𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟗



















C  H  A  P  I  T  R  E   3  9

    

















    

          Lorsque les lames sont d’acier, le silence est d’or.

          Ce dernier est tombé comme un voile opaque sur nos silhouettes. Tels quatre pantins de bois au milieu d’une arène traversée d’ombre, nous siégeons. Debout dans les méandres des ombres que fait graviter la grotte, nous demeurons. Droits.

          Une goutte de sueur glisse entre les omoplates de Sullyvan. Ces derniers semblent courir sous sa peau hâlée. Comme si ses muscles frétillaient sous la chair, sa peau est étirée par mille et un picotements.

          Il ne me faut pas longtemps pour comprendre qu’il s’agit de ses ailes. Il est l’Ange de la Nuit. Bien qu’il les dissimule le plus clair du temps, le blond cache deux imposantes armes de guerre dans les espaces de ses vertèbres.

          Je frissonne en découvrant d’ailleurs cette vision.

—  Je pense que nous ressentons nettement ce qu’il se passe, grommelle Hector d’une mine sombre, ses yeux s’attardant aussi sur les omoplates de l’ange.

          Depuis que j’ai arraché ma capuche, chaque son parais s’être suspendu. Les mélodies et les souffles s’aspirent dans une torpeur épaisse qui, même invisible, semble paradoxalement revêtir une teinte écarlate.

          Celle du danger.

—  Je ne ressens rien qu’on ne puisse pas affronter.

          Je me tourne vers Gojo lorsqu’il prononce cette phrase. Ses yeux sont braqués sur moi. Et, dès que je les croise, je devine qu’il ment.

          Chacun de nous, pour des raisons diverses, possède un sixième sens. L’ange, le démon, le page et l’elfe… Nous tous avons, ou avons eu, jadis, des pouvoirs magiques. Ces derniers, lorsqu’un danger est tout proche, tournoient en nous. Ils remuent et se déchainent, luttant pour sortir. Nous savons alors qu’il nous faut se préparer à combattre. Les ailes de Sullyvan tentent de sortir, les mains d’Hector le démangent…

          Mais, Satoru comme moi, nous ne possédons plus cette puissance. Je devine pourtant dans son regard qu’il perçoit aussi le danger. Tout comme moi. 

          Et si, bien que nous soyons théoriquement dépouillés de notre sixième sens, nous parvenons encore à le sentir se manifester maintenant… Alors, la menace nous guettant transcende toute forme ayant jamais existé.

          Soudain, je la ressens.

          Un fourmillement traverse mon sourcil gauche. Il s’étend sous ma peau, rampant jusqu’à ma joue, soulevant ma chair au passage. Je tremble presque en quand le frisson brûlant progresse sous ma peau. Cependant, ces spasmes ne sont rien comparés à ce que je ressens en réalisant ce qu’il se passe.

          Bruyamment, je hoquète de douleur. Mais, un rire me prend. Mélodie est lâche mais elle a toujours été maligne.

          Elle vient de me le prouver. Encore.

—  Oh, je n’y crois pas…, je pouffe d’un air mauvais, posant une main sur mon œil gauche.

          Sullyvan, Gojo et Hector se tournent vers moi. Eux tous fixent mon visage. Ou plutôt, leurs yeux s’arrêtent sur une zone particulière. Celle qui, défigurée à jamais, me pousse à rabattre une capuche sur mon visage en permanence. Car quiconque voit cette marque sur le visage de quelqu’un lit clair en ses travers.

          Le Sceau des Damnés.

          Tel est le nom que les Pythies ont choisi de donner, il y a plusieurs siècles maintenant, au dessin qui naît sur le visage de quelqu’un lorsqu’il commet un acte imprégné de l’essence même du mal. Le même qui est né sur mon visage lors de cette sombre soirée.

          D’un rouge semblable à du sang fraîchement répandu, un funeste dessin s’étend autour de mon œil. Grimpant autour de ma paupière en une gravure terrifiante, il s’insinue dans chaque pli de ma peau, grignotant ma chair imberbe et la marquant d’un tatouage que nul ne pourra jamais effacer.

—  Qu… Qu’est-ce que c’est ? prononce Sullyvan d’une voix percée de terreur.

          Bien sûr… Il est trop jeune, trop indifférent au monde et même trop stupide pour s’être un jour renseigné là-dessus. À sa droite, Hector qui a pourtant le même âge, ne semble pourtant pas ignorer la signification de ce dessin qui orne mon faciès. 

          Une terreur fait tanguer ses iris dans l’océan de sa sclère. Il me fixe sans ciller.

—  Qu’est-ce que c’est !? Vous allez me répondre ? s’impatiente Sullyvan, la peur grandissant dans sa voix à mesure qu’il regarde les mines ulcérées de Gojo et Hector qui restent muets de stupeur. Elle avait pas ce dessin, il y a deux minutes ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Pourquoi il est apparu ? Et pourquoi vous parlez plus ?

          Sullyvan commence à paniquer. Je peux le comprendre : nul ne parle, tous me fixent d’un air interdit. Et de la terreur habite même le regard d’Hector.

          Ce dernier finit par ouvrir la bouche après un long silence.

—  Il s’agit du Sceau des Damnés, murmure-t-il d’une voix sèche, comme si chaque goutte de son corps s’était évaporée en la découvrant. Tu ne le voyais pas parce qu’il était magiquement caché. Mais, l’énergie de l’autre Pythie est si forte qu’elle l’a fait ressortir.

          En effet.

          Ma capuche me sert à dissimuler mon visage, mais une deuxième protection existait. Un charme particulièrement puissant tissait chaque pore de ma peau afin de cacher cette gravure de sang. Cependant, la simple présence de Mélodie a su faire jaillir ce dessin maudit.

—  Je comprends pas… Qu’est-ce que le Sceau des Damnés ? Pourquoi vous avez l’air ulcéré ?

—  Il s’agit d’une marque condamnant un acte d’une violence extrême, répond Gojo à Sullyvan.

          L’elfe ne cligne pas des yeux. Les siens demeurent écarquillés tandis qu’il me dévisage.

—  Un génocide c’est violent, on est au courant. Je comprends pas pourquoi vous semblez si choqués. Vous saviez ce qu’elle a fait. Elle a simplement été punie pour…

—  Tu ne comprends pas. Il n’y a qu’un seul clan qui peut graver une telle marque dans la chair de quelqu’un, murmure Hector d’une voix blanche, ses mains tremblant presque au bout de ses bras.

          Il se force à me regarder lorsqu’il conclut : 

—  Le mien.

          Je n’interromps pas leur discussion.

          Je suppose que là est ce que voulait la Pythie. Elle s’est servie de son pouvoir pour dévoiler mon visage, mais refuse de m’affronter. Depuis que nous vons commencé à parler, elle n’a même pas fais mine de venir me voir en face-à-face. 

          Je me retiens de rire.

          Bon sang, les siècles passent et elle demeure d’une lâcheté stupéfiante.

  Qu’est-ce que ça change, que ce soit toi ou un autre ?

—  Les Evilans ne peuvent déposer cette marque qu’une seule fois dans leur vie et sur une seule personne…, déclare Gojo en regardant Sullyvan.

          Ses yeux de célestine se posent sur moi. Une colère brûlante y ondule quand il termine son propos : 

—  …Sur leur assassin, au moment de leur mort.

          Les yeux de Sullyvan s’écarquillent. La lèvre d’Hector tremble tandis qu’il me fixe, ses yeux se baignant de larmes.

—  Tu… Tu as tué un de mes ancêtres ? Tu as assassiné un Evilans ? Tu…

          Sa bouche s’ouvre et se referme à plusieurs reprises, visiblement sous le choc.

          La famille Evilans est la dynastie impériale depuis fort longtemps. Et, de tout temps, même avant qu’elle n’accède au trône, les Pythies des Âmes la servaient.

          Si Mélodie et moi avons connu Egarca si jeune, si mes sœurs ont habité au palais, si j’ai été celle qui entraînait les Pages Ancestraux, c'était car il s’agissait de mon devoir de serviteur. J'obéissais aux exigences de la couronne.

          Comme chaque personne ayant été possédée par un démon.

—  Tu… Tu étais censé protéger mes ancêtres et… Et tu as tué l’un d’entre eux ?

          Mes lèvres demeurent closes.

  RÉPONDS-MOI, IMMONDE TRAÎTRESSE !

          Étant de signe astrologique poisson, Hector a la capacité d’entendre les mensonges et de les distinguer de la vérité. Personne ne peut lui conter quelques affabulations sans qu’il s’en aperçoive.

          Là est précisément la raison qui me pousse à planter mes yeux dans les siens et, sans sourciller, mentir ainsi : 

—  Oh, Hector… Jamais je n’aurais fait le moindre mal à ta famille.

          Seul un cri de rage me répond.

          Hurlant de colère, le Page Ancestral s’élance dans ma direction. Martelant le sol de ses pieds, il brandit une épée.

          Je souris en le voyant faire.

—  Aussi immatures que tous ceux qui t’ont précédé.

          D’un pas de côté, je l’évite à l’instant où sa lame me frôle. Il poursuit sa route furieusement, freinant brutalement derrière moi.

          Je me retourne.

—  Ton pouvoir t’est inutile lorsqu’il s’agit de combattre, mon cher. Alors pourquoi crois-tu valoir quoi que ce soit contre moi ?

—  Tu cachais bien ton jeu, démon, crache-t-il avec animosité. Je te croyais loyal.

—  Et je te croyais capable d’affronter quelqu’un dépourvu de pouvoirs. Les mensonges font légion, décidément.

          Projetant son épée au sol, il se jette sur moi. Cette fois-ci, je le laisse venir. Et, lorsqu’il m’atteint, j'abat mon genou dans son ventre.

          Il est projeté sur plusieurs pas. Son corps s’échoue au sol à la manière d’une poupée de chiffon.

          Soudain, une main se pose sur ma gorge.

          Je me raidis. Je crois que si mon cœur battait, il se serait interrompu. Mes yeux s’écarquillent. Cela faisait fort longtemps qu’une telle chose ne m’était pas arrivée…

          Sur ma gauche, Sullyvan se tient. Ses yeux perçants se plongent dans les miens tandis que ses ongles acérés menacent de m’égorger d’un simple geste. Je sais qu’il est capable d’occire un être de sa seule main. Alors, cela ne me surprend guère.

          Non, ce qui attise ma curiosité est le fait que je ne l’ai pas entendu approcher.

—  Tu vas regretter ce que tu viens de faire.

—  L’avoir fait pleurer ou l’avoir fait dormir ?

—  Les deux, gronde-t-il en me fusillant du regard.

          Un rire franchit mes lèvres. Ignorant sa main, je me penche un peu plus vers Sullyvan lorsque je susurre : 

—  Ne m’oblige pas à te montrer la puissance d’un démon millénaire.

—  J’aimerais bien te voir essayer. À quoi ressemble une Pythie des Âmes sans pouvoir ? raille-t-il tandis qu’une obscurité malsaine se propage dans ses iris.

          Il veut me tuer. Et cela me contente.

          Alors, c’est dans un sourire doux que je susurre avec douceur : 

—  Je vaux quinze clampins dans ton genre.

—  Je vais tellement aimer te voir pleurer pour que j’abrège tes souffrances. Les démons ont toujours trop de choses à dire. Ta sœur aussi, elle disait la même chose avant que je la tue.

          Je me fige. Mes yeux s’écarquillent.

          Il éclate de rire.

  Ah… La plus jeune Pythie du monde… Comment elle s’appelait déjà ? Aline ?

          Mon esprit se tait. Je n’arrive plus à penser. Rien ne traverse ma psyché quand je l’observe rire ainsi. 

          À l’exception d’une pensée. Une seule.

          Ce soir, l’un de nous deux ne se relèvera pas.

















































•    N  D  A    •

j'espère que le chapitre
vous a plu !










































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