𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟏







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C  H  A  P  I  T  R  E    1 1

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tw — mention de viol

赤い糸赤い糸






















赤い糸

C... COMMENT ?

             La voix de Livai était saccadée. La souffrance s'entendait dans la façon qu'il avait de prononcer difficilement les syllabes mais la femme devant lui n'était pas surprise. Après tout, son pouce était l'arme avec laquelle elle avait fait glisser le paralysant sur ses lèvres.

             Elle ne disposerait que de quelques minutes avant que les effets de ce dernier ne se propagent trop.

             Afin d'éviter une quelconque erreur, Eren et elle avaient convenu de ne jamais mettre de substances létales dans ces perles. Immobiliser quelqu'un qu'on croyait être un danger passait encore. Le tuer pour se rendre compte plus tard qu'on s'était trompé sur son compte relevait en revanche d'une autre paire de manches.

             Dans cette précaution prise par le couple résidait la raison pour laquelle le noiraud allait vivre. Ainsi, elle disposait d'une demi-heure avant qu'il ne retrouve ses facultés motrices mais de dix minutes avant qu'il ne soit immobilisé complètement, sa langue comprise, et qu'il en devienne ainsi incapable de parler.

             Elle devait donc se montrer rapide. Cependant, elle consentie tout de même à répondre à sa question. Après tout, il devait vraiment se demander comment elle avait bien pu deviner qu'il lui mentait, elle qui avait eu l'air si sincère dans son désarroi lorsqu'il lui avait fait croire qu'Eren lui avait tiré dessus.

— Sais-tu ce qu'est la plaque sclérotique, petit ? demanda-t-elle simplement.

             Accroupie juste devant son visage tourné vers elle, elle ne rata rien de son expression se crispant en entendant le surnom qu'elle venait de lui greffer. Et, le canon du calibre 38 de son ancien géôlier pressé sur la tempe de Livai, elle n'attendit pas qu'il réponde.

— C'est la partie la plus présente dans l'œil, expliqua-t-elle. La pupille est noire, l'iris change en fonction des personnes puis la plaque sclérotique entoure le tout.

             Elle le sentit tenter de s'agiter sous son arme et renforça la pression de celle-ci sur le crâne du noiraud en guise d'avertissement. Elle n'hésiterait pas à lui tirer dessus.

— Chez la plupart des individus, elle est blanche avec de très légères nervures rougeâtres visibles de près seulement. Mais, lorsque l'œil est sec, ces lignes rouges sont plus visibles. L'œil s'assèche généralement quand on le maintien ouvert trop longtemps. C'est pour ça que les personnes trop longtemps exposées à leurs écrans ou simplement fatiguées ont ces lignes rouges sur leurs plaques sclérotiques.

             Un sourire vint orner ses lèvres en voyant les yeux de Livai s'écarquiller. Il commençait à comprendre.

— La plupart des personnes, sauf celles atteintes de certaines maladies, ont les deux yeux dans le même état, poursuivit-elle. Mais il existe un type de personnes en bonne santé pourtant qui a toujours un œil plus rouge que l'autre...

             Elle marqua une brève pause.

— ...Car ces personnes sont amenées à fermer un œil et maintenir l'autre ouvert durant plusieurs minutes d'affilées.

             Le sourire sur ses lèvres s'accentua.

— Je parle bien évidemment des individus amenés à viser. Cela peut-être les champions de tir à l'arc ou... Et bien, les tireurs d'élite.

             Il gesticula sous son arme, tentant visiblement de lutter contre les effets du poison. Alors, saisissant une poignée de ses cheveux, elle releva brutalement son crâne, glissant son propre visage à côté de son oreille pour être sûre qu'il entende bien ces mots :

— Tu sais ce que j'ai vu dans le regard d'Eren quand j'ai failli lui coller une balle dans le crâne ? cracha-t-elle entre ses dents. J'ai vu la peur, le sentiment de trahison, la douleur mais, surtout, j'ai vu deux plaques sclérotiques parfaitement blanches.

             Les lèvres quasiment collées sous l'oreille du noiraud, sa prise ferme malmenant son cuir chevelu, elle ne parvenait à retenir sa violence. Elle avait failli tuer l'homme qu'elle aimait à cause de ses mensonges.

— Et tu sais ce que je vois dans ton regard de fouine ? fulmina-t-elle contre ses crocs serrés. Je vois un œil beaucoup plus rouge que l'autre.

             Les yeux de Livai s'écarquillèrent en entendant cela. Et il ne songea même pas au fait que, dans toute sa carrière, jamais personne ne l'avait placé dans une position si humiliante. Nul n'était jamais parvenu à le maitriser, et encore moins si facilement.

— Alors dis-moi maintenant pourquoi diable un sniper que je ne connais ni d'Eve, ni d'Adam viendrait me mentir sur le fait que mon mari est le deuxième meilleur tireur d'élite au monde, hein ? poursuivit-elle en ignorant les cheveux qu'elle sentait s'arracher en très faible nombre du crâne de Livai. Si ce n'est pour rendre quelqu'un d'autre coupable de ton crime, pourquoi aurais-tu menti sur une telle chose !?

             Ne supportant plus la proximité que sa colère rendait étouffante avec son prisonnier, elle lâcha brutalement sa tête sur le sol. Et, se relevant furieusement, enjamba son corps sans ménagement avant de se retourner, pointant directement le canon de son arme en direction du crâne de sa cible.

— Tu sais très bien que je ne te raterais pas alors parle, ordonna-t-elle.

             Oui, il savait que jamais elle ne le manquerait. Et il était aussi conscient du fait qu'elle appuierait sur la détente. Car même si, y compris avant son amnésie, ils ne s'étaient jamais rencontrés, il avait assez enquêté sur ses faits et gestes pour avoir le sentiment de la connaitre.

             Ce fut tout de même parce que ses longues nuits passées au-dessus de son dossier lui donnait davantage l'impression d'avoir affaire à une vieille connaissance qu'à une ennemie qu'il consentit à répondre. Bien qu'il soit conscient qu'elle n'hésiterait pas à appuyer sur la détente, malgré le fait qu'elle l'avait immobilisé si facilement, il ne parvenait à expliquer combien il n'avait pas peur d'elle.

             Ou, plutôt, à quel point il avait confiance en son jugement.

— J... Je ne tue pas les membres de la Rose Noire...

             Sa voix sortait en gémissements pénibles. Il luttait contre ses cordes vocales qui commençaient déjà à s'atrophier.

— ...J'ai été engagé pour sauver ses membres et leur permettre de commencer une nouvelle vie.

             Les sourcils de la jeune femme se froncèrent. Il avait réussi à aiguiser considérablement sa curiosité en une simple phrase.

— Pourquoi ? demanda-t-elle, méfiante. Je suis peut-être amnésique mais je connais assez la réputation de la Rose Noire pour savoir que ses membres n'ont pas besoin d'aide. Encore moins de celle du clan Ackerman.

— Je suis peut-être fils de la tête de clan Ackerman mais la plupart de mes contrats sont extérieurs à la vie du clan, y compris celui-ci. L'un des fondateurs de la Rose Noire m'a engagé pour vous venir en aide.

             Elle ne répondit rien, le laissant poursuivre.

— Il y a deux ans, pendant que tu étais en Afghanistan, une personne anonyme à publier le nom, le prénom et la photo de neuf des dix membres de la Rose Noire. J'ai été chargé de les sauver et leur offrir une nouvelle vie pendant qu'Edward s'occupait d'effacer toutes traces de cette liste sur le dark web.

             La jeune femme se raidit brutalement et ses yeux s'écarquillèrent. Que répondre à cela ? Bien trop de choses avaient été dévoilées en une phrase. Tout d'abord, elle ne se connaissait qu'un seul voyage en Afghanistan et celui-ci remontait à six ans si on en croyait le fait que le plus long tir du monde était censé avoir été effectué par le cinquième lieutenant de la Rose Noire en Afghanistan, il y a six ans et qu'elle était ledit membre. Pourquoi y était-elle retournée ?

             Puis, surtout, des centaines de personnes sûrement avaient en leur possession les informations personnelles des membres d'une des organisations criminelles les plus traquées et admirées au monde. Il y avait de quoi s'alarmer.

— Admettons que je te crois, pourquoi tu m'as tiré dessus ? lâcha-t-elle après un bref silence.

— Pour te sauver d'eux, lâcha-t-il dans un couinement plaintif.

— Drôle de façon de le faire, gronda-t-elle en retour.

— Malgré la disparition des autres membres de la Rose Noire, tu as continué à prendre des contrats régulièrement jusqu'à celui-ci. Mais pour ce coup, tu t'es mise dans un sacré pétrin puisque tu t'en es pris au clan Jäger.

             Les sourcils de la jeune femme se froncèrent et, malgré elle, elle baissa sa garde. Ramenant son bras armé le long de son corps, elle darda un regard insistant sur le visage crispé de l'homme, tentant d'y déceler une quelconque trace de mensonge.

— Les vingt-trois hommes que j'ai tués... C'était des membres du clan Jäger ?

— Oui..., céda-t-il d'une voix plaintive.

— C'est ton clan qui a passé ce contrat ? demanda-t-elle, espérant qu'il ait la réponse.

— Non, c'est le leur.

             La jeune femme se raidit et ses yeux s'écarquillèrent.

— Pardon ? laissa-t-elle filer entre ses lèvres, abasourdie.

             Il marqua une pause, tentant de lutter contre les effets du paralysant qui engourdissaient sa langue.

— Une des têtes du clan Jäger t'a demandé de les tuer.

— C'est Eren ? demanda-t-elle aussitôt, peu sûre d'être prête à entendre que son mari et elle s'étaient connus avant l'explosion et avaient passé un tel accord.

             Malgré son état, Livai s'autorisa un rictus moqueur.

— Ton cher mari, avec ses idées nouvelles, n'a absolument pas la confiance de Grisha. Il sait même pas que les victimes de cette soirée étaient membres de son clan.

— Alors qui est-ce !? s'insurgea-t-elle.

— J'en sais rien ! rétorqua-t-il. Je suis juste sûr que ton cher Eren n'aurait jamais eu les tripes d'ordonner un tel...

             Il se tut, sa phrase avalée par la pression soudaine de l'escarpin de la femme sur son crâne, forçant ce dernier à cogner le sol. Elle n'appréciait pas ses propos. Loin de là. Son mari n'était pas à blâmer.

             Il n'y avait rien de lâche ou faible à ne pas être responsable d'un attentat contre son propre clan.

— Trêve de plaisanterie, gronda-t-elle entre ses dents, remarquant les rougeurs qui parcoururent le visage de Livai lorsque, tentant de la regarder, il leva les yeux vers elle et croisa le dessous de sa robe à cause de leur position. Moins d'opinions sur Eren et plus d'explications.

             Elle l'entendit fulminer en fermant les paupières, embarrassé d'avoir vu ses sous-vêtements. Elle, de son côté, s'en fichait royalement.

— Pourquoi ce cher inconnu m'a engagé ? Que gagnent Grisha ou Sieg à faire ça ?

— La Charte, gronda-t-il. Ces hommes l'avaient enfreinte au nom du clan. C'était un manquement à l'honneur.

             Les sourcils de la femme se haussèrent et elle retira enfin son escarpin du crâne du noiraud. La Charte était une liste de règles que devaient suivre les différents clans de Los Angeles afin de préserver la sécurité des citoyens et l'honneur de leurs institutions.

             Même si elles étaient ennemies, ces différentes familles partaient du principe qu'elles pouvaient agir dans la paix de tous à l'aide de certaines règles. Alors l'enfreindre sans l'accord de son chef de clan était déshonorer ledit clan.

— A quelle règle ont-ils dérogé ?

             Livai eut un bref moment d'hésitation.

— La numéro douze.

             Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent. Elle comprit soudainement ses actes. Le poids de la culpabilité quitta son cœur brusquement et elle se sentit légère pour la première fois depuis qu'elle avait appris son implication dans cet attentat.

             Ils l'avaient mérité.

— Ils pratiquaient le viol punitif..., murmura-t-elle entre ses lèvres, abasourdie.

             Parmi les pratiques les plus barbares des organisations criminelles, les clans avaient toujours fermement condamné celle-ci. Considérant que s'en prendre à une personne, le plus souvent une femme, de cette façon était un immense déshonneur, ils avaient formellement interdit la pratique de cette sanction.

             Le viol punitif consistait à agresser sexuellement la femme, la mère ou même l'enfant d'un homme criblé de dettes ou qui s'en serait pris au clan. C'était une sanction. Une vengeance perfide et immonde. Depuis des siècles, bien des hommes s'étaient adonnés à cela. Et, si les clans avaient beaucoup de défauts, on pouvait leur reconnaitre qu'ils chassaient beaucoup plus les violeurs que la plupart des justices du monde.

             Ici, on ne demandait pas à la victime ce qu'elle portait ou si elle avait bu. Au contraire. Si le membre d'un clan apprenait qu'un membre d'un autre clan s'en était pris à quelqu'un de cette façon, il se faisait généralement une joie de le tuer. Non pas par sens de la justice, mais parce que ce cas était bien le seul — selon la Charte — où ils pouvaient s'en prendre à des personnes issues d'un clan autre que le sien. Alors ils en profitaient.

             Et, dans le cas où le conflit restait interne à la famille, il était effectivement coutumier de tuer le coupable ou d'engager quelqu'un pour le faire.

— (T/P)..., lâcha Livai entre ses dents, luttant contre le poison. Tu étais seule, enfermée dans une usine car ils avaient compris ton plan. Tu ne pouvais pas sortir et vingt-trois hommes coupables à plusieurs reprises de viol s'approchaient de toi... Tu penses qu'il serait arrivé quoi si je n'étais pas intervenu ?

             Malgré elle, la jeune femme sentit une larme couler le long de sa joue. Sous le choc d'une telle nouvelle, elle ne regardait même pas le noiraud. Celui-ci poursuivit tout de même.

— Tu les as attirés dans cette usine pour les faire sauter tous en même temps et t'assurer qu'ils n'en réchappent pas. Mais, avant que tu sortes, ils avaient eu le temps de t'enfermer. Tu n'aurais pas pu t'en sortir.

             Sa lèvre inférieure fut prise d'un spasme et elle vint machinalement poser sa main sur sa vieille blessure qu'il évoqua maintenant.

— Te tirer dans l'épaule s'était s'assurer que tu lâches le détonateur parce que tu n'avais pas d'autres moyens de t'en sortir que de faire exploser cette bombe pour les couper dans leur élan, poursuivit-il. Et je t'ai forcé à le faire en te tirant dessus parce que je savais que tu ne l'aurais pas fait toi-même.

             Il marqua une brève pause, prenant plusieurs inspirations pour lutter contre la douleur.

— J'ai lu assez de rapports sur tes missions pour savoir que tu es perfectionniste, expliqua-t-il. Tu avais posé la bombe dans une autre pièce de l'usine. Et tu ne l'aurais pas lâchée tant qu'ils ne se trouvaient pas tous dans cette pièce. Car, l'explosion ne les aurait alors pas tous tués. Juste assommés.

             Elle déglutit péniblement. Cette soirée-là, alors qu'elle avait enclenché le détonateur, ils l'avaient prise au piège. Etant donné qu'ils ne se trouvaient pas à proximité de la bombe, là où l'explosion les aurait tués, elle avait retardé le moment de la détonation afin de trouver un moyen de les attirer là-bas. Et Livai, comprenant ce qu'elle s'apprêtait à subir, l'avait forcée à lâcher le boitier en lui tirant une balle dans l'épaule.

             Brièvement, elle resongea à l'homme qui l'avait agressée, quelques jours auparavant. Tandis qu'elle se tenait dans les décombres de l'usine, un homme l'avait frappée et avait menacé d'aller plus loin lorsque le noiraud était intervenu. Dix minutes après, au chaud dans sa voiture, elle avait entendu une détonation avant qu'il ne se place derrière le volant et démarre. Elle en avait alors conclu qu'il avait exécuté son homme de main et n'avait pas compris pourquoi.

             Elle réalisait maintenant. Il l'avait puni pour l'acte qu'il s'apprêtait à commettre et qui aurait déshonoré le clan Ackerman.

— Je..., balbutia-t-elle, prise de court par l'ampleur des révélations. Comment ça se fait que je sois la seule à avoir survécu, alors ?

             Il ne répondit pas tout de suite, visiblement pris au dépourvu par cette question.

— L'explosion n'en a tué que six. Je me suis déplacé pour me charger des autres et t'éloigner des flammes le temps que je le fasse. J'avais prévu de revenir te chercher et t'emmener après les avoir exécutés mais Eren et Sieg sont arrivés, j'ai dû m'en aller rapidement.

             Il déglutit avec difficulté, ses voies respiratoires se resserrant.

— Quand j'ai appris ton amnésie, j'ai continué à veiller sur toi de loin mais j'ai compris que ça ne servait pas à grand-chose de te donner une nouvelle vie comme aux autres. Eren t'en avait offerte une. Alors, quand j'ai quitté Los Angeles, j'ai confié à Dan la tâche de s'assurer que tu restes en vie. Et, quand je suis revenu, j'ai continué à le faire jusqu'à ce que tu atterrisses au Palace.

— Pourquoi avoir fait tout ça pour moi ? demanda-t-elle.

             Malgré sa condition, le noiraud laissa un rire filer entre ses lèvres.




— Vu ce que l'Omniscient me paye pour ta sécurité, je suis même prêt à prendre une balle pour toi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 








             Brusquement, ses paupières se crispèrent. Derrière l'écran noir de ses yeux clos, une vive lueur venait de lui brûler la rétine. Il mit quelques instants avant de réaliser que cette soudaine luminosité était due à son réveil. Il venait tout juste de sortir de l'état d'inconscience.

             Groggy, il lui fallut quelques instants avant de pleinement comprendre ce qu'il se passait. Autour de lui, de tintements réguliers et aigues lui permirent de réaliser qu'il se trouvait à côté d'un cardiogramme. Et quelques tiraillements à hauteur de ses avant-bras l'amenèrent à réaliser que des perfusions couvraient ceux-là.

             Il se trouvait dans une chambre d'hôpital.

             Ouvrant enfin les paupières, il dut battre celle-ci à plusieurs reprises pour se débarrasser du film naturel entre ses cils qui brouillait sa vision. Et, une fois ceci fait, il parvint à distinguer un plafond crème parsemé de moulures ainsi que le sommet d'une perfusion et d'une ribambelle de machines sophistiquées disposées autour de lui. Le tintement régulier du cardiogramme continua de retentir, son pouls était calme.

— La Belle au Bois Dormant nous ferait-elle l'honneur de se réveiller ? siffla une voix qu'il ne connaissait que trop bien.

             Baissant les yeux vers le bout de son lit, il discerna enfin le reste de la salle. Assise à sa droite, une main glissée dans la sienne, la figure attendrissante et profondément inquiète de sa mère se dessinait. Ses longs cheveux noirs trainaient autour de ses épaules, parfois hérissés, signe qu'elle n'avait eu de cesse de les triturer, anxieuse. Et ses beaux yeux marrons étaient cernés.

             Derrière elle, adossé au mur et les mains dans les poches de son pantalon de smoking, l'homme qui venait de parler le dévisageait derrière ses lunettes rondes à la monture dorée. Malgré son ton sarcastique, Eren connaissait assez son frère pour reconnaitre l'éclat d'inquiétude qui brillait dans ses yeux noisette.

             Finalement, en face de lui et en retrait, à côté de l'écran plat disposé au fond de la salle et devant la longue table encore couverte des cadeaux qu'avait reçu sa femme, quelques jours auparavant quand elle se tenait dans cette même chambre, Grisha le regardait. Ses cheveux lisses tombant de chaque côté de son visage, son regard droit rivé sur le ventre d'Eren, il ne dit rien.

             Le blessé mit quelques instants avant de comprendre ce qu'il se passait ou plutôt, de se souvenir. Une ruelle sombre. Le cadavre dénudé d'une femme. Le visage furieux de son épouse. La détonation. La douleur en la voyant river son arme sur sa tête. La faiblesse de son corps. Un autre coup de feu. Elle s'en allant furieusement. Le visage de Sieg se découpant au-dessus de lui. Ses mots murmurés afin de le maintenir éveillé. Lui sombrant dans l'inconscience.

             Son sang se glaça dans ses veines. Sa femme lui avait tiré dessus.

— Ça va ? retentit de nouveau la voix de son demi-frère.

             Son regard se posa sur son ventre. Le bandage n'était pas visible, dissimulé sous la blouse d'hôpital. Mais il sentait assez vivement la douleur pour être on-ne-peut-plus conscient de la situation. Et encore, elle n'était que minime comparée à la souffrance de son cœur.

— J'ai l'air d'aller bien ? rétorqua-t-il d'une voix grondante.

             Il ne savait plus où il en était. En l'espace d'une journée, tout lui était revenu en pleine figure, chacun de ses secrets, chacune de ses erreurs. Et il regrettait aujourd'hui amèrement.

             Il s'y était mal pris. Son mariage, même s'il avait connu bien des moments heureux, avait été fondé sur une base si pourrie par le passé qu'il était même étonné qu'il soit parvenu à tenir jusque-là. Regardant les deux dernières années depuis cette nouvelle position, seul au milieu des autres, gravement blessé par une main habillée d'un anneau la liant à lui, il se sentait pathétique.

             Il avait fait le choix de croire sa famille et non son épouse, l'avait poussée à quitter son toit, l'avait mise à la porte alors que son cœur lui hurlait dans la serrer dans ses bras. Et, maintenant, il ne cessait de ressasser chacune des paroles acerbes qu'il lui avait lâchées sur le coup de la colère, chacun des gestes d'énervement qu'il avait laissé voir lorsqu'elle lui parlait de recouvrer la mémoire, toutes les fois où il avait fauté.

             Tout était tellement plus simple dans les films. Les mariages étaient heureux, il n'y avait pas mot plus haut que l'autre. Ou alors ces disputes étaient motivées par une jalousie qui ne les amenaient qu'à consolider leurs liens. Il n'existait pas de disputes débiles ou, simplement exaspéré par une longue journée, l'un se défoulait sur l'autre sans même réaliser à quel point il était cruel.

« Jusqu'à preuve du contraire, Galatée, c'est moi qui aie le portefeuille. »

             Cette phrase, il la ressassait nuit et jour depuis qu'il l'avait prononcée. Ce jour-là, les mots avaient filer entre ses lèvres sans même qu'il ne les comprenne. La volonté de dire quelque chose d'assez fort qui empêcherait son épouse de poursuivre cette conversation, l'empressement de devoir agir dans l'urgence l'avait poussé à prononcer des paroles qu'il ne pensait même pas.

             Et il ne pouvait s'empêcher de se dire que, dans les films qu'il avait regardé avec sa femme, le visage de celle-ci posé sur sa poitrine, jamais il n'avait entendu tels débordements. Jamais le protagoniste n'avait laissé ses paroles autant dépasser sa pensée. Jamais l'un des personnages ne s'était mis à aboyer des immondices non pas parce qu'il les ressentait, mais parce que sa vie entière l'angoissait au point qu'il avait ressenti le besoin d'exulter. Jamais aucun n'avait utilisé sa moitié comme défouloir.

             Il baissa la tête. Il ne parvenait même pas à en vouloir à sa femme d'avoir craqué et lui avoir tiré dessus. Pas après ce qu'il lui avait fait. Et qu'importe si elle avait aussi eu ses moments d'égarement et, à l'instar de n'importe quel autre être humain, avait déjà prononcé des mots qu'elle ne pensait même pas sous le coup de la colère, il s'en fichait.

             Il pouvait pardonner les accès de méchanceté de son épouse. Mais pas les siens.

             Il déglutit péniblement. Ses mots ne le hantaient pas seulement à cause de leur méchanceté. Non. Ils l'avaient aussi saisi parce que là étaient typiquement les paroles qu'aurait pu prononcer son père.

             Celui-ci prit d'ailleurs la parole :

— Tu réalises, maintenant, pourquoi on voulait de protéger d'elle ? A quel point elle est dangereuse ?

             Eren ne répondit pas. Les yeux fixés vers le plafond, des larmes naissantes dans ses prunelles. Sa gorge était serrée. Il se dégoûtait.

— Père, je pense que nous pouvons lui en parler maintenant, il sera réceptif..., s'enquit Sieg à sa droite.

— En effet, maintenant que tu as vu le véritable visage de cette femme, tu seras plus à même d'accepter cette réalité.

             Carla, à ses côtés, serra avec un peu plus de fermeté sa main. Il apprécia ce geste mais ne dit rien, restant stoïque. Il ne voulait pas les entendre, il ne supportait pas la façon qu'ils avaient de parler de son épouse. Oui, il avait vu le véritable visage de cette femme. Contrairement à eux.

             Il avait vu ses larmes lorsqu'elle rentrait d'un diner de famille où Grisha l'avait humiliée, il avait vu son sourire ébahi en fixant leur alliance lorsqu'il l'avait demandée en mariage, il avait vu l'effroi sur son visage dans ses pires cauchemars, il avait vu la beauté de son visage lorsqu'elle était submergée par un orgasme, il avait vu la colère sur ses traits en entendant certains propos à la télévision ou sur internet, il avait vu le désarrois dans ses prunelles quand elle lui avait tiré dessus. Des moments les plus simples et futiles à ceux plus compliqués, il n'avait en réalité eu de cesse de la regarder. Oui. Il avait vu. Il avait tout vu d'elle.

             Alors il savait qu'ils n'étaient pas à même de la juger.

— Je comprends que tu ais du mal à te défaire d'elle, retentit la voix de Sieg. Tu t'en souviens sans doute mais, même moi, j'ai eu de la compassion pour elle durant les premiers mois après votre rencontre.

             Oui, il s'en souvenait. Même si jamais son demi-frère n'avait été très à l'aise avec sa fiancée à cause des circonstances dans lesquelles ils l'avaient retrouvée, il avait su être cordial avec elle jusqu'à un moment précis. Un jour, soudainement, il s'était montré particulièrement vicieux et désireux de briser leur amour, de lui faire du mal. Eren n'avait pas compris ce brutal changement d'attitude.

             Mais quelque chose lui disait que la réponse n'allait pas tarder à tomber.

— Dina, lâcha simplement le blond.

             Eren se raidit et, pour la première fois depuis le début de leur conversation, se tourna vers le blond. S'ils avaient le même père, leurs mères différaient. Dina et Carla s'étaient toujours assez bien entendues mais, étant donné que cela faisait un peu moins de dix ans qu'il n'avait plus de nouvelles de la blonde, il en avait conclu qu'elles avaient dû se disputer.

             Seulement, en voyant les soudaines larmes dans le regard de sa mère qui fixait le sol, il réalisa qu'autre chose avait dû se produire.

— Dina a...

— Il y a six ans, le plus long tir du monde a été effectué en Afghanistan, le coupa brutalement Grisha sans une once de considération pour la mine profondément blessée de son fils ainé qui semblait avoir du mal avec cette histoire. L'auteure était ta chère femme et sa victime était la mienne.

             Son ton était froid. Brutal. Il se reprit tout de même en continuant de fixer Eren avec une intensité cinglante.

— Mon ex-femme. Navré pour le détail.

             Eren ne souligna même pas le cruel manque de respect de son père envers sa mère. Non. A vrai dire, son esprit était accaparé par autre chose. Et, étant donné la façon qu'avait Grisha de le fixer avant tant de froideur, il devinait que son père savait exactement à quoi il pensait maintenant.

             Il mentait.

             Jamais Eren n'avait compris pourquoi, du jour au lendemain, l'un des rapports les plus importants sur les activités de la Rose Noire avait été modifié. Mais aujourd'hui, il savait.

             Etant un piètre tireur d'élite et ne supportant plus les remarques de son père sur le sujet, Eren avait longuement étudié les missions du cinquième lieutenant de la Rose Noire — sans même se douter qu'un jour, il partagerait sa vie. Très vite, il était devenu un véritable admirateur de ses exploits et se tenait toujours informé en temps et en heure de ses actions.

             Ainsi, le lendemain du jour où ce tir avait été effectué, l'un de ses informateurs lui avait fait parvenir des témoignages des civiles présents ce jour-là. Et tous disaient la même chose : un homme habillé d'un uniforme de soldat de l'armée américaine avait été abattu.

             Pourtant, quand Grisha avait communiqué au restant des clans le rapport de ses propres hommes alors postés en Afghanistan, le discours avait été radicalement différent. Le tir ne remontait alors plus à quelques semaines mais à quatre ans. Et la victime n'était plus un soldat mais une soldate.

             Aujourd'hui, Eren savait que ses informateurs et ceux de Grisha ne tenaient pas le même discours. Les premiers assuraient que sa femme avait abattu un homme en Afghanistan il y a trois ans — à savoir un an avant leur rencontre — et les autres expliquaient que cet évènement remontait à six ans et avaient condamné une femme.

             Eren déglutit. Il comprenait maintenant. Oui. Il saisissait tout.

             Il ne savait pas pourquoi Grisha haïssait tant son épouse. Mais il avait eu besoin de rallier Sieg à sa cause et, pour ce faire, avait utilisé la disparition de Dina. Elle qui n'avait plus donné signe de vie depuis six années était devenue, dans son mensonge, la victime du cinquième lieutenant de la Rose Noire.

             Comment ne pas comprendre la haine de son demi-frère pour sa femme, après cela ?

— Alors Eren, tu nous comprends maintenant ? demanda Grisha avec un rictus imperceptible.

             Il savait combien son père jouissait de cette situation. Il savait très bien qu'Eren avait connaissance de la vérité. Sieg et Carla pensait que son épouse avait assassiné Dina, six ans auparavant. Mais, si elle avait tué quelqu'un, c'était un homme et cela s'était produit bien plus récemment. Alors il mentait. Les Jäger haïssait sa femme pour un acte qu'elle n'avait pas commis. Grisha les manipulait.

             Mais qui le croirait s'il dénonçait son père ? Sachant qu'il était vu comme le pauvre idiot qui s'était laissé berné par une tueuse à gages manipulatrice, qui irait accorder du crédit à son propos quand l'homme qui lui donnait tort était la tête du clan Jäger ?

             Là était la raison pour laquelle Grisha affichait maintenant un tel sourire en coin en dévisageant Eren, debout au fond de cette pièce, laissant une dizaine de mètres entre eux. S'il protestait, nul ne le croirait. Il était condamné à vivre avec la vérité sans qu'on accorde crédit à ses paroles.

             Eren serra le poing. Il fulminait.

— Bien, nous allons te laisser encaisser le choc de la nouvelle, fils, déclara-t-il après un bref silence pesant. Au revoir.

             Là-dessus, comprenant que les paroles de Grisha n'était pas une demande d'un père et d'un mari mais les ordres d'un chef, Sieg et Carla obtempérèrent. Seulement la main de sa mère lui accorda une pression supplémentaire sur la sienne avant qu'elle ne le lâche, laissant le vent frais claquer sa paume.

             Il était écœuré par le comportement de son père et se sentait pris au piège. Les regardant quitté la salle, il ressentit un pincement en voyant les yeux emplis de larmes de Sieg. Son frère ne savait même pas combien sa haine envers sa femme était injustifiée. Et il ne parvenait plus à lui en vouloir en sachant ce que son propre père lui avait mis dans la tête.

             Il croyait qu'elle avait tué sa mère. Il était normal qu'il la déteste.

             La porte se referma derrière eux, il poussa un soupir de frustration avant de baisser le regard vers sa main droite que sa mère tenait encore, quelques secondes auparavant. Contrairement à ce qu'elle avait laissé voir au cours de cette entrevue, Carla était tout sauf une femme qui se laissait faire docilement sans ne rien dire. Et il la connaissait assez pour savoir que cette dernière pression qu'elle avait exercé sur ses doigts avant de s'en aller était un message.

             Sans surprise, lorsqu'il leva le drap posé en-dessous de son bras droit, le même qu'elle avait enserré, il y découvrit un portable soigneusement caché. Le saisissant, il le déverrouilla facilement, remarquant que le fond d'écran était une image par défaut et qu'il n'avait pas de mot de passe.

             Visiblement. Il était neuf. Et il se douta alors qu'il s'agissait d'un téléphone dépourvu du système de surveillance des échanges de mail et de géolocalisation que Grisha avait fait poser dans les smartphones de tous ses employés et proches.

             Il était donc libre de faire ce qu'il voulait avec cet objet.

             Seulement, en déverrouillant l'écran, la première chose sur laquelle il tomba fut l'application « notes » encore ouverte. Et sur celle-ci avait été inscrite quelques phrases, sûrement de la main de sa mère.

« Faire semblant de croire à ces mensonges me garantit une certaine sécurité. Mais je connaissais (T/P) et je sais donc qu'elle n'aurait jamais fait cela à Dina. Je te laisse le numéro de notre taupe chez les Ackerman.

Eclaircis tout ça. »

             Eren déglutit péniblement en lisant ce message. Sa mère venait d'utiliser le véritable prénom de son épouse et d'assumer qu'elle l'avait côtoyée durant son ancienne vie. Avec un spasme, il resongea au fait que, au moment où il avait choisi d'abattre cette femme en la trouvant dans les décombres, le détonateur à la main, sa mère avait été celle l'empêchant d'aller au bout de son geste.

             Il soupira. Était-il le seul dans toute cette foutue ville à n'avoir connu sa femme qu'après l'explosion ?

             Louchant sur le numéro joint qu'il reconnut, il laissa un sourire étirer ses lèvres. Il savait de qui il s'agissait. Alors, cliquant dessus, il l'appela. Quelques sonneries retentirent avant qu'une voix sèche ne décroche.

— Allô ?

— Floch, appela fermement le brun.

— Oh ! Patron ! changea aussitôt de ton le rouquin. Je ne sais pas si c'est une bonne idée de m'appeler quand je suis avec les Ackerman, ils pourraient découvrir que je travaille pour vous !

— Crois-moi, Floch, Livai le sait déjà, répondit Eren d'un ton ennuyé. Je suis même sûr qu'il te laisse à ses côtés pour que tu puisses lui faire parvenir des messages de ma part si besoin.

             Il y eut un bref silence. Son interlocuteur était visiblement pris au dépourvu. Comment ça, le grand Livai Ackerman savait qu'il était un traitre et l'avait laissé agir ?

— Pourquoi il voudrait laisser quelqu'un lui transmettre des informations pour vous ?

— Par pour moi mais pour (T/P).

— Ah, oui... sembla réaliser le rouquin. Il est revenu la chercher d'ailleurs.

— Bien, répondit Eren.

— Bien ? s'étonna le garçon. Elle est avec votre enn...

— Elle est en sécurité avec lui.

— Pourtant vous avez jamais voulu qu'elle l'approche parce qu'il lui avait tirée dessus, il y a deux ans !

             Eren contracta violemment la mâchoire. En effet, jamais il n'avait été à l'aise avec le fait que son épouse rencontre ce monstre depuis qu'il avait découvert que l'arme avec laquelle on avait abattu sa femme était la préférée de Livai.

             Mais, aujourd'hui, les choses avaient changé. Si, après qu'elle lui soit filé entre les doigts, le noiraud l'avait gardée en vie, cela signifiait qu'il ne comptait pas l'éliminer. Il devenait donc le plus à même d'assurer sa protection.

— Je ne te demande pas ton avis, répondit-il simplement, appréciant moyennement que son homme de main lui réponde. Tu vas transmettre un message à Ackerman.

— O... Oui... Désolé ! balbutia Floch en réalisant qu'il était allé trop loin. C'est bon j'ai un stylo, je note.

             Eren pinça l'arrête de son nez en fermant les yeux, tentant de prendre conscience du poids des mots qu'il allait prononcer. Mais il ne voyait sincèrement aucune autre solution pour pallier aux problèmes s'offrant à eux.

— Dis-lui que j'arrive et qu'on va devoir travailler ensemble...

             Ignorant le hoquet de surprise de Floch, il poursuivit d'une voix grondante, ressassant le mensonge de son père sur le décès de Dina.

— ...Nous allons réunir les membres de la Rose Noire.

赤い糸









𓉣

et voici un autre
chapitre non corrigé

ptdrrr

𓉣



















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