𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟕




















C  H  A  P  I  T  R  E   3  7

    

























           Plus personne ne parle. Le silence est presque absolu. Il a avalé le moindre son. Le moindre songe. Mes pensées se retrouvent englouties.

           Silence. Je ne pense pas.

           Doucement, ma tête se tourne vers la femme assise derrière moi. En tailleur, elle me montre le dos. Ses cheveux blancs tombent en cascade funèbre entre ses omoplates saillantes. Elle n’a pas remué d’un cil.

Lycus ?

           Elle ne réagit pas. Je me tourne à nouveau vers l’enfant. Il garde un visage grave.

Elle ne t’entend pas.

Elle a tué son peuple ? je répète, sentant ma voix se serrer.

           Ses yeux se ferment quand il acquiesce. Les miens s’écarquillent davantage.

Mais… Elle disait qu’elle avait tué les sephtis par vengeance. Une prophétie disait que les elfes tueraient les sephtis.

           Je n’arrive presque plus à parler.

J’étais venue discuter avec les elfes de la prophétie, leur demander de revenir sur leur décision… Ils ont refusé et, outrés qu’un démon leur demande quelque chose, m’ont affirmé qu’ils n’avaient pas l’intention à l’origine d’attenter à la vie des sephtis mais que juste parce que je leur avais demandé cela, ils allaient le faire.

           Je me souviens encore nettement de leurs visages serrés. Il y avait une prestance dans la façon dont ils hachaient chacune de leurs paroles.

J’ai tué leur armée pour cela. Pour qu’ils ne mettent pas cette menace à exécution. Et Lycus m’a dit qu’ils n'avaient jamais réellement eu l'intention de le faire, mais que, simplement parce que j’avais tué son peuple, elle accomplirait le souhait de leur chef.

           Thanatos soutient mon regard.

Comment a-t-elle pu se venger de leur mort si elle en est responsable ? Pourquoi a-t-elle fait ça ? Est-ce que tout le monde dit est vrai ? A-t-elle tué les sephtis seulement parce que ceux-là ne la vénéraient pas ? Et le reste n’était qu’une excuse ?

           Mon cœur bat.

Pas seulement, finit-il par répondre. Elle voulait effectivement les punir de ne pas l’adorer. Mais elle souhaitait aussi venger son peuple de ce qu’il s’était passé.

— Mais pourquoi ? Elle en était responsable !

           Thanatos entrouvre les lèvres. Le chérubin semble hésiter. Cela est étrange. Les dieux n’hésitent jamais. Ou alors, peut-être lorsqu’il se demande si leurs simples mots parviendraient à briser un démon en mille et un éclats.

           Et, lorsqu’il les prononce, je crois qu’une partie de moi se fêle, en effet.

Elle a oublié.

           D’abord, je ne comprends pas. Alors, il répète.

Elle a oublié qu’elle était responsable de ce massacre. Et elle a vécu toute son existence sans s’en souvenir. Elle t’a toujours cru coupable.

           Mes mains tremblent.

           L’odeur de putréfaction s’élevant dans l’air. Les corps encore parcourus de spasmes de douleurs. Les hurlements des enfants ne comprenant pas leur propre souffrance. Les pleurs des adolescents hurlant qu’ils voulaient vivre. Les corps s’échouant en parterre de chair.

           « Elle a oublié. »

           Les morts sortant de terre, animés du sort de nécromancie de Lycus. Leurs corps zombifiés marchant jusqu’à leurs proches. Ces derniers, ravis et hurlant de joie, convaincus que leurs proches décédés étaient revenus. Ces mêmes proches, en réalité morts et animés par la femme, qui les ont massacrés à mains nues.

           « Elle a oublié. »

           Les charnières entassées. Les corps enflammés. Les rumeurs disant qu’il y avait plus de cadavres que de gens pour les pleurer. Ils avaient été tués par les corps qu'ils avaient eux-mêmes enterrés. 

           Les sephtis sont encore persécutés aujourd'hui, simplement, car ils n’ont pas de pouvoirs magiques.

           « Elle a oublié. »

           Les gardes posant pied dans la cour du palais. Mes élèves se tournant vers eux, surpris. Les soldats se jetant sur Yevhen, Meeva et Hank, tentant de les empêcher de me défendre. Yeon pleurant à chaudes larmes. Ilus tremblant de terreur. Mon dernier regard à ceux qui me considéraient comme leur mère. Les hommes en armure m’escortant jusqu’en prison.

           « Elle a oublié. »

           Les chaînes sur mon corps. Ma silhouette gisant au sol. Ma gorge desséchée. Mon ventre criant famine. Ma migraine éternelle.

           Le silence.

           « Elle a oublié. »

Oublier tant de souffrances ? Vraiment ? Comment a-t-elle pu ? Elle est bien la seule à avoir oublié. Elle est…

           Mes lèvres se pincent. Je secoue la tête. Un rire sans joie franchit mes lèvres.

Ce n’est même pas vrai. Les sephtis sont encore parqués sur des îles et torturés. Les clans des Evilans s’entretuent. Certains seraient ravis de massacrer d’autres clans pour prouver leur puissance. Et les nobles agissent de la même façon. Quand ils ne vont pas dans un vice plus grand encore en ravissant une enfant à sa famille en prétendant l’aimer.

           Thanatos ne dit rien.

— Elle n’est pas la seule à avoir oublié, je chuchote quand ma gorge se serre un peu plus. Ils l’ont tous fait.

           Quelque chose d’étrange traverse mon visage. De l’eau.

           Je crois que je pleure.

Alors quoi ? Il n’y a pas de responsable parce que je n’ai rien fait et qu’elle a juste oublié ? C’est ça ? je lance d’une voix sèche.

Oh que si, il y a des responsables. Les dieux voient autant de coupables qu’ils voient d’humains.

           Les mains jointes dans son dos, l’enfant regarde l’elfe.

Elle a agi dans un accès de perte d’esprit. Mais, le monde entier perdait-il l’esprit, à ce moment-là ? Ce n’est pas elle ni toi qui en es responsables. C’est vous tous. Parce qu’à part toi, personne n’a tenté d’agir.

           Il lève son index et son majeur.

Deux génocides.

           Son poing se ferme.

Au lieu d’aucun.

           Il replace sa main dans son dos.

Voilà le prix du silence.

           Un rire cynique franchit ses lèvres.

Oh, humains, vous êtes prodigieux. Seule votre espèce est parvenue à un tel miracle.

— Lequel ?

— Faire que le silence soit plus audible que les cris.

           Là-dessus, comme si ses paroles avaient fait éclater une force inconnue, un son résonne. D’abord à peine perceptible, comme s’il était lointain, il retentit dans la clairière.

           Mon sang se glace en le reconnaissant soudain.

           Un violon.

C’est…

— Tu es en train de te réveiller. Donc, tu entends ce qu’il se passe autour de toi.

— Ce violon…, je chuchote en écarquillant les yeux.

           Thanatos acquiesce. Il confirme mes soupçons.

           Le véritable nom de la Pythie des Âmes habitant la caverne où je gis, inconsciente, est Mélodie. Car son arme réside dans sa musique. 

           Et, lorsque son archer gratte les cordes de son violon, il ne faut pas être dans les parages.

Elle m’attaque, je réalise tout bas.

Elle vous attaque, me corrige Thanatos.

           Ma réaction est immédiate.

Gojo.

Tu te réveilles maintenant. Je ne te retiens pas. Va lui porter secours.

           La mélodie entonnée par le violon se fait de plus en plus puissante à mesure des secondes s’écoulant. Elle grimpe en intensité, couvrant presque le son de la voix du dieu.

           Soudain, un vent se lève, aspirant mes vêtements qui me tirent en arrière. Je ne lutte pas.

Oh, et très chère, m’interpelle une dernière fois l'enfant.

Oui ?

— Cesse de te battre en vain. Gojo ne te prendra pas la vie. Au contraire, vous vous la redonnerez mutuellement.

           Je n’ai pas le temps de réagir. Mon corps est brutalement aspiré en arrière.

           Ma vision devient obscure.








J’ARRIVE PAS À CROIRE QUE CETTE ABRUTIE DORME PENDANT QU’ON SE FAIT ATTAQUER !

           Mon corps est violemment secoué. Comme si je n’étais qu'un vieux chiffon, il est vulgairement malmené et remué. En sentant quelque chose s’enfoncer dans mon ventre, je réalise ma position.

           Gojo m’a balancé en travers de son épaule et court comme le pétochard qu’il est.

LE CÔTÉ POSITIF C’EST QUE MAINTENANT, ON VOIT OU ON EST ! résonne une voix dans mon dos.

           Du feu. Partout.

           De violentes lumières rougeâtres balayent les cavernes, illuminant la très large grotte dans laquelle nous nous trouvons. Ses parois rocheuses sont couvertes d’une substance visqueuse laissée sans nul doute par l’araignée de compagnie de Mélodie. Mais, cette dernière est le cadet de nos soucis.

           Au rythme d’une symphonie entonnée au violon, un humanoïde se déplace au milieu de la pièce. Fait de flamme, sa silhouette rougeâtre se coupant dedans, il projette des braises.

           Hector les esquive d’un bon. Aussitôt imité par Sulyvan, debout derrière lui.

           Ils nous ont rejoints quand j’étais inconsciente.

J’ARRIVE PAS A CROIRE QUE JE PEINE À LUTTER CONTRE LE PANTIN D’UNE PYTHIE ! hurle Sulyvan par-dessus le violon.

           Aucun d’entre eux n’a remarqué mon réveil. Gojo, un sabre à la main, a enroulé son autre bras autour de mon corps qu’il garde sur son épaule.

BORDEL, VOUS AVEZ PAS DU SANG ELFIQUE, VOUS DEUX ? lance Hector. C’EST PAS POUR ÇA QU’ON VOUS A FAIT VENIR ?

— Absolument pas, je réponds sans hausser le ton avant de bondir sur le sol, me dégageant de la prise de Gojo. Ils ne servent qu’à localiser l’artéfact.

           La créature de flammes s’arrête soudain de bouger avant de se tourner vers moi. Le violon s’interrompt.

           Je souris.

Ce gars-là, c’est moi qui m’en occupe.





























































    N  D  A   

j'espère que le chapitre
vous a plu !






























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