𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟐













C  H  A  P  I  T  R  E   3  2




    








— Alors ? Je peux savoir ce que tu t’apprêtais à faire ?

           Je crois que le passé me parle.

           Le regard célestin de Satoru brille sous l'orée des rayons solaires. Ondulant en vapeurs coruscantes, ses pensées scintillent dans le carcan de son iris, affûtées par le givre de ses longs cils.

           Tout n’est que beauté.

           Quelques mèches enneigées jaillissent du foulard noir autour de son visage. Il couvre son crâne ainsi que la moitié inférieure de son visage avant de chuter sur ses clavicules. 

           Ces dernières se devinent sous le tissu moulant de son haut. Il sombre et s’arrête à ses épaules, dévoilant d’épais bras développés par des années de pratiques intensives de la magie. Mes sourcils se froncent à cette vision.

           Lorsque mon regard chute, je découvre un sarouel habillant ses jambes. 

           Point de dorures, de vêtements nobles, de manteaux finement tissés ou de broderies élaborées… Il ne revêt pas ses parures habituelles. Même son regard semble changé.

           Il est habillé comme un guerrier du désert.

Cela ne te regarde pas le moins du monde, je rétorque sèchement, soutenant son regard dur.

           Ses forts bras se croisent au-dessus de sa poitrine et il me contemple quelques instants. Le soleil joue sur les reliefs de ses biceps développés.

J’avais oublié. Rien ne regarde jamais les autres, avec toi. Surtout pas la vérité.

           Ses yeux lancent des éclairs au-dessus de la toile noire de son foulard. Brutaux, les pupilles ont attrapé les miennes, se plantant dans le puits de mon regard. Je le sais, il ne cillera pas.

           Il ne le fera plus.

           Et il continue de me fixer lorsqu’il demande : 

— Hector ? Tout va bien ?

— Oui, grommelle ce dernier en serrant les dents. Elle ne m’aurait pas tué, laisse-la.

           Penchant la tête sur le côté, je ne peux empêcher mes lèvres d’étirer un sourire narquois. Gojo ne le voit de toute façon pas, ma capuche dissimulant mon visage.

— Elle me semblait bien partie pour le faire.

— Elle a été la protectrice des Evilans. Elle sait qu’il faut plus qu’une pierre pour nous tuer. Elle voulait simplement avoir le plaisir de me faire ce que je lui ai fait.

— Je l’ignorais, je mens d’un ton provocateur, me demandant quelle va être la réaction de Gojo.

           Mes paroles n’ont pas l’effet escompté. Il se détourne de moi, marchant vers Hector qui est échoué au sol. Je le suis du regard tandis qu’il s’accroupit à hauteur de l’homme.

           D’un geste aisé, trahissant son habitude de la chose, il glisse l’un de ses bras autour de sa nuque et l’autre, sous ses genoux.

           Hector est gêné, mais il se laisse faire.

— Cela lui arrive souvent ? je demande.

           Pour toute réponse, Gojo me lance un regard noir. Je hausse les épaules, peu intéressée par les états d’âmes du garçon.

           Au moins, maintenant, il n’aura plus d’excuses pour ne pas accomplir la mission des thermes.

Le combat contre Lycus m’a coûté mes jambes, explique Hector tandis qu’ils passent devant moi. Comme elles sont mortes, qu’elles ont été putréfiées par Lycus, elles peuvent être animées avec de la nécromancie. Je porte un talisman animé de la magie de Sulyvan.

— Mais quand tu fais des caprices, cela consomme ton énergie magique, alors le talisman se consume et tu te paralyses à nouveau. C’est logique.

           Gojo, soulevant toujours Hector, me lance un regard noir par-dessus son épaule.

           Oui. Haïs-moi. Car si tu continues de m’admirer et de m’aimer, jamais tu ne consentiras à me tuer. Laisse-toi ronger par la haine, regarde le véritable visage d’un démon que tu croyais princesse.

           Haïs-moi. Tue-moi.

           Pour les tiens. Pour les miens. Pour ceux qui n’ont pas su voir clair dans mon jeu et ceux qui l’ont fait. Annihile chaque spasme de vie en moi.

           Ravis-moi à la terre dont j’ai déraciné l’arbre de la paix. Que les tréfonds de la guerre soient emportés par la salve de mon trépas.

           Gojo. Haïs-moi.

Hâtons-nous, déclare Gojo pour toute réponse, m’ignorant. Sullyvan nous attend.









— Faut être une sacrée emmerdeuse pour purger un talisman de ma magie en faisant simplement chier le monde.

           Le corps d’Hector a été placé sur un assortiment de coussin de soie aux milles et unes couleurs. Filtrant par les vitraux de moucharabiehs, des colonnes de lumière timides caressent les jambes inertes de l’homme.

           Dressé sur ses coudes, il observe avec attention les gestes de Sulyvan. Ce dernier, accroupi devant lui, caresse le talisman de son pouce. Il s’illumine sous le contact de sa chair.

Je suppose qu’il est plus facile de me traiter d’emmerdeuse que de reconnaître qu’on est un mauvais nécromancien.

           Pour toute réponse, il éclate d’un rire clair.

Putain, quelle chieuse !

           Cela ne semble pas réellement le perturber.

           Sullyvan n’est pas le démon autoritaire que l’on dépeint. Je l’ai compris à l’instant où je l’ai rencontré. Une certaine insouciance habite ses moindres mouvements légers. 

           Même lorsqu'il a découvert Hector, les jambes atrophiées, il s’est contenté de hausser les épaules avant de nous inviter à entrer.

Et t’es tombé amoureux de ça, Gojo ? rit-il en se tournant vers la silhouette debout dans un coin de la pièce.

           Hector tressaille. Un silence de plomb s’abat sur nous.

           Je ne tourne pas la tête vers l’endroit où l’elfe se tient. Mais, une chaleur crépitante est née de sa silhouette inerte. Et je devine la noirceur du regard qu’il pose sur Sulyvan.

           Ce dernier n’a visiblement pas remarqué la gêne ayant pris place dans les lieux suite à sa remarque. Chantonnant, il continue de malaxer le talisman entre ses doigts, lui confiant sa magie.

Concentre-toi au lieu de dire n’importe quoi, je grommelle abruptement. Cela t’évitera de générer d’autres talismans défectueux.

— Oh, la ferme.

           Si Sullyvan n’est pas bien rude, il reste une tête d’abruti. Son enfance ravie se devine dans ses manières d’adolescent. Au détour de quelques rumeurs, il m’a déjà été contée sa grossièreté et même ses attitudes vulgaires.

           Je n’ai pas pour habitude de croire les rumeurs.

           Cependant, le concernant, elles disent vrai.

           Mon regard s’attarde sur ses doigts qui s’activent sur le bijou. Les multiples cicatrices les parcourant trahissent un passé jalonné de travaux manuels. Je devine qu’il a travaillé dans une forge. Cela se voit dans le dessin de ses bras épais. Ces derniers se poursuivent sur un torse maculé de tatouages que je ne prends pas la peine d’observer.

— Il est trop jeune pour toi, retentit soudain une voix.

           Nos trois têtes se tournent sur Gojo. Ce dernier, les bras croisés, m’observe avec dureté au-dessus de son foulard noir.

           Je ne prends même pas la peine de démentir sa pique. Qu’il s’imagine que je lorgnais Sulyvan. Cela m’est égal.

— C’est vrai que t’es vieille, la vieille, rétorque l’intéressé.

           Le regard noir de Gojo se pose alors sur Sulyvan.

           Ce dernier m’observe sous ses boucles blondes. Grimaçant, il me regarde de bas en haut, dodelinant de la tête.

— Et je ne t’ai pas laissé entrer sur ma propriété pour me faire la cour. Je veux savoir ce que tu viens faire ici.

           Se concentrant à nouveau sur le talisman, il frotte sa tranche de son index en observant les filaments dorés qui le traversent soudainement.

— Je cherche un objet. Et il ne trouve pas n’importe où. Seul quelqu’un ayant du sang elfique peut m’y emmener.

           Gojo se tend dans le coin de la pièce. Sulyvan se contente de humer pour toute réponse, m’encourageant à poursuivre.

— Et il est chez quelle créature abominable, je te prie ?

— Une pythie des âmes.

           Hector fronce les sourcils.

Je te savais pas futée, la vieille, mais je pense que t’es encore capable de trouver le chemin d’un miroir ?

— La Pythie des Âmes n’est pas une personne. C’est un Ordre, répond Sulyvan en continuant d’astiquer le pendentif. De toute évidence, ce n’est pas toi que nous cherchons mais un de tes consoeurs. N’est-ce pas ?

           J’acquiesce en silence.

           Gojo s’est redressé. Je peux sentir son intérêt piqué par notre conversation.

La Pythie des Âmes était une femme aux pouvoirs immenses. Si grands qu’à sa mort, ses quatorze phalanges se sont muées en démons. Et ces derniers viennent habiter le corps d'humains qu’ils jugent dignes de leur noirceur.

— Dont moi, je conclus.

           Les sourcils d’Hector se froncent brutalement. Abasourdi par cette explication, il secoue vivement la tête.

Quoi ? Tu n’es pas la Pythie des Âmes, mais seulement une de ses quatorze phalanges ? Mais pourquoi on apprend pas que cette créature de légende est un démon fragmenté, en cours ?

Je n’en vois pas l’intérêt. Jamais vous n’aurez la force d’affronter la moindre de ses phalanges, de toute façon. Croisez-en une et courez. Vous n’avez aucune chance de survie.

           Sulyvan esquisse un rictus narquois.

Tu veux peut-être une serviette pour t’aider à cirer tes propres chaussures ? me lance-t-il.

           Je ne rétorque pas à cette pique puérile. Que Sulyvan le veuille ou non, les pythies des âmes sont des êtres particulièrement puissants. Seul un pouvoir elfique et ancestral peut lever les protections qu’elles posent sur leurs objets.

           Autrement dit, le philtre d’amour est hors de portée. Sauf si un descendant d’elfe m’accompagne.

— Et puis, les Pythies des Âmes ne sont pas si douées que ça, grommelle Sulyvan en haussant les sourcils. Lors de la guerre, l’an dernier, l’une d’entre elles s’est prise une flèche et est tombée d’un dragon. Tu parles d’une mort pourrie.

De qui parles-tu ? je demande en fronçant les sourcils.

— Nime.

           J’acquiesce doucement.

           Récemment, j’ai souvent entendu son nom au détour de conversation. Beaucoup la croient morte, tuée dans une affreuse bataille. La vérité est que Nime n’a jamais été doté de la capacité de mourir.

           Je me demande bien ce qui l’a poussée à faire croire le contraire.

           Je respecterai son secret.

— Certaines sont plus résistantes que d’autres, je suppose, j’élude pour toute réponse.

           Il ne dit rien, continuant de s’affairer autour du talisman.

— Alors ? j’insiste au bout d’un moment. Serais-tu prêt à défier une Pythie des Âmes, toi qui les crois trop faibles ?

           Sulyvan esquisse un sourire taquin. Mais ce n’est pas lui qui gronde soudain : 

— J’en suis.

           Nos trois têtes se tournent vers Gojo. Il me fixe avec hargne lorsqu’il tonne : 

— Jamais je ne cracherai sur l’opportunité de tuer une Pythie des Âmes.


































•    N  D  A    •

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