𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔
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C H A P I T R E 6
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Enfin, nous nous sommes rencontrés.
Rien ne justifiera jamais l’interruption d’un bal organisé par son Altesse. Même la tête d’un homme décapitée et posée dans un plat, offerte à la vue des convives, ne saurait taire les festivités.
Après que quelques domestiques aient présenté leurs plus plates excuses pour cette vision macabre, le crâne du comte a été couvert d’une cloche de métal et débarrassé. Naturellement, la musique a repris et les invités ont entamé quelques valses. Bien sûr, ils ne manqueront pas de discuter tout bas de ce qu’il s’est produit. Cependant, les mélodies jouées par l’orchestre sauront couvrir leurs murmures.
Pour ma part, je n’ai rien à dire. Je connais le coupable de ce meurtre. De toute façon, Gojo Satoru n’a pas cherché à s’en cacher : du sang imbibait ses doigts ainsi que sa cape beige. Il souhaitait que quelqu’un remarque son crime. Moi.
Là est la raison pour laquelle j’ai fait le choix de quitter aussitôt la salle de bal. La manière qu’il avait de me fixer lorsque la tête décapitée a été découverte ne présage rien de bon. Je dois m’en aller d’ici.
— Vous nous laissez déjà ? retentit cependant une voix doucereuse, dans mon dos.
Cessant de marcher, je pousse un soupir et regarde devant moi. Je n’ai même pas besoin de me retourner pour deviner l’identité de la personne ayant soudainement surgi. Mais, je le fais quand même. Je veux lui faire face.
Les mains dans le dos, Gojo Satoru esquisse un sourire narquois. Penchant son visage en avant, il doit lever les yeux pour m’observer entre ses cils blancs. Son regard de cristal est assombri par l’ombre malsaine planant sur son visage.
Superbe dans sa longue cape beige d’où dépassent ses bras couverts de bandages noirs, il se tient devant les portes menant à la salle de bal. Derrière lui retentit le bruit étouffé de la musique jouée par l’orchestre.
— Je n’ai pas été invitée, je rétorque. Inutile que je m’attarde.
Il y a quelque chose d’étrange dans l’air depuis qu’il est arrivé. Un crépitement incertain. Une chaleur piquante. Une lourdeur éreintante. L’atmosphère se détériore à son simple contact. J’en conclus que je suis face à un amateur de magie noire. Je dois me montrer prudente.
— Nul ne l’est jamais, ricane-t-il doucement, penchant la tête sur le côté. D’une certaine façon, nous imposons tous nos présences à autrui… Personne ne nous invite…
Sous ma capuche, je fronce les sourcils. Rien ne semble réel dans la façon qu’a Gojo Satoru d’articuler les mots ou de bouger. Ses paroles sont semblables à une énigme et ses mouvements, à une illusion.
Quel personnage singulier…
Un instant, nous ne disons rien. Pour la première fois depuis des années, je ne me sens pas à l’aise. Mes entrailles se tordent et j’aimerais pouvoir disparaître d’un claquement de doigt. Déglutissant péniblement, je contemple cette vision sordide apparue devant moi.
Tout est déroutant, chez lui. Des taches de sang parcourant sa peau de porcelaine à la finesse de ses traits qui lui confèrent une allure quasiment irréelle. Intervient aussi la clarté de ses longs cheveux, si blancs qu’ils paraissent absorber toute lumière. Mais tout cela n’est que détails. Le plus désarçonnant chez Gojo Satoru est sans nul doute son regard.
Bleu. Une nuance irréelle et presque lumineuse. Pareil à un cristal si clair qu’il ne peut être que fruit du mal. Trop imparfait dans sa perfection. Tétanisante création dupeuse.
Je sais qu’il ne peut rien voir, à travers le tissu de ma capuche. La cape que je porte me dissimule entièrement. Cependant, il m’observe comme s’il savait tout de moi.
Absolument tout.
— Vous a-t-on déjà dit que vous aviez le même regard que votre mère ? je demande, songeant à l’effroyable Lycus et ses pupilles de serpent.
Il pouffe légèrement.
— Évitez de m’énerver… Ne passons-nous pas une agréable soirée ? Pourquoi la perturber de la sorte ? murmure-t-il avec une délicatesse perturbante, un ton mielleux où je devine pourtant toute sa rage. Ma génitrice appartient au passé. Profitons du présent, je vous prie.
Là-dessus, il claque des doigts. L’obscurité se fait, totale. Je pose ma main sur le pommeau de mon épée, prête à me défendre. Aveuglée par les ténèbres, je tends l’oreille et me concentre sur les sons autour de moi. S’il remue le moindre cil, je le saurais immédiatement.
— Quelle étrange réaction…, susurre-t-il quand une lumière azur perturbe soudain l’obscurité.
Il me faut quelques instants pour comprendre la source de cette lueur. Ses yeux. Son regard brille de mille feux, balayant ce couloir sombre.
Seule source de lumière dans les ténèbres, ses deux iris d’un bleu spectaculaire sont posés sur moi. Leur lueur est si intense qu’elle brûle ma rétine, me forçant à détourner le regard.
— Votre cœur ne s’est pas accéléré, vous ne semblez pas du tout avoir peur de moi et pourtant…, chuchote-t-il en me détaillant. La main que vous venez de poser sur votre épée m'indique que vous êtes parfaitement consciente de qui je suis.
Ses yeux se ferment. L’obscurité revient. Puis, il claque des doigts et d’innombrables bougies s’allument autour de nous, flottant dans les airs. Elles n’étaient pas là, auparavant. Il les a fait apparaître et elles illuminent maintenant le couloir de leurs lumières tamisées.
Les lueurs orangées flottent autour de nous à la manière de nuages de flammes. Leur va-et-vient crée des ombres mouvantes sur la silhouette de Gojo Satoru.
— Je ne suis pas idiot et je ne pense pas que vous l’êtes non plus, déclare-t-il sans quitter son rictus. Vous savez qui je suis et n’avez pas peur de moi… J’en déduis que moi, qui ne sais pas qui vous êtes, devrais avoir peur de vous.
Immobile, la main toujours posée sur le pommeau de mon épée, je ne réponds pas. Ses yeux s’écarquillent et quelque chose change dans son regard.
Gojo Satoru m’observe comme si j’étais la plus merveilleuse créature qu’il lui ait été donné de croiser.
— Et ce silence…, rit-il doucement, posant un index sur ses lèvres. Oh, ce silence !
Sa main glisse sur ses traits qu’il essuie. Cependant, son sourire ne faiblit pas.
— Ce silence est la réponse que j’espérais.
La paume qu’il vient de passer sur son visage est soudain brandie en ma direction. Il tend la main vers moi quand une nouvelle mélodie retentit, depuis la salle de bal. Un concerto intense, semblable à une course effrénée.
— Aurais-je l’audace de vous demander de m’accorder cette danse ? susurre-t-il sans perdre son sourire, tandis que les bougies autour de nous commencent à se déplacer plus vite.
Un instant, je considère sa proposition. Car tout est désarçonnant, chez ce personnage. Le fait de l’avoir croisé en rêve est censé annoncer mon décès. Je pensais que le jour où je le rencontrerais serait celui où je mourrais. Cependant, il ne semble pas enclin à vouloir me tuer, au contraire.
J’observe les taches de sang sur sa peau de porcelaine. Il a occis l’homme que j’avais menacé, fidèle à la mort que j’avais prédite. Maintenant, souriant, il m’invite à danser…
— Ne brisez pas le cœur du malheureux qui vous demande une danse… Acceptez, je vous prie, insiste-t-il tandis que les bougies autour de nous bougent plus vite encore, sa main toujours tendue dans ma direction.
Je lève le bras. Il sourit. Mon menton se redresse. Ses pieds s’approchent. Nos doigts se frôlent. Nos mains s’entrelacent.
Il m'attire jusqu’à lui. Je roule sur moi-même. Son torse se plaque contre mon dos. Mes pieds suivent les siens. Nous tournoyons en rythme. Nous suivons la mélodie saccadée.
Il pose une main sur ma hanche. Je roule loin de lui. Son sourire s’agrandit. Mon corps fait face au sien. Nos doigts s’entrelacent à nouveau. Nos torses se frôlent.
Il produit une chaleur sourde. J’émets une aura crépitante. Son souffle se fait lourd. Ma poitrine se soulève difficilement. Nous sommes prisonniers d’une atmosphère lourde. Nos magies s’emmêlent dans une cacophonie douloureuse.
Il me fait rouler le long de son bras. J'atterris dos contre son torse. Mon visage se tourne vers le sien. Son nez se glisse dans le creux de mon épaule. Nous tournoyons ensemble. Nos regards se croisent irrémédiablement, attirés l’un par l’autre.
Je sais qu’il ne peut pas voir à travers le tissu qui couvre mon visage. Pourtant, il m’observe comme s’il détaillait le moindre de mes traits.
Soudain, sa main se pose sur ma joue, à travers la capuche. Dos à lui, je continue de danser, me laissant porter par la musique.
Il y a quelque chose de tétanisant dans notre contact visuel, dans la façon qu’ont nos peaux de se toucher à travers les tissus, dans nos mouvements unis. Comme l’ultime danse d’une belle vie. Une valse macabre et baignée des eaux thermales.
— Pourquoi avoir tué le comte ? je demande d’une voix si basse qu’elle en est couverte par le son de la musique.
Cependant, je sais qu’il m’a entendue. Je le vois dans le sourire qu’il esquisse, regardant ma bouche à travers le tissu.
Je tressaille en voyant ses iris fixer mes lèvres. Impossible… Pourtant, Gojo Satoru se comporte comme s’il parvenait à voir mon visage, que ses yeux perçaient la capuche magique qui me cache.
La musique s’arrête. Je tourne violemment sur moi-même. Nous nous faisons face.
Il sourit encore.
— Alors ? Pourquoi l’avoir tué ? j’insiste, la main posée sur le pommeau de mon épée. Et de la même façon que celle que j’avais formulée lorsque je l’ai menacé ?
— Enfin… La réponse n’est-elle pas évidente ?
Son sourire ne faiblit pas, et ce, même lorsque son regard glisse sur ma paume, prête à dégainer mon arme.
Voyant que je ne compte pas lui répondre, il pousse un faible soupir. Puis, dans un rire à glacer le sang, il déclare simplement :
— Parce que c’est marrant.
Là-dessus, il tourne les talons. S’en allant d’un pas léger en sifflotant une comptine pour enfant. De mon côté, je fixe sa silhouette s’éloignant. Et, pour la première fois depuis des années, je me surprends à penser un mot. Quelques lettres.
Intéressant.
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• NDA •
merci beaucoup de
m'avoir attendue !
j'espère que vous
appréciez l'arrivée
de gojo. je n'avais
encore jamais écris
ce genre de personnage
mais j'espère que ça
vous plaira !
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