𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐














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C  H  A  P  I  T  R  E    2

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tw — manipulation,
toxicité, un mari
bien con ptn j'avais
oublié ça

赤い糸赤い糸




















             TREMBLANTE, ELLE NE PARVENAIT PLUS à respirer convenablement. Son anhélation teintait dans ses oreilles, se mêlant à un acouphène pour y former une mélodie terrifiante. Ses mains tremblaient sur son crâne qu'elle avait saisi, déchirée par la panique croissant en elle.

             Autour de son corps agenouillé et frémissant, de géantes flammes illuminaient la nuit noire, avalant l'obscurité comme l'enfer engloutit le calme du repos éternel. Ses yeux ne parvenaient à apercevoir les débris du lieu dans lequel elle se trouvait, autant parce que le feu avalait les moindres détails de son champ de vision que parce qu'elle fixait irrémédiablement son propre cadavre allongé à côté d'elle.

— Ce n'est qu'un cauchemar, ce n'est qu'un cauchemar..., se répéta-t-elle en sentant la chaleur oppressante autour d'elle enserrer sa poitrine tel un étau et brûler le bout de ses cils.

             Depuis deux ans, ses nuits étaient les mêmes. Elle revenait au souvenir le plus ancien qui lui restait, celui de son corps inconscient et percé d'une balle gisant au milieu des débris de cette usine. Pieds chaussés d'escarpins au semelles rouges, un tailleur hors de prix , elle gisait pourtant au milieu de cet endroit ravagé par un attentat en plein milieu d'un quartier ouvrier. Le même cauchemar. Chaque soir.

             Ses mains tremblaient en emprisonnant son crâne, tentant de cacher avec ses bras la vision d'elle-même sur le sol. Du sang coulait sur son visage couvert de sueur mais l'hémoglobine se faisait anormalement importante au niveau de son bras gauche, à l'exact endroit où la balle d'un fusil de précision SABR 308 l'avait transpercée.

             Les flammes grimpaient autour d'elle, s'approchant dangereusement de son corps. Sa respiration se bloqua dans sa poitrine et une vive douleur l'y transperça. Normalement, Eren arrivait toujours à ce moment-là du rêve. Lui et ses hommes de main, avertis de l'explosion d'une usine sur leur territoire, surgissaient à chaque fois lorsque le feu devenait trop dangereux, qu'il se faisait trop proche.

— C'est juste un cauchemar, tenta-t-elle de se répéter pour se calmer.

             Mais cela avait l'air trop vrai. Ou, plutôt, c'était trop vrai.

             Son souvenir le plus ancien remontait à cette nuit-là, à l'instant où elle avait ouvert les yeux, son bras percé d'une douleur insoutenable et sa vision encadrée par la lueur intense d'un feu dévorant. Et elle le revivait tous les soirs, à chaque fois que ses paupières se rencontraient, incapables d'échapper à cette tragédie qui avait marqué la naissance de Galatée et la mort de celle qu'elle avait été.

             Il fallait qu'Eren arrive maintenant. Qu'il surgisse d'entre les flammes, des mèches de son chignon brun collant à son front à cause de la sueur liée à cette intense chaleur, la veste de son costard s'ouvrant sur sa chemise blanche tandis que ses yeux écarquillés la trouvaient, là, étendue parmi l'horreur.

             Deux mois après leur rencontre, il lui avait confié être tombé amoureux d'elle à cet exact moment. Lorsque, laissant ses hommes de main éteindre les flammes à l'aide d'extincteurs et trouver les corps des autres personnes présentes, il s'était approché d'elle et avait saisi sa main en s'accroupissant à sa hauteur.

             Le cœur de la jeune femme battait à tout rompre dans sa poitrine tandis que, raffermissant sa prise sur son crâne, elle retenait des sanglots. Où était-il ? Elle haïssait ces rêves mais le moment où il surgissait dedans savait toujours l'apaiser assez pour qu'elle ne se réveille pas en hurlant.

             Elle tremblait.

— Où es-tu ? pleura-t-elle d'une voix étranglée, tétanisée.

             Ce cauchemar était différent. Elle avait la nette impression que le brun ne viendrait pas. Il mettait trop de temps à se montrer, les flammes grignotaient les débris les plus proches de son corps inconscient, se rapprochant dangereusement. Et aucun éclat de voix ne lui signalait la présence d'autres formes de vie.

             Elle fut prise d'un spasme. Son regard alla se poser sur elle-même, la femme gisante dans des vêtements de luxe, couverte de suie et de sang. Celle qu'elle était encore, juste avant cette explosion.

— Vous aviez dit que vous m'aideriez...

             Une voix, fluette et secouée par des sanglots, lui parvint. Lointaine, comme un murmure au travers des flammes. Mais, paralysée par l'effroi, elle n'osa même pas se retourner vers la source de cette phrase.

             Sortez-moi d'ici, je vous en supplie, trembla-t-elle, une épaisse couche de sueur la couvrant tandis que sa peau la brûlait tant la chaleur était intense.

— ...vous étiez censée m'aider à obtenir justice...

             La femme inconnue continua ses paroles, imperturbable, comme si elle ne ressentait même pas la chaleur ni l'angoisse de la situation. Comme si elle n'était pas réellement là, avec elle, dans cette usine, mais qu'elle venait d'un souvenir plus ancien, de la vie qu'elle n'avait plus.

             Galatée se raidit à cette pensée. Était-ce possible ? Les pleurs de cette inconnue qui lui serraient le cœur ? Les avait-elle entendues auparavant ? Venaient-elles de son passé ? Etaient-elles un souvenir datant d'avant l'explosion ?

             Ses yeux s'écarquillèrent, la panique en elle gagnait du terrain. Elle savait qu'elle revivait en boucle cette nuit parce qu'elle n'avait jamais pu accepter ce qu'il s'était passé. Que son esprit tentait juste de comprendre ce qu'elle pouvait bien faire dans cette usine, habillée de façon si luxueuse. Qu'elle souhaitait simplement saisir, au fond d'elle, la raison pour laquelle elle était la seule à avoir survécu à cette explosion et, aussi, la seule à avoir été touchée d'une balle dans le bras.

             Oui, elle savait que ses cauchemars, la voix de cette femme et ses pleures n'étaient là que pour l'aider. Mais, présentement, elle s'en fichait. Les flammes étaient hautes, intenses. Et son corps inconscient allait se faire dévorer par leur chaleur meurtrière.

             Elle avait besoin d'Eren. Il en allait de sa vie.

             Secouée de furieux spasmes, ses yeux secs la brûlant sous l'ardeur du feu, elle lâcha soudain son crâne, le basculant en arrière tandis qu'elle hurlait à plein poumons, désespérée :

— EREN ! VIENS, JE T'EN SUPPLIE !

             Ses paupières se fermèrent et elle continua de crier son nom, espérant l'invoquer dans son cauchemar, le pousser à apparaitre et la serrer dans ses bras, la bercer contre son torse et lui dire que tout allait mieux maintenant. L'écran noir de ses yeux clos laissa filer des larmes de désespoir tandis qu'elle se demandait s'il était possible de mourir dans le royaume de Morphée.

             Soudain, la chaleur insupportable laissa place à un vent frais et agréable qui fouetta son visage avec vigueur, lui apportant une sensation de soulagement telle qu'elle laissa sa voix mourir. La vive couleur rouge qu'elle voyait, paupières closes, s'assombrit drastiquement, signe que la luminosité forte des flammes avait laissé place à des couleurs plus ternes et communes.

             Elle ouvrit les yeux, sentant sa poitrine se gonfler difficilement, une résistance s'opposant à ses mouvements. Et elle comprit alors, tombant nez à nez avec la vision d'une autoroute s'étendant loin devant elle sous le soleil timide du matin, qu'elle se trouvait sur le siège passager de la berline de son compagnon et que la ceinture de sécurité était responsable de sa gêne respiratoire.

             Prenant de profondes inspirations, elle empêcha les larmes de couler sur ses joues.

             Ses yeux se posèrent de nouveau sur la route devant elle, le béton bordé de palmiers se voyait parcouru de très peu de voitures, la matinée débutant à peine. A sa droite, la vitre de la portière était légèrement ouverte, laissant apercevoir la plage de sable dorée de l'autre côté des arbres. Sous ses yeux, l'une de ses cuisses dénudées était fermement tenue par la main musclée et large de son mari qui exerçait une faible pression sur sa peau. Devant elle, le tableau de bord immaculé s'étendait. A sa gauche, le profil sculpté dans du marbre d'Eren demeurait concentré sur la route mais, à la façon dont sa mâchoire se contractait, elle devinait qu'il s'inquiétait pour elle.

             Cinq choses qu'elle pouvait voir.

             Ses lèvres s'incurvèrent quand le vent caressa son visage, elle se douta qu'Eren avait baissé la vitre en la sentant s'agiter dans son sommeil. Ses jambes frémirent tandis que le pouce de l'homme se baladait sur sa peau dans des mouvements rotatifs se voulant apaisant. Elle passa un doigt sur son visage, vérifiant qu'aucune larme n'ait gâché son maquillage. Puis, ses pieds pressèrent le sol moelleux du véhicule.

             Quatre choses qu'elle pouvait toucher.

             Le moteur vrombissant en symphonie avec le vent lui rappela les longs trajets qu'ils avaient eu l'habitude d'effectuer l'année d'avant, lorsqu'ils étaient partis en vacances en amoureux. Sa respiration calmée joignait ces sons tandis qu'elle écoutait celle, s'efforçant de se faire stable pour ne pas l'affoler, d'Eren à côté d'elle.

             Trois choses qu'elle pouvait entendre.

             L'eau de Cologne du brun s'insuffla en volutes musquées et relaxantes dans ses narines, l'apaisant. Elle l'inspira à plein poumons, trouvant réconfort dans cette odeur familière tandis que le parfum de son fond de teint aux pointes rosées s'y mélangeait, lui rappelant les gestes qu'elle avait effectué le matin même sur son visage.

             Deux choses qu'elle pouvait sentir.

             Le calme était revenu. Son regard se perdit plus longuement sur le profil de son époux, détaillant l'intensité de ses yeux émeraudes ancrés sur la route, la façon qu'avait sa mâchoire carrée de se contracter, signe qu'il brulait d'envie de se retourner vers elle et de savoir si tout allait bien mais qu'il se retenait pour ne pas l'envahir et l'oppresser. Elle poussa un long soupir en observant la naissance de son torse sous sa chemise déboutonnée et la forme de sa main tenant le volant, dépassant de sa veste noir onéreuse.

             Elle se sentait bien avec lui.

             Une émotion qu'elle ressentait.

— Je vais bien, déclara-t-elle à voix basse, plus pour elle-même que pour lui.

             La main sur sa cuisse la pressa davantage dans un geste rassurant. Elle sentit son entre-jambe s'échauffer à ce geste mais ne dis rien, posant son crâne sur l'appui-tête et dévorant son époux des yeux. Il était particulièrement attrayant, là, une de ses paumes posées sur le volant, l'autre sur ses jambes, sa mâchoire se décontractant lentement tandis qu'il se rassurait sur l'information qu'elle venait de lui donner.

             Il détestait quand elle faisait des crises de panique, il se sentait impuissant. Les premiers jours, il avait tenté de l'enfermer dans ses bras et l'immobiliser jusqu'à ce que ça passe, embrassant son crâne et lui murmurant des mots doux pour la calmer mais Armin lui avait déconseillé cette méthode en le surprenant un jour en train de le faire.

             Le blond était celui qui avait recommandé la technique du décompte à Galatée — cinq choses que l'on pouvait voir, quatre que l'on pouvait toucher, trois que l'on pouvait entendre, deux que l'on pouvait sentir et une émotion. Depuis, elle parvenait à gérer ces épisodes lorsqu'ils survenaient. Seulement son époux ne se faisait pas à l'idée de devoir la laisser seule tandis qu'elle n'arrivait pas à respirer, jetant un regard désorienté autour d'elle.

             De loin, il tentait toujours de l'aider du mieux qu'il pouvait. Aujourd'hui, sa main droite était allée presser sa cuisse pour tenter de la tirer de son sommeil tandis que l'autre avait ouvert la vitre teintée de sa portière pour la laisser respirer un peu mieux.

— Tu as besoin d'eau ? De quelque chose ? répondit-il après un bref moment, jetant un rapide regard au visage de son épouse tourné vers lui.

             Malgré les années et leur mariage, son cœur s'emballa dans sa poitrine lorsqu'il surprit la douceur avec laquelle elle le dévisageait, comme s'il était la plus belle créature de ce monde. Dans le rétroviseur, il vit la teinte rouge que venait de prendre ses joues et déglutit péniblement.

             Des souvenirs de leur ébat remontant à une heure à peine lui revint, il s'efforça de chasser de son esprit l'image de cette femme à genoux se caressant en le regardant. Il était hors de question qu'il sorte de sa voiture avec une bosse dans son pantalon. D'autant plus que des paparazzis le suivaient partout du fait de son influence et que garder des photos de cela ne serait pas du meilleur effet.

             Il détourna dans le regard, se concentrant sur la route.

— Ne t'en fais pas, je n'ai besoin de rien, j'ai tout ce qu'il me faut, répondit-elle en posant la main sur la sienne déjà placée sur sa jambe, enfermant ses cinq doigts entre les siens et sa cuisse.

             Il sourit à ce contact, appréciant la sensation de la peau de Galatée contre la sienne. Mais son rictus se fana quelque peu lorsqu'elle reprit la parole.

— J'ai rêvé de cette nuit-là, encore, soupira-t-elle. Sauf que cette fois-ci, tu ne venais pas me chercher.

             Il se raidit. Il détestait parler de ce qu'il s'était passé ce soir-là. Qu'importe s'il avait rencontré l'amour de sa vie dans les décombres de cette usine enflammée, la simple idée d'évoquer cette tragédie le révulsait.

             Mais il n'en dit rien. Il savait que, lorsque son épouse prenait la parole sur cette histoire, c'était simplement parce qu'elle n'en pouvait plus de se taire.

— Je viendrais toujours te chercher.

             Sa réponse, aussi énigmatique que ferme, arracha un sourire apaisé à la jeune femme qui sentit une douce torpeur se répandre dans son ventre. Elle se sentait rassurée en sa compagnie, aimait la sincérité sur son visage lorsqu'il promettait qu'il serait toujours là pour elle.

             Voyant les palmiers autour d'eux laisser place à des immeubles et au chemin familier jusqu'au bureau du garçon, elle se décida à saisir sa chance et évoquer ce qui la tracassait depuis un moment. Même si elle savait que ce sujet agaçait Eren. Il ne leur restait qu'une dizaine de minutes avant de descendre de la voiture mais leur rapport de ce matin et l'atmosphère paisible de maintenant le mettaient dans des bonnes prédispositions à l'écouter.

             Autant qu'elle saisisse sa chance.

— Armin pense que ces cauchemars sont liés à un syndrome qu'on appelle le syndrome du survivant, dit-elle en ignorant sciemment la mâchoire d'Eren qui s'était contractée à l'évocation de ces termes cliniques. Il pense que je pourrais les dompter si je rencontre un thérapeute.

— Si t'as besoin de parler, je suis là, répondit le brun sans lui accorder un regard, tournant le volant tandis que les gratte-ciels du quartier d'affaire se faisaient de plus en plus présents. Parler à un thérapeute qui peut s'amuser à revendre tes informations personnelles à un autre clan te mettrait en danger.

             Galatée pinça les lèvres. Elle comprenait le raisonnement de son époux. Mais, plus les jours passaient, plus elle ressentait le besoin de recouvrer ses souvenirs, juste histoire d'en finir avec ces cauchemars.

— Tu as sans doute des personnes de confiance dans ton répertoire, peut-être que...

— Tu es ma femme, si tu veux parler à quelqu'un, tu parles à moi. Tu n'as aucun secret pour moi, pas vrai ? Alors je vois pas ce que ça changera, trancha-t-il d'une voix rauque.

— Mais j'ai besoin de conseils professionnels, de quelqu'un qui...

— Jusqu'à preuve du contraire, Galatée, la coupa-t-il en insistant sur ce prénom, sa main gauche se serrant sur le volant, j'ai le portefeuille donc je décide. Quand tu travailleras, tu seras libre d'aller t'épancher sur tes petits problèmes partout.

             Abasourdie, la femme se tourna brutalement vers le brun, le foudroyant du regard. Même si elle comprenait qu'il craigne qu'on utilise ses secrets comme moyen de la faire chanter, elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'un époux normal aurait tout fait pour aider sa conjointe si elle se trouvait dans une telle situation. Et, surtout, l'adjectif qu'il venait d'employer lui restait en travers de la gorge.

« Tes petits problèmes. »

             Il y a deux ans, une bombe avait explosé dans une usine et vingt-trois personnes avaient perdu la vie. Seule elle s'était relevée, une balle dans l'épaule et son passé brûlant dans les décombres.

             Elle ne comprenait même pas qu'il ne tente pas de saisir combien cela l'avait traumatisée.

— Reparle-moi encore une fois sur ce ton et je te l'arrache avec les dents, cracha-t-elle, la mâchoire serrée, tandis que sa main se refermait brutalement sur celle du brun encore posée sur sa cuisse.

             Elle le vit se tendre. Il venait de réaliser avec quelle rudesse il s'était adressé à elle. Et, malgré tous ses grands discours, il se sentit embarrassé en réalisant qu'il avait démontré combien leurs proches avaient raison. En lui rappelant sa dépendance financière à lui, il avait fait valoir à la jeune femme qu'elle ne lui était pas égale, mais inférieure. Qu'elle devait se plier à ses décisions.

             Soudain bien mal à l'aise, il tenta de caresser la cuisse de sa femme sous sa main mais elle se dégagea de sa prise, fulminante. Il sentit son cœur se serrer dans sa poitrine à ce geste. A vrai dire, il existait bien une raison cachée pour laquelle il l'empêchait de consulter un médecin.

             Et cela se résumait en deux mots : la protéger.

             Il s'était emporté et lui avait parlé de façon crue pour la pousser à clore cette discussion. Mais, en voyant l'air renfrogné sur son visage tandis qu'elle tirait le pare-soleil agrémenté d'un miroir, il se sentit coupable. Avec son amnésie, les connaissances que tous emmagasinaient à l'école ou ailleurs et leur permettant d'acquérir assez de savoir-faire pour postuler à un emploi s'étaient évaporées de la vie de la jeune femme, la rendant inapte à la plupart des métiers.

             A vrai dire, elle avait déjà demandé au brun de postuler dans des fast-foods et boutiques de mode où l'apprentissage se faisait sur le tas mais il avait toujours été formel : pour son image, il ne pouvait pas se permettre de laisser sa femme travailler pour des personnes gagnant moins que lui. Alors, tentant de l'aider, il lui avait décroché des rôles dans des films, des apparitions sur des défilés et dans des vidéos youtube aux côtés de célébrités avec qui elle était d'ailleurs devenue proches — Sacha Braus, de la chaine SachaMukbang, était une de ses amies.

             Mais, ne devant ces emplois qu'au pistonnage, n'étant pas passée par la case CV et entretiens d'embauche, elle ne s'en été jamais ressortie réellement fière. Et, même si elle n'avait jamais expliqué de cela à Eren, ne voulant jouer les ingrates, il s'en était rendu compte.

— Je suis désolé, lâcha-t-il au bout d'un moment.

             Elle l'ignora, surveillant la position de ses faux cils sur ses paupières et observant la symétrie de son contouring. Au-dessus de ses sourcils soigneusement tracés tombaient les mèches rougeâtres et frisées de sa perruque du jour. Elle appréciait en porter parce que, dans les touffes de cheveux de ces créations, elle parvenait à cacher ses longues épingles empoisonnées avec lesquelles elle pouvait se défendre.

             N'ayant pas quitté la longue chemise blanche de son mari, elle observa le bustier noir cintrant celle-ci, dont l'armature pouvait aussi faire office d'arme blanche. Elle détailla aussi les cuissardes de la même couleur remontant jusqu'à quelques centimètres au-dessus de ses genoux et où elle rangeait ses dagues. Sur ses clavicules, une fine chainette d'argent retombait, seul de ses habits — avec la chemise de son époux — qui ne se muait pas en arme.

             Du moins, si l'inventivité manquait, ce qui n'était pas le cas de la jeune femme.

             Sentant la voiture ralentir, elle rabattit le pare-soleil, se laissant ainsi le loisir d'apercevoir l'infini gratte-ciel de la compagnie Jäger. Ou autrement dit, le lieu leur servant à blanchir leur argent sale.

             Devant eux, un vaste escalier bordé de buissons soigneusement taillés menait à la bâtisse de verre s'élevant si haut dans les airs qu'elle semblait défier les nuages et se perdait d'ailleurs dans ceux-ci. Décomposée en plusieurs tours connectées par différentes passerelles dont le sol, les murs et le plafond ne semblaient être que des tubes de cristal, cette construction était impressionnante. Malgré sa position éloignée des quartiers touristiques, elle permettait, à partir des étages du milieu, d'apercevoir la fameuse plage de Los Angeles.

             Eren coupa le moteur, des pas précipités autour de leur voiture se firent entendre. Les paparazzis, songea-t-elle, habituée néanmoins à se faire accueillir par eux lorsqu'elle accompagnait son époux au travail. Elle poussa un faible soupir, sortant ses lunettes de son sac et les posant sur son nez. Il était hors de question que les flashs des appareils photos ne la pousse à pleurer à cause de leur force.

             Elle n'avait sûrement pas élaboré un aussi beau maquillage pour que quelques imbéciles le ruinent une demi-heure après.

— Allons-y, soupira-t-elle tandis qu'il lui lançait un dernier regard appuyé, mal à l'aise à l'idée de commencer sa journée sur une note si négative.

             Ouvrant la portière, il sortit d'un pas élégant et la claqua derrière lui, empêchant les photographes d'apercevoir son contenu. Ne se rendant à son travail en compagnie de Galatée que quelques fois dans le mois, la plupart des paparazzis ne s'attendaient pas à la voir.

             Alors, lorsqu'ils le virent contourner le véhicule pour s'approcher de la portière côté passager, son éternel air impassible plaqué sur les traits, les cris redoublèrent d'intensité. Ils avaient compris qu'elle était là, à ses côtés. Et, même si elle n'était pas la célébrité à l'origine, son caractère, ses publications sur les réseaux sociaux, ses apparitions dans les séries télévisées les plus en vogue et au cours de divers défilés avaient su forger une fanbase autour de sa personne.

— Allez, c'est l'heure d'être incroyable..., murmura-t-elle. 

             Le bruit étouffé des cliquetis d'appareils photos et cris venant de la petite vingtaine de journalistes à l'extérieur, résonnèrent. Ils étaient peu. Comme tous les matins. Même si les Jäger étaient mondialement connus et appréciés et chacune de leurs apparitions, médiatisées — y compris la dizaine de mètres les séparant de leur gratte-ciel pour aller travailler — l'effectif requiert chaque matin n'était pas comparable à celui qui se présentait à eux lors d'un évènement important comme la sortie d'un film où elle jouait ou encore la mise en vente d'une arme à feu, l'entreprise Jäger étant spécialisée dans l'armement.

             Soudain, un vent frais entra dans la voiture ainsi que les cris des journalistes qui se firent plus bruyants, s'engouffrant dans le véhicule tandis que des flashs tentaient de saisir ses yeux derrière ses lunettes. Elle se tourna vers Eren qui venait d'ouvrir la portière et elle saisit sa main, posant l'une de ses magnifiques cuissardes au sol, ce qui laissa voir la dague accrochée à sa jambe à l'aide de cette ceinture de cuir autour de sa cuisse.

             Personne n'avait jamais été outré de la voir porter des armes. Etant l'épouse du futur PDG d'une compagnie en vendant, tous avaient toujours vu en ce geste une tactique promotionnelle. Seuls ceux au courant de la facette sombre du clan Jäger savaient qu'il ne s'agissait en réalité que d'une manœuvre de dissuasion.

— Galatée ! Galatée ! Un sourire, je vous prie ! retentit une voix féminine.

— Par-là, Madame Jäger !

— D'où viennent vos vêtements aujourd'hui, Madame Jäger ?

             Se plaçant debout à côté de son mari, elle frémit en le sentant poser une main dans le bas de son dos et s'arrêta un instant devant les journalistes, les laissant prendre des clichés de sa tenue.

             De sa perruque à ses faux ongles, la semaine prochaine, les publications instagram les plus en vogue comporteraient des éléments de ses vêtements et accessoires. Elle sourit à cette idée.

— Malgré la mort de Miranda dans le film Diamond Stars, peut-on espérer vous revoir incarner de nouveau ce personnage dans la suite annoncée par le réalisateur ?

             Fendant la foule de paparazzis la tête haute malgré les flashs l'éblouissant, elle s'engagea sur les marches tandis qu'Eren, à ses côtés, gardait le même visage froid auquel il avait habitué les caméras.

— Monsieur Jäger ! Seriez-vous prêt à étendre votre clientèle au marché international ?

             Il ignora cette question. Il le faisait déjà. Sauf qu'il ne vendait qu'aux armées alliées des Etats-Unis. Et ce journaliste viscéral cherchait à le faire parler de la Chine ou de la Russie avec qui les relations de leur pays étaient tendues.

             Il ne rentrerait pas dans son piège.

— Galatée ! Qu'avez-vous à dire sur le fait que de nombreuses jeunes filles copient votre fameuse dague accrochée à la cuisse ?

             Il n'y avait pas grand-chose à dire à vrai dire. Elle avait lancé une mode.

             Poursuivant leur route, ils laissèrent les questions glisser sur eux.

— Madame Jäger, allez-vous acceptez la proposition de rencontre avec le mannequin Laura Teyber ?

— Monsieur Jäger, rejoindrez-vous votre femme lors de cette rencontre, si elle l'accepte ?

— Qu'allez-vous organiser pour votre anniversaire de mariage ?

— Que dites-vous, monsieur Jäger, de la remarque de votre frère sur twitter quant aux relations toxiques ? Pensez-vous savoir de qui il parlait ?

— Madame Jäger, une réaction aux propos d'Anna Clark, l'épouse du député conservateur Henry Clark, vous qualifiant de « femme vulgaire » et « danger pour la jeunesse » ?

             Là, tandis qu'ils atteignaient les dernières marches, Galatée s'arrêta pour se tourner vers la petite brune qui venait de prendre la parole. Au travers de ses lunettes noires, elle darda ses yeux perçants sur la journaliste qui se tassa quelque peu, particulièrement intimidée par l'aura puissante de ce couple.

             La main d'Eren resta posée sur son dos, il n'était pas surpris qu'elle souhaite réagir à cette pique. Le son des flashs ne devint plus que le seul bruit audible, les journalistes ayant tous tu leurs questions pour entendre sa réponse en la voyant entrouvrir ses lèvres brillantes sous son gloss irisé.

— J'avoue avoir été assez surprise d'entendre ces propos de la part de l'épouse d'un homme tel qu'Henry Clark, avança-t-elle d'une voix calme. J'entends par là qu'étant donné que notre cher député se plait à faire remarquer que les immigrés ne seront jamais américains car, selon lui, ne parleront jamais notre langue comme ceux nés ici, j'attendais de cette personne une maitrise totale de l'anglais.

             La brune tremblait en tenant son micro mais tint bon, sachant qu'il était rare que les Jäger répondent à des questions de journalistes balancées dans la rue de cette façon.

— Rendez-vous compte ! s'exclama-t-elle avec un faible rire. Critiquez des étrangers sous prétexte qu'ils maitrisent mal la langue et, juste après, confondre les termes « vulgaire » et « splendide »...

             Elle vit les yeux de la brune s'écarquiller en comprenant ce que galatée venait de dire.

— Néanmoins, je souhaite remercier ma tendre et chère amie Anna, répondit-elle avec sarcasme. Car elle dit vrai, je suis splendide. 

             Là-dessus, elle reprit sa marche, le menton relevé et ses talons frappant le sol en rythme. La main d'Eren reposait dans son dos, ferme, l'éloignant loin des questions qui venaient subitement de reprendre en un flot incessant.

             Et, tandis qu'ils franchissaient les derniers mètres les séparant des portes vitrées que deux employés chargés de la sécurité ouvrirent pour les accueillir, il glissa sa tête dans le creux de son épaule, murmurant contre sa peau.

— Je t'aime encore plus quand tu fais ce genre de choses.

             Elle sentit ses joues chauffer à ce contact si particulier, devinant que les journalistes n'avaient rien raté du moment où il s'était glissé dans son cou et que mille et unes photos et montages existeraient dans quelques heures de cela. Mais elle demeurait agacée par la dispute de tantôt.

             Ils dépassèrent l'entrée, attirant le regard de quelques employés sur eux tandis qu'une dizaine de personnes habillées de noir se précipitaient derrière eux, prêts à faire barrage à n'importe quel journaliste qui tenterait d'entrer dans le bâtiment. Et, lorsque les portes vitrées se fermèrent dans leur dos, coupant le bruit des flashs et questions, ils laissèrent échapper un soupir de soulagement.

             Même s'ils étaient habitués à ces manèges, les lumières aveuglantes et cris avaient tendance à les désemparer.

— Historia t'attend dans mon bureau, déclara-t-il d'une voix douce tandis qu'ils dépassaient les portiques de sécurité. Je vais devoir régler quelques détails avec père dans son bureau donc vas-y sans moi, mon cœur.

             Il saisit son menton de ses doigts et redressa son visage, la forçant à confronter ses émeraudes puissantes. Et, dans un geste infiniment doux, il posa ses lèvres contre les siennes tandis que son estomac se soulevait.

             Jamais elle ne se lasserait de ses baisers. Quand bien même elle restait en colère. Ils avaient un goût rassurant.

— A plus tard, répondit-t-elle.

             Elle le regarda s'en aller en direction des portes situées à gauche de la vaste salle d'accueil, derrière les comptoirs blancs où se trouvait une standardiste souriante. Elle s'en détourna et, ignorant les fauteuils de cuir blancs sur sa droite où attendaient déjà quelques rendez-vous, s'engagea en direction du fond de la salle, jusqu'aux ascenseurs, faisant résonner ses talons sur le sol lustré et brun.

             S'arrêtant devant eux, elle appuya sur le bouton situé à côté des portiques et se tourna une dernière fois en direction de cette salle d'accueil vaste où les teintes marrons et blanches dominaient, parfois égayée par la présence de plantes — une décision de Carla Jäger qui avait étonnamment joué sur leur image pour leur donner un air convivial.

             Mais elle n'eut le temps de détailler plus longuement l'endroit qu'une voix qu'elle connaissait bien l'interpella :

— Belle-sœur !

             Elle soupira, levant les yeux au ciel. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, jamais Sieg n'avait daigné l'appeler par son prénom. En plus du fait qu'il n'appréciait pas la signification derrière celui-ci, il n'aimait pas non plus sa propriétaire.

             Alors elle n'était pas sûre de vouloir démarrer une journée se promettant d'être reposante — un SPA aux côtés de l'assistante d'Eren qui était devenue une bonne connaissance, Historia — par une discussion aux côtés de cet abruti bourru.

— Quel aspect de mon mariage vas-tu critiquer aujourd'hui ? rétorqua-t-elle sans un seul regard pour le barbu qui venait de s'arrêter à sa droite, regardant les chiffres au-dessus de l'ascenseur décroitre à mesure que la cage approchait du rez-de-chaussée.

— A vrai dire, je suis venue te faire un cadeau pour l'anniversaire de celui-ci !

             Elle leva un sourcil septique en direction du blond cendré, tentant de trouver le coup fourré derrière ses lunettes rondes. Sieg ne lui avait jamais fait de cadeau. Il la trouvait stupide, naïve et soumise à son mari ce qui, citant ses propres mots « était une vaste blague lorsqu'on savait que certains internautes la considéraient comme une figure féministe sous prétexte qu'elle s'habillait comme elle le souhaitait ».

             Alors elle rétorqua simplement :

— Je n'y crois pas une seconde.

— Ecoute, je sais qu'on est parti du mauvais pied mais j'aimerai me faire pardonner, répondit-t-il d'une voix sérieuse et étonnamment douce. Je me suis rendu compte à quel point mon petit frère t'aimait grâce à ça et je pense que tu devrais le voir.

             Il venait d'éveiller son intérêt. Fronçant les sourcils, elle se tourna vers l'espèce de carnet fin et grand qu'il tenait, sa reliure de cuir seulement décorée de lettres d'or : « le vent divin ». Ce nom ne lui disait rien.

— Je ne sais pas du tout ce que c'est, tu dois te tromper, rétorqua-t-elle, sur la défensive.

— Ceci, ma chère Galatée, dit-il d'une voix qui le trahit malgré lui sur ses émotions vis-à-vis de ce faux nom, est la preuve d'un amour infaillible qu'il nourrit envers toi et je sais qu'il est trop pudique pour te montrer cela lui-même donc je me permets de jouer les entremetteurs.

— Tu as fouillé dans ses affaires ? demanda-t-elle d'un ton accusateur.

             Il soupira en levant les yeux au ciel, l'air de songer qu'elle voyait toujours le mal partout. Mais son mari avait son jardin secret et elle respectait cela. Le fait que Sieg ne soit pas capable d'en faire de même, en revanche, l'agaçait au plus haut point.

— J'ai trouvé quelque chose, l'ai feuilleté, l'ai vite fermé en réalisant le caractère privé du carnet et ai de suite décidé de te l'apporter, corrigea-t-il.

— Tu es malhonnête.

             Il soupira, visiblement agacé.

— Ecoute, je cherche à me faire pardonner pour mon comportement au cours de ces deux dernières années. Prends ce carnet et apporte-le à Eren. Si, en cours de route, tu décides d'y jeter un œil, ça te regarde, se défendit-il. Mais tu ne seras pas déçue si tu le fais.

             Il commençait à sérieusement éveiller son intérêt. Et, malgré son respect pour la vie privée de son mari, elle se surprit à hésiter, son regard se posant sur l'objet enfermé dans la main de Sieg. Puis, soudain, la phrase qu'Eren avait prononcée tantôt lui revint.

« Tu n'as aucun secret pour moi, pas vrai ? »

             Lui non plus, ne devrait pas en avoir pour elle.

             Le tintement de l'ascenseur retentit, les portes s'ouvrirent sur une personne coiffée d'un chapeau qu'elle ne regarda que brièvement lorsqu'elle s'en alla.

— Je vais le prendre, déclara-t-elle avant de calmer la mine réjouie de Sieg d'une simple phrase. Mais simplement pour le lui donner !

             Il émit un rire suivit d'un clin d'œil complice. Elle rentra dans la cage, le carnet en main.

— Mais bien sûr, madame Jäger. Juste pour ça.

             Elle soupira en roulant de yeux puis appuya sur le bouton numéroté quarante-neuf, l'avant-dernier étage. Les portes se fermèrent sans que le blond ne lui accorde un regard, déjà tourné vers la standardiste pour aller lui faire du charme.

             Elle leva les yeux au ciel, le carnet serré dans ses doigts. Le silence était revenu. Elle était seule. Et sa conscience la taraudait.

             Elle devait faire confiance à son mari. Mais cela n'avait rien avoir avec la confiance, il s'agissait de quelque chose qui, selon Sieg lui ferait plaisir. Sa curiosité la démangeait. Mais chacun avait le droit à ses secrets. Enfin, Eren lui avait clairement fait savoir qu'elle ne devait pas en avoir pour lui.

             Un sifflement aigue retentit dans son dos.

— Au lieu de fouiller les affaires d'Eren, Sieg ferait mieux de réparer cet ascenseur, songea-t-elle en se rappelant que ce n'était pas la première fois qu'elle entendait des bruits étranges ici et que le blond avait pourtant déjà promis qu'il s'en chargerait.

             Elle hésita, luttant contre sa conscience durant encore quelques instants. Puis, elle céda. Après tout, l'homme avait assuré que ce qu'elle verrait lui ferait plaisir. Et elle voulait découvrir ce qu'était le « vent divin ».

             Si poétique et si doux, ce nom ressemblait à celui d'une œuvre d'art.

— Et merde.

             D'un geste hâtif, elle ouvrit le carnet. Et ses yeux s'écarquillèrent en tombant sur la première page tandis que son estomac se soulevait. Machinalement, elle vint caresser le papier sous ses yeux et le sifflement résonna de nouveau, la pulpe de ses doigts pressant les contours du dessin délicatement.

             C'était elle.

             Tracée avec une précision infinie, colorée à l'aide d'aquarelle, apportant de fines teintes au portrait, elle se trouvait sur cette page. La tête renversée en arrière, les lèvres entrouvertes tandis qu'une main masculine enserrait sa gorge de ses doigts. Aucune pression. Aucune violence. Simplement un geste érotique. Une prise.

             Elle sentit ses joues chauffer, faisant défiler les pages sous ses doigts et trouvant d'autres peintures ou dessins. Ils représentaient toujours la même chose. Elle. Au moment de l'orgasme. Allongée sur leur lit, debout contre un mur, à genoux au sol, assise sur les jambes de son mari. En pleine extase. Le vent divin. C'était elle quand Eren l'amenait au septième ciel.

             Elle déglutit péniblement, à la fois grisée par la beauté de ces œuvres et embarrassée que Sieg les ait vues. Le sifflement retentit de nouveau dans son dos et elle rangea en toute hâte le carnet dans son sac, comme un trésor qu'elle souhaitait protéger à tout prix.

             La jeune femme n'était pas sans connaitre les talents de son mari pour le dessin, ayant elle-même vu des croquis des prototypes qu'il développait. Mais jamais elle n'aurait cru le voir la représenter, elle. Et surtout, le cacher.

             Elle se sentait comme une muse, une création, une beauté façonnée, un personnage de mythe.

             La Galatée.

             Ses joues chauffaient et le sifflement retentit de nouveau. Mais, cette fois-ci, ses muscles se raidirent et des sueurs froides l'ensevelirent. Ses yeux s'écarquillèrent tandis que sa voix soudain se figea, l'empêchant d'hurler.

             Prise dans le courant de ces pensées, le vent divin, les journalistes, sa dispute avec Eren, pas un seul instant elle ne s'était arrêtée pour constater que le sifflement dans son dos n'avait rien d'habituel ou de mécanique.

             A vrai dire — et elle venait tout juste de le comprendre — il était animal.



































             Au quarante-neuvième étage, Eren posa les yeux sur sa montre, impatient. Il avait eu le temps d'aller voir son père et revenir à son bureau pour trouver Historia dans une robe blanche, patientant gentiment. Comment Galatée avait-elle bien pu faire pour être en retard !? Il l'avait laissée dans le hall, emprunter l'ascenseur ne prenait tout de même pas dix minutes !

             Plantée devant les portes de celui-ci aux côtés d'Historia, il frappait nerveusement le sol du pied, ses yeux fixant le cadran de sa rolex. Remarquant son comportement nerveux, la blonde tenta de l'apaiser :

— Elle est sûrement partie aux toilettes, vous savez.

             Son assistante était l'une des rares amies de Galatée qui ne se permettait aucune remarque sur leur mariage. Mais il devinait, à la façon qu'elle avait toujours de prononcer ce genre de phrase, qu'elle ne considérait pas non plus son comportement comme sain.

             Et, en effet, le simple fait qu'il soit agacé de la voir en retard de quelques minutes l'embarrassait. Sa femme n'était sûrement pas en train de le tromper dans une aile du bâtiment, il pouvait se détendre un peu. Ce n'était qu'un léger contretemps.

             Pour être tout à fait honnête, il ne craignait pas qu'elle le trompe, contrairement à ce que songeait Historia. Il se sentait minable d'avoir qualifié ses problèmes de "petits", plus tôt. Alors, de mauvaise humeur, un rien risquait de le mettre en colère.

             Il ne répondit pas à la phrase de la blonde, se redressant brusquement en entendant le tintement caractéristique des portes. Celles-ci s'ouvrirent sur le dos de son épouse, regardant le fond de la cage d'ascenseur.

— Ah bah quand même ! s'exclama-t-il en s'approchant d'elle. Qu'est-ce tu fais...

             Mais il s'interrompit brusquement lorsque, posant la paume de sa main sur le torse de son mari, elle l'empêcha d'avancer d'un geste brusque. Il se redressa vers elle, surpris, et constata que ses yeux écarquillés fixaient avec terreur un point précis.

             Il suivit son regard et se raidit.

— Appelle la fourrière..., dit-elle d'une voix faible.

             S'enroulant autour de la rampe argentée de la cage d'ascenseur, un épais et long serpent blanc sifflait. Ses écailles éclatantes étaient parcourues de traces rouges comme du sang. Il voyait ses crocs en-dessous des billes noires lui servant de yeux. Elles étaient imbibées d'hémoglobine.

             Son cœur rata un battement à cette vision et il se tourna vers sa femme, terrifié à l'idée d'avoir compris ce qu'il venait de se produire. Mais, lorsqu'il sentit couler le long de son torse un liquide chaud et baissa les yeux vers le bras qu'elle avait plaqué sur lui, son sang se figea dans ses veines.

             Trois morsures étaient visibles sur son avant-bras. Le serpent l'avait attaquée. Et elle saignait abondamment, sa chair ayant viré au rouge.

— Et les pompiers..., ajouta-t-elle.


















             Avant qu'il n'ait le temps de dire quoi que ce soit, elle s'effondra dans ses bras, inconsciente.

























赤い糸


































𓉣

hé mais...

quand j'ai relu
ce chapitre j'ai eu
envie de mêler
eren

j'avais oublié
comment il
était au début

𓉣





























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