𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟑













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C  H  A  P  I  T  R  E    1 3

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赤い糸


            L'ATMOSPHÈRE ÉTAIT PESANTE, presque étouffante. Dans cette pièce sombre du sous-sol du Palace, l'absence de fenêtre était particulièrement remarquable. Tout semblait avoir été calculé au millimètre près afin d'intimider quiconque posait pied dans cette salle.

             Des murs gris seulement agrémenté de grilles d'aération figées çà et là et de deux portes de métal, l'une marquant l'entrée de la salle et l'autre semblant mener à une pièce privée et mystérieuse aux néons blanchâtres accrochés aux plafonds et qui projetaient une lueur tremblotante sur les lieux, conférant un aspect fantomatique aux personnes présentes, tout inspirait la crainte. Même l'air humide.

             Au centre de la pièce, une dizaine de tables alignées de sorte à former un « u » étaient occupées par des visages austères en costume cravate terne. Au bout, faisant face à la porte d'entrée, un visage ridé coiffé d'un chapeau dissimulant partiellement de longs cheveux châtains se découpait. Ses yeux fixaient la nouvelle venue.

             Debout dans son élégante tenue crème cintrée par la veste de costume de l'homme légèrement en retrait derrière elle, le Cinquième Lieutenant de la Rose Noire ne s'embarrassa d'aucune forme de politesse. Point de sourire, de salutation ou autre conventionalité.

             Elle savait que cela n'avait rien d'une entrevue amicale.

Ôtez votre masque et prenez place, je vous prie, tonna l'homme au chapeau qui, aux vues de sa position au centre des tables, présidait cette assemblée.

             Sans surprise, elle retira le tissu dissimulant une partie de son visage. Les Ackerman ainsi que les autres clans avaient beau être spécialisés dans des crimes, cela ne faisait pas d'eux des bourrins dénués de toute forme d'intelligence. Ils maniaient des arts subtils comme celui de la lecture du langage corporel.

             Et elle savait qu'au moins une personne parmi celles l'entourant allait prendre note de ses moindres expressions et micro-expressions faciales pour s'assurer au mieux de son honnêteté.

             Alors, s'approchant du pupitre posé devant ce « u » et leur faisant tous face, elle en tira la chaise en prenant bien soin de ne pas laissé paraitre son sourire en coin. Même mieux, au moment de s'emparer du dossier, elle veilla à essuyer la paume de sa main libre sur son pantalon, comme si elle avait les mains moites.

             Il fallait qu'ils ne voient en elle qu'une épouse amnésique cherchant à garder la face mais terrorisée. Il fallait qu'ils la sous-estiment.

             La victoire n'en serait que plus belle.

Bien, s'enquit l'homme tandis qu'elle s'asseyait. Nous pouvons commencer.

             Dans son dos, elle sentit Livai se rapprocher et le vit du coin de l'œil s'arrêter à sa droite, légèrement en retrait. Intentionnellement, elle jeta un rapide coup d'œil à l'homme.

             Une femme maitresse d'elle-même aurait eu suffisamment confiance en son ouïe pour être sûre qu'un homme venait de s'approcher d'elle et la surveiller. Une hésitante, en revanche, chercherait à s'en assurer avec un regard. Alors il fallait qu'elle lui jette une œillade.

             Sans surprise, elle entendit les ratures d'un crayon sur le papier à sa gauche provenant de la table la plus proche d'elle. Elle dut réprimer son sourire et leva le menton, paraissant fière. Alors le comportementaliste était celui-ci, à cinq mètres d'elle à peine.

             Il fallait qu'elle se montre subtile. Si elle avait de trop évidence peur d'eux, tous remarqueraient son jeu d'acteur. Mais si elle donnait l'impression de vouloir avoir l'air forte, alors tous seraient convaincu de l'avoir percée à jour et d'avoir deviné qu'elle était en réalité un petit être chétif et terrifié.

             Ce qui était loin d'être le cas.

Moi, Kenny Ackerman, suis le bras droit de la tête de clan, Madame Kuchel Ackerman, annonça la voix tandis que toutes les têtes s'inclinaient en une légère référence à l'écoute du dernier nom. Veuillez décliner votre identité.

Galatée Jäger, répondit-elle, mimant une erreur due à l'anxiété.

L'autre, répondit froidement le dénommé Kenny.

Oh... Euh... (T/P) (T/N), Cinquième Lieutenant de la Rose Noire.

Bien.

             Son masque toujours dans les mains, elle enroula la ficelle de celui-ci autour d'un pied du pupitre et commença à jouer frénétiquement avec, prenant une grande inspiration. Les coups de crayon à sa gauche reprirent et elle devina aisément quels mots le comportementaliste inscrivait :

« Respiration difficile, besoin d'occuper ses doigts = stress. »

Lieutenant numéro cinq, malgré votre amnésie, vous êtes peut-être au courant de votre lien avec le clan Ackerman, annonça Kenny.

             Elle choisit d'acquiescer. Elle ne pouvait pas mentir là-dessus étant donné que Livai était avec eux.

Livai a sauvé mes compagnons de...

Ce contrat a été imputé à Livai, pas au clan Ackerman, la coupa aussitôt le président de l'assemblée. Je vous demande si vous connaissez le lien de la Rose Noire à notre clan.

             Le froncement de sourcil qu'afficha la femme à ces mots fut le premier geste sincère qu'elle esquissa depuis le début de leur entrevue.

Je suppose que non, dit-elle d'un ton ferme.

Vous supposez bien, rétorqua l'homme d'une voix rocailleuse, ses yeux sombres la perçant sous la visière de son chapeau.

             Soigneusement rasé, il affichait un air propre sur lui qui lui donnait une allure assez intrigante. D'un côté, ses rides et cernes semblaient crier sa fatigue et demander une grande empathie. De l'autre, ces mêmes éléments émaciaient tant son visage qu'il en devenait presque une carricature de criminel visible partout au cinéma.

             Elle ne savait pas s'il était quelqu'un de bien. Mais elle se doutait qu'il savait se faire respecter.

La Rose Noire a soumis ses services à une poignée de clients seulement qui se sont tous montrés particulièrement fidèles, déclara-t-il après un long silence. Mais la nôtre était celle qui vous a le plus longtemps payée puisque vous avez travaillé pour nous depuis la création de votre groupe.

Ce n'est pas vraiment compliqué, ce groupe est récent.

Ce groupe s'est fait connaitre au sein du milieu du crime organisé récemment grâce à votre génération mais il n'est absolument pas neuf.

             Divers muscles se raidirent dans l'assistance. Visiblement, elle n'était pas la seule à être étonnée de ce qu'ils entendaient présentement. Comment ça, « votre génération » ? La Rose Noire avait-elle vécu assez longtemps pour qu'ils parlent de plusieurs générations de membres ?

La nouvelle génération de la Rose Noire a tenu à se faire connaitre afin de se trouver de nouveaux clients. Les anciens ne vous suffisaient plus, vous vouliez de l'argent. Nettement plus d'argent.

Ou l'émancipation, rétorqua-t-elle dans un grondement sourd.

             Elle vit l'éclair de colère qui traversa le regard de Kenny et continua à jouer d'autant plus violemment avec la cordelette de son masque, la frottant sur le pied de la table.

Si vous savez que la Rose Noire a connu une autre génération de membres, sachant que je suis amnésique et que les neuf autres personnes pouvant témoigner cela, à savoir mes collègues, sont soit morts, soit dans la nature, alors je suppose que si vous détenez une telle information, cela signifie que vous faisiez parti des anciens membres, monsieur Ackerman.

             Continuant de manipuler son masque, elle veillait à conserver l'allure d'une femme essayant de ne pas craquer sous la pression. Mais la réalité était qu'elle n'avait jamais été aussi sûre d'elle, aussi peu anxieuse.

Aurais-je tort de supposer que la liste très petite de clients que l'on servait avant de se faire connaitre n'était nulle autre que les anciens membres de la Rose Noire ? demanda-t-elle, ses sourcils se haussant légèrement. Quel lieutenant étiez-vous, monsieur Ackerman ? Certains de vos collègues sont-ils aussi devenus des chefs de clan ?

             L'homme ne réagit pas, se contentant de la fixer. Un silence s'installa durant quelques instants.

En effet, murmura-t-il au bout d'un moment, la Rose Noire a été composée, à une époque, par les personnes qui sont devenues vos clients, mon clan compris. Et puis, un jour, vous avez décidé de vous faire connaitre en figeant une rose noire sur chaque lieu que vous abandonniez. Le monde a vite fait eu d'entendre parler de vous.

             Il marqua une brève pause.

Les criminels savaient que vous étiez des tueurs à gage et les civils vous prenaient pour des terroristes. Je dois dire que vous avez tout fait pour maintenir cette couverture qui était idéale pour protéger vos clients : la police n'allait pas chercher les commanditaires de vos actions puisqu'ils étaient sûrs que celles-ci n'étaient motivées que par une cause quelconque.

             Brillante idée, en effet, songea la jeune femme. Je suis sûre que c'est la mienne.

Et vous ne pouviez pas tolérer qu'on ait de nouveau client ? demanda-t-elle d'un ton goguenard, continuant de s'affairer sur le pied de la table qui commençait à se fendre tant elle frottait la cordelette du masque avec vigueur dessus.

Non. Vous avez continué de travailler pour nous jusqu'à votre arrivée à Los Angeles, bien après la décision de rendre visible vos activités.

Vous avez craqués quand on s'est implanté chez vous ? le nargua-t-elle. Peur de la concurrence, papi ?

Ce n'est en rien lié au fait que vos collègues sont venus vivre ici il y a quatre ans et que vous les ayez rejoints six mois plus tard. Cela à avoir avec ce que vous avez fait et où vous étiez durant ces six mois.

             La dilatation de ses pupilles et la façon dont ses épaules se raidirent ne fut pas une réaction intentionnelle de sa part. Car, malgré son amnésie, elle avait entendu assez de rumeur sur le Cinquième Lieutenant de la Rose Noire pour savoir qu'à cette date, elle se trouvait en Afghanistan et y avait abattu un homme d'un tir de 2 916 mètres.

Et alors, papi, lança-t-elle en retour, tentant de garder la face. Déçu que je batte le record du monde ?

La Rose Noire est composée de dix lieutenants, comme vous le savez bien, déclara Kenny en l'ignorant. Mais deux autres personnes, qu'aucun de vous dix ne connait d'ailleurs, tiraient les ficelles et s'occupaient de passer derrière vous lorsque vous merdiez.

             Elle fronça les sourcils. La Rose Noire était des professionnels, ils ne merdaient pas. Ceci dit, peut-être devaient-ils cette réputation au fait que, les rares fois où ils fautaient, ces deux-là les protégeaient.

Vos deux capitaines, ajouta son interlocuteur. Le Cerveau et l'Omniscient.

             La gorge de la jeune femme s'assécha soudainement. Elle aurait pu faire une blague sur la qualité plus que discutable de tels noms. Mais le dernier prononcé retint son attention. D'autant plus lorsqu'elle sentit l'homme à sa droite se raidir.

             De toute évidence, Livai venait tout juste d'apprendre que l'homme qui l'avait engagé pour sauver la vie des membres de la Rose Noire était non seulement un de ses anciens membres mais aussi un de leurs capitaines.

             Et, entendant un tel nom, elle-même se surprit à songer à l'étrange inconnu qui l'avait appelée sur le portable de Floch et guidée jusqu'à Eren, le soir où Livai l'avait enlevée.

             Cet homme ? Lié à la Rose Noire ?

La raison pour laquelle vous avez cessé de travailler pour nous en Afghanistan et que la personne que vous avez tuée n'est nul autre que le Cerveau.

Et alors ? rétorqua-t-elle aussitôt, sur la défensive. Qui vous dit qu'un différend privé n'existait pas entre nous ?

Outre le fait que vous ne connaissiez pas son identité et que vous avez donc enquêté sur celle-ci..., répondit Kenny. Eh bien, je t'en prie, Onyankopon.

             A sa droite, un homme aux cheveux coupés courts et au visage strict tourna l'ordinateur portable qu'il avait jusque-là sous ses yeux et qui projetait une lueur blanche sur sa peau ébène. L'écran faisant maintenant face à l'assemblée, tous purent voir de quoi il s'agissait.

             C'était une vidéo en pause. Une vidéo d'elle.

             Assise sur ce qui ressemblait à un lit de camp, face à la caméra, elle n'avait plus rien de l'épouse coquette que tous connaissaient aujourd'hui. Démaquillée, sale, son visage couvert de suie et de poussière, un casque similaire à ceux des militaires en zone de combat coiffait sa tête. Et un fusil reposant entre ses mains, la crosse sur le sol et le canon pointant le plafond de la tente qu'elle occupait.

             Le dénommé Onyankopon avança sa main en direction du clavier et pressa la touche espace La photo s'anima. Des coups de feu lointain se firent entendre. La caméra vacilla quelque peu.

Ici le Cinquième Lieutenant de la Rose Noire. Je ne sais pas si je sortirais d'ici en vie mais suis sûre que l'un de mes neuf collègues trouvera cette vidéo. Je ne peux révéler beaucoup d'informations au cas où quelqu'un d'autres tombent sur cet extrait donc ne retenez que ça : je lance l'opération Serpent.

             La jeune femme se raidit. Serpent ?

Je répète : je lance l'opération Serpent.

             La caméra vacilla un peu plus. Une forte détonation retentit à l'extérieur de la tente. Une bombe. La femme tourna la tête vers le bruit avant de s'emparer d'une grenade accrochée à sa taille, visiblement prête à couper la transmission et s'en aller se battre contre ses assaillants.

             Ils la virent tous s'approcher de l'appareil enregistreur, tendant la main pour l'éteindre. Son visage ne devint bientôt plus que la seule chose visible dans le champ. Et un sourire encourageant se fit voir sur ses lèvres lorsqu'elle termina son propos.

Tuez les anciens membres de la Rose Noire. Terminé.

             L'image se figea. Un murmure parcourut l'assistance. Tous étaient saisis par cette dernière phrase. Alors le Cinquième Lieutenant de la Rose Noire avait donné l'ordre d'abattre ses prédécesseurs ?

             Livai lui-même sentit un certain malaise à cette nouvelle. Mais cela était davantage lié au nom de l'opération.

« Même si elles ont été tuées avec des lames fines, les blessures post-mortem viennent de crocs de serpent. »

« Flash Info : bulletin spécial. Un attentat visant la famille Jäger est survenu ce matin. La femme d'Eren Jäger, Galatée, a été grièvement blessée par un serpent placé dans la cage d'ascenseur. Les témoins rapportent la présence d'un étrange homme coiffé d'un chapeau sortant de l'ascenseur avant l'arrivée de Madame Jäger. »

             Les sourcils du noiraud se haussèrent. Il savait que son oncle n'était pas l'auteur des trois meurtres. Mais il s'était aussi toujours douté de son implication dans l'attentat ayant visé le Cinquième Lieutenant. C'était étrange : deux criminels différents mais la même référence à l'animal. Maintenant, il comprenait.

             Il s'agissait d'une vengeance de différents anciens membres de la Rose Noire.

             Le silence était lourd dans la salle. Nul n'osait bouger. Le Cinquième Lieutenant lui-même ne savait trop comment réagir à une telle vidéo. Avait-elle vraiment donné l'ordre d'abattre les membres fondateurs de la Rose Noire ?

Ymir, fais-le entrer, prononça Kenny rudement, passant outre la sidération générale.

             Ce ne fut qu'à ce moment précis que la jeune femme réalisa la présence de son amie à l'une des tables. Se tournant vers elle, elle trouva bien vite son regard perçant réhaussé d'un trait d'eyeliner, ses cheveux ébènes se dégradant en rouge sur les pointes qui rappelaient son habituel rouge à lèvres noir aux contours devenant écarlate au centre de sa bouche. Son nez en trompette, parsemé de taches de rousseur, était sans nul doute le seul élément ingénu de son physique. Le reste respirait la force.

             Se levant, elle n'accorda aucun regard au Cinquième Lieutenant. Et cette dernière se sentit quelque peu froissée par son geste.

             En plus de lui avoir mentit sur son emploi — car, de toute évidence, elle n'était pas qu'une simple serveuse —, elle ne ressemblait plus aujourd'hui à celle qu'elle considérait comme sa meilleure amie. Juste à un membre de clan la traitant en ennemie.

             Ce fut à cet instant précis que la vérité se décoinça dans l'esprit de la jeune femme. Livai Ackerman avait affirmé avoir continué à veiller sur elle malgré son départ de Los Angeles, il y a deux ans.

             Et, durant tout ce temps, la seule personne liée à lui qui avait pu récolter des secrets sur elle était Ymir, sa meilleure amie.

             Son cœur se comprima dans sa cage thoracique et une vague de chaleur l'envahit. Pensant à toutes ces fois où Ymir avait rabaissé Eren en présence de celui-ci sous couvert de blagues, détruisant à petit feu sa confiance en lui, au fait qu'elle justifiait cela par les choses qu'il lui cachait, elle sentit son sang ne faire qu'un tour. Elle n'avait jamais compris pourquoi la serveuse avait tant persisté à insulter son mari en sa présence, allant même souvent jusqu'à l'humilier tout en sachant combien cela le blessait.

             Mais elle comprenait, maintenant. Elle ne l'avait pas fait pour défendre une amie, seulement par plaisir de torturer psychologiquement un héritier d'un clan adverse. Cette salope n'était qu'une hypocrite que Livai avait engagé pour l'espionner et blesser Eren.

             Ses yeux lancèrent des éclairs lorsque la noiraude atteint le fond de la salle. Et, avant qu'elle ne pousse la porte donnant accès à la mystérieuse pièce inconnue, le Cinquième Lieutenant lâcha d'une voix cinglante :

Tes cocktails sont comme ton amitié au final. Dégueulasses.

C'est faux, rétorqua simplement Ymir en lui montrant le dos, la main posée sur la poignée. Mes cocktails sont excellents.

             Les pointes rouges de ses cheveux dansèrent quelque peu sur sa veste en cuir quand elle ouvrit la porte d'un geste sec. Une lumière se fit voir depuis celle-ci mais personne ne parvint à distinguer l'intérieur de la pièce.

             La femme resta sur le seuil de celle-ci, masquant son contenu et semblant attendre. Bientôt, elle s'écarta juste assez pour laisser voir un homme d'une vingtaine d'année. Le cœur de Cinquième Lieutenant se figea dans sa poitrine quand elle le vit.

             La porte se ferma derrière eux mais, même avec moins de lumière, elle put voir ses traits. Et ceux-ci lui étaient douloureusement familiers.

             Des cheveux châtains doux semblaient avoir été ramenés en arrière de son crâne rasé de près sur sa partie inférieure. Mais quelques mèches tombaient sur son visage tuméfié. Malgré le sang sur son menton, sa joue enflée et son œil violacé, elle distingua aisément l'angle de sa mâchoire carré et le sérieux de ses yeux bruns.

             Ses pulsations cardiaques se firent anormalement rapides et sa gorge s'assécha soudain. Les iris de l'homme vinrent se figer dans les siennes avec intensité et elle crut presque voir un éclair de soulagement les traverser.

             Ymir leva une tablette composant une des tables pour traverser le « U » et tira le blessé à sa suite. Puis, une fois devant Kenny, elle asséna un violent coup de pied derrière son genou pour le forcer à s'écrouler et regagna sa place.

             Les yeux brillants, le Cinquième Lieutenant le regarda. Du sang couvrait la plupart de ses vêtements. Il avait de toute évidence été passé à tabac.

Bien, reprit Kenny une fois l'agitation calmée, l'homme respirant difficilement à ses pieds. Nous avons commencé l'interrogatoire sans vous attendre, mademoiselle, mais j'espère que cela ne vous dérangera pas.

             Le sang de la jeune femme ne fit qu'un tour.

Il se trouve que votre ancien ami ici présent a été le premier à trouver la vidéo que je vous ai montré plus tôt et qu'il a, d'après nos témoignages, aussi été celui qui vous a sauvé en Afghanistan le jour où vous y avez été laissée pour morte.

             Elle ne répondit pas. Elle n'était pas au courant de ces informations et, en de normales circonstances, elles l'auraient choquée. Mais pas là. Pas quand ce visage si familier se retrouvait autant amoché.

Maintenant, la loyauté de ce garçon envers vous semble légèrement trop forte, tonna le président de l'assemblée entre ses dents serrées. Surtout étant donné qu'il s'évertue à vous protéger malgré votre trahison.

Ce n'est pas elle, elle n'a rien fait ! Et aucun autre d'ailleurs ! cracha aussitôt le châtain. Je sais pas comment été la Rose Noire à votre époque mais nous on est loy...

             Sa phrase mourut dans sa gorge, étranglée par des gémissements de douleur étouffés. Et, voyant les filaments argentés soudain accrochés à sa poitrine et remontant jusqu'à leur racine, un pistolet jaune que tenait un blond au regard vitreux, elle comprit qu'il venait de se faire taser.

             Elle sentit la colère déformer ses traits.

Madame (T/N) ou Jäger, qu'importe, cracha Kenny avec force. Je me fiche que le lieutenant numéro deux ici présent soit convaincu de votre amour pour vos collègues. Vous avez tué le Cerveau il y a deux ans et, juste après avoir donné l'ordre de lancer l'opération Serpent, le nom, la photo et d'autres informations personnelles des membres de la Rose Noire ont été publié.

             Il posa les paumes de ses mains sur la table, tentant de se contenir.

Toutes les identités...

             Son regard se renforça, fixant toujours plus intensément la femme.

...sauf la vôtre.

             Elle n'écouta pas. Elle n'écoutait plus. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et ses yeux s'écarquillaient lentement, fixant le vide.

             Porco Gaillard. Tel était le nom de l'homme sous ses yeux. Elle s'en souvenait.

             Voyant qu'elle l'ignorait en plus de tous les actes qu'elle avait déjà commis, l'homme ne tint plus. Ses paumes à plat sur la table vinrent la frapper et il se leva brutalement, provoquant un raclement de chaise et un bruit sec quand celle-ci tomba au sol. Ses pupilles dilatées se fixèrent sur la jeune femme tandis que ses traits se déformaient sous la chaleur de la rage.

             Mais elle n'y prêta pas attention. Ses entrailles la brûlaient face à l'état dans lequel son collègue était. Eux qui avaient fondé cette organisation, comment pouvaient-ils faire subir cela à un de leurs membres ?

Vous avez tuer l'un des membres fondateurs de la Rose Noire, l'avait assassiné après qu'il ait tant fait pour vous, avait monté et lancé l'opération serpent et avait vendu l'identité de vos collègues sur le dark net, cracha-t-il. JUSQU'OÙ COMPTEZ VOUS ALLER DANS VOTRE TRAHISON, LIEUTENANT !?

             Son cri signa la fin de cette entrevue. Car il tira la jeune femme de son état second et la poussa à agir.

             Sa chaise tomba au sol lorsqu'elle se leva. Mais elle fut si rapide que nul n'eut le temps de le voir. Plongeant aux pieds de Livai, elle leva le bas de son pantalon, dévoilant l'arme accrochée à son mollet et l'ôta de son holster en un battement de cil. Puis, tout aussi vivement, elle se redressa sur ses pieds en défaisant du pouce le cran de sécurité. Son sang bouillonnait lorsqu'elle riva le canon en direction de la tête de Kenny.

             Et au moment où elle se dit que jamais elle ne pardonnerait quiconque de s'en prendre à ses collègues, une détonation retentit.

             Elle avait tiré.

             Quelques cris étouffés retentirent et les corps se figèrent. Lentement, tous se tournèrent vers leur chef, craignant d'avoir la confirmation de ce qu'on disait à propos du cinquième lieutenant, à savoir qu'il ne ratait jamais sa cible.

             Mais celle-ci se raidit lorsqu'elle vit le sourire en coin sur le visage de Kenny et son front tout à fait intact. Elle ne ratait jamais sa cible. Il y avait eu une détonation. Alors cela signifiait que...

Des balles à blanc ? commenta l'homme. Ingénieux. Une de tes idées, Livai ?

Celle d'Edward, corrigea-t-il.

Et comment a-t-il su qu'elle prendrait cette arme-là, en particulier ?

L'arme a la cheville est la plus difficile à dégainer et donc la plus rarement utilisée. C'était la plus probable d'avoir un chargeur plein et elle aurait eu besoin d'un maximum de balles pour s'en aller d'ici.

             Un soufflement de nez amusé jaillit de Kenny.

Et bien, ce petit refuse peut-être de vendre des armes à des têtes de clan parce qu'elles sont cancers ascendant poisson mais il n'est pas totalement stupide.

             Non, en effet, songea la jeune femme. Pour penser à une telle chose, il était même particulièrement intelligent et observateur. Jamais elle n'aurait cru que quelqu'un devinerait comment elle choisissait généralement de désarmer ses adversaires.

             Elle n'eut le temps de réfléchir plus longtemps. Une main attrapa son bras et le tordit dans son dos tandis qu'une autre, se posant entre ses omoplates, la plaqua contre la table qu'elle venait de quitter.

             Le choc fut violent et elle sentit une vive douleur irradier son buste tandis que le torse de Livai se collait à son dos et que son visage se glissait dans le creux de son épaule. Elle sentit son souffle glacé sur sa joue lorsqu'il lâcha dans un murmure :

Tu es la meilleure avec les armes à feu mais je te bats au corps-à-corps, poupée.

             Un rictus étira les lèvres de la concernée malgré sa position désavantageuse. De toutes les tables, il avait fallu qu'il choisisse celle-ci.

             S'il l'avait mieux observée, il aurait remarqué qu'elle ne jouait pas avec la cordelette de son masque pour calmer son stress mais pour scier l'un des pieds de la table.

On ne joue toujours pas dans la même cour, petit.

             Il n'eut le temps de répondre qu'elle asséna un coup de genoux dans le pied de la table qu'elle avait coupé. Celui-ci chuta et, leur support devant soudain instable, ils le suivirent et s'écroulèrent.

             Livai, prit de cours, ne songea même pas à immobiliser l'autre bras de la jeune femme. Elle s'en servit pour saisir l'arme à sa taille et, d'un geste aisé, riva le canon en direction des néons accrochés au plafond.

             Deux détonations retentirent. L'obscurité se fit. Totale.

             Avec la crosse de son arme, elle assomma Livai au niveau de la tempe. Même dans le noir, elle avait assez observé les lieux pour se repérer.

             Des cris et raclements de chaises se firent entendre autour d'elle. Quelques personnes se bousculèrent et la percutèrent même sans se rendre compte de qui elle était. Elle ne disposerait que de très peu de temps. Les téléphones étaient interdits aux réunions de clan — elle le savait grâce à Eren — mais le dénommé Onyankopon pourrait rallumer son ordinateur à tout moment pour créer un minimum de lumière.

             Fondant au centre du « U », elle n'eut aucun mal à trouver le corps gisant de Porco. Empoignant l'un de ses bras, elle profita des cris ambiants et ordres vociférés pour lui murmurer :

Tu peux te lever ?

Je te suis.

             Un sourire satisfait prit place sur son visage et elle posa la main du châtain sur son épaule afin de le guider dans l'obscurité. Puis, les sourcils froncés, elle se concentra sur le nombre de pas qu'elle avait fait jusqu'à lui pour retourner à sa place avant de se diriger rapidement en longeant le mur jusqu'au fond de la salle.

             Quelques épaules se heurtèrent à la sienne mais, encore une fois, nul n'alla s'imaginer qui elle était.

             Bientôt, elle atteignit la porte du fond. Elle se doutait que des soldats gardaient l'entrée donc il lui serait impossible de s'échapper. Et nul n'allait s'imaginer qu'elle s'enterrerait plus profondément dans le bâtiment. Alors mieux valait se cacher là le temps que la situation se calme.

             A une vitesse ahurissante, elle entrouvrit la porte et se précipita à l'intérieur avec Porco avant que la lumière de la salle ne se voit dans l'espace envahit par l'obscurité qu'ils quittaient.

             Fermant derrière elle, elle se retourna pour observer rapidement les lieux. Et sa stupeur fut grande. C'était étrange de passer de la salle de réunion à cela. On eut dit deux mondes différents.

             Une lumière orangée provenait de centaines de bougies disposés un peu partout sur des meubles de bois, le plus souvent dans des chandeliers dorés. Un tapis pourpre recouvrait le sol et des tableaux étaient accrochés aux murs.

             Au centre, une femme aux longs cheveux noirs lisait, gracieusement assise sur un canapé crème, ses jambes étendues à côté d'elle dans une robe dorée.

             Il ne lui fallut qu'un regard à ses traits doux pour la reconnaitre même si elle ne l'avait jamais vue auparavant. Elle ressemblait bien trop à son fils.

             Kuchel Ackerman.

Je me demandais combien de temps tu mettrais à arriver ici, lança-t-elle d'une voix douce sans lever les yeux de son livre.

             Ils ne répondirent pas. Mais elle garda le doigt sur la détente de son arme à feu.

La dernière fois qu'on s'est vues tu as mis moins de cinq secondes à me tirer une balle en pleine poitrine, rit doucement la femme en tournant une page. Et aujourd'hui tu mets dix minutes à arriver ici. Le changement est saisissant.

             Elle ne répondit pas, regardant Kuchel lire attentivement les lignes. Elle avait tiré sur cette femme ? Vraiment ?

Vous comptez lui faire payer ? tonna Porco d'une voix menaçante, sa main toujours posée sur l'épaule de la jeune femme exerçant une douce pression pour lui faire savoir qu'il était avec elle.

Bien sûr que non, répondit Kuchel, visiblement amusée sans même leur accorder le moindre contact visuel. Pourquoi je tuerais un membre de mon camp ?

             Les sourcils de la jeune femme se froncèrent.

Je vous ai tiré dessus, je vous signale.

             Sa poitrine se souleva et la noiraude pouffa.

Chérie...

             Enfin, elle leva les yeux de son livre, les figeant dans ceux du Cinquième lieutenant. Et cette dernière se sentit rapetissir face à la force son simple regard. Cette femme n'en montrait rien, pourtant tous pouvaient deviner à sa simple façon d'être qu'elle était puissante.

             Elle lui rappelait d'ailleurs quelqu'un.

C'est ce jour-là précisément que j'ai sur que je pouvais compter sur toi. Autrement, tu aurais visé la tête.

             Le sang de son interlocutrice se figea dans ses veines. Cette femme était-elle complètement folle ?

             Un silence prit place durant quelques instants. Assez pesant et bientôt rompu par la noiraude qui se reconcentra sur son livre comme si de rien n'était.

Je voulais juste revoir ton visage, vous pouvez disposer, maintenant, la congédia-t-elle.

             Pardon ? Venait-elle de les chasser aussi vite qu'ils étaient arrivés ? Et croyez-t-elle vraiment qu'il s'agissait d'une visite de courtoisie ?

             A sa grande surprise, Porco l'attira pourtant vers la porte, visiblement prêt à obéir. Et, surprenant le regard ahuri que lui lança son ancienne collègue, s'expliqua :

Crois-moi s'ils nous voient ressortir d'ici indemnes, ils nous laisseront partir gentiment. Elle nous aurait tué si elle voulait qu'on meure. Alors nous laisser libres c'est aussi leur dire d'arrêter.

             Son interlocutrice ne répondit pas, prise de court. Aux côtés d'Eren, elle avait parfois l'impression que les Jäger étaient les êtres les plus étranges qui soient. Mais force était de constater que les Ackerman n'étaient pas en reste non plus.

             Avant qu'elle ne puisse formuler quoi que ce soit ou même s'avancer vers la porte, Porco ajouta :

C'est bon de te revoir.

             Derrière eux, partiellement allongée dans son canapée, Kuchel sourit en tournant une page.

             Oui. C'était bon de la revoir.






















             Le son de la portière claquant fut le seul son perturbant le silence de plomb ayant pris place dans la voiture depuis leur retour du Palace. Et, même si elle se fichait à l'ordinaire du bruit l'entourant, la jeune femme devait bien avouer que la situation devenait pesante.

             Sortant de la salle en compagnie de Porco, elle était tombée nez-à-nez avec un Livai Ackerman au regard parcouru de flammes qui l'avait saisie par le bras et tirée hors de la pièce, profitant de la lumière offerte par la salle qu'occupait Kuchel pour se guider.

             Personne ne les avait arrêtés. Seul le châtain les avait suivis. Et le noiraud ne s'était pas interposé quand il était monté sur la plage arrière de leur véhicule.

             Après un trajet silencieux et pesant où elle n'avait même pas osé adresser la parole à Porco tant les jointures des mains de Livai se serrant sur le volant étaient blanches, ils étaient enfin arrivés. Elle pouvait mettre de la distance physique entre elle et le noiraud. Son regard glacé fixé droit devant lui, ses sourcils presque froncés et ses lèvres pincées, il s'était montré particulièrement intimidant.

             Ensemble, ils gravirent les quelques marches menant au perron de la maison. La jeune femme, flanquée du noiraud à sa droite et Porco à sa gauche, ouvrit la porte. Elle avait saisi les clés dans la boite à gants avant Ackerman, craignant qu'il ne les enferme dehors.

             Car il n'avait de toute évidence pas digéré qu'elle le maitrise puis l'assomme.

             Le cliquetis métallique du trousseau retentit et la porte s'ouvrit sur la vaste pièce au carrelage crème. A sa gauche, un mur donnant sur quelques portes s'étendait tandis que sur sa droite étaient visibles deux canapés et un fauteuil disposés autour d'une table basse, le tout face à un écran plat et sur un tapis noir.

             Et c'est justement cette partie de la pièce qui attira l'attention de chacun.

             Assis sur le fauteuil, ses longues jambes étendues devant lui, un homme semblait attendre. L'un de ses coudes habillés d'une veste de costard reposait sur le bord du siège et son menton finement taillé se trouvait dans sa large main.

             Ses traits détendus s'animèrent quelques peu lorsque ses splendides yeux verts semblables à deux émeraudes vinrent se focaliser sur le trio. Et, en voyant ce chignon d'où s'échappaient quelques mèches, ces longs cils affutant ce regard et ce superbe teint hâlé, le cœur de la jeune femme rata un battement.

Vous avez mis du temps à rentrer, dites donc.



             Eren Jäger était là.












赤い糸










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