𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟏
















C  H  A  P  I  T  R  E   3  1















    

           L’odeur de la mort a imprégné les lieux.

           Oppressante, elle sert ma gorge à la manière d’un étau se rétractant toujours plus. Au bout de mes bras, mes doigts sont secoués de spasmes. Les relents de putréfaction chatouillent mes narines.

Tout sent la mort, ici.

           Hector se tourne vers moi, ses sourcils se haussant.

           Lorsqu’une vision a assailli ma rétine, m’indiquant le lieu où se trouve l'antidote du philtre d’amour, j’ai cru être perdue. Oui, il existait. Mais il requiert l’intense collaboration d’une personne qui jamais ne consentira à m’aider. 

           Pas après ce que j’ai fait.

           Gojo a mille raisons de vouloir assister à ma chute. Qu’importe si cette dernière comprend celle d’une autre. Une âme aussi innocente que celle d’Egarca.

           Hector n’a pas toléré que je lui dise cela. Selon lui, une solution existe. Car Gojo n’est pas la seule progéniture de Lycus. Alors il n’est pas le seul capable de nous aider. Même s’il renie leur lien, un autre fils existe bel et bien.

           Créature du chaos née d’une union mortelle, l’accouplement des pouvoirs noirs et d’un désir de terreur.

           Sulyvan.

Sulyvan est le Prêtre Ancestral Cancer et le pouvoir des cancers est la nécromancie. Jusque-là, c’est assez normal que ça sente la mort, répond Hector dans une moue passablement ennuyée.

           Ignorant sa condescendance, je me fais simplement la remarque qu’il est décidément doté de la même médisance naturelle que sa grand-mère.

           Arquella Evilans, la mère d’Egarca, avait l’exacte même manière de hausser le menton et de froisser à peine la commissure de ses lèvres.

— Je connais la passion des Evilans pour l’art de prendre les autres pour de parfaits ignares. Mais mon flair sait encore reconnaître un lieu qui a été théâtre de massacres.

— C’est vrai que tu t’y connais, toi, en massacre.

           Mon regard croise celui d’Hector. Des éclairs percent ses yeux bruns. Les mains dans les poches de son lourd manteau brodé d’or, il me zieute au-dessus des tatouages dorés scintillants sur ses pommettes.

           Il y a quelque chose de singulier dans le portrait qu’il forme. Tout, dans l'impeccabilité parfaite de sa peau, dans le dessin esthétique de ses sourcils, dans la délimitation précise de ses locks témoignent d’une infinie richesse. Oui, sa noblesse se devine jusque dans les pétéchies d’or disséminées sur ses pommettes.

           Pourtant, son regard est celui d’un guerrier. Et lorsque je le croise, au détour de cette provocation, j’y lis une haine douloureuse.

— Que s’est-il passé ici ? je demande simplement, l’un de mes sourcils s’arquant.

           Il est sur la défensive, car il a mal. Je l’entends et je le vois. Ce qu’il s’est produit en ces lieux, qu’importe qui cela concernait, l’a profondément ébranlé.

           Aujourd’hui, les plaies du passé suintent encore.

Hector.

           Un éclat traverse son regard. Vif, il passe sous ses prunelles, illuminant timidement la noirceur occulte du passé.

           Il déglutit péniblement, regardant les dunes s’étendant à perte de vue autour de lui. Loin dans son dos, je distingue les contours d’un manoir. Sans doute le lieu où vit Sulyvan.

           À nos pieds naît une crevasse. Sous elle, un vaste gouffre s’étend. Gigantesque percée dans le sable, une caverne prend place, faite de parois rocailleuses. On eut dit qu’un cratère a été creusé dans le sable, juste-là, devant nous.

           L’odeur. Elle vient de là.

Des villageois vivaient dans ce trou… Lycus les a massacrés.

           Il marque une brève pause. Son regard s'affaisse légèrement, regardant la brèche. Il hésite quelques instants avant de murmurer : 

Dont la fille de Sullyvan.

           Mes yeux caressent un long moment les formes des parois. J’y devine des portes dissimulées, des galeries souterraines où devait autrefois évoluer un peuple.

           Ce cratère ressemble à un vulgaire trou. De toute évidence, l'architecture a été conçue pour protéger les villageois.

           Cela n’a pas suffit.

— C’est aussi ici qu’elle-même, je veux dire Lycus, est décédée l’an dernier, chuchote-t-il doucement, tuée par la Prêtresse Nime.

— La femme de Toji Fushiguro.

— C’est plutôt Fushiguro qui est le mari de la Prêtresse Nime.

           Je l’entends.

           Oh, Prêtresse Nime… Celle qui n’a jamais été perçue que comme une annexe à autrui.

           Il y avait Nime, l’enfant-dragon, la cheffe de tribu, la puissante guerrière de feu. Et il y avait elle. Sa conseillère, docilement cachée dans son ombre. La Prêtresse de Nime.

           Puis, il y a eu l’ange de la mort, le duc Fushiguro, guerrier de ténèbres aux armes forgées dans les flammes du Tartare. Et il y avait elle. Son épouse aimante. La duchesse Fushiguro.

           Je crois que l’Histoire oublie parfois qu’elle en a tracé les lignes les plus sombres, les plus cinglantes, les plus signifiantes. Sa main a arqué la plume qui a un jour signé ces mots : Lycus est morte.

           Alors, j’acquiesce.

Ainsi donc, Lycus est morte ici, je chuchote en contemplant la crevasse d’un air absent.

Hank et Meeva aussi.

           Je tressaille. Mes yeux s’écarquillent. Un instant, à peine perceptible, il me semble que tout se tait. Puis le son du vent soulevant doucement le sable résonne à nouveau.

           J’acquiesce. En effet, les anciens Pages Scorpion et Taureau sont décédés l’an dernier au cours de la bataille qui a coûté la vie à Lycus.

Cela ne te fait donc rien ?

           Me tournant, je croise le regard noir d’Hector. Accroupi au bord du gouffre, ses avant-bras abandonnés sur ses genoux, il me toise durement.

— Savoir qu’ils sont décédés ici-même ? Les gens que tu as élevés ? Ceux qui te considéraient comme leur mère ? Ceux à qui tu…

           La conversation ne m’intéressant pas, je quitte les lieux. 

— HÉ ! REVIENS ! JE TE PARLE ! retentissent aussitôt les cris d’Hector.

           N’obéissant pas aux ordres, je poursuis mon chemin.

REVIENS QUAND JE TE PARLE !

           Le manoir de Sulyvan doit se situer à un kilomètre de notre position. Le désert n’étant fait que de dunes pourpres, je parviens à l’apercevoir, même de loin. Je marche vers lui d’un pas calme et affirmé.

           Je ne sais trop ce qu’il pourra apporter à notre mission. Mais, s’il y a une chance de sauver Egarca, alors…

           Soudain, ma tête bascule en avant. On vient de la frapper. Assez fort pour interrompre un instant le flot de mes pensées. Un coup lui a été porté sur l’arrière.

           Ma mâchoire se contracte. Je hausse la tête.

Viens-tu de me lancer une pierre ? je grommelle, luttant contre l’envie de lui en mettre une.

           Si ma main percute sa joue, il ne se relèvera pas.

           Me retournant, je croise la vision de son corps frissonnant et tremblant. Debout, le dos voûté, comme si le simple fait de demeurer droit lui demandait un effort surhumain, il tangue presque.

Tu as dix secondes pour te défendre.

COMMENT PEUX-TU RESTER DE MARBRE ? ILS SE CONSIDÉRAIENT COMME TES ENFANTS ! ET ILS SONT MORTS !

           Mes yeux se plissent.

Être un Page Ancestral présente ce genre de risque. On a la richesse, le pouvoir, le confort. Mais on peut être amené à se sacrifier pour le bien commun.

           Ses yeux s’écarquillent. Je lis le désemparement dans son regard.

           Je crois qu’il avait espoir. Un vœu traînait en lui. Secrètement, il espérait que j’allais rejeter ses accusations en bloc, hurler qu'ils me manquent et que je ne voulais pas leur mort…

           Que c’est étrange d’attendre des sentiments humains de la part d’un démon. 

           Je crois que Gojo aussi espérait cela de moi.

Les hommes sont si crétins, je soupire, exaspérée.

           Les dents serrées, il tremble de toutes ses forces. Son dos se voûte un peu plus tandis que ses jambes tanguent furieusement.

           Soudain, il tombe à genoux. Mais, à quatre pattes dans le sable, il me fusille toujours du regard.

Tu aurais dû mourir à leur place.

— Je suppose que c’est le moment où je dois pleurer ?

           Me penchant, je ramasse le morceau de roche qu’il m’a lancé. Mon regard s’attarde un instant sur la pierre pourpre, aussi grosse que ma paume. Si ma constitution était celle d’un être humain, je serais assurément morte sur le coup. Et je crois qu’il pensait réellement me tuer, d’ailleurs.

           Levant le nez, j’aperçois sa figure à quatre pattes. Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais quelque chose l’affaiblit visiblement trop pour qu’il utilise ses jambes. Ces dernières s’abandonnent sous lui comme des morceaux de bois échoués dans le sable.

           Je ris doucement.

Tu ne te crois pas trop faible pour provoquer un démon ? je demande en constatant sa paraplégie.

           Lançant faiblement la pierre, je la rattrape aussitôt. Cela me permet de jauger son poids. Elle est plutôt lourde. Je suppose qu’il a puisé dans ses dernières forces pour me la projeter.

           C’est qu’il semblait particulièrement tenir à me tuer… 

           Voilà qui est adorable.

Sans aucune modestie, je peux affirmer que l’on ressent que tu n’as pas été entraîné par moi, je grommelle doucement. À vrai dire, tu n’as pas été entraîné du tout, je peux le dire.

           Penchant la tête sur le côté, je le contemple un instant.

— Sais-tu à quel point te tuer me demanderait peu d’efforts ? Et tu m’attaques dans le dos ? Tu prends ce risque ?

— Quoi ? grogne-t-il dans un rire narquois, d’énormes gouttes de sueur coulant le long de son visage tandis qu’il lutte pour rester à quatre pattes et non s’effondrer entièrement. Vas-tu me faire des reproches sur les coups portés dans le dos ? Vas-tu vraiment prétendre qu’il y a une morale dans ta façon de te battre ?

           Mon sourire croît.

           Il n’y a pas à dire. Cet homme est un Evilans.

           Même dos au mur, les jambes atrophiées, le corps luttant contre un mal le rongeant, face à Hadès et prêt à se laisser choir dans les bras de Thanatos, il garde la tête haute. Et il esquisse ce sourire que je connais si bien.

           Le rictus narquois des Evilans. Celui qui, même face à la mort, prouve qu’ils n’ont jamais peur.

Une morale dans ma façon de me battre ? je répète doucement. Oh, mais qui serais-je pour oser le prétendre ?

           Penchant la tête, j’observe les reflets du soleil sur la roche que je tiens.

Et puis… Est-ce qu’un être doté de morale tuerait un homme déjà à terre ? je demande dans un rire doux.

           Les yeux d’Hector s’écarquillent quand je lève la pierre. Brandissant le bras, je plisse les yeux, visant avec justesse l’endroit où il se trouve. Je me délecte un instant de la mine effarée qu’il prend en réalisant que je compte bel et bien l’achever, là, sans aucune forme de procès.

           Oui… Je vois de la peur dans son regard. Peut-être n’est-il pas si Evilans que cela, fondamentalement ?

           Mon bras s’élance.

           Brutalement, une main s’enroule autour de mon poignet. Me tirant en arrière, elle me fait perdre pied. Mes doigts s’écartent, lâchant la pierre qui tombe dans le sable. Je perds l’équilibre. Une main se pose sur le bas de mon dos, m’empêchant de tomber.

           Tournant la tête, je découvre le visage de l’homme qui vient de m’attraper.

           Soudain, mon cœur bat.

           Car jamais je n’aurais cru revoir un jour ces yeux célestines ou ces cheveux de givre.

           Je déglutis péniblement.

Je peux savoir ce que tu t’apprêtais à faire, au juste ?

           Je ne réponds pas, observant son visage. Celui d’un fantôme du passé. La silhouette perdue d’un homme qui vient de m’empêcher de tuer Hector Evilans.

           Gojo Satoru.




































•    N  D  A    •

NE ME TUEZ PAS

j'ai pas finis d'écrire
le chapitre 32...

il sortira plus tard dans
la soirée

j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !

à tout à l'heure...


























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