𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔
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C H A P I T R E 6
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tw — menace de viol
赤い糸
赤い糸
— Je sais ce que j'ai fait, ce soir-là.
Les mots de la jeune femme claquèrent dans le silence de la pièce, épaississant une atmosphère déjà dense. A l'instant même où elle les prononça, laissant filer cette mélodie tremblante entre ses lèvres, elle comprit son erreur. Elle réalisa à quel point elle venait de fauter.
Là, assise sur le plan de travail froid en marbre noir, ses bras la soutenant tandis que ses jambes chaussées d'escarpins noirs pendaient dans le vide, elle fut frappée d'un éclair de désarrois. Et celui-ci revint en intensité lorsque, écarquillant les yeux, elle vit soudain son époux reculer d'un pas, s'écartant d'elle pour se poser contre l'ilot central dans un geste défensif.
Et la distance apparue entre leurs corps lui sembla soudain être un pont infranchissable. D'autant plus lorsqu'elle remarqua la lueur de crainte dans ses iris émeraudes.
Elle s'était très mal exprimée.
— T... Tu n'es pas amnésique ? demanda-t-il, se raidissant.
Ouvrant la bouche de stupeur, elle sauta sur ses talons afin de se rapprocher de son époux, abasourdie. Mais, remarquant la paume qu'il venait de lui montrer afin de lui intimer de s'arrêter dans son geste, elle se ravisa.
— Si ! B... bien sûr que si ! s'alarma-t-elle, ne voulant lui laisser croire qu'elle lui avait menti. J'étais et je suis encore amnésique !
— Alors comment as-tu su ? demanda-t-il.
Son ton n'était pas accusateur, seulement méfiant. Et elle le comprenait. Il ne pouvait pas prendre le risque de croire aveuglément qu'elle disait vrai. Car, s'il s'avérait qu'elle mentait et n'avait rien oublié durant ces deux années, cela voudrait dire qu'elle n'avait cessé d'être la femme d'antan, la poseuse de bombe.
Et que, si elle lui avait menti durant tout ce temps, prétendant avoir perdu la mémoire, qu'elle avait un objectif clair en tête et des intentions cachées.
— J... Ton carnet et le détonateur..., commença-t-elle maladroitement.
— Pardon ? réagit-il immédiatement, un éclair de fureur traversant ses prunelles. Tu as fouillé !?
Se raidissant, elle ne songea pas une seconde à évoquer Sieg. Non. Elle était abasourdie qu'il se permette de lui faire une remarque sur sa vie privée.
— Tu te fous de moi !? s'indigna-t-elle. Je ne suis censée avoir aucun secret pour toi et tu...
— Je n'ai jamais fouillé dans tes affaires ! s'insurgea-t-il en entendant sa réponse. Et tu sais très bien que j'entendais par cette phrase que tu pouvais te confier à moi et pas que tu devais le faire !
— Ça t'arrange bien de dire ça ! rugit-elle s'écartant du plan de travail pour marcher, sentant la colère monter.
— Je n'ai jamais exigé que tu me confies tout sur ta vie, et tu le sais ! Tes soirées au bar, tes nuits chez tes amies, tes journées, tu as toujours pu me cacher ce que tu voulais parce que je trouvais ça normal de te laisser avoir une vie en dehors de moi alors n'essaye pas de me faire passer pour ce que je ne suis pas ! Quand je t'ai dit de te confier à moi, je parlais de confier ta douleur, n'essaye pas de faire passer cet acte innocent pour de la jalousie maladive ! tonna-t-il en se mettant à effectuer quelques pas à son tour pour se calmer. Et jamais je n'ai fouillé tes affaires ! Parce que je te faisais confiance !
— Parce que je n'ai rien à cacher, contrairement à toi, apparemment ! hurla-telle en le pointant rageusement du doigt.
Il se plaça à l'opposé d'elle, l'îlot central noir nettoyé entre eux.
— Ne compare pas nos deux situations ! s'insurgea-t-il, ses yeux semblant sur le point de sortir de ses orbites tant il était furieux.
— Tu m'as caché une partie de mon passé !
— Parce que tu étais une putain de terroriste et visiblement, puisque tu as forcé l'accès au coffre-fort de mon entreprise, tu l'es encore ! hurla-t-il.
Ce cri s'abattit comme une claque sur la joue de la jeune femme.
Saisie, elle ne sut quoi répondre. Sa bouche s'ouvrit et ses yeux s'écarquillèrent mais elle ne rétorqua rien pendant un moment, se contentant de regarder les iris traversées de douleur de son compagnon. Il se sentait trahi.
Elle resta en suspend durant quelques instants. Comment ça, elle avait forcé l'accès au coffre-fort de l'entreprise Jäger ?
— Q... Quoi ? balbutia-t-elle au bout d'un long moment, sentant sa colère retomber.
— Ne fais pas l'innocente, soupira-t-il d'une voix toujours aussi agacée mais moins sonore que tantôt. La boîte contenant ce carnet et le détonateur se trouve dans le coffre-fort de l'entreprise, celui-là même qui contient les plans pour nos futures armes et les informations classées secret-défense de nos clients ! Informations qui ont d'ailleurs disparu, elles aussi, mais je suppose que je ne t'apprends rien !
Elle se raidit, frappée de stupeur. Réalisant de quoi la situation avait l'air, elle ne sut quoi rétorquer.
Elle, ancienne terroriste, était en possession de deux objets provenant d'un endroit où se trouvaient aussi des données capables de mettre en danger plusieurs états et renverser des gouvernements. Quelque chose de rêver pour un terroriste. D'autant plus que ces données avaient été volées.
Alors, maintenant qu'il avait une raison valable de douter de son amnésie — à savoir qu'elle venait de lui admettre elle-même connaitre la vérité sur l'explosion — , comment ne pas croire qu'elle l'avait bernée durant deux ans pour s'approcher de lui dans l'espoir de lui voler des informations secret défense ?
Elle trembla.
— Et dire que Sieg est venu me voir pour me dire que plusieurs employés t'avaient vu entrer dans le sous-sol le soir de la disparition de ces documents et que j'ai préféré dire qu'ils mentaient et te croire sincère sans rien vérifier, s'exclama-t-il en levant les yeux au ciel pour se maudire. J'ai été si stupide !
Elle se raidit. Sieg avait dit quoi ?
Elle déglutit péniblement. La réalité, au travers des propos de son époux, venait de la frapper de plein fouet.
Elle comprenait, maintenant. Jamais son beau-frère ne l'avait appréciée. Durant deux ans, il n'avait cessé d'essayer de les pousser au divorce, prétextant qu'il ne voulait que mettre un terme à une relation toxique. Et, lui passant deux objets sous couvert de vouloir l'aider à trouver la mémoire, il lui avait en fait conférer les preuves de sa propre culpabilité.
Il l'avait piégée.
— Et dire que père m'a averti qu'il pensait que tu mentais sur ton amnésie, que durant vos disputes tu évoquais des choses bien trop précises pour ne pas mentir.
Elle vit une larme couler le long de sa joue. Son cœur se serra dans sa poitrine. Il se sentait trahi. Trahi de l'avoir défendue durant deux ans à chaque fois que sa loyauté était mise en doute et de découvrir que ses proches avaient finalement raison.
— MAIS ILS AVAIENT RAISON ! explosa-t-il finalement, son teint virant au cramoisi tandis que d'innombrables larmes roulaient sur sa joue.
Grisha mentait. Jamais elle n'avait discuté d'autres choses que de robes courtes et maquillage trop chargé avec lui. Sieg aussi. Car ses pieds n'avaient jamais pénétré le sous-sol de l'entreprise et ses coffres. Ils l'avaient piégée. Elle allait perdre Eren par leur faute. Lui qui avait préféré la croire, elle, à chacune de leurs accusations mensongères.
Lui qui venait de se faire voler des informations compromettantes sur plusieurs gouvernements. Lui qui vivait avec une femme coupable d'un acte de terrorisme. Lui qui voyait s'amasser toutes les preuves de sa culpabilité.
Elle ne pouvait pas le concevoir.
— Non, non ! s'exclama-t-elle, levant la main en l'air pour l'arrêter dans sa douleur. Je n'ai jamais dit quoi que ce soit à ton père de ce style ! Et c'est ton frère qui m'a donné ces objets, je te le jure !
Il la regarda, des larmes coulant depuis ses yeux verts tandis que sa lèvre tremblante ne savait quoi articuler. Jamais il ne lui avait montré autant de douleur. Car jamais il n'avait autant souffert. Deux ans durant, il s'était débattu pour la faire accepter au sein de sa famille.
Et, maintenant, il semblait qu'ils avaient eu raison depuis le début sur ses véritables intentions. Qui croire ? La femme qu'il aimait mais qui avait diverses raisons de commettre un tel acte et semblait, aux vues des dernières preuves, l'avoir fait ? Ou sa famille qui se battait depuis longtemps pour son bien ?
— Et comment je pourrais te croire ? demanda-t-il d'une voix éraillée. Tu te rends compte que, s'ils disent vrais, tu es en possession d'informations pouvant renverser des gouvernements entiers ? Causer des guerres civiles ?
Une autre larme coula sur sa joue et il serra le poing, se retournant brutalement pour ne plus avoir à la regarder.
— Je veux te croire et..., il marqua une brève pause, sa voix brisée. Le pire c'est que j'ai la sensation que je te crois mais je n'ai pas le luxe de le faire.
Elle sentit son cœur se serrer dans sa poitrine et un hurlement sourd la déchira. Jusqu'à quel point la blessure que Sieg et Grisha venaient d'infliger à Eren allait être profonde ?
— Parce que, si tu es simplement une excellente menteuse, alors tu t'apprêtes à ôter par ma faute la vie de trop d'innocents. Je ne peux pas prendre le risque de te faire confiance aveuglément. Pas cette fois.
Debout, tremblante sur ses hauts talons, elle sentit une crevure dans ses poumons laisser siffler un tintement de souffrance. Elle n'arrivait plus à penser correctement. D'une part, elle était outrée qu'il puisse la croire capable d'un tel geste. De l'autre, elle savait qu'elle avait agis de la sorte par le passé et réalisait que ses suspicions étaient fondées. Parce qu'elle-même, à a place, aurait songé de cette façon.
Elle avait tué vingt-trois innocents. Comment pouvait-elle espérer, avec des preuves la désignant en plus comme coupable de ce geste, qu'on ne la soupçonne pas de ce vol ?
D'autant plus lorsque nul autre à part elle n'avait de raison de le commettre ?
Sa lèvre inférieure trembla et une larme roula le long de son visage. Elle savait qu'elle ne pourrait rien dire pour sa défense, qu'il lui fallait apporter des preuves concrète qu'elle n'avait pas agis ainsi. Que s'il décidait de lui faire confiance aveuglément après de telles révélations, alors il ne serait qu'un idiot. Il était logique qu'il se refuse à le faire et elle était même rassurée de voir qu'il était capable de discernement.
Elle comprenait à quel point les doutes d'Eren étaient justifiés. Elle aurait eu les mêmes.
Mais ce n'en était pas moi douloureux.
— Est-ce que tu vas me tuer ? demanda-t-elle après un long silence d'une petite voix.
Il baissa la tête. Elle vit ses omoplates ressortirent légèrement sous sa chemise blanche tandis qu'il lui montrait toujours le dos.
Il ne répondit pas.
— Est-ce que tu vas me tuer ? répéta-t-elle d''une voix plus ferme et plus forte, exigeant une réponse. Me faire taire au cas où j'ai vraiment volé ces données ?
Il poussa un long soupir. Elle ne le vit pas mais une autre larme roula depuis ses yeux émeraude.
Il se redressa au bout d'un certain moment, prenant une grande inspiration pour s'empêcher d'éclater en sanglot.
— Grisha m'a demandé de le faire si nous avions un jour une conversation de ce genre, céda-t-il.
Elle redressa la tête vivement, ses sourcils s'abaissant soudain. Sieg et Grisha ne l'avait pas juste piégée pour l'évincer de la vie de son époux.
Ils voulaient qu'elle meure.
— Mais je sais que je n'y arriverai pas, chuchota-t-il toujours sans se tourner vers elle, tête basse. Alors je vais simplement fermer les yeux, attendre patiemment. Et quand je les rouvrirais, tu seras partie.
Elle sentit son cœur se briser dans sa poitrine à ces mots. Lui demandait-il réellement de le quitter ? Là, maintenant ? Le jour de leur anniversaire de mariage ?
Elle ne répondit pas, abasourdie. Et, lorsqu'il laissa soudain filer un rire triste, elle sentit ses muscles se raidir.
— Lorsque tu m'as demandé quand j'étais tombé amoureux de toi, je t'ai dit que ça datait du jour de notre rencontre parce que je ne savais pas quoi répondre. Mais la vérité c'est que, le jour de notre rencontre, j'avais fait le choix de t'achever.
La nouvelle tomba comme une claque sur la joue de la jeune femme. Ses genoux ployèrent quelque peu, comme peinant à supportant le poids de cette révélation. Ses épaules se voutaient.
Il avait voulu la tuer.
— Il y avait vingt-trois garçons dans ces décombres, le plus vieux avait vingt-quatre ans, expliqua-t-il. Alors, trouvant le détonateur dans ta main, je me suis dit que je ne pouvais pas décemment laisser un monstre pareil en vie et ait sorti mon arme pour te tirer une balle entre les deux yeux.
Elle fut prise d'un spasme, abasourdie et déchirée de douleur. Le plus vieux avait vingt-quatre ans. Elle réalisait, maintenant, pourquoi le brun n'avait pas souhaité qu'elle connaisse l'identité des victimes. Jamais elle n'aurait pu vivre avec une telle information.
Et elle se demandait à présent si elle parviendrait à le faire.
Ses mains lui semblèrent poisseuses, comme si le sang de ceux qu'elle avait occis les habillait de nouveau.
— Mais mère m'a empêché de le faire, jurant qu'il y avait sans doute une autre explication et, bêtement, je l'ai écoutée, rit-t-il tristement en pleurant. Je t'ai rendue visite dans le simple but de savoir ce qu'il s'était passé sur mon territoire, pourquoi et tu avais fait exploser cette bombe et...
Il marqua une brève pause, tentant de réprimer un sanglot.
— ...avant même que je ne le réalise, je venais tous les jours parce que rire avec toi était le seul rayon de lumière de mes journées.
Elle sentit ses épaules s'affaisser et une soudaine envie d'hurler la déchira. D'un côté, savoir qu'il n'était pas réellement tombé amoureux d'elle ce jour-là, la voyant allongée dans les décombres, témoignait qu'il n'était pas aussi toxique qu'Ymir le laissait entendre et la rassurait. Elle avait toujours été mal à l'aise avec l'idée qu'il ait pu l'aimer en la voyant sur le point de mourir.
Mais, de l'autre, écouter à quel point l'amour qui était né dans son cœur pour elle l'avait intoxiqué lentement lui faisait l'effet d'être une veuve noire. Tuant celui qu'elle aimait à petit feu. L'avalant dans les ombres de son passé.
Il se tu un moment puis finit par reprendre :
— Maintenant, tu sais toute la vérité.
Une larme roula sur leurs joues.
— Alors nous pouvons nous dire au revoir.
L'idée de protester la traversa. De lui hurler qu'elle lui prouverait son innocence et qu'il réaliserait son erreur. Mais elle savait pertinemment que, s'il la chassait, c'était surtout par crainte qu'en voyant qu'il n'avait pas appuyé sur la détente, Grisha ou Sieg ne décide de le faire à sa place.
Il ne savait pas si elle disait la vérité. En revanche, il avait conscience du fait que, si elle était honnête, rester à ses côtés la mettrait en danger car sa vie serait menacée. Et, si elle mentait, alors il devait la garder éloigner pour qu'elle ne puisse plus recommencer ses actes.
Néanmoins et malgré lui, il trouva réconfort dans l'idée qu'il allait forcément la revoir un jour. Car il fallait maintenant qu'il enquête sur ce qu'il s'était passé pour savoir qui, des hommes ou elle, était sincère.
Alors, dans peu de temps il l'espérait, ils s'assiéraient de nouveau l'un en face de l'autre. Mais le tout était de savoir si entre eux se trouverait une rose ou une arme.
Raide, elle se redressa sans un mot. Puis, d'un pas tremblant, elle fit résonner ses talons durant quelques pas.
A hauteur d'Eren, en le dépassant, elle marqua une pause. Le temps d'un instant, elle songea à se retourner et l'étreindre une dernière fois. Oui, cette fraction de seconde durant, elle se dit qu'elle n'aurait besoin que d'une dernière fois. Un ultime baiser sur ses lèvres pour avoir la force d'avancer et se dire qu'un jour, ils se retrouveraient.
Elle sentait le regard de son époux sur ses omoplates. Lui aussi faisait de son mieux pour ne pas fondre sur son dos, entourant son ventre de ses bras puissants. Mais, s'il s'avisait de faire un geste dans sa direction, il savait qu'il ne parviendrait plus à se défaire de sa personne.
Or il le fallait. Pour son bien.
Elle prit une profonde inspiration. Son monde était en train de s'écrouler. Elle qui avait cru avoir tant perdu à cause de son amnésie réalisait aujourd'hui que celle-ci avait sans doute été la meilleure chose qui lui soit arrivé, la protégeant de la cruelle femme qu'elle avait été. Et, aujourd'hui que la vérité se révélait, elle perdait tout. Ses repères, sa maison, son époux.
Elle-même.
Elle quitta donc cette maison qui avait été la sienne, les épaules tremblantes et le cœur brisé. Et, si Sieg avait dit vrai, si elle avait vraiment feint cette amnésie et pouvait se rappeler de la vie qu'elle avait vécu, auparavant, sans doute repenserait-elle à la phrase que le premier lieutenant lui avait déclarée, lors de sa première mission :
— Nous ne sommes pas des héros, (T/P). Ni des gens bien. Mais ce qui nous différencies justement de ceux avec qui ils nous confondent, c'est que nous le savons. Notre seule idéologie est le pouvoir.
Oui, elle y resongerait.
— Alors bats-toi pour l'obtenir.
ꕥ
Quelques heures après, ce fut en titubant que la jeune femme resongea à cette conversation. Pieds nus sur le sol inégal qu'elle foulait, ses bras se parcourant d'une fine chair de poule à cause du froid de la nuit, elle ne parvenait correctement à ordonner ses pensées, des bribes des dernières paroles d'Eren lui revenant sans cesse.
Elle avait mal.
— Et puis l'autre connard, là, avec sa moustache d'enfoiré ! cracha-t-elle d'une voix bourrue. Et ses lunettes rondes, il s'est cru dans Harry Potter, cet enculé !?
Les jambes couvertes de poussière, ses pieds écorchés par les débris qu'elle rencontrait, elle tentait de garder l'équilibre, ses bras positionnés en croix comme si elle se trouvait sur un fil de funambule. Et elle l'était, quelque part, en équilibre entre ses deux vies.
Avec un hoquet à l'odeur particulièrement forte, elle s'ébranla légèrement. Sa main gauche toucha le sol, tentant de le remettre sur pieds tandis que l'autre enfermait avec ferveur sa bouteille quasiment vide de jägermeister dans la main.
Elle se sentait pathétique. Elle n'avait choisi cette bouteille que pour son nom. Songeant d'abord à Eren. Puis à Sieg et Grisha.
— Et l'autre enfoiré, là ! Quand on a les cheveux plus gras que le cul d'Homer, ON FERME SA GUEULE ! rugit-elle, voyant le sol se rapprocher dangereusement de son nez.
Cela allait faire plusieurs heures qu'elle était ici, ses pas l'y ayant menée comme pour se rappeler douloureusement son passé.
Et, après des litres de larmes versées, des excuses murmurées dans le vent, la colère avait finalement pris le pas sur la peine.
— Oui, regardez-moi, je m'appelle Grisha Jäger, gna gna gna, imita-t-elle d'une façon peu flatteuse. MAIS FERME TA GUEULE, CONNARD.
Autour d'elle, le périmètre était entouré d'une bande jaune non coupée depuis deux ans. Un parterre de bouquet de fleur et cadres comportant les photos de ses victimes trônait à l'entrée de l'espace rendue méconnaissable par les débris.
Ferrailles, tuyaux, plastique fondu... Tout se mélangeait autour d'elle, formant des murs de déchets lui arrivant à la taille entre lesquels elle titubait, haletante. Comme des champs de cauchemar.
Et, braillant bruyamment depuis plus d'une heure, elle tentait d'oublier qu'elle était la responsable de ce triste paysage baignant sous l'écran noir de la nuit, les étoiles rendues invisible par un nuage de pollution.
Là était l'usine qu'elle avait faite exploser.
Plus de lumière. Plus d'astre. Plus de guide.
Seul le passé.
— Tu vends des armes, mon vieux. Des putains d'armes utilisées pour assassiner des civiles dans le monde entier, explosa-t-elle, rugissante, tandis que le peu de liquide brillant dans sa bouteille tanguait dangereusement, ses genoux tremblant dans ses pas.
Elle prit une longue gorgée, grimaçant quand l'alcool lui brûla la trachée.
— Et je suis la terroriste !? s'exclama-t-elle après avoir péniblement dégluti, se tournant vers des gravas entassés au sol et qui avaient sûrement été un mur, autrefois. Dis-moi combien de tes lance-roquettes ont pris de vie, connard !
Hors d'elle, sa main alla projeter avec force l'objet sur le sol. Celui-ci se brisa dans un tintement sonore, laissant les rares gouttes encore restantes à l'intérieure couvrir le goudron pour lui donner une teinte plus foncée.
Et, continuant d'hurler, la bouche pâteuse, elle cracha les ressentiments accumulés au cours des dernières années :
— Toi, le grand Grisha Jäger, tu as étouffé mon époux dans tes idées ! Il s'est battu pour ouvrir l'entreprise au secteur multimédia, se concentrer sur de nouvelles technologies et se détourner de la guerre !
La famille Jäger n'était pas des plus appréciées dans le monde et, pourtant, Eren avait la cote auprès du public. Son doux visage n'y était pas la seule raison. Il était considéré comme le mouton noir d'une famille peu recommandable, était apprécié de la jeunesse.
Mais il en avait pâti auprès de ses proches.
Le milieu dans lequel avait grandi Eren l'avait poussé à devenir un criminel. Et, même s'il pouvait encore accepter de se battre avec des clans aussi meurtriers que le sien, jamais il n'avait réussi à se résoudre au fait que l'entreprise pour laquelle il travaillait finançait des guerres touchant des personnes n'ayant pas choisi cette vie-là.
Il était sciemment devenu un criminel — du moins, le croyait. Mais pouvait-il en dire autant des victimes des frappes aériennes lancées par les drones que concevait son père ?
Sans être un ange, il gardait une conscience. Et, se rapprochant de la tête de Jäger CO, s'échinant auprès de son père dans le but de prendre la relève, il avait exposé son projet ambitieux à sa femme : reconvertir l'entreprise.
D'abord, il comptait l'ouvrir au marché du multimédia en vendant de nouvelles technologies. Concevant des drones moins meurtriers, dont les usages se résumeraient à porter des caméras pour des vidéos plein air et non des armes pour des combats sanglants. Elaborant des logiciels plus communs, pas toujours centrés sur l'espionnage.
Puis, une fois sur le siège de Grisha, prenant sa relève, il ferait de cette infime secteur de l'entreprise sa seule activité.
Mais le père de son mari avait vu clair dans son jeu. Et, l'autorisant tout de même à élargir leurs clientèles en touchant des personnes lambdas avec leur applications et logiciels, il n'avait pas omis de se servir de cela pour l'humilier plus tard.
— Mon mari est un homme bien, hurla-t-elle de plus bel en direction de ceux qui ne l'entendaient même pas, crachant sa haine. Je l'ai vu s'échiner à ouvrir ce secteur multimédia, je l'ai vu dépérir quand toi et ton putain de fils de mes deux de merde lui ont craché à la gueule qu'il était pas un véritable homme sous prétexte qu'il voulait modifier cette industrie meurtrière, j'ai entendu son cœur se briser quand tu l'humiliai lors de tes grands discours avec tes petites piques de connard.
Depuis plus d'un an, date à laquelle remontait l'inauguration de ce nouveau secteur d'activité, Grisha et Sieg ne cessaient de le traiter en enfant durant leurs interviews. A jamais resterait graver dans la mémoire de la jeune femme la peine sur les traits du brun lorsque, regardant son paternel répondre à un présentateur de plateau télévisé en direct, il l'avait entendu prononcer ces mots à propos du fait que l'entreprise s'ouvre au monde du multimédia :
« Une idée de mon fils benjamin, à vrai dire. Je la trouve un peu niaise mais vous savez comment on fait, avec les enfants. Quand ils geignent trop, on leur donne ce qu'ils veulent pour qu'ils se taisent. »
D'une seule phrase, murmurée entre ses lèvres esquissées en un sourire suffisant, Grisha avait réduit le dur labeur dont Eren était fier à un visage couvert de honte. Le brun avait tenté de le cacher mais il s'était senti humilié par cette remarque et elle l'avait nettement vu.
Car il admirait son paternel tandis que ce dernier se moquait allègrement de lui. Et, même si Carla et elle-même s'étaient prononcées publiquement sur la fierté qu'elles éprouvaient face aux décisions du garçon, elle savait pertinemment que rien ne rattraperait jamais la blessure que lui avait infligé Grisha, ce jour-là.
Il l'avait réduit à l'état de gamin geignard devant le monde entier.
— Tu essayes de prendre ce qui fait de lui un homme bien ! rugit-elle, des larmes dévalant ses joues. Mais il vaut tellement mieux que toi ! Et tu ne mérites pas l'admiration qu'il te porte !
Toute sa haine glissait sur Grisha. Elle savait qu'une partie d'elle voulait s'auto-flageller de ne pas avoir été capable de voir clair dans le jeu de Sieg, de ne pas avoir trouvé les bons arguments pour rester aux côtés de son époux, de se plaindre du comportement criminel des Jäger alors qu'elle avait agis de la même façon en ces mêmes lieux.
Pourtant, l'estomac gonflé par l'alcool, elle ne trouvait le moyen de se blâmer. Sans doute parce que, plongée dans cet état second, une partie d'elle se rappelait inconsciemment des raisons qui l'avait poussée à appuyer sur le détonateur, cette nuit-là.
Des raisons qui poussaient un homme aux yeux bleus-gris perçants et cheveux noir corbeau à se pencher sur sa personne et étudier son passé. Des raisons qu'il ne condamnait pas. Des raisons qu'Eren aurait comprises.
— Salut, (T/P), retentit soudain une voix dans son dos.
Etonnée, la jeune femme se retourna. Elle n'avait senti personne approcher et, maintenant qu'elle percevait le ton de cet homme, elle réalisait qu'il se trouvait à quelques mètres d'elle seulement. Et, interpellant une certaine (T/P), celle-ci ne devait pas être loin non plus.
Or il n'était pas courant de voir des personnes fréquenter les ruines de l'explosion criminelle d'une usine, qui plus est une usine utilisée auparavant pour les affaires illicites du clan Jäger.
Seulement elle n'eut le temps d'observer, dans l'obscurité de la nuit, le visage de l'homme situé dans son dos qu'un violent coup porté à sa joue la fit chanceler. Avec une grimace de douleur, étourdie par l'impact, elle s'étala de tout son long, l'alcool lui faisant déjà perdre l'équilibre.
A peine réalisa-t-elle, ouvrant ses yeux couverts de maquillage étalé, qu'elle était allongée sur le flanc, des pierres anguleuses lui rentrant dans les cotes, qu'un autre coup particulièrement violent au niveau ue ventre la poussa à se plier en deux, de la bile brûlante lui remontant le long de la gorge.
Elle était complètement ivre, groggy, incapable de se relever et visiblement en train de se faire tabasser. Après la soirée horrible qu'elle venait de passer, c'était la goutte de trop.
La chaussure de l'inconnu frappa sa joue, figeant ses pensées dans son crâne tant la douleur était intense. Puis, quand il l'atteignit de nouveau à hauteur de son abdomen, la faisant se plier sur elle-même, elle s'empara de la dague qu'elle coinçait toujours au niveau de sa cuisse.
Le mollet de l'homme approcha sa poitrine. Malgré l'alcoolémie élevée dans son sang, elle se concentra de toutes ses forces lorsqu'elle planta sa lame dans la chair de son agresseur, laissant un sourire orner ses lèvres au moment où ses veines éclatèrent sous son passage dans un bruit de succion.
Un hurlement de douleur franchit les lèvres du garçon qui recula de plusieurs pas. Gardant le pommeau fermement coincé dans sa main, la dague se retira naturellement de sa jambe lorsqu'il fit un pas en arrière et son cri se fit encore plus bruyant, du sang commençant à couvrir son jogging noir.
Elle laissa un rire satisfait franchir ses lèvres, pourtant mal en point, elle aussi. Et, lorsqu'un filet rougeâtre coula sur son menton à ce geste, elle réalisa qu'elle n'était sans doute pas en position de se moquer de son adversaire. Il l'avait bien blessée.
Mais c'était plus fort qu'elle. Il était absolument ridicule, s'étalant sur le sol dans des gémissements de douleur.
— Bah alors mon lapin, bobo la patte ? railla-t-elle en posant une main tremblante sur son ventre meurtri, réalisant qu'elle n'allait pas réussir à se lever avant un bon moment tant elle avait mal et l'alcool l'affaiblissait.
— Espèce de salope ! hurla-t-il, dégainant une arme à feu accrochée à sa ceinture tandis que, étalé de tout son long sur le sol, il peinait à se bouger pour se redresser.
Sans doute l'alcool aidant, elle ne parvint à mesurer la gravité de la situation lorsque, visant sa tête du canon de son arme, il ôta le cran de sécurité dans un cliquetis mécanique. Là, à cinq mètres d'elle et son corps étendu sur le sol, affaibli par les coups, il affichait une mine furieuse.
Mais pas elle.
— Ecoute, déclara-t-elle avec un sourire espiègle, retenant quelques gémissements de douleurs grâce à l'éthanol, je peux comprendre ta colère. Après tout, il y a cette affaire entre moi et ta mère...
Elle vit la colère sur son visage se muer en une véritable rage quand il entendit ses mots.
— ...Mais je te prierais de rester poli, mon petit. Hein ? Sois gentil pour ta belle-maman ! ajouta-t-elle d'un ton niais, comme s'il n'était qu'un enfant.
— Espèce de pouffiasse, cracha-t-il, je vais te faire regr...
— Attention, mon petit ! la rappela-t-elle à l'ordre d'une voix modifiée, similaire à celle qu'utilisent les parents pour avertir leur progéniture. Surveille ton langage ou je te donne la fessée !
Fronçant les sourcils rageusement sous son crâne lustré, il fulmina. Se faire planter par une garce friquée était déjà humiliant, alors voir celle-ci se moquer de lui en sous-entendant qu'elle avait couché avec sa mère l'enrageait davantage.
Il allait lui faire regretter.
Soudain, tandis que sa main enfermait toujours solidement son arme, il ramena l'autre à sa ceinture, affichant un sourire perverti. Et, même si un frisson douloureux lui parcourut l'échine à cette vision, sa main se raffermissant sur sa dague, elle n'en laissa rien paraitre.
— Je vais te faire payer tes mots, salope, cracha-t-il en défaisant la boucle de sa ceinture. Je vais te prendre comme une chienne sur ce sol, tu vas voir.
— Alors je crois que je vais m'accrocher avec force à la première prise que je trouve parce que ces six secondes se promettent d'être intenses, répondit-elle sans sourciller, ses autres doigts venant chercher le collier aux perles empoisonnées accroché à son cou.
S'il tentait même de l'approcher, elle le lui enfoncerait dans la gorge avant de lui planter sa dague dans la poitrine.
Comprenant le sous-entendu de sa phrase, il tira rageusement sur sa braguette sans baisser son arme :
— Tu vas voir si je suis précoce, salope !
— Elle ne va rien voir du tout.
Ils n'eurent le temps de réaliser la présence de cette voix grave et chaude à côté d'eux que la tête de l'agresseur bascula sur le côté, percutée de plein fouet par une chaussure noire en cuir. De sa bouche béante et abjecte jaillit un filet de sang ainsi qu'une dent.
Abasourdie et encore groggy par l'éthanol, elle mit plusieurs secondes à réaliser ce qu'il venait de se passer. Ce ne fut que lorsqu'elle comprit, voyant le manque de réaction de son agresseur gisant au sol qu'elle réalisa que cet unique coup de pieds l'avait assommé.
Ses yeux se posèrent alors sur les deux chaussures de cuire noires plantées dans le sol à côté de lui. Puis, remontant le long de ces jambes habillées d'un pantalon de smoking noir, elle remarqua un torse finement sculpté et moulé par une chemise blanche puis deux clavicules saillantes desservant une gorge de porcelaine tendre.
La mâchoire taillée avec précision surplombant cette dernière donnait sur une bouche semblable à une pétale de rose, ses deux lèvres épineuses teintées d'un délicat rouge semblant prêtes à griffer quiconque de quelques simples paroles. Au-dessus, un long nez droit et fin se situait entre deux pommettes hautes illuminées par un regard glacial, lui-même accentué par des mèches noires tombant en bataille sur son front.
Elle s'arrêta un instant pour se confronter à ces iris illuminées par la lueur d'un lampadaire au loin. Intenses, elles l'observaient déjà. Et, autour de ces pupilles noires, des volutes argentées et bleues se mélangeaient en une danse tétanisante, comme si sous la surface de son œil vivait un poison.
Et, sentant son cœur s'accélérer face à la peur que lui inspirait soudain ce visage aussi beau qu'intimidant, elle se dit qu'il l'avait peut-être déjà intoxiquée. D'autant plus lorsqu'il entrouvrit ses lèvres pleines, faisant de nouveau résonner sa voix grave et tétanisante :
— Je croyais vous avoir dit que je ne voulais plus vous voir sur mes terres.
赤い糸
𓉣
bon honnêtement, j'ai
eu la flemme de me relire
mais je voulais pas passer
une autre journée sans
publier alors que c'est censé
être quotidien
𓉣
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