𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟖
















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C  H  A  P  I  T  R  E    8

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tw — séquestration

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赤い糸

             LORSQU'ELLE OUVRIT ENFIN LES YEUX, quelques heures plus tard, chacun de ses muscles la tiraillaient atrocement. Et la luminosité extérieure, pourtant faible, lui brûla la rétine à un point tel qu'elle dut battre des paupières à plusieurs reprises pour parvenir à les garder ouvertes. Le réveil était loin d'être agréable, il lui arracha d'ailleurs un grognement de déplaisir.

             Son buste penchait vers l'avant, emporté par le sommeil. Mais ses jambes et poignets, étonnamment, restaient immobiles. Elle mit quelques secondes à réaliser — surtout grâce aux cliquetis mécanique qui retentit lorsqu'elle remua sur sa chaise clouée au sol — qu'elle était menottée au niveau des membres supérieurs et inférieurs. Ses bras avaient été ramenés derrière le dossier de son siège inconfortable tandis que ses mollets ne faisaient qu'un avec les pieds de ce même siège.

             Mais ses pensées n'étaient même pas focalisées là-dessus. Loin de là. A vrai dire, aucun songe précis ne traversait sa boîte crânienne. Pas d'interrogation sur l'endroit où se trouvait son mari. Point de pincement douloureux en se souvenant du rôle qu'elle avait joué dans cet attentat. Même pas d'affolement en constatant sa fâcheuse position.

             Non. Rien.

             Juste l'affreuse migraine qui irradiait son crâne, l'enfermant dans un heaume particulièrement épais et déplaisant. C'était la dernière fois qu'elle buvait. Elle en faisait le serment.

— Putain de merde, grommela-t-elle.

             Sa douleur était telle qu'elle mit quelques secondes avant de se décider à lever les yeux devant elle, observant l'endroit dans lequel elle se retrouvait. Et, une fois l'analyse de celui-ci fait, elle réalisa qu'elle allait sans doute avoir bien plus de problème qu'une gueule de bois.

             Oui.

             Beaucoup plus.

             A une dizaine de mètres d'elle, une porte blindée d'un gris métallique à faire froid dans le dos demeurait fermée, lui indiquant par son absence de serrure ou même de poignet que sortir d'ici ne serait pas chose facile. A partir de celle-ci s'étendaient des murs délabrés ou du papier peint semblait avoir été arraché, dévoilant des blocs de granit si endommagés qu'elle se demanda le temps d'un instant si l'immeuble allait tenir le coup.

             Aucune fenêtre n'éclairait les lieux, seulement des lampes à huiles posées çà et là. L'une d'entre elles trônait sur une table à droite de la pièce, à côté d'un pistolet et de divers objets de torture posés sur un tissu. A côté, une chaise semblable à la sienne en métal — mais non cloutée au sol — était négligemment posée. A sa gauche, faisant face à cette triste peinture, divers tuyaux de différentes tailles parcouraient le mur. Les canalisations.

             Ils étaient dans un sous-sol. Et, en observant rapidement les taches de sang maculant le sol poisseux sous ses pieds, elle n'eut aucun mal à comprendre qu'elle n'avait pas été la première personne trainée ici.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel !? lâcha-t-elle dans un sifflement paniqué, tirant brutalement et vainement sur ses menottes.

             Que s'était-il passé la veille ?

             Fermant les yeux, elle prit une profonde inspiration, tentant d'apaiser le mal qui pulsait dans ses tempes. Et, malgré l'effroi, essaya d'amasser certaines pièces du puzzle.

             Son anniversaire de mariage. La dispute avec Eren. Son départ de la maison. Son ivresse. Son agression. L'homme l'ayant sauvée. Une voiture noire. Ses doigts agiles sur le volant. Ses doigts agiles sur sa peau. Le contact du gant sur sa cuisse. La glace de ses iris. Le feu de ses lèvres. Son cœur battant à toute allure. La chaleur au creux de ses reins.

             Fulminant, elle contracta la mâchoire. Nettement, elle se souvenait d'un homme. Plutôt bien dessiné, la trentaine, tout en intensité. Des cheveux noirs comme la nuit, une bouche rouge comme le désir, des iris froides comme le givre. Intensité.

             Et, surtout, dangerosité.

             Quelque chose n'allait pas. Elle le sentait, elle avait oublié un élément important sur cet homme. Au cours de leur conversation, tandis que sa voix vrombissante et mélodieuse la saisissait, une information capitale lui était parvenue.

             Un indice sur l'identité de cet homme aux allures de corbeaux. Un élément précis responsable aujourd'hui de l'état dans lequel elle se trouvait. Ses mains liées, son cœur battant et, surtout, sa ferme conviction que ce qu'il se passait était encore plus grave que ce qu'elle pouvait bien imaginer.

             D'ailleurs, qu'imaginait-elle ?

             Etant donné le milieu qu'elle fréquentait, l'idée qu'elle ait été kidnappée pour ce que représentait le nom Jäger placé derrière son faux prénom la titillait. Mais, quelque part au fond d'elle, ce même indice qu'elle avait oublié sur cet homme si mystérieux lui murmurait que non.

             Tout cela n'avait rien à voir avec son mari. Du moins, pas encore.

— Réveillée ? retentit une voix dans la pénombre, la tirant de ses pensées.

             Aussitôt, elle se redressa. Ce ton chaleureux et quelque peu joueur, elle le connaissait. Elle avait déjà entendu cette personne, elle en était convaincue. Mais qui était-ce ?

             Il ne lui fallut que quelques instants pour avoir une réponse à sa question. Derrière la table de métal, assis sur une chaise qu'elle n'avait pas vu jusque à présent, un visage se détacha de l'ombre du fond de la salle pour entrer dans la lumière jaunâtre des lampes à huiles. Une peau claire, des yeux bleus, un visage allongé et des cheveux châtains coiffés de façon négligée.

             Putain de bordel de merde, c'est pas vrai, songea-t-elle en écarquillant les yeux, réalisant ce que signifiait la présence de cet homme.

             Le Palace. C'était là qu'elle avait vu cet homme. La dernière fois qu'elle y était allée. Elle avait même braqué une arme sur sa poitrine.

             Et cela signifiait donc qu'elle était prisonnière des Ackerman.

             Son cœur rata un battement à cette pensée. Et une autre lui vint. Ou plutôt, un écho de la soirée de la veille résonna dans son crâne en une douce voix particulièrement vibrante.

« Je suis Livai Ackerman. »

             Une vague de sueurs froides inonda ses vêtements peu couvrants. Elle tremblait. Là était le détail qu'elle avait oublié. Cet homme tout en intensité, ces yeux glacés, ces lèvres ardentes, ces cheveux faits de ténèbres et ces mains si lumineuses...

             Elle avait rencontré le démon du clan ennemi au sien.

             Livai Ackerman.

             Le châtain se leva de sa chaise, exécutant quelques pas pour contourner la table avant d'appuyer son dos sur elle, croisant ses bras à hauteur de sa poitrine et dardant ses yeux glacés sur son otage. D'un geste songeur, il pinça ses lèvres. Il peinait à croire ce qu'il voyait.

             Mythes et légendes circulaient sur la Rose Noire. De grandes histoires terrorisant les enfants de grands bandits à celles faisant pâlir d'envie ces mêmes bandits. L'anonymat et la célébrité, l'argent et la réputation, le talent et la discrétion, ces gens-là avaient tout.

             Les plus renseignés ne savaient d'eux que leur nombre : dix pétales pour dix mercenaires. Les moins renseignés se laissaient avoir par les contes absurdes se murmurant à ce sujet. Et même lui, ayant pourtant passé ces dernières nuits à éplucher les dossiers des Ackerman sur ce groupe, demeurait intimider par eux.

             Alors, voyant cette femme tremblante sur une chaise de métal, entendant sa respiration sifflante résonner dans cette pièce à mesure qu'elle regardait partout autour d'elle, apeurée, il se dit que la déception était grande. Ce petit bout de fillette terrorisée, était-ce vraiment elle, le plus grand tireur d'élite que le monde connaissait ?

             Fronçant les sourcils, il pencha la tête sur le côté, les yeux plissés. (T/P) (T/N), cinquième lieutenant de la Rose Noire, visage caché derrière le plus long tir du monde effectué en Afghanistan, l'un des membres les plus efficaces de cette organisation, considérée comme une menace internationale par Interpole et en haut de nombreuses listes de gens à abattre que se partageaient des services pourtant hostiles les uns aux autres comme le MI5, la DGSE, le Mossad et la CIA.

             Cette femme-là était-elle réellement celle se trouvant sous yeux ? Il soupira. Putain, quelle rose noire..., songea-t-il intérieurement en haussant les sourcils.

— Mon nom est Farlan Church et je m'occuperais de vous pour la durée de votre séjour, annonça-t-il d'une voix bien trop professionnelle pour ne pas être teintée de moquerie.

— La ferme, rétorqua-t-elle aussitôt, très peu friande de son air hautain.

             Elle était assise. Il était debout. Elle était enchainée. Il avait les mains libres. Elle était blessée. Il était en parfaite santé. Elle n'allait tout de même pas lui donner en plus la satisfaction de la voir trembler de terreur silencieusement devant ses mots.

             Il esquissa un rictus. Au moins, même si les légendes sur son agressivité étaient fausses, il pouvait constater que tous disaient vrai sur son caractère de cochon. Une vraie teigne, songea-t-il.

— Tu es ici sous la... direction du clan Ackerman, expliqua-t-il. Un ordre spécial a été prononcé par l'un des plus importants lieutenants de cet...

— Je t'ai dit de te taire, gronda-t-elle, sa boîte crânienne la cuisant atrocement. Ou apporte-moi un médicament contre ce mal de tête.

             Il laissa échapper un faible gloussement sincèrement amusé.

— Tu penses vraiment être en position de négocier ? demanda-t-il en décroisant les bras pour les poser sur la table derrière lui, prenant une position plus décontractée.

— Bien sûr que oui, rétorqua-t-elle sèchement.

             Il se redressa légèrement, quelque peu surpris.

— Si je n'avais rien à vous apporter, je serais déjà dix pieds sous terre. Alors si tu veux tes informations...

             Elle le balaya de la tête aux pieds, prenant grand soin d'exprimer toute sa condescendance au travers de ce regard. Et, malgré sa colère contre Grisha, elle fut ravie d'avoir pu apprendre à ses côtés cette leçon qui lui rendait aujourd'hui grand service.

             A savoir que coincé dans la pire des situations, il n'existait pas plus stupide erreur que de laisser croire à son ennemi qu'on avait perdu pied.

             Il fallait qu'il la pense sereine. Malgré ses chaines, ses spasmes dus au froid — et non à la peur —, ses blessures et sa fâcheuse position, elle devait demeurer aux yeux des autres la pétasse hautaine que nul n'atteignait.

             Car cette fille-là, il n'arriverait pas à l'intimider.

— ...tu vas abandonner ton air rebelle, mon garçon, et m'apporter ce que je demande.

             Il la fixa d'un œil insistant, un peu surpris par ses paroles, mais aussi rassuré. Finalement, peut-être n'était-elle pas si éloignée de sa réputation.

             Il fit le choix d'ignorer les mots qu'elle avait prononcé et s'éclaircit simplement la gorge. Ses ordres étaient clairs : il devait mettre cartes sur table avec cette jeune femme avant que les choses sérieuses ne commencent.

— Tu vas devoir répondre à certaines questions sur ton passé et la raison pour lesquelles tu es là aujourd'hui, expliqua-t-il. Je te conseille d'être honnête, qu'importe ton mariage avec Eren. Car même lui ne viendra pas te chercher ici. En revanche, notre chef peut se montrer clément.

             Elle esquissa un sourire mauvais en entendant ces paroles.

— Je n'ai pas besoin qu'Eren vienne me chercher, mon garçon, cingla-t-elle. Je sais me débrouiller toute seule.

— Oh oui, tu as raison, c'est incroyablement visible, railla-t-il en réponse, ses yeux allant se bloquer sur les menottes à ses mollets. Une vraie héroïne.

— Dixit le petit être qui se tient à cinq mètres de moi alors que je suis enchaînée, cracha-t-elle hargneusement, se redressant quelque peu sur son siège.

             Il ne put cacher le spasme qui parcourut son visage lorsqu'elle se laissa aller en arrière contre le dossier, levant le menton en sa direction d'un geste fier. Un rictus étira ses lèvres entaillées.

             Elle laissa un gloussement court secouer sa poitrine.

— Quoi ? Tu pensais que je ne l'avais pas remarqué ? demanda-t-elle.

             Il se redressa sur ses deux pieds, abandonnant sa posture décontractée pour se tenir droit. Il tentait de reprendre un peu de contenance, en vain. Malgré lui, la pensée de se retrouver dans la même pièce qu'une femme à la légendaire renommée l'avait poussé à émettre quelques réserves.

             Et, du point de vue de cette personne dont l'amnésie l'empêchait de comprendre l'impact de son simple grade, ce genre de précautions ne passaient que pour de la couardise. Alors le regarder la menacer et la railler l'agaçait légèrement. Ou peut-être cela l'amusait-elle ? Peu importe.

             Elle n'allait sûrement pas courber l'échine devant quelqu'un effrayé par une personne blessée et attachée.

             Leur conversation fut de toute façon interrompue par le bruit sec de la porte coupe-feu s'ouvrant. Aussitôt, ils se tournèrent vers elle, découvrant la silhouette fine et musclée d'un homme dans son encadrement.

             Elle sentit son cœur rater un battement dans sa poitrine et toute sa condescendance s'envola brutalement.

             Tels des champs d'ombres, ses cheveux noirs avaient été ramenés en arrière, ne laissant que quelques mèches menues tomber en cascade sur son front de porcelaine. Ce dernier se finissait au niveau de ses sourcils aiguisés semblables à des lames qui affutaient son regard aux iris glacés.

             Celui-ci la fit d'ailleurs frissonner. Des volutes argentées roulaient, s'emmêlant à des tâches bleutées pour former une délicate peinture. Pourtant, pressées là, à côté de cette pupille ronde, elles laissaient voir un contraste trahissant un danger présent. Délicatesse et danger habitaient ensemble dans ces yeux acérés. Que de paradoxes.

             Comme l'étrange chaleur émanant de lui alors qu'il se montrait si glaciale. Mais cette chaleur n'avait rien de réconfortant. Non.

             Elle était étouffante.

             A un point tel qu'elle eut du mal à respirer, ses yeux se contentant d'affronter en silence ceux de l'homme la dévisageant. Tout comme elle, dès l'instant où il avait ouvert la porte, entrouvrant ses délicates lèvres, son regard s'était posé sur cette femme et ne l'avait point quittée.

             Galatée Jäger. (T/P) (T/N). La femme d'un personnage influent. La mercenaire figurant parmi les plus craints. Une formidable monnaie d'échange. Une arme qui pourrait leur éclater au visage.

             Tant de choses. Un seul visage.

             Le cinquième pétale de la Rose Noire. Le plus dur à approcher. Le seul qu'il n'avait jamais rencontré. La dernière à avoir donné signe de vie, il y a deux ans. Le soldat qui avait mené leur ultime mission à bien. La possible meurtrière s'en étant pris à deux des leurs.

             Elle était là, juste devant lui. Semblable à tous et nul à la fois.

— Laisse-nous.

             Son ton fut ferme. Sa voix, froide.

             Sans poser la moindre question, Farlan acquiesça avant de saisir son arme sur la table de métal, rejoignant la porte que Livai maintenait ouverte en frôlant ce dernier. Il s'autorisa un regard en direction de son supérieur et ami lorsqu'il s'engagea dans le couloir extérieur. Et ce qu'il vit le saisit quelque peu.

             La très délicate et imperceptible teinte rosée qu'avaient prises ses joues, le gonflement léger de ses lèvres, la dilatation brutale de ses pupilles. Il pouvait le dire, cette femme l'intéressait, suscitait son étonnement et son intérêt. Plus que n'importe quoi.

             Farlan déglutit péniblement. La théorie d'Isabel est juste, Livai n'est pas juste un criminel intrigué par la Rose Noire comme tous les autres... Il eut une pensée pour la façon qu'avait la mâchoire du noiraud de se contracter quand on évoquait ce groupe, la fermeté avec laquelle il réagissait lorsqu'un tiers osait les qualifier de terroristes et, surtout, le nombre de papiers sur eux que le châtain avait lu au cours des dernières nuits et qui avaient été annotés de l'écriture de Livai, signe qu'il les avait longuement analysés.

             ...quelque chose de personnel les lie, conclut-il en sortant, laissant le caporal fermer la porte coupe-feu derrière lui.

             Dans la pièce qu'il venait d'abandonner, l'atmosphère s'était dangereusement épaissie. Assise sur sa chaise, elle le dévisageait. Debout devant l'entrée, il faisait de même. La température avait grimpé en flèche, ils respiraient difficilement.

             Mais rien ne le laissait voir tant ils demeuraient fermes dans leur expression.

             De longues secondes s'écoulèrent. Elle savait qu'il ne serait pas venu s'il n'avait rien à lui demander. Elle, de son côté, n'avait aucune demande à faire. Alors si une conversation devait être entamée, il serait celui ouvrant la bouche en premier.

             Et il dut le comprendre car, après un certain moment, il brisa enfin leur contact visuel. Pas dans un geste intimidé, plutôt dans un mouvement désintéressé. Et son attention alla d'ailleurs se focaliser sur le calepin qu'il tenait dans la main droite et qu'elle n'avait, jusque-là, pas relevé — bien trop concentrée sur son visage si précis.

             Ses iris glacées parcoururent quelques lignes avec attention. Puis, relevant seulement les yeux vers elle, les plantant sur son visage encore parsemé de blessures et sang, il demanda simplement, détaillant avec minutie sa réaction :

— Qui est (T/P) (T/N) ?

— Je n'en sais rien, répondit-elle aussitôt.

             Il réfléchit un instant. Elle avait rétorqué vite mais ne semblait pas mentir. Pourtant, si elle était réellement l'auteur des meurtres survenus sur son territoire — là était la raison pour laquelle elle avait été emmenée ici — il y avait de grandes chances pour que cette histoire d'amnésie ne soit que sornettes.

             Il ne bougea pas de sa position, gardant quelques mètres entre eux. Pourtant, contrairement à Farlan, elle ne décela aucune crainte dans ce comportement. De son aura brûlante à son regard glacé en passant par sa posture ferme et droite, tout en lui criait qu'il ne la craignait point.

             Et, même si elle savait qu'il s'agissait de Livai Ackerman et que cela était tout à fait logique, son égo en fut tout de même légèrement froissé.

— Vous êtes-vous déjà servie de vos épingles meurtrières ? poursuivit-il en continuant de la fixer avec intensité.

— Oui.

— Comment ?

— J'ai planté la main d'un de vos connards, cingla-t-elle en affrontant ses iris.

— Quand ?

— Il y a un an.

— Où ?

— Au Palace.

— Pourquoi ?

— Il m'avait saisie par la hanche.

— Qu'a dit Dan ?

— Il m'a servi à boire.

             Leur dialogue se faisait rapide, ils ne semblaient même pas donner l'impression de prendre le temps de respirer.

             Pour cause, il ne voulait pas lui laisser le temps de mentir.

— Quelles étaient vos relations avec Dan ?

— Un ami.

— Quelles sont vos relations avec Eren Jäger ?

— C'est mon mari.

— Vous vous entendez bien ?

— On ne peut mieux.

             Il s'arrêta un instant. Un rictus faillit déformer ses lèvres. Elle mentait.

             Il fit semblant de ne pas l'avoir vu.

— Au point de tuer des gens ensemble ?

— Au point de vous tuer ensemble.

— Pourquoi avoir quitté sa maison le jour de votre anniversaire de mariage ?

— Pourquoi avoir espionné un couple qui ne vous a rien demandé ?

— Qu'est-ce qui pourrait pousser un homme à mettre sa femme à la porte en une si belle soirée ?

— Qu'est-ce qui pourrait pousser une femme à vous briser la clavicule avec les dents, rétorqua-t-elle en montrant les siennes, plus qu'agacée par la tournure bien trop personnelle que prenait la conversation.

— Vous êtes si splendide et impressionnante, lors de vos apparitions publiques, Galatée est appréciée de tous... Alors je suppose que le problème vient de celle que vous étiez avant...

             Elle contracta la mâchoire. Il savait. Elle ne savait comment il avait fait, mais il savait qu'elle était responsable de cet attentat.

— Je vous emmerde, cracha-t-elle, ses poignets commençant à lutter contre les menottes.

             Il s'arrêta un instant, dardant son intense regard sur elle. Il ne semblait pas en colère. Mais son expression était si impassible qu'elle était convaincue que, même s'il avait été enragé, elle n'en aurait rien vu.

             Après un court instant, il fit quelque pas en direction de la table de métal. Là, il y déposa son calepin d'un geste nonchalant avant de saisir la chaise de métal posée à côté. Puis, son dossier dans la main, il la plaça juste devant la jeune femme, à un mètre à peine d'elle.

             S'asseyant sur le siège, il posa ses bras sur le dossier devant son torse, continuant de la dévisager avec ardeur. Et elle sentit une vague de chaleur l'envahir en constatant leur proximité.

             Soit, encore un pas les séparait. Mais la vitesse avec laquelle il venait de réduire la distance entre eux la gênait. Surtout depuis qu'il dardait si fermement ses iris dans les siennes, les accrochant avec une ardeur telle qu'elle ne songea même pas à tourner la tête pour fuir son regard.

             Et, sans préambule, il annonça d'une voix grondante :

— Votre nom est (T/P) (T/N), membre du groupe de mercenaire francophone la Rose Noire. Votre grade était celui de cinquième lieutenant, le tireur d'élite de cette équipe. A l'heure actuelle, trois mandats d'arrêt international ont été émis à votre encontre ainsi que six sur le territoire français, deux en Suisse, un aux Etats-Unis et trois en Algérie. Il y a trois ans, vous et les autres lieutenants ont posé pieds à Los Angeles. Au cours de cette année, vous tous avez disparu un à un jusqu'à vous-même qui avait au moins eu le mérite de vous en aller en beauté.

             Il marqua une brève pause.

— Puisque vous avez su illuminer nos regards des flammes de la bombe posée par votre collègue et amie, le premier lieutenant.

             De ses yeux écarquillés, elle le fixa, ne sachant trop quoi répondre. Trop d'informations, trop soudainement. Comment ça, membre d'un groupe mercenaire ? Et quel était ce nom, censé être le sien ? Combien de mandats avaient été émis à son encontre ? Disait-il seulement la vérité ou prétendait-il le faire ?

             Mais, malgré elle, sa seule réaction fut de s'en remettre à la lueur d'espoir qu'elle avait ressenti en entendant cette dernière phrase.

— Je ne suis pas celle... qui a posé la bombe ?

             Il haussa quelque peu les sourcils. Il ne lui avait annoncé tout cela d'une traite que pour voir sa réaction, essayez de s'assurer qu'elle était réellement amnésique et ne mentait pas. Et, observant cette réaction des plus naturelles, il se dit qu'il avait soit affaire à une formidable actrice, soit à une sincère femme déroutée.

             Mais il ne devait pas s'arrêter à ce genre d'idées. Ces mercenaires étaient de vils menteurs. Il les avait assez étudiés pour le savoir.

             Seulement il doutait sérieusement face à la lueur d'espoir illuminant ses yeux profonds. Et, se souvenant de sa propre réaction la première fois qu'il avait tué quelqu'un, il se dit que ce genre d'espoir ne se feignait pas.

             Mais qu'importe. Elle en avait de toute façon occis d'autres. Et elle ne pourrait pas fuir cela à chaque fois.

— Vous teniez le détonateur, rétorqua-t-il simplement.

— Je suis sûre que je ne l'aurais pas lâché si ce sniper ne m'avait pas tiré dessus ! se défendit-elle immédiatement.

             Il tilta à ces mots.

— Un sniper ? répéta-t-il, visiblement surpris. Sur ce site, il ne peut pas en avoir.

— Il y en avait pourtant un, répondit-elle avec un certain agacement, ne voulant pas laisser filer la possibilité de se dédouaner de son acte aussi facilement.

— Si vous dites vrai, cela signifierait qu'il se situait à une assez grande distance, au moins huit-cents mètres, dans les gratte-ciels, réfléchit-il à haute voix. Il aurait été trop exposé, sinon...

— Et alors ? cingla-t-elle.

— Un tir aussi long, ça ne nous laisse pas beaucoup de candidats...

             Il laissa sa phrase se perdre dans l'air, un air songeur gravé sur son visage. Il semblait réfléchir intensément à ce qu'il venait de découvrir. Et, lorsqu'elle le vit soudain se lever en toute hâte, abandonnant la chaise derrière lui et rejoignant la porte blindée, elle ne put faire autrement que de s'agiter violemment sur sa chaise.

             Il savait quelque chose. Elle en avait la certitude.

— Qui est-ce !? hurla-t-elle. Vous pensez à quelqu'un alors dites-moi qui est cette ordure ! Qui m'a tirée dessus !? Je sais que vous le savez !

             Toquant à la porte deux fois, il attendit patiemment que quelqu'un lui ouvre de l'autre côté. Elle ne pouvait pas s'ouvrir de l'intérieur. Quelques secondes s'écoulèrent dans un silence complet et elle crut bien qu'il allait la laisser sans réponse.

             Mais, lorsque le couloir s'offrit bientôt à eux, Farlan ayant répondu et exécuté la requête de son supérieur, il se tourna enfin vers elle. Ou plutôt, dos à elle, il orienta sa tête vers la droite, ne la regardant même pas.

             Et, avant de s'en aller comme il était venu, il déclara simplement :

— (T/P) (T/N) est le meilleur tireur d'élite au monde, le numéro un.

             Il marqua une brève pause, savourant ce moment.

— Le deuxième est Eren Jäger.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 














— Madame et monsieur arriveront demain à Los Angeles pour s'entretenir de la situation de la Rose Noire, annonça la voix de Farlan tandis qu'ils progressaient dans les sous-sols du Palace.

             La tête haute, Livai avançait parmi les couloirs délabrés à l'humidité étouffante. Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis qu'il avait laissé sa prisonnière dans sa cellule et, après quelques réunions et apparitions publiques exigées — pour la crédibilité de sa couverture en tant qu'honnête gérant d'un club — il avait fait le choix de retourner auprès de la jeune femme.

             Quelques questions demeuraient. Soit, il avait tendance à penser qu'elle ne mentait pas sur son amnésie et, même s'il trouvait quelque part réconfort dans cette idée, il n'appréciait pas non plus celle de n'avoir aucune théorie sur l'identité du tueur en série s'en prenant à la Rose Noire.

             Plusieurs suppositions avaient été échangées entre Isabel, Farlan, Erwin et Hanji. Certains pensaient qu'elle mentait sur sa mémoire, d'autres qu'elle disait vrai mais était quand même l'auteur des meurtres. Ils s'imaginaient que, dans des éclairs de lucidité ou, au contraire, de démence — selon le point de vue — elle se souvenait de son passé et traquait ses collègues pour les abattre.

             Seul lui commençait à sérieusement donner du crédit à l'idée qu'elle ne soit qu'une victime parmi les autres.

             Mais cela ne lui plaisait pas non plus forcément. Car, si elle était réellement étrangère à ces meurtres, elle ne pouvait plus rien leur apporter. Et il connaissait assez son propre clan pour deviner où finissaient les personnes qui en savaient trop mais ne leur étaient d'aucune utilité.

             Derrière lui, Isabel et Farlan lui suivaient silencieusement. La veille, Hanji avait fait préparer la planque dans laquelle ils avaient prévu d'installer leur invité. Mais, d'ici là, ils espéraient bien lui soutirer le plus d'informations possibles.

             Il était hors de question qu'il se présente, bredouille, devant ses supérieurs.

— Si je résume bien, on a une kamikaze qui ne se souvient pas d'être kamikaze mais est aussi une tueuse en série qui ne se souvient pas d'être tueuse en série ? demanda Farlan tandis que les quelques gardes surveillant d'autres cellules acquiesçaient poliment sur leur passage. Je suis pas sûr de vouloir être présent demain pour notre belle rencontre.

— La rencontre sera après-demain, corrigea Isabel. Mais, de toute façon je suis d'accord. Kuchel avait placé énormément d'espoir en ses dix lieutenants. Comment elle réagira en se rendant compte que l'une des seules encore en vie est amnésique ? Qu'elle ne se souvient ni d'avoir été membre de la Rose Noire, ni du fait que la Rose Noire travaillait pour Kuchel ?

             La jeune femme regretta ses paroles dès lors qu'elle vit soudain l'homme devant elle s'arrêter brutalement. Mal à l'aise, elle déglutit péniblement en réalisant qu'elle en avait trop dit. Même s'il était habitué à ses logorrhées, la situation ne le rendait pas tendre.

             Alors il n'allait sûrement pas laisser ses deux bras droits continuer à discuter de cette affaire sensible à si hautes voix, d'autant plus pour rappeler à quel point lui-même avait merdé.

             Farlan et elle échangèrent un regard avant de déglutir péniblement. A l'arrêt, le noiraud semblait tenter de reprendre une certaine contenance. Il bouillonnait intérieurement depuis plusieurs heures. Tant de questions et aucune réponse. Il avait merdé.

             Cette affaire était bien trop mêlée au clan Ackerman et il n'agissait même pas en lieutenant digne de ce nom. L'amnésie de cette femme, sa participation à l'attentat, le serpent, les meurtres en série, son rôle dedans... Kuchel et Kenny Ackerman allaient attendre bien des explications.

             Explications qu'il n'avait pas.

— La Rose Noire a cessé de travailler pour Kuchel le jour où ils ont posé pied à Los Angeles, répondit-il simplement.

             Les deux autres n'osèrent répondre quoi que ce soit et se contentèrent d'imiter Livai lorsqu'il se remit en route, achevant leur traversée du long souterrain. Ils avaient encore quelques heures pour interroger cette femme avant de devoir l'amener dans un lieu plus agréable.

             Il pourrait tenter d'obtenir une information. N'importe quoi. De la raison pour laquelle ils avaient décidé de trahir Kuchel en faisant exploser cette bombe à celle expliquant les meurtres des anciens membres de la Rose Noire en passant par la vérité sur l'amnésie du cinquième lieutenant.

            Il devait obtenir au moins un élément pour faire face à ses chefs et aux autres lieutenants.

— On a un problème.

             Le tirant de ses pensées, la voix de Farlan résonna au moment où ils arrivaient devant la cellule. Et, jetant un œil à la porte blindée de celle-ci, il comprit aussitôt ce qu'il voulait dire.

             Il n'y avait plus de gardes devant la cage. Or, étant donné que cette pièce ne s'ouvrait que de l'extérieur, il devait toujours y avoir quelqu'un devant pour délivrer les personnes à l'intérieur.

             Quelque chose s'était passé, il le devinait.

— Ouvre, ordonna-t-il simplement, saisissant machinalement l'arme rangée à sa ceinture.

            Isabel obtempéra. Et, tandis que Farlan et Livai ôtaient le cran de sureté de leurs pistolets, elle poussa sur la porte, dévoilant une pièce sombre très faiblement illuminée par les lampes à huile posées çà et là.

             Mais ils n'eurent besoin de beaucoup de lumière pour constater que, enchainé à la chaise cloutée au sol, Floch — qui était chargé de la surveillance de leur otage — avait pris la place de celle-ci. Et, à ses pieds, le corps des deux mastodontes qui auraient dû se trouver devant la cellule gisaient, inconscients.

             Livai ne laissa rien voir de ce qu'il pensait de cette scène, contrairement à Isabel qui poussa quelques onomatopées abasourdis et Farlan qui écarquilla les yeux.

— Est-ce que c'est bien ce que je crois !? s'exclama-t-elle en regardant le trio endormis.

— Est-ce qu'une femme au foyer en talons aiguille avec une gueule de bois a réellement maitrisé trois mecs et s'est cassée du Palace ? ajouta-t-il, ahuri.

             Livai ne rétorqua point, se contenta d'humer l'air d'un air concentré. Il pouvait presque retracer les gestes qu'elle avait effectué.

             Peut-être était-elle amnésique, mais certains de ses réflexes étaient, de toute évidence, restés intacts.

— Putain Galatée Jäger est incroyable ! siffla Farlan en profitant du fait qu'Isabel gardait la porte ouverte pour entrer dans le lieu et examiner la scène de plus près.

             Elle avait fait tout ça. Seule.

— On pourra peut-être retrouver sa trace en trouvant l'endroit où elle se sera débarrassée de ses escarpins, expliqua la rousse. Le Palace est immense mais, en fonction d'où seront les chaussures, on saura quelle sortie elle a pris.

             Le châtain acquiesça. Jamais quiconque n'aurait fui en gardant les échasses qu'elle avait aux pieds. Elles l'auraient trop ralentie. Elle avait dû s'en débarrasser quelque part.

             Mais, le noiraud, pour sa part, n'en était pas convaincu.

— Laissez tomber, elle aura gardé ses escarpins et peut-être même fait une pause pour retoucher son maquillage, les arrêta-t-il d'une voix impassible, fixant les menottes refermées sur les poignets de Floch.

— Et pourquoi cela ? demanda le châtain.

             Livai ne répondit pas tout de suite, penchant la tête sur le côté.

— Parce que Galatée Jäger n'a rien à voir là-dedans. La gentille épouse d'Eren n'aurait pas été capable de faire un truc pareil.

             Fronçant les sourcils, Isabel et Farlan s'échangèrent un regard étonné. Qu'entendait-il par-là ? Qui d'autre à part elle aurait pu immobilisé, désarmés et plongés dans l'inconscience trois hommes entrainés ?

             Il s'expliqua en quatre simples mots :

— (T/P) (T/N) est revenue.

赤い糸



















𓉣

encore rien relu
on change pas une
équipe qui gagne

𓉣







































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