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C H A P I T R E 5
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Le moindre bruit résonne dans les couloirs du palais, rendant la tâche de surveiller les alentours particulièrement aisée. Je me trouve debout devant la porte des appartements du marquis, n’ayant pas eu l’autorisation d’y pénétrer. Mes missions, en qualité de protecteur, reposent sur le fait de veiller à ce que personne n’entre dans la salle.
Jadis, j’habitais ce palais. Il m’est donc inutile d’observer les lieux pour le découvrir. Je sais que, à quelques mètres sur ma droite, une imposante statue d’un ingénu ailé symbolise le dieu de la passion, Eros. De l’autre côté du couloir, sa mère Aphrodite, sortant d’un coquillage, représente l’amour et la sensualité. Sur quelques tables installées dans les recoins du corridor traînent des roses au parfum aphrodisiaque.
De toute évidence, cet étage et les appartements le composant ont été dessinés afin d’accueillir des amants ou jeunes mariés. Je me suis questionnée un instant sur la raison pour laquelle l’impératrice a choisi d’installer le marquis, un homme sans famille ni même aventure d’un soir, derrière ces portes. Puis la réponse m’est apparue de façon évidente : elle souhaite le narguer.
Mes réflexions se voient interrompues par un son lointain et répétitif. Quelqu’un monte les escaliers menant à cet étage. À en juger par les tintements marquant les pas du nouvel arrivant, il doit porter de lourds bijoux. Effectivement, quelques instants plus tard, une silhouette parée d’accessoires dorés émerge dans mon champ de vision.
L’homme n’est déjà pas bien grand de taille. La cape pourpre, l’imposant couvre-chef de la même couleur et la quantité astronomique de bijoux habillant ses différentes membres l’ensevelissent. Il ne ressemble plus qu’à un amas de tissus et de métaux. Ce n’est que lorsqu’il s’arrête devant moi, à un pas de ma silhouette, que je distingue son visage.
— Que faites-vous là ?
Un nez semblable à une tomate figée sur un visage bouffi et rougi par l’effort de traîner autant de poids me regarde. Des veines saillantes parcourent ses tempes, prêtes à exploser à la moindre respiration trop prompte.
— Je protège le marquis de Wolfrid.
Les yeux de l’homme me faisant face deviennent blancs un instant. Sa rétine s'illumine tandis que ses doigts — devenus violacés à cause de ses bagues trop serrées — tremblent. Il utilise son pouvoir pour savoir si je dis la vérité : il est un Poisson, un homme capable de distinguer le vrai du faux.
— Vous dites vrai, acquiesce l’homme d’un air satisfait. Navré pour cette soudaine question, j’occupe avec ma jeune femme la chambre d’à côté et je voulais être sûr de ne pas avoir de voisins peu fréquentables pour les nuits à venir.
Le ricanement qu’il émet présente des similitudes troublantes avec le son que produit une vache mettant bas. Je ne m’interroge pas longtemps sur le caractère bovin de mon interlocuteur, ses paroles ayant suscité mon intérêt.
— Vous êtes un invité ?
— Oh ! Veuillez m’excuser, quel rustre je fais ! Comte Malerais, invité de Sa Majesté ! se présente-t-il dans un rire pénible, agitant sa main alourdie par ses innombrables bagues.
— Si vous n’êtes pas un intendant du château, vous n’avez aucun droit d’utiliser vos pouvoirs ici.
En fonction de leur naissance, les individus sont représentés par un signe astrologique qui leur permet de développer des pouvoirs. Le commun des mortels est doté de magie. Cependant, celle-ci est soigneusement réglementée.
La loi impériale part du principe que personne n’est autorisé à se servir de ses pouvoirs. Le dogme s’appliquant est celui du “interdit jusqu’à preuve du contraire”. Les personnes voulant manier la magie doivent prouver qu’elles ont le droit de le faire en obtenant un permis. Ainsi, si quelqu’un est arrêté pour usage de la magie, ce n’est pas à l’empire de prouver qu’il n’a pas le droit de lancer des sorts, mais à lui de montrer son permis attestant qu’il a obtenu l’autorisation de le faire.
— Mais je suis noble. L’impératrice trouverait légitime que je m’inquiète de mon voisinage.
— Le fait que vous vérifiez ce que ses gens ont déjà analysé passerait pour une remise en question des capacités de son personnel.
Le visage bouffi de mon interlocuteur se contorsionne soudain de colère.
— Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un vulgaire soldat ! Je ne vous ai nullement demandé votre avis. Un homme avec un minimum d’éducation sait se taire lorsqu’il le faut.
Là-dessus, il hausse le menton, partant en affichant fièrement un air supérieur. Soudain, ses sourcils se froncent et il cesse de bouger.
— Je…, murmure-t-il avant de tourner brutalement la tête, me regardant par-dessus son épaule. Êtes-vous un homme éduqué ?
Ses yeux deviennent blancs, signe qu’il utilise son pouvoir. Je peux en conclure qu’il a deviné qu’une femme se cachait sous cette capuche. Je ne sais pas comment il l’a compris et je dois avouer que le découvrir ne m’intéresse pas. Par ailleurs, il est inutile de cacher la vérité.
— Je suis une femme éduquée.
Sa mâchoire se contracte violemment et il grogne entre ses dents serrées :
— Et la voilà qui donne des ordres… Depuis que l’impératrice est une femme, ces dévergondées se croient tout permis. Depuis quand les ventres enfilent des armures ?
Le terme de “ventre” me paraît relativement ironique. J’ai fait mes classes dans un ordre militaire où les guerriers n’étaient pas autorisés à se reproduire : nous étions façonnés de sorte à n’avoir rien à perdre et un enfant compliquait le processus.
— Il ne s’agit pas d’ordres, mais de lois de l’empire que je vous demande de respecter.
— Baisse d’un ton face à moi, petite sotte ! crache-t-il aussitôt, sa main fendant l’air.
J’attrape son poignet au vol, parant son coup avec facilité. Il tente de dégager son bras, mais n’y arrive pas, ma main étant trop serrée autour de lui.
— Je… Lâche-moi, petite sotte ! Ou tu vas voir de quel bois je me chauffe !
Je m’exécute, relâchant sa main. Je n’ai aucun intérêt à le provoquer. Soit, je suis consciente que je pourrais le réduire à néant d’un simple hochement de tête. Cependant, ce moustique ne mérite aucun effort.
— Retournez dans votre chambre, monsieur le comte.
— Plus un mot, immonde catin ! gronde-t-il, son visage virant au cramoisi. Tu ne sais pas qui je suis ni de quoi je suis capable !
Cette conversation m’ennuie. Je fais le choix de ne pas répondre. Seulement, s’il ne se décide pas à tourner les talons, je vais devoir l’emmener personnellement dans ses appartements.
— Espèce de…
La porte s’ouvre, à quelques mètres de nous. Il s’agit de la suite qu’occupe le comte avec sa compagne. Je conclus d’ailleurs que la fiancée dont il parlait tout à l’heure est celle qui passe la tête par l'entrebâillement, nous regardant.
Ses boucles rousses tombent lâchement sur ses épaules frêles. Malgré l’effort fait autour de sa silhouette grâce à ces vêtements, cette enfant n’a pas encore atteint la puberté, de toute évidence.
— Tout va bien, monsieur ? demande-t-elle d’une petite voix, ayant visiblement été alertée par les cris.
— Je t’ai autorisée à sortir de ta chambre, toi ? Retournes-y !
Aussitôt, l’enfant s’incline, s’excusant maladroitement et retournant dans ses appartements. Mon regard se pose aussitôt sur le comte qui pousse un grognement, passant ses mains sur son visage.
— Elles commencent à me faire chier, ces bonnes femmes…
Me lançant un regard mauvais, il ajoute sombrement :
— Si je vous surprends, ne serait-ce qu’à frôler le périmètre de ma chambre, je vous réduirais en cendres.
Soudainement, il tombe à genoux. Ses yeux s’écarquillent tant qu’ils semblent sur le point de jaillir de leurs orbites. Il tremble de douleur, se tenant le ventre et respirant difficilement. Puis, son regard se pose sur mon poing fermé, que je viens d’abattre dans son estomac. Pris de spasmes, il ne bouge pas. Je pousse le comte avec mon pied et il s’étale sur le dos.
Mon épée glisse dans un bruit métallique lorsque je la sors de mon fourreau. Posant la pointe sur la gorge du comte allongé, j’observe son expression terrifiée tandis qu’il tremble de tout son long.
— Si je vous surprends, ne serait-ce qu’à frôler l’enfant que vous avez épousé, je vous coupe la tête et la pose sur un plat d’argent. Votre crâne fera office de plat de résistance pour le bal de ce soir.
Il déglutit péniblement. Lorsque sa pomme d’Adam tressaute, la pointe de mon épée posée dessus remue.
— Me suis-je fait comprendre ?
Il acquiesce à toute vitesse, les yeux écarquillés de terreur. Je range mon épée et, sans un mot, retourne à ma place. Il ne bouge pas, toujours allongé sur le sol.
Plus que quelques heures avant le bal de ce soir.
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Les bougies de cire blanche semblent irréelles dans les airs, posées sur des lustres d’or qui flottent au-dessus de nos têtes. Les flammes éclatantes révèlent la beauté des murs et des colonnes de marbre de la salle de bal.
Autour de nous, les toilettes se succèdent dans des effusions de tissus onéreux et improbables. Les femmes rient élégamment au bras de leur cavalier, discutant en cachant leur lèvre derrière des éventails de plumes.
À côté de moi, le marquis est élégant, habillé d’une redingote blanche et de bijoux d’or. Les têtes se retournent facilement sur son passage, mais il n’y accorde aucune importance, son regard demeurant rivé devant lui.
— Est-ce votre premier bal royal ? me demande-t-il en ignorant un gentilhomme lui faisant signe de le rejoindre.
— Non.
Les soirées dansantes interminables, les orchestres aux instruments de bois lustré, les hors d’œuvres aux goûts inédits et exotiques… J’ai connu tout cela par le passé. Bien qu’à l’époque, je ne déambulais pas en armure et cape au milieu des convives.
— Vous êtes un bien surprenant personnage, rétorque le marquis dans un rire sombre, ignorant une demoiselle s’approchant pour le saluer.
Je ne réponds pas.
— Vous connaissez les bals et donc vous savez que votre tenue est déplacée, mais vous n’avez pas cherché à enfiler quelque chose de plus approprié. Et vous me voyez refuser de parler avec tous les nobles qui m’accostent, et vous ne me demandez pas pour quelle raison.
— Cela ne m’intéresse pas.
Il sourit en entendant ma réponse. Ses dents, d’un blanc éclatant, brillent à mes paroles.
— Je commence à apprécier votre honnêteté.
Je n’ai pas le temps de répondre que la musique s'arrête soudainement. Les têtes se tournent vers l’orchestre qui lui-même observe un homme, debout devant les portes des cuisines. Son uniforme me suffit à comprendre qu’il s’agit d’un serveur.
— Bien, sourit-il à l’intention de l’orchestre s’étant interrompu pour le laisser parler. Je tenais à remercier nos inestimables convives de s’être déplacés pour honorer le bal de ce soir.
Les têtes se tournent vers l’homme et son élégant sourire.
— Notre impératrice nous rejoindra au cours de la soirée. Nous vous encourageons dès à présent à investir la piste de danse.
Les choses n’ont pas changé… Déjà, lorsque j’assistais aux bals, il y a plus de dix ans, l’impératrice n’arrivait qu’au cours de la soirée. Il fallait que son apparition soit remarquée et que tous les convives soient là pour l’admirer. Alors, nous attendions toujours plusieurs heures avant de le voir.
— Nous tenons à éprouver encore notre joie de retrouver les Pages Ancestraux. Car cette cérémonie est tenue en leur honneur, pour célébrer leurs retours.
Le sourire de l’homme se fane quelque peu quand, regardant autour de lui, il réalise qu’aucun des douze Pages Ancestraux n’a daigné venir au bal. Cela ne m’étonne guère, ils n’ont jamais été friands de ce genre de festivités.
Embarrassé, il s’éclaircit la gorge et reprend dans un grand sourire :
— Nous tenons aussi à remercier l’homme qui les a ramenés sains et saufs.
Un murmure parcourt la foule et les nobles échangent des regards consternés. L’an dernier, à l'issue de la guerre, des Pages Ancestraux ont disparu et le tristement célèbre Gojo Satoru les a recherchés.
À présent, tous sont tiraillés : il les a retrouvés et leur a permis de rentrer sains et saufs. Cependant, il est toujours considéré comme une mauvaise personne, un mage possédant une bien sombre réputation. Là est d’ailleurs la raison pour laquelle, bien que le serveur vienne de le remercier, il n’a pas cité son nom.
— Je vous remercie donc encore pour votre venue et vous encourage à vous délecter des premiers hors d’œuvres que la cuisine vous envoie : des canapés de lilas, de fabuleuses bouchées élégantes réalisées avec soin pour vous tous !
Exécutant un pas de côté, l’homme libère de l’espace et la porte dans son dos s’ouvre aussitôt sur une dizaine de serveurs poussant des chariots. Sur ces derniers s’étalent des assiettes d’argent couvertes de cloches.
Les convives reculent tandis que la musique reprend doucement. Les serveurs disposent les plats sur les longues tables blanches décorées de pétales de fleurs et de pépites d’or. Puis, se plaçant face à nous, dos à la table, ils prennent chacun position à côté d’une assiette.
— Nous sommes fiers de vous présenter les canapés de lilas du bois de Bonjac, déclame l’un d’entre eux dans un sourire poli.
Un à un, ils retirent les cloches, dévoilant de minuscules hors d’œuvre semblables à des nuages violets sur lesquels sont posées des fleurs parsemées de perles de cristal.
Des murmures d’émerveillement se font entendre à mesure que les cloches sont soulevées. Les nobles admirent à haute voix la beauté de ces apéritifs, vantant déjà le goût des aliments alors qu’ils ne les ont pas encore goûtés.
Soudain, les chuchotements admiratifs se transforment en cris horrifiés. La musique s’arrête brutalement quand un serveur soulève la dernière cloche.
— Qu’est-ce que…
Le marquis ne finit pas sa phrase, observant avec horreur ce qu’il se trouve sur la dernière assiette.
Posée sur une mare de sang, la tête décapitée d’un homme nous observe de son regard éteint. Malgré son teint blafard et sa langue pendante, je reconnais aussitôt le visage du comte Malerais. Les dernières paroles que je lui ai adressées me reviennent comme une claque.
“Si je vous surprends, ne serait-ce qu’à frôler l’enfant que vous avez épousé, je vous coupe la tête et la pose sur un plat d’argent. Votre crâne fera office de plat de résistance pour le bal de ce soir.”
Alors que retentissent des hurlements horrifiés autour de moi, la peau de ma nuque me cuit soudain. Je sens un regard brûlant sur moi, me fixant à travers ma capuche.
Tournant la tête en direction dudit regard, je rencontre deux iris bleus, semblables à des célestines, brillant à la manière du reflet du soleil sur l’océan. Autour, des cils taillés dans de la glace complimentent ces yeux froids. Du même blanc limpide, des cheveux coulent autour de ce visage que je connais bien.
Gojo Satoru.
Autour de lui, tous les invités observent la tête décapitée. Cependant, lui me regarde. Un verre à la main, ses doigts couverts de sang, il m’adresse un sourire narquois.
C’est lui, je réalise. C’est lui qui a tué le comte Malerais et il ne cherche même pas à s’en cacher. Du sang couvre ses doigts et son corps.
Levant son verre dans ma direction, il articule ces mots :
— À la vôtre.
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• NDA •
OUI J'AI UNE HEURE
DE RETARD
mais le chapitre est
long et gojo est là...
alors l'arrivée ?
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