Dans sa grande bonté, Jean consentit à lui venir en aide.
— J'ai l'impression que tu ne vas jamais me le demander, alors je suppose que c'est à moi de me lancer ; tu veux bien me donner ton numéro ?
Marco leva les yeux au ciel, mais ses joues avaient pris des couleurs. Il attrapa finalement le crayon que Jean lui tendit et inscrit son numéro sur une serviette en papier dégottée dans la boite à gants. Cette fois-ci, Marco ouvrit la portière et sortit du véhicule. Avant de la refermer, il se pencha en direction de son conducteur d'un soir.
— Bonne nuit, Jean.
Jean le regarder s'éloigner, un air satisfait au visage.
Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Il était quand même temps de les faire se rencontrer ! Je tiens à attirer votre attention sur la chanson en média : le narrateur dans Every Other Freckle veut voir toutes les autres taches de rousseur de cellui dont il parle... En terme de sous-entendu, on fait difficilement mieux !
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