Chapitre 1
Les vagues caressent mes pieds dans des mouvements réguliers. Mes chaussures à la main de peur de les abîmer, je regarde la vaste étendue d'eau salée d'un regard triste. C'est ici qu'à disparu mon frère Dan un an plus tôt jour pour jour dans un accident de surf. La planche était revenue sans lui, laissant mon coeur et ma joie de vivre dans les profondeurs de l'océan.
J'avance de quelques pas de plus à travers l'eau qui recouvre désormais mes genoux. Les vagues s'écrasent sur mon jean tandis que j'observe les étoiles et la lune se refléter sur l'eau. J'imagine ses traits se dessiner devant moi. Des cheveux blonds décolorés par le soleil tombant sur son visage innocent, un petit nez légèrement retroussé, ses lèvres toujours pincées comme si il était dans une éternelle réflexion. Mon regard se porte sur mon reflet qui se forme sur l'eau à chaque mouvement de vague, la même mimique sur le visage qu'il faisait lorsqu'il était dans l'eau. Sourcils froncés, lèvres pincées et regard au loin à la recherche de la meilleure vague, voilà le souvenir que j'ai de mon frère.
Pourtant l'eau ne reflète qu'une jeune fille fatiguée. Les cheveux relevés en chignon, quelques mèches folles qui s'envolent au gré du vent, le visage brûlé par le sel et le soleil, des cernes plus grandes qu'elle. Je passe machinalement mes mains sur mon visage et regarde à nouveau l'océan.
Je n'ai pas d'autres souvenirs de cet endroit. D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours vécu à Helster Creek au large de la Californie. La côte et les vagues cassantes ont toujours fait partie de mon quotidien. Tandis que Dan avait appris le surf dès le plus jeune âge, j'avais toujours préférée des activités plus calmes comme le dessin. Je pouvais parcourir la côte pendant des heures à la recherche du plus beau coquillage à reproduire à l'aquarelle. Je n'avais jamais dessiné mon propre frère.
"Tu ne le mérites pas !"
Voilà ce que je lui répétais encore et encore pour ne pas à avoir à le dessiner. La vérité ? Je ne savais pas faire de portrait. Mais il avait tellement d'espoir et de confiance en mon talent que je n'avais jamais osé lui dire.
Ce souvenir me fait esquisser un sourire.
Je jette un dernier regard à la mer et décide de regagner la terre ferme. Le sable s'immisce entre mes pieds mouillé. C'est une sensation désagréable, mais je continue de marcher jusqu'à ma serviette. Un léger vent m'oblige à me dépêcher de me changer. Mon jean est trempé, maman va être furieuse. Je le coince dans mon sac entre le livre que j'ai acheté dans l'après midi et une plaquette de chocolat trop vieille pour être encore dedans.
J'enfile mes chaussures et remonte rapidement la dune. Simon m'attend en haut, assis sur un banc les yeux fermés. On dirait presque qu'il dort. Sa peau trop blanche semble briller à la lumière du lampadaire, il joue avec ses boucles soyeuses que personne d'autre ne peut toucher. Ses éternelles Timberland et son pantalon aux décorations semblables à un camouflage lui donne un aspect militaire. Idée renforcée par son bomber typiquement américain. Il porte sur sa tête un vieux casque noir qu'il a retrouvé dans sa voiture juste avant de venir et qu'il avait hésité à mettre de peur de se décoiffer.
La musique trop forte dans les oreilles l'empêche de m'entendre arriver et j'en profite pour le surprendre. Il pousse un hurlement de terreur avant de me dévisager d'un regard noir :
"Tu trouves ça drôle ? S'indigne-t-il en faisant glisser le casque au niveau de son cou"
Je ne peux m'empêcher de rire face à sa réaction.
"J'étais entrain de méditer ! Comment je fais si des zoulous comme toi viennent me déranger toutes les cinq minutes
- Des zoulous ? Regarde autour de nous Simon, il n'y a personne.
- Personne, personne, j'ai vu un garçon étrange tout à l'heure. Il devait avoir notre âge, plutôt beau gosse je l'avoue. Il m'a dit qu'il cherchait une certaine Maud. Je lui ai dis que je connaissais pas de Maud et il tracé son chemin.
- Mais Simon, soufflais-je. Je m'appelle Maud! Tu aurais pu l'orienter vers moi ! Pourquoi tu ne me dis pas quand tu vois des beaux garçons ? Tu veux que je finisse vieille fille ?
- Non non, il avait l'air dangereux et puis on ne le connaît pas ce type là ! Je n'allais pas te mettre en danger, il est parti et c'est tant mieux. Allez on y va maintenant, je te ramène chez toi. Ramène tes fesses dans ma Clio"
Comme pour confirmer ses dires, il allume les phares de sa voiture, sa seule véritable fierté. Je lui tire la langue et monte à côté de lui. Il met automatiquement la radio sur la fréquence du jazz et se met à fredonner. Je me contente de regarder le paysage par la fenêtre.
J'avais rencontré Simon et plusieurs autres amis en rentrant à la fac seulement quelques semaines après avoir perdu mon frère, Dan. Je ne leur ai jamais parlé de lui, je ne suis pas quelqu'un comme ça. Je ne fais pas partie de ceux qui ouvrent leur coeur et parlent, je fais partie de ceux qui souffrent en silence. Je ne cherche ni pitié, ni aide. Je ne pense pas non plus que ma vie privée concerne autrui, ni ne les intéresse d'ailleurs. Je me contente de garder la douleur à l'intérieur de moi en attendant qu'elle passe. Si elle passe un jour.
Simon avait accepté de m'accompagner tous les soirs sur la rive où il a disparu, sans jamais posé de question. Je pensais qu'il se fichait de mes raisons mais j'ai découvert qu'il était juste poli. Il me dépose chez moi aux alentours de minuit et comme je devais m'y attendre, ma mère se trouve sur le canapé et me fixe d'un regard assassin.
"Je peux savoir où tu étais ?"
Je fais mine de ne pas la voir et me dirige rapidement vers les escaliers pour rejoindre ma chambre.
"Maud ! Viens ici tout de suite !
- Pas ce soir maman s'il te plait, soufflais-je.
- Tu étais encore sur la côte ? Mais qu'est ce que tu fais en culotte ? Où est ton jean?"
Je pointe nonchalamment mon sac que j'ai posé sur le banc de l'entrée en arrivant. Elle l'ouvre et pousse un soupir de désespoir.
"Qu'est ce que je t'ai déjà dis sur les jeans et l'eau salée Maud ? Tu ne retiens donc rien ?"
Je hausse les épaules et m'échappe en montant les escaliers deux à deux pour aller tomber lourdement sur mon lit. Face à moi se trouve la dernière photo que j'avais pris avec Dan, une heure avant sa disparition. Nous sommes tous les deux souriants, nos visages brunis par le soleil contrastant avec nos cheveux clairs. Nous nous étions pris en photo devant la côte juste avant qu'il aille surfer, j'aperçois d'ailleurs dans le fond un nageur qui profite du magnifique temps de cette journée.
Je prends le cadre dans mes petites mains tremblantes et mes doigts parcourent doucement la photo. Je soupire légèrement et repose le cadre sur le panier en osier qui me sert de table de chevet. Je me tourne vers le plafond fissuré de ma vieille maison. Seule la faible lumière émanant du salon éclaire ma chambre et mes yeux se ferment avec lenteur.
Le bruit de fond de la télé m'empêche de trouver le sommeil. Il est presque 2h quand je sors de mon lit pour me passer de l'eau sur le visage. Sur le chemin de la salle de bain j'aperçois ma mère endormie sur le canapé. J'éteins la télé et entreprend de fermer les volets pour ne pas qu'elle soit réveillée par le soleil le lendemain matin.
J'ouvre la fenêtre le plus silencieusement possible. Soudain, une ombre passe dans mon jardin. Mon cœur rate un battement et je me retiens de hurler. Je ferme rapidement les volets, ferme la fenêtre et colle mon dos contre celle-ci.
Mon cœur bat à toute allure. Je ferme les yeux un instant pour essayer de reprendre mon souffle, lorsque j'entends la poignée de porte se tourner.
Est-ce que j'ai fermé la porte en rentrant ? Non. Est-ce que ma mère l'a fermé ? Il ne me semble pas non plus. Nous avons perdu l'habitude. Il y a peu d'habitants à Helster Creek et jamais de situation comme celle là n'avait déjà eu lieu.
Je commence à paniquer en entendant la porte s'ouvrir. Quelqu'un essaye de rentrer chez moi. Quelqu'un est dans ma maison !
Il ne m'en faut pas plus pour réveiller ma mère qui dormait paisiblement et de l'informer de la situation.
"Maman, quelqu'un vient de rentrer dans la maison, chuchotais-je."
Elle n'a pas le temps de me répondre que des bruits de pas à travers le couloir de l'entrée puis dans les escaliers se font entendre. L'inconnu est dans ma chambre.
Mon corps entier tremble de peur. Ma mère le remarque et glisse mes mains dans les siennes. Elle me sourit comme pour me dire que tout va bien et porte son doigt sur ses lèvres pour que je garde le silence.
Il n'y a plus de bruit. L'inconnu sait qu'il y a quelqu'un dans la maison. Il m'a vu. Alors qu'est ce qu'il cherche ?
Après des minutes qui semblent interminables, les bruits de pas reprennent. L'inconnu descend les escaliers, traverse le couloir et s'arrête devant la porte. Des bruits étranges se font alors entendre, comme si il griffait la porte avec ses ongles. Puis d'un coup, la porte s'ouvre et se referme dans un claquement sourd.
Ma mère est la première à réagir. Elle court vers la porte pour la fermer lorsque je l'entend étouffer un cri. Je la rejoins d'un pas rapide et me fige devant la porte.
Les bruits de griffure n'étaient rien d'autre qu'une gravure.
"MAUD". Voilà ce qu'avait écrit sur ma porte la personne qui était entrée par effraction. Dire que je panique serait un euphémisme, je suis terrifiée. Un regard vers ma mère me permet de voir que je ne suis pas la seule.
Elle est assise sur le banc de l'entrée à côté de mon jean trempé qui semble désormais être notre dernier problème. Son visage est plongé dans ses mains et j'aperçois des larmes rouler le long de ses doigts.
Je pose un genou à terre pour me mettre à sa hauteur et cette fois ci, c'est moi qui glisse ses mains dans les miennes.
"Ça va aller maman, on va fermer le verrou et tous les volets et toutes les fenêtres. Personne ne reviendra nous faire peur comme ça.
- Il est venu pour te chercher..
- Non c'est juste un taré qui voulait nous faire peur et qui a réussi. Mais ça n'arrivera plus.
- Maud, tu ne comprends pas. Il vient te chercher, comme il est venu chercher ton frère un an plus tôt. Il veut te ramener là où tu appartiens."
Pendant une seconde je crois que j'ai arrêté de réfléchir. Dan a été kidnappé par ce type ? Me ramener là où j'appartiens ?
"Maman c'est le traumatisme de l'événement qui te fait dire n'importe quoi. Va te coucher, on en reparle demain.
- Non ! Comment pourrais-je dormir alors que je sais que tu n'es plus en sécurité ici ?
- C'est rien je te dis, répète-je en embrassant doucement ses mains.
- Maud, tu dois me promettre de ne pas l'approcher. Il sera prêt à tout pour te séduire et te corrompre. Promets moi de faire attention à toi !
- Je te le promets maman, maintenant s'il te plait repose toi."
Elle me sourit doucement et se décide enfin à monter les escaliers jusqu'à sa chambre.
"Maud, s'il te plait, dors avec moi ce soir."
Après un tel événement, je ne comptais pas dormir seule. J'enfile rapidement mon pyjama et la rejoins dans sa chambre. Je me glisse dans son lit et elle me serre fort dans ses bras. Un coup d'œil rapide au réveil m'indique que je n'ai plus que trois heures de sommeil. Le lendemain allait être difficile, mais la présence rassurante de ma mère me permet de m'endormir rapidement et de tout oublier le temps d'un instant.
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