𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟏















C  H  A  P  I  T  R  E   4  1

    













    

          Je crois que plus rien n’a d’importance.

          Mes yeux suivent le chemin de mon propre sang courant entre mes doigts. Perles écarlates, elles glissent à la manière des larmes que je n'ai jamais consenti à couler.

— Non…

          Seule cette syllabe étranglée franchit ma gorge serrée. Il me semble qu’une pleure dessine le contour de mon visage. Tout se confond entre le passé et l’avenir. Le présent n’est plus. 

          Ou peut-être est-il trop, justement.

— Que se passe-t-il ? résonne la voix de Gojo.

          Mais, je ne suis pas sûre de l’entendre. Je ne suis sûre de rien. De mes perceptions à mes certitudes, tout vacille. Il y a un vide en moi.

          Je ne suis plus une Pythie.

          Soudain, une vive douleur. Elle m’arrache à ma torpeur. Quelque chose perce ma poitrine, me pliant en deux. Ma tête cogne presque mes genoux tant je m’effondre brutalement. Mon corps choit.

          Mes yeux écarquillés assistent impuissants au spectacle de la grotte qui tourbillonne quand je tombe.

          À l’instant où mon corps cogne le sol, un cri retentit dans la caverne. Si brutal qu’il arrache quelques gravas qui tombent en pluie de cendres. Menaçant, désespéré, il fend le monde en deux. Il s’éclate contre les parois.

          Gojo. Je reconnais sa voix. Il hurle de douleur.

— Non… Non… Non…

          Une main se referme sur mon épaule. Chaude. Étrange. J’aurais cru qu’un tel contact me dérangerait. Cependant, une forme de soulagement s’empare de moi quand ses doigts me saisissent.

          Il me bascule sur le dos. Aussitôt, son visage se découpe dans les lueurs tamisées de la grotte. Pour la première fois depuis notre rencontre, je me surprends à le regarder.

          Réellement.

          Jamais auparavant, je ne l’avais fait. Jamais je n’avais pris quelques instants pour contempler les filaments tortueux et écarlates perçant sa sclère. Jamais je ne m’étais attardée sur son iris d’acier, pas tout à fait noir, comme si les ténèbres eux-mêmes se refusaient à lui. Jamais je n’avais observé non plus la candeur de ses lèvres roses.

          Et jamais, je n’avais vu de larmes baigner son regard lumineux.

— Non, non, non, non…

          Sa large main glisse sur ma joue. De l’autre, il caresse mon crâne à travers ma capuche. Je n’ai pas la force de réagir. 

          Je ne pense pas être paralysée. Je crois que mon corps répondrait si je n’étais pas si fatiguée. Je ne veux juste pas bouger. Une dense torpeur s’empare de moi.

          Mes paupières sont lourdes.

Non, reste avec moi. Reste avec moi.

          Ses larges mains saisissent mes joues avec plus de fermeté cette fois-ci. En une pression, mes yeux s’écarquillent. A peine ses paumes se raffermissent sur mon visage que je sursaute. Aussitôt, je croise son regard d’un bleu céruléen.

          Cependant, ce soubresaut ne dure pas. Aussitôt, la fatigue revient.

Que…

          Jamais je n’avais ressenti une telle sensation. L’impuissance n’est pas quelque chose qui m’est familier. D’ordinaire, chaque épée, qu’importe leur poids, peut être soulevée de ma main déterminée.

          Alors pourquoi je n’arrive même plus à parler ?

Reste avec moi. Tu ne peux pas partir maintenant, tu as d’autres choses à faire… Tu…

          Jamais je ne comprendrai Gojo. Il était en adoration devant moi, se pâmant chaque fois que ses yeux croisaient les miens. Puis, ce que je croyais être la vérité l’a enseveli. Un soir, il a appris que j’avais détruit son peuple, l’annihilant en le réduisant à l'état de charnière. Il s’est décidé à me haïr.

          Alors, pourquoi n’ai-je pas n’y a-t-il plus de haine dans ses yeux ? Pourquoi ne puis-je affirmer avec certitude qu’il me déteste ?

          Pas quand des larmes s’échappent de ses yeux et tombent sur mes joues. Pas quand son corps tremble contre le mien. Pas quand ses mains s’accrochent si désespérément à moi.

Egarca a besoin de toi, supplie-t-il.

          Il dit vrai. Et cela pourrait me convaincre.

          Mais, je n’arrive pas à lutter. Mes paupières sont trop lourdes. Elles pèsent et emportent chaque regret avec elle. Ma vision s’assombrit quand mes yeux se ferment.

          Son front se pose contre le mien. Je le sens à travers mes paupières closes. Nos nez se frôlent. Son souffle s’échoue sur mes lèvres. Il est brûlant.

          Je frémis presque.

Je t’en supplie… Je ne sais pas pourquoi, chuchote-t-il avec douleur. Mais j’ai besoin que tu restes.

          Sa main glisse à nouveau sur mon crâne. Fermement, il me presse contre lui. Comme s’il craignait qu’en un souffle, je sois aspirée.

          Cependant, plus les secondes passent, plus sa voix est lointaine. Son souffle me semble plus court et mon corps recule. Sans que je bouge, je m’enfonce pourtant dans le sol.

          Soudain, je comprends.

          Je ne m’enfonce pas dans le sol. Mon esprit s’évapore. Tout simplement. Je disparais.

          Je crois que je meurs.

S’il te plaît.

          La voix de Gojo me paraît lointaine. Comme si le vent emportait le souffle de ses cordes vocales.

          Non.

          Je ne veux pas partir. Je ne veux plus.

          Sa voix… Je ne veux pas qu’elle s’éloigne. Je peux sentir chaque fibre de mon cœur hurler après elle. Je veux lui répondre. Je dois lui répondre.

          Car, par-delà le désert des Evilans, dans les profondeurs des Terres Ancestrales, au-dessus de la cime du palais impérial, rien ne résonnera jamais autant que l’écho de sa voix. 

          Je ne veux pas mourir.

— Reste…

          Je veux rester.

— Ne pars pas…

          Je ne veux pas partir.

Ouvre les yeux…

          Je veux les ouvrir.

          Je vais les ouvrir.

          Chaque racine d’arbre se lit en un bâillon ligneux autour de mes lèvres. Closes, elles s’épousent en une étreinte que rien ne saurait rompre. Et malgré la force que j’utilise pour ouvrir la bouche, celle-ci demeure close.

          Je n’arrive pas à crier.

          Non. Je ne peux pas me contenter de cela. Pas après tout ce que j’ai enduré. Pas après la rage accumulée.

          Non.

          Plus jamais.

          Les années de servitude. Chacune de mes sœurs Pythie contrainte de servir la couronne. L’impossibilité de riposter. L’obligation de courber l’échine. Les têtes hochées quand les pires paroles étaient prononcées. Les excuses formulées après les sévices corporels. Les corps tuméfiés de mes sœurs rouées de coups. Ces mêmes sœurs qui se traînaient aux pieds de l’impératrice pour s’excuser et admettre avoir mérité un tel châtiment.

          Puissantes. Nous étions puissantes.

          Mais, nous étions si faibles.

          Non.

          Plus jamais.

          Les joues potelées d’Egarca parcourues de larmes de douleur. Le regard malin d’Elio Evilans se posant sur elle pour la première fois. Sa mère méprisant les pleurs de l'adolescente. La pauvre fille tentant de refuser le mariage. Les pythies s’y opposant d’abord, contraintes ensuite magiquement de se soumettre aux ordres. Les fiançailles d’Egarca.

          Elle était toute-puissante.

          Mais, elle était si faible.

          Non.

          Plus jamais.

          Les corps échoués des elfes dans la clairière. Le sang noir séché au coin de leurs lèvres. Le visage bouleversé de Gojo le soir du bal. Sa voix tremblante lorsqu’il parlait de sa mère. Lycus… Le visage incompris de la tortionnaire torturée.

          Ils étaient si puissants.

          Mais, ils étaient si faibles.

          Tous.

          À jamais.

          Soudain, un hurlement.

          Vestiges d’une douleur millénaire, il naît dans mes entrailles. Tremblant de douleur dans le feu incandescent de ma rage, elles se débattent contre un mal que je n’ai fait qu’ignorer. Mais, aujourd’hui, il s’impose à moi.

          Alors, je crie. 

          Enfin.

          Je hurle.

          Si fort que mon cœur bat. Si fort que mes doigts s'agitent. Si fort que mes yeux s’ouvrent. Si fort que je me réveille.

          Je crie encore quand je me redresse soudain. Aussitôt, les bras de Gojo se referment sur moi. Je reconnais son parfum quand il me prend dans ses bras. Sa chaleur se referme sur moi comme une étoffe réconfortante.

          Ma tête se loge dans le creux de son épaule. Ma voix meurt. Je me tais.

          Je peux enfin me taire.

— Tu… Tu es revenue, hoquète-t-il.

          Reculant, je m’apprête à lui répondre que oui quand mes yeux s’écarquillent. Ma voix se bloque et, le temps d’un instant, mes pensées se figent. Car rien n’aurait su me préparer à la vision qui me fait à présent face.

          Les yeux de Gojo brillent.

          Imbibés de larmes, soit, avec des cils collant à cause des pleurs et une sclère rougie par la douleur… Mais ses prunelles étincellent.

          Comme seule une chose peut les faire étinceler.

Ta magie… Tu l’as récupérée ?

          Dans un sourire mouillé de pleurs, il me répond : 

— Je crois que je ne suis pas le seul.

          Je frissonne quand son doigt saisit une de mes chaînes, caressant la peau de mon cou. Sa phalange s’attarde sur ma chaire. Le visage fermé, j’ignore la chaleur qui se répand soudain dans mon ventre.

          Cette dernière s’évanouit de toute façon quand il me montre la chaîne qu’il vient d’attraper. L’une des innombrables qui, accrochées à mon corps, m’empêche d’utiliser mes pouvoirs.

— Tu vois la même chose que moi ? demande-t-il dans un rire fiévreux.

          En effet. Et mes yeux ne peuvent s’arracher à cette vision.

          La chaîne de Marlow est brisée.
















































•    N  D  A    •

j'espère que le chapitre
vous a plu !

je sais que vous avez
paniqué à la fin du
dernier chapitre mais
ne vous en faites pas...

...on atteint l'arc du
rapprochement entre
gojo et le reader

je sais que c'est dur là
mais vous comprendrez
tout bientôt

si j'avais mis toutes ces
scènes dans un chapitre
ça aurait été trop long





































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