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C H A P I T R E 9
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Le marquis de Wolfrid ne souhaite pas s’éterniser au palais. Ses devoirs en qualité de noble l’ont contraint à se déplacer jusqu’au château afin d'assister officiellement au retour des Pages Ancestraux qui a eu lieu hier — quoi qu’il eût déjà informellement salué le prêtre bélier, Yevhen, dans une lettre chaleureuse. À présent, il ne compte pas s’éterniser.
L’an dernier, Elio Evilans, l’empereur, a planifié un Coup d’État contre sa femme. Infiltrant lentement des troupes de confiance parmi la garde royale, il a donné l’ordre de lancer une offensive. Ses gens ont alors mis le couple impérial dans les geôles du château — afin de faire croire qu’Elio était victime, au même titre qu’Egarca, de cette insurrection alors qu’il en était l'instigateur.
Depuis, l’impératrice n’apparaît jamais en public. Lors du bal, hier soir, elle n’a daigné pointer le bout de son nez. Et, surtout, elle n’accepte la présence que d’un seul garde du corps par noble. La seule troupe militaire autorisée au sein du palais est l’Ordre des Pages Impériaux — qui s'entendent trop peu pour parvenir à orchestrer un Coup d’État ensemble. Là est d’ailleurs la raison pour laquelle le marquis a tenu à ce que je l’accompagne. Il ne pouvait pas faire venir ses guerriers au sein du palais et devait se contenter d’un soldat.
Bien qu’il ait confiance en Mora qui repose la sécurité totale de ses thermes sur moi seule, il n’est pas serein. Demeurer au palais impérial, cernés de nobles qu’il a pu affronter lors d’actions militaires, protégé par une unique personne, est une situation peu adéquate. Je ne suis donc pas surprise qu’il ait déjà fait préparer son carrosse. Il brûle d’envie de quitter les lieux.
— Quand le marquis vous a-t-il demandé d’atteler les chevaux ? je demande aux domestiques en parvenant à hauteur de la voiture.
— Hier, il nous a dit qu’il partirait à midi. Rosie a dû vous prévenir, normalement.
Je n’ai strictement aucune idée de qui est “Rosie”. Je dois aussi admettre que cela ne m’intéresse pas le moins du monde. La femme a dû oublier de me délivrer l’information ou n’est simplement pas parvenue à me trouver. Qu’importe.
Par-dessus mon épaule, j’observe le carrosse. Planté au beau milieu de l’allée principale, perturbant la circulation, il est visiblement sur le point de partir. Le marquis doit vraiment vouloir s’en aller le plus rapidement possible. Je suppose que le cadeau délivré par Gojo Satoru hier soir — à savoir, la tête tranchée d’un comte — ne l’aura pas ravi.
Mon regard se pose sur un balcon, au-dessus de nos têtes. Le souvenir de notre fulgurant affrontement de ce matin me revient à l’esprit et, sous ma capuche, j’esquisse un rictus amusé.
— Dites au marquis de partir sans moi, je déclare en laissant les domestiques ranger ses divers bagages. Ses soldats l’attendent déjà à la sortie du palais et l’escorteront sur la route. Pour ma part, j’assurerai sa protection jusqu’à ce qu’il quitte les jardins impériaux.
Ils acquiescent tandis que je rejoins les quelques marches menant au palais. Ce dernier est peu fréquenté. Les nobles sont déjà dans la salle du banquet, déjeunant tôt dans l’espoir d’apercevoir l’impératrice qui se fait de plus en plus discrète. Mon chemin jusqu’à l’aile Est du palais se déroule sans encombre. Les servants, trop occupés par leur travail, ne prêtent nullement attention à ma silhouette encapuchonnée et couverte de chaînes. Me déplaçant à la manière d’un spectre dans les couloirs du château, je ne les fait même pas ciller.
Bientôt, j’atteins le bout d’un corridor particulièrement sombre. Ses murs de pierres lézardés et parcourus de lierre sauvage semblent sur le point de s’effondrer. Quelques fragments du plafond jonchent d’ailleurs le sol abîmé et sale. Une dense poudre recouvre ce dernier de façon uniforme, trahissant une absence totale de fréquentation… À une exception.
Dans la poussière se dessinent des pas menant jusqu’au bout du couloir. Un seul jeu d’empreintes est visible, se dirigeant dans un sens uniquement. Cela signifie qu’une seule personne est passée par ici et qu’elle n’est pas revenue. Les traces de bottes s’arrêtent juste devant le mur qui me fait face, au bout du couloir. Un rictus amusé étire mes lèvres.
— Ta mère t’a au moins enseigné une chose utile, Satoru…, je chuchote en levant l’index dans les airs, traçant une rune tout en fixant le mur jalonnés de lézardes.
Un grincement sinistre retentit quand une fissure creusant le mur s’élargit soudain. Quelques morceaux de pierre s’en détachent et tombent, s’écrasant sur le sol tandis que le couloir tremble violemment. Droite sur mes pieds, j’observe la parois s’écrouler doucement, dévoilant ce qu’elle dissimulait.
Derrière le mur s’écroulant apparaît peu à peu une surface de bois. D’abord à peine visible, ne laissant voir que quelques poignées de centimètres de sa surface ligneuse, elle devient de plus en plus évidente à mesure que la cloison se détruit, s’effondrant.
Ronde, constituée de quelques planches clouées les unes aux autres, elle ne paye pas de mine. Autour d’elle, des ronces torsadées forment un cadre d’où jaillissent quelques roses d’un blanc immaculé. Lorsque je passe ma manche devant l’une des épines, laissant cette dernière percer et effiler le tissu de ma capuche, une poignée d’argent jaillit de la porte. Je l’actionne, ouvrant la porte.
— Cela m’avait manquée, je chuchote en m’engouffrant dans l'alcôve percée, ignorant la porte qui se referme aussitôt derrière moi et observant la pièce sous mes yeux. Ô, ma vieille amie…
Devant moi et s’étendant à perte de vue, des étagères faites de bois torsadés s’élèvent. Garnissant ses rayons, des livres s’y succèdent dans une cacophonie charmante, leurs reliures de cuir, tailles différentes et couleurs aléatoires donnant l’impression qu’ils ont été fourrés au hasard sur les étagères. Cependant, je sais qu’ils ont été méticuleusement placés, au contraire.
Mes pieds se succèdent sur le carrelage tandis que j’avance. Chacun de mes pas soulève une poussière irisée dont les particules s’accrochent à ma cape obscure. Je marche silencieusement, observant les étagères qui montent si haut dans le ciel qu’elles en disparaissent, englouties par le ciel étoilé au-dessus de ma tête.
Par endroit, des filaments argentés relient des aérolithes, créant de brillantes constellations qui brillent dans la voûte céleste. Non loin scintille la large lune, flottant au-dessus des étagères de cette immense bibliothèque.
Cela faisait longtemps que je n’étais pas venue ici. Enfant, je venais ici et m’allongeais sur le sol pour observer le ciel. L’absence de plafond m’a toujours sidérée. Plus tard, quand mes professeurs m’ont appris à lire, j’ai dévoré les écrits qui garnissaient les étagères.
— J’étais sûr que tu connaissais cet endroit, retentit une voix, au-dessus de moi.
Levant le nez, je découvre Gojo Satoru, assis sur le dernier échelon d’une gigantesque échelle de bois posée contre les étagères. Le coude planté dans un rayon, la joue abandonnée sur sa paume, il ferme le livre qu’il lisait de sa main libre. Ses yeux d’un bleu éthéré se posent alors sur moi tandis que les miens tressaillent en découvrant la couverture du bouquin qu’il tient.
Les 12 lois de Marlow. Sous ma capuche, je déglutis péniblement.
— Après notre… intéressant combat, lance-t-il en prononçant ce dernier mot dans un rire enfantin, j’ai brûlé de curiosité. Car, malgré sa fulgurance, j’ai eu le temps de réaliser quelque chose.
Ses paupières s’abaissent et, de ses yeux mi-clos, il jette un regard au livre dans sa main. Puis, reportant son attention sur moi, il le brandit dans un rire. Ma mâchoire se contracte face à cette vision révoltante.
Tombant à la manière d’une cascade irisée dans son dos, les longs cheveux de Satoru ondulent au rythme des mouvements qu’il exécute. Dodelinant de la tête, il m’offre un sourire satisfait, m’observant entre ses longs cils de givre, tout en brandissant un grimoire dont il ne réalise par la valeur. Sa couverture d’un cuir bleu obscur, gravée de décoration dorée, scintille sous la lueur de la lune au-dessus de nos têtes.
— Oh… J’aime le regard furieux que je devine, sous cette capuche noire, chantonne-t-il en se penchant dangereusement en avant, ignorant l’échelle qui vacille sous son poids. Son goût est bien plaisant, après avoir été sous-estimé par toi.
Il rit, une ombre passant sur son visage tandis que ses yeux s’allument subitement d’une lumière bleutée.
— Parce qu’il faut admettre que tu m’as véritablement pris pour un idiot.
D’un bond gracieux, il saute de l’échelle. Comme si la gravité n’avait aucune prise sur lui, il fend gracieusement les airs et ralentit à mesure qu’il approche du sol. Puis, posant délicatement la pointe du pied sur le carrelage, il atterrit délicatement.
Le grimoire toujours figé dans sa main droite,Satoru lève la tête dans ma direction, souriant méchamment.
— Enfin… Ma mère, infâme créature, n’a jamais réussi à te vaincre. Tu as entraîné l’Ordre des pages Ancestraux qui regroupent de sacrés connards, soit… Mais de sacrés connards immensément puissants. Et devons-nous parler de l’impératrice ?
— Je ne vois pas ce qu’Egarca Ev…
— Ne fais pas l’ignorante. Je parle de sa mère et tu le sais.
Je ne réponds pas, serrant les dents sous ma capuche sombre.
— Tout ça pour dire que pas une seule seconde, lorsque je t’ai attaquée, je me suis imaginé gagner ce combat. Enfin… Je crois que finalement, je l’ai gagné d’une certaine façon, non ? rit-il en brandissant à nouveau le grimoire sur les lois de Marlow.
Ses yeux parcourent mon corps, caressant chaque détail de la cape noir couvrant mon armure. Plus particulièrement, il s’attarde sur le détail des chaînes enroulées autour de moi et tombant en une pluie d’argent le long de ma silhouette.
— Tu ne m'as pas attaquée dans l'espoir de me vaincre... Tu m’as attaquée parce que tu voulais savoir ce que ses chaînes me faisaient…, je réalise à haute voix, ne pouvant m’empêcher de serrer le poing.
— N’importe qui ayant écouté à l’école sait que les chaînes de Marlow ne sont pas une punition, mais des punitions. Douze lois à respecter, douze punitions possibles, douze types de chaînes, poursuit-il en posant son long index sur les chiffres gravés dans la couverture.
Je ne réponds pas.
— Lorsque je t’ai attaquée, tu t’es contenté de m’esquiver d’un pas de côté. Puis, tu t’es servie de la lame de ton épée comme miroir pour me renvoyer mon sort qui m’a assommé. Cela est allé très vite… Mais pas assez vite pour que je ne réalise pas que j’étais face à une mage qui utilisait son épée au lieu de ses pouvoirs.
Penchant la tête sur le côté, il pouffe.
— Alors, je me suis rappelé qu’il existait douze types de chaînes de Marlow pour douze punitions et que, selon leur apparence, elles représentaient chacune un châtiment spécifique.
Ouvrant le livre, il me montre l’une de ses pages. Un dessin y a été effectué, représentant avec exactitude les chaînes que je porte.
— Des maillons minuscules et circulaires, particulièrement serrés… Il s’agit de la chaîne de la privation.
Fermant le livre dans un claquement sec, il le jette à mes pieds. Le grimoire flotte dans les airs au lieu de tomber et rejoint tout seul sa place sur l’étagère. Il observe son cheminement avant de reporter son attention sur moi.
La mine sombre, il déclare dans un sourire mesquin :
— J’ai percé ton secret… Tu as perdu tes pouvoirs. N’est-ce pas ? Ces chaines t’empêchent d’utiliser la magie.
Je ne réponds pas. Cela ne serait d’aucune utilité. Il sait qu’il a raison et rien de ce que je pourrais dire ne parviendra à le convaincre du contraire.
Face à mon mutisme, il lève la main. Une de mes chaînes se soulève dans sa direction. Il l’attrape et, l’enroulant autour de ses doigts, tire soudain dessus. Je bascule brutalement, perdant l’équilibre. Mes jambes rompent quand je tombe. Le bras de Satoru s’enroule autour de mon torse et mon épaule frappe son pectoral. Furieuse, je balance l’une de mes chaînes en un battement de cil. Cette dernière s’enroule autour du cou de l’homme et je l’empoigne fermement, menaçante.
Si je tire sur la chaîne que je viens d’attraper, cette dernière se resserrera autour de sa gorge et l’étranglera.
Nos torses pressés l’un contre l’autre, nous pouvons sentir nos auras crépitantes entrer en collision, formant un cerceau de puissance brûlante. Levant la tête jusqu’à m’en tordre le cou, je regarde Satoru qui a baissé la sienne pour m’observer. Ses yeux brillent entre ses paupières mi-closes, étincelants parmi les rangées de cil givre les affûtant. J’aimerais effacer le sourire satisfait qui étire ses lèvres tandis qu’il joue avec la chaîne qu’il tient, celle qui me maintient contre lui.
Je tire sur l’autre qui se resserre autour de son cou, menaçant de le priver d’oxygène. La chaleur autour de nous se fait brûlante.
— Ne fais pas mine de menacer. Si quelqu’un tient l’autre en laisse, ici, ce n’est sûrement pas toi, je crache avec hargne, furieuse.
Il rit doucement, son nez frôlant le tissu de ma capuche.
— Le voilà, cet égo démesuré… Je savais qu’une créature aussi puissante que toi ne pouvait pas être réellement aussi humble. À quoi cela te sert-il de prétendre le contraire ?
— Je te conseille de changer de ton très vite, gamin, je tonne entre mes dents serrées, luttant contre l’envie de tirer sur la chaîne que je tiens. Je reste bien plus puissante que toi et je te conseille de le comprendre tout seul avant que je décide de te le prouver.
Son air suffisant m’agace tant que je serai capable de le tuer en voulant l’étrangler légèrement. Je préfère me contenir un maximum et ne pas resserrer la chaîne. Cependant, mes doigts me démangent.
Son sourire s’agrandit aussitôt et il me libère en relâchant la chaîne et reculant d’un pas. Puis, posant une main sur cœur, il se penche en avant dans une révérence exagérée.
— Tout pour toi, ma chère, susurre-t-il en levant les yeux vers moi, penché en avant, la chaîne autour de son cou toujours reliée à ma main solidement fermée.
Je frissonne à cette vision. Mes doigts s’écartent, libérant sa gorge. Il se redresse alors, satisfait.
— Je ne suis, de toute façon, pas intéressé dans l’idée de t’affronter alors que tu es privée de tes pouvoirs… Ma victoire ne serait pas honnête.
— Je te conseille d’abandonner l’idée de m’affronter, alors. Ses chaînes ne s’en iront pas.
Posant deux doigts sur ses lèvres, il dissimule à peine le rictus tordu qu’il affiche soudainement.
— Abandonner ? C’est mal me connaître, très chère…
Il marque une brève pause, faisant mine de réfléchir.
— Que dirais-tu d’un combat… Impliquant un autre parti ?
— Explique-toi.
— C’est relativement simple, à vrai dire. Nous désignons une cible. Le premier à l’anéantir gagne.
— Je ne vais pas tuer pour briser ton égo fragile. Tu n’as pas cette importance.
— Quelle étrange façon d’admettre que tu crains de perdre…
Levant les yeux au ciel, je tourne les talons. Ce qu’il pense de moi ne change rien au fait que je reste plus douée que lui. Et je ne mettrais personne en danger pour le lui faire comprendre.
— D’accord ! D’accord ! panique-t-il en me voyant partir. C’est toi qui choisis ! Tu sélectionnes la créature que tu veux détruire ! Que dis-tu de ça ? T’as au moins cent ans, t’as forcément dû croiser des gens qui t’ont agacée, pendant ta longue vie ?
Je cesse de marcher. Il ajoute dans un rire :
— Tu es un démon… Les démons ne vieillissent pas et leurs rancœurs non plus.
Comment ce misérable petit être a-t-il découvert mon âge ? Me retournant, je surprends son rictus satisfait. Il sait pertinemment quel effet ont provoqué les paroles qu’il vient de prononcées. Rares sont les personnes qui connaissent la moindre information à mon sujet.
L’un de mes sourcils se hausse. Dans ce cas…
— La Pythie des Âmes.
Son sourire fane aussitôt. Un spasme secoue sa paupière lorsqu’il entend le nom de la créature qui a massacré le peuple des elfes et anéantis la famille Gojo en une nuit.
Il ne répond même pas et j’insiste :
— Pour me vaincre, tues la Pythie des Âmes.
Il ne réagit pas. Sur ces paroles, je quitte la bibliothèque, laissant dans mon dos la silhouette inerte de Gojo Satoru.
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• NDA •
on entre dans le vif
du sujet mdrrr
est-ce que vous vous doutez
de ce que sera ce pacte des
thermes ?
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