𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟖
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C H A P I T R E 5 8
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Il y a une sorte de quiétude inespérée dans le silence que le monde observe.
Comme si ce dernier préférait se recueillir face au repos d’un démon centenaire.
La lumière éclate en pétéchies de chaleur sur mon corps. Les yeux clos, je ne la vois pas. Pourtant, j’en distingue chaque éclat, chaque baiser, quand elle se fragmente sur mes bras dénudés. Et, derrière l’écran de mes paupières fermées, je devine son éclat orangé.
Combien de temps ai-je dormi ?
Pourquoi ai-je dormi ?
Oh, tout cela n’a que peu d’importance, je crois. Il y a comme un chant respectueux dans le mutisme des terres. Personne ne parle, personne ne crie, nul n’émet.
Enfin. Le silence. La légèreté.
Depuis combien de temps n’ai-je pas senti mon corps ainsi ? Il m’a toujours semblé lourd. Comme si mon enveloppe charnelle n'était qu’un boulet que je me forçais à tirer.
Cependant, tout cela s’efface dans le remous de mes songes. Plus rien n’a d’importance.
Car mon corps est si lourd mais il est si léger.
Lourd dans la manière qu’a ma silhouette de pénétrer le matelas. Lourd dans la façon qu’a mon enveloppe de ne plus se retenir. Lourd dans le récit que raconte ma personne, se laissant enfin aller aux méandres du sommeil.
Lourd. Comme l’insouciance de celui qui se laisse tomber.
Mais, pourtant si léger. Comme l’insouciance de celui qui se laisse tomber.
Paradoxal similitude.
Pourtant, alors que je m’enfonce dans un matelas douillet, tandis que je m’extirpe à peine du repos, je pourrais presque être assurée que je flotte. Moi, démone échouée dans un lit de plume, femme tout juste éveillée après un long sommeil, j’aimerais dire que la gravité n’a plus de prise sur moi.
Jamais mon corps n’a été aussi léger.
Enfin… Il y a bien eu une époque, lointaine. Il me semble que le monde a eu le temps de mourir et de renaître depuis.
Car cette époque remonte à une autre vie. Celle qui a précédé mon incarcération. Celle qui s’est soldée par l’extermination du clan Gojo. Celle qui a pris fin quand j’ai fait naître des chaînes qui sont tombées sur mon corps à la manière de mille et un boulets.
Oh.
Lourdeur. Légèreté.
Chaînes. Sommeil.
Oh.
— Mes chaînes.
Ce souffle franchit à peine mes lèvres qu'un hurlement le suit.
Je cris.
Mes paupières s’arrachent presque tant j’ouvre mes yeux avec violence. D’un bond, je me redresse.
Quand ma main se pose machinalement sur mon torse à la recherche des filaments de métal, une pierre tombe dans mon estomac. Mon souffle se coupe et ma paume palpe mon buste, en vain. Seule l’étoffe douce d’une chemise de soie rencontre ma peau.
Les yeux écarquillés et le corps tremblant, je fixe un point sans vraiment le voir. L’air ambiant se presse à ma cornée sans que ne battent des paupières. Bien vite, ma vision se trouble et quelques fourmillements traversent mon regard. Mais, je n'en ai que faire.
Ce dernier est figé.
Une voix intérieure, lointaine, me hurle de baisser les yeux. Un aboiement jaillit du plus profond de mon être, me pressant d’observer mon buste. Cependant, je ne le fais pas. Je n’ai pas besoin de le faire. Je sais quelle vision je découvrirais.
Je n’ai plus de chaînes.
— Tiens, tu es réveillée.
Cette voix, si familière, ne suffit même pas à me tirer de ma torpeur.
Encore sonnée, la main posée sur mon corps défait de ses entraves, mes épaules tremblantes dans un mouvement si humain qu’il ne me ressemble en rien, j’observe le vide.
Où sont mes chaînes ?
— Je suis allé acheter tout ce dont tu auras besoin pour ton séjour ici. Quand tu découvriras ta chambre, tu n’en croiras pas tes yeux. Oh, je sais ! Les démons sont rustiques, ils n’ont pas besoin d’opulence ! C’est ce qu’on dit… Mais je t’assure qu’en tant que démon, je ne pourrais pas dormir sans literie de soie !
Satoru Gojo.
La même voix mélodieusement horripilante. Cette chanson douce qui tourne en boucle dans l’esprit, distordant celui-ci jusqu’à émulsifier sa raison. N’en faire qu’un vague vestige dans les méandres d’une voix trop présente.
— Enfin… Je suis sûre que sous n’importe quelle température et sur n’importe quel sol, je trouverais le sommeil si tu es à mes côtés.
Qu’il se taise.
Même les tintements de quelques objets de métal qui retentissent pendant qu’il parle ne suffisent pas à couvrir le son de sa voix. Je devine aisément qu’il manipule des instruments à cause de ces sons. Mais, je ne peux me résoudre à la regarder. Je ne sais ce qu’il fiche. Et je ne tiens pas à le savoir.
Mes yeux sont inéluctablement rivés sur le vide.
Car je n’ai plus que ça, le vide. S’ils se posent ailleurs, commencent à slalomer le long de ce monde qui m’est changé, alors tout deviendra réel. Qu’importe si je cligne des yeux, si je hausse un sourcil, si je tourne la tête.
Ces nouvelles actions appartiendront à un nouveau monde.
Parce que mes chaînes faisaient partie de moi. Et celui qui me les a pris m’a fragmentée. J’étais un être, prisonnier d’un fardeau lourd mais qui était le mien. Et ce fardeau n’est plus.
Je ne suis plus.
Alors, je ne bougerais pas. Juste pour figer le temps. Laisser les graines coaguler dans le sablier. Qu’elles se durcissent au contact de mes larmes salées, lesquelles couleront quand le vent s’échouera trop longtemps sur mes yeux.
Oui, je ne bougerais pas.
Là est mon serment.
Mais sans doute suis-je trop fêlée, brisée. Car à l’instant où je noue cette promesse, ma langue la défait.
Je ne réfléchis pas un seul instant quand je demande :
— Qu’est-ce que tu as fait ?
Oui. Mes paroles s’échappent de mes lèvres sans que je n’arrive à les contrôler.
A l’instant où mes mots résonnent et s'éclatent sur les murs, le tintement des objets métalliques s’évanouit. Satoru s’est brutalement figé dans ses gestes. Je n’ai même pas besoin de le regarder pour le deviner.
Mes paupières se closent enfin. La caresse de mes yeux se fermant est d’abord douce. Cependant, bien vite, elle se mue en une brûlure viscérale. Si douloureuse que j’en pleurerais presque.
Mais je ne laisse aucune larme couler.
Voilà qui est bien étrange… Retenir mes larmes… Je n’avais plus fait telle action depuis la perte de mon humanité.
Satoru me fait décidément retrouver les plus désagréables facettes de l’humaine que j’étais.
Celle qui ressentait. Celle qui avait mal.
Celle qui aimait.
Le silence a le temps de devenir lourd avant que l’elfe ne réponde. L’air est si épais qu’il se fait irrespirable. A la manière d’une vapeur si dense que mes poumons ne parviennent pas à l’assimiler.
Il gronde.
Puis, il éclot quand les paroles de l’hybride résonne :
— Tu m’as donné un pouvoir. Je m’en suis servi.
Quelques mots. Ceux exacts qu’il me fallait entendre.
Un claquement résonne dans les régions enfouies de mon être. Cette simple phrase a pénétré chaque pore de ma peau, s’injectant comme un venin et coulant jusqu’à des profondeurs oubliées de mon âme. Survolant les chemins habituels, elle s’enfonce jusqu’au cœur de celle que j’étais.
Oui. Au cœur. Celui qui battait autrefois.
Et ce dernier tressaute. Une immonde pulsation. Un soubresaut de haine.
— POUR QUI TE PRENDS–TU ?
Ma voix ne me ressemble même pas lorsqu’elle jaillit de ma gueule béante.
A l’instant où mes yeux s’ouvrent et s’écarquillent de fureur, mon regard croise celui de Satoru. Inerte, debout devant moi, il ne bouge pas. Aucune frayeur ne traverse son visage et il ne tente aucun geste de recul.
Il ne s'agit pas de comédie.
Il n’a pas peur de moi.
Pourtant, il devrait. Car je viens d’entendre la voix que j’ai prise pour hurler de la sorte. Et cette sonorité… Voilà des lustres que je ne l'ai pas faite résonner. Et elle ne se manifeste qu’à une seule condition.
Je ne hurle d’une voix d’outre-tombe que lorsque je reprends ma forme démoniaque.
Mon vrai visage.
Quand mes yeux s'injectent de ténèbres au point de ne devenir que deux billes d’obsidienne. Quand le sang dans mes veines devient noir, faisant jaillir ces dernières qui gonflent sous ma peau et tracent milles et un chemin d'obscurité sur mon corps. Quand mes ongles s’allongent en griffes rougeâtre. Quand deux ailes jaillissent de mon dos, immensément grandes et ténébreuses.
Quand mon pouvoir gronde tellement qu’il forme une aura noirâtre qui tremble autour de moi.
— Qui crois-tu être ? je répète, ma voix normale jaillissant en même temps que celle d’outre-tombe, formant un duo dérangeant.
Mais Satoru ne répond pas.
Les yeux écarquillés, il me détaille avec minutie. Comme s’il souhaitait voir à la fois l’intégralité de ma personne et chacun de mes détails, il parcourt en toute hâte mon visage et mon corps accroupis au bord du lit. Debout devant moi, il baisse les yeux sur ma silhouette. Pourtant, aucun mépris ne traverse ses traits.
Seul un soupir choqué s’échappe de sa bouche avant qu’il ne lance :
— Alors… C’est à ça que tu ressembles…
Un rire grossier et guttural franchit mes lèvres.
A quoi s’attendait-il ? Les démons sont des créatures ténébreuses, des résidus d’immenses créatures aux pouvoirq trop grands pour ce monde.
Nous n’existons pas pour plaire visuellement. Nous existons pour notre laideur. Nous existons pour la voir pétrifier la victime de notre main vengeresse.
— Et bien quoi, Gojo ? On regrette tout son stratagème pour me voir dans ma véritable forme ? On se sent déçu, maintenant qu…
— Magnifique.
Les yeux écarquillés et les bras ballants, il ne me parle même pas. C'est à lui qu’il fait la remarque. Médusé, il m’observe à la manière d’un marin charmé par le chant d’une sirène. Comme hypnotisé, il me dévisage. Sans un seul geste. Son esprit ne lui laissant même pas assez d’espace pour lui permettre de bouger.
Car toutes ses pensées sont suspendues. Ses réflexions les plus intimes s’échappent de lui et n’ont qu’une destination.
Moi. Ma contemplation.
— Tu es… magnifique.
Et, dans le tumulte de nos pensées, bercée par la cacophonie d’un monde qui n’est plus, s’étiolant dans les vestiges de ce que nous étions censés être, il m'apparaît.
Gojo Satoru.
L’homme que j’ai toujours vu. Celui que je n’ai jamais regardé.
Lui.
Tout.
Rien.
Le monde.
Le néant.
— Oh…
Une larme roule sur ses joues. Je la distingue malgré la noirceur de mon regard. Une seule perle. Une goutte d’émotion qui traverse son visage éthéré.
Puis, soudain, un sourire émerveillé traverse ses lèvres.
— Que tu es belle…
Dans un soupir, il tombe à genoux. Les bras ballants le long de son corps, les yeux illuminés d’admiration. Les sourcils haussés, il ne parvient pas à se soustraire à ma contemplation.
— Une beauté comme la tienne… Elle vaut toutes les horreurs que j’ai pu voir jusqu’à maintenant.
Penchant la tête sur le côté, il me dévisage un peu plus.
— Elle les atténue… Elle les…
Il émet un pouffement, semblable à un rire étranglé par son sourire médusé.
— Oui, elle les vaut.
Ce pauvre imbécile a perdu l’esprit.
Il n’est qu’un fou, lobotomisé par ses propres pensées, un bouffon qui erre dans les rues des citadelles, un magicien qui n’a de grands que ses idées, sans que ses pouvoirs ne le suivent.
Il n’est rien. Rien du tout.
Alors pourquoi mon cœur se desserre dans ma poitrine à sa vision ? Quel soupçon de sorcellerie apaise les spasmes de mes épaules ? Quelle ineptie prononcée justifie la façon qu’a une douce torpeur de se répandre dans mes entrailles ?
— Gojo…
— Mon monde n’existe que parce que tu y es, susurre-t-il quand ma main se pose sur sa joue.
Son visage est froid contre ma paume. Pourtant, une brûlure délicate naît de notre contact. Je peux sentir sa chair pulser contre la mienne. Et lorsqu’il ferme les paupières, savourant la sensation de nos peaux l’une contre l’autre, mes défenses flanchent.
Assise au bord du lit, penchée sur sa silhouette accroupie, j’observe l’elfe qui sourit.
— Tu méritais la liberté. Je te l’ai donnée.
Un rire enivré franchit ses lèvres.
— Peu importe son prix, ajoute-t-il.
Ma main se crispe sur sa joue et mes sourcils se haussent. Quelque chose ne va pas. Dans le tumulte de ses paroles, dans son teint blanc qui parvient à blêmir, dans les spasmes faibles de sa voix.
Un instant, il semble sur le point de s'évanouir.
— Gojo ? j’appelle doucement.
— Je devais le faire…
A la manière d’un gémissement étouffé, sa voix jaillit. Comme un cri de détresse, elle me secoue. A peine audible, elle me parvient pourtant.
— Gojo… De quoi parles-tu ?
Un sourire. Un seul.
Il esquisse un unique rictus, ses yeux se plantant dans les miens. Et son visage tombe presque dans ma main posée sur sa joue.
— Gojo !
Me jetant au sol, je m’agenouille devant lui. M’extirpant du lit, je chute afin d’être à sa hauteur. Naturellement, mon autre main se pose de l’autre côté de son visage. Je prends ce dernier en coupe.
Tentant de chercher son regard, je penche la tête sur le côté, fixant ses yeux mi-clos, y guettant une quelconque réponse.
— Gojo ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Pour toute réponse, il esquisse un faible sourire. Ses yeux s’écarquillent, me laissant voir son regard irisé.
Aucun mot ne suffirait pour décrire la tendresse des yeux qu’il pose alors sur moi.
Et, dans un soupir éreinté, il parvient à susurrer :
— Une chaîne… Une plaie… Voilà la règle.
Aussitôt, un frisson se propage le long de ma colonne.
Ces mots…
Il s’agit du mantra régissant les chaînes de Marlow, celles-là même que j’ai enfilées, il y a près d’une décennie. Pour retirer une chaîne, il faut accepter de s’infliger une plaie.
Mes entrailles se soulèvent lorsque je comprends.
Si Satoru a retiré mes chaînes, abusant de son pouvoir sur ces dernières pour les détruire… Il n’a pas pu le faire sans sacrifice. Et s’il est si faible, à genoux devant moi, cela est directement corrélé à son geste.
— Satoru…, je chuchote, estomaquée. Qu’as-tu fais ?
— Ce qu’il fallait.
Aucune hésitation ne secoue sa voix pourtant faible. Seul un sourire béat étire ses lèvres. Ces dernières, esquissées de la sorte, poussent ses joues contre mes paumes refermées sur son visage.
Il semble si heureux. Et ce, malgré la flaque rougeâtre qui prend peu à peu forme sous nos corps.
Le cerceau carmin de liquide se dessine d’abord autour de sa silhouette agenouillée. Puis, il finit par lécher mes genoux. Le liquide chaud — le sang de Gojo — atteint bien vite mes pieds.
Alors, n’y tenant plus, je tire sur sa robe de chambre en satin.
Un seul mouvement et le tissu tombe le long de son corps. un seul geste et le vêtement chute, révélant son torse travaillé par des années de lutte.
Et partout sur sa peau diaphane, sur chaque centimètre de son torse musclé, des plaies béantes se dessinent. Multipliées, si nombreuses que je n’en distingue presque plus sa peau, elles abondent.
Un hoquet de terreur me secoue.
— Je… Je croyais que ton corps se régénérait automatiquement…
Il m’a dit cela, il y a un an, quand j’ai croisé sa silhouette dénudée au sein des thermes Moraïennes.
— Quand il s’agit de blessures classiques, oui… Mais pas là…
Il ne semble même pas comprendre l’ampleur de la situation. Pourtant, je sais qu’il la saisit. Il sait qu’aucun elfe n’a jamais reçu une quantité astronomique de blessures comme son corps le montre maintenant.
Jamais.
— Gojo… Pourquoi tu ne t’es pas arrêté ? je suffoque face au sang dégoulinant sur son torse.
Il sourit.
— Je préfère mourir que de te savoir enchaînée…
— Mais…
Ma voix meurt, étranglée.
— Est-ce que tu comprends que tu vas mourir ?
Il rit pour seule réponse. Et du sang jaillit de ses plaies quand son torse tressaute à ce geste.
— Alors je connais mon dernier souhait…, finit-il par murmurer.
Je n’ai même pas le temps de réagir.
Sa main se referme sur mon col, m'attirant brutalement jusqu’à lui. Le geste est si ferme, mais parcouru d’un grand désespoir, que je devine qu’il a puisé dans les dernières ressources de son corps pour l'esquisser.
Nos nez se frôlent quand ses yeux louchent sur ma bouche. Les miens remarquent le filet de sang qui s'échappe du sourire qu’il esquisse soudain.
Et il murmure :
— Je t’aime.
Puis, ses lèvres s’écrasent sur les miennes.
• N D A •
je me suis jurée de publier ce
soir même si j'aimais pas le
rendu
j'espère que ça vous plaira,
c'est un chapitre assez
important
♡
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