𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟗



















C  H  A  P  I  T  R  E   2  9
























           Egarca Evilans a toujours été d’une beauté époustouflante.

           Je me souviens du tout premier jour où je l’ai serrée dans mes bras. Parfois, il me semble que cela ne remonte qu’à hier.

           Une chaleur étouffante régnait dans la chambre sombre. Les fenêtres avaient été tapissées de draps opaques, faisant planer des ténèbres pénétrantes sur le large lit au milieu de la salle. De ce dernier émanait de profonds hurlements.

           L’impératrice, sa robe blanche relevée à hauteur des hanches et les genoux pliés, criait à plein poumon. Autour d’elle, quelques-sages femmes s’affairaient, tamponnant son front trempé et répétant des instructions en boucle.

— Poussez, Votre Majesté ! Vous y êtes presque ! Poussez !

           Seules les flammes vacillantes de quelques torches illuminaient la figure tremblante de l’impératrice. Des lueurs orangées s’étiraient en masque pénétrant sur son visage tordu de douleur.

           Cependant, même ainsi, elle paraissait puissante.

           Parmi les créatures humaines que j’ai côtoyées, nul ne m’a jamais davantage dérouté que les êtres dans lesquels coule le sang des Evilans. Une famille millénaire qui remonte aux temps anciens où les formes de magies les plus noires et les plus puissantes étaient pratiquées.

           Les maladies, les guerres, les bouleversements… Rien n’a jamais pu faire tomber ce nom dans l’oubli. Et moi, démon immortel, sais que si je viens à mourir, je disparaîtrai avant lui. Même l’explosion de la terre ne saurait disséminer ces lettres.

           Evilans.

           Certains disent que le nom ne compte même pas, quelque part. Si demain, nous croisons la route d’une personne issue de cette dynastie et abandonnée par cette dernière, nul n’aurait de doute quant à sa filiation. Ceux qui, dans leurs veines, ont le sang des Evilans sont reconnaissables entre mille.

           Tous ont la peau sombre, semblable à un océan de nuit. Sur cette dernière, le soleil luit différemment, comme aspiré par la puissance d’un astre nouveau. Différent. Plus puissant encore. Il se heurte à la crépitante aura de ténèbres et de pouvoir qui suinte par chaque pore de leur chair. Et ce même pouvoir se devine dans la façon qu’ont les membres de cette lignée de lever le menton.

           Fiers. Droits.

           Oh. Ils connaissent leur puissance. Dès les premiers instants de leur vie, sans doute. Là est d’ailleurs la réflexion que je me suis faite en regardant Egarca Evilans pour la première fois.

           Car, lorsque les hurlements de l’impératrice ont pris fin. D’autres ont retenti. Plus aiguë. Ceux d’un nouveau-né.

           L’une des sages-femmes, habillée de blanc, gardait l’enfant dans ses bras. Penchée sur ce dernier, elle m’empêchait de le voir, s’affairant autour de son corps minuscule.

           Sa main a alors attrapé des ciseaux.

Que faites-vous, sombre imbécile ? a sifflé la voix venimeuse de l’impératrice.

           Même couchée dans une mare de sueur, des gouttelettes couvrant son crâne rasé de près, la femme demeurait impressionnante. Chaque soigneuse a tremblé visiblement lorsqu’elle s’est redressée, ses yeux s’écarquillant de fureur.

Croyez-vous réellement que n’importe qui peut couper le lien physique qui m’unit à cet enfant ?

           La femme a tremblé, n’osant rétorquer quoi que ce soit. La tête baissée, le nouveau-né encore dans les bras, elle a attendu que la rage de sa souveraine ne passe.

           D’un claquement de langue, cette dernière a alors clos la discussion. Son regard s’est posé sur moi.

Tu te doutes que je ne t’ai pas fait venir pour me regarder souffrir.

— Je n’aurais pas détesté ce cadeau, j’ai alors rétorqué, l’observant dans le blanc des yeux.

           Un faible rire a secoué son corps encore faible. D’un geste du menton, elle a désigné la femme qui tenait l’enfant : 

Cette sombre bourrique a l’enfant. Tu aurais dû être la première à le voir et à le porter.

           À l’époque, sa demande ne m’a pas surprise. La légende de la Pythie des Âmes était connue jusqu’au plus profond des Terres Ancestrales. Les murmures m’attribuaient des capacités phénoménales.

           Dont celle de bénir les nouveau-nés.

— Tu seras la première à l’embrasser. Et tu seras celle qui coupera notre lien.

           La femme a observé longuement le mur derrière moi. J’ai alors réalisé qu’elle n’avait pas regardé une seule fois son enfant depuis qu’il était né.

           Plus tard, elle ne le regarderait pas davantage. Cependant, à cet instant précis, je ne m’en doutais pas.

— Et tu seras aussi celle qui lui donnera un nom.

           Je me suis exécutée. Approchant la sage-femme, j’ai ignoré son corps tremblotant et ai saisi l’enfant dans mes bras. Mon regard s’est posé sur son visage.

           Même fripée et hurlant à plein poumon, à la lumière des bougies, elle présentait déjà une certaine splendeur. Ses yeux noirs brillaient de mille feux malgré les ténèbres pénétrantes de son aura crépitante.

           Les Evilans ont toujours été une obscurité avalant la lumière, un pouvoir sombre né des pratiques millénaires de leurs ancêtres. Mais, pas elle.

           Elle était différente. Le carcan d’ombre suintant par sa peau ne ternissait pas l’éclat de son être.

           Je crois que cela m’a surprise.

           Sans doute est-ce pour cette raison que je l’ai regardée quelques instants de plus.

— Bonjour, Egarca, ai-je murmuré, levant mon pouce pour essuyer un cil sur sa joue.

           Ses cinq doigts se sont refermés sur le mien. J’ai observé un moment ces minuscules billes de chair entourant ma phalange. 

           À l’époque, je n’imaginais pas combien je penserais à cette image, dans l’avenir. Celui de son corps frêle dans mes bras, pleurant en s’accrochant à moi.

           Je crois que c’est ce jour-là que j’ai décidé que je la protégerai. Quoi qu’il m’en coûte.

           Quoi qu’il en coûte.

           Maintenant, je sais que j’ai échoué.

Vous devriez vous reposer. Vous l’avez observée toute la nuit, me conseille une soigneuse en entourant les frêles poignées de l’impératrice d’un cataplasme.

           Egarca Evilans n’a pas remué le moindre cil.

           Les lueurs vacillantes du laboratoire ondulent sur son visage fermé. Quelques nébuleuses orangées s’étalent sur sa peau sombre, mettant en exergue quelques pétéchies, boutons et cicatrices.

Elle est mal en point, je fais remarquer d’une voix blanche.

— C’est ce qui arrive lorsqu’on ne dort plus, qu’on ne mange plus et qu’on ne s’hydrate plus. Ses servantes ont réussi à la maintenir quelque temps en lui faisant boire des potions dans son sommeil. Mais, cela ne peut fonctionner que temporairement.

           Elle n’a que la peau sur les os. Ses joues creusées encadrent des lèvres sèches sous-plombant un nez jalonné de vaisseaux éclatés. Sous ses cils rabattus, des cernes sont creusés.

— Comment a-t-elle pu se mettre dans un tel état ? murmure la soigneuse.

— C’est ce que j’aimerais savoir, résonne soudain une voix, depuis le seuil de la salle.

           Nos têtes se tournent vers le nouveau venu.

           Debout au milieu des vapeurs cotonneuses du laboratoire, une silhouette se découpe dans la pièce sombre et exiguë. Parmi les lueurs tamisées de la salle, l’ombre se fait noire, avalant chaque spasme de couleur. Pourtant, un feu invisible crépite autour d’elle. Une aura profondément puissante et menaçante.

           Assurément, cet homme est un Evilans.

Et à qui ai-je donc à faire ? je demande en me tournant.

Veuillez excuser ces mauvaises manières… Je me dois en effet de me présenter.

           Il fait un pas, pénétrant le cerceau de lumière chaude que produit une bougie flottante. Son visage apparaît alors, illuminé de la flamme vacillante.

           Aussitôt l’a-t-elle aperçue que la soigneuse tombe à genoux, la tête baissée.

           Pour ma part, je garde la tête haute, détaillant le nez pointu et la mâchoire marquée de l’homme devant moi. Quelques fines locks tombent autour de son visage en une pluie de cornaline. Je reconnais bien vite les peintures dorées sur ses pommettes saillantes et son regard malicieux.

…Mon nom est Hector Evilans. Prêtre Poisson.

           Sa main se pose sur son cœur et il plante ses yeux noirs dans les miens. Un sourire provocateur étire ses lèvres lorsqu’il se penche en avant, ne rompant pas une seule seconde ce regard.

— Et accessoirement, je suis le futur empereur.
























           Les rumeurs disent que Hector Evilans est un petit con arrogant.

           Les rumeurs disent vrai.

— Vous ne comptez répondre à aucune de mes questions, n’est-ce pas ?

           Cela doit probablement faire une heure qu’il m’assène d'interrogations multiples. Nous sommes sortis du laboratoire et avons pris place près d’un bassin des termes. Ces dernières sont inoccupées. Le soleil ne se lèvera que dans plusieurs heures.

           Profitant de notre tête à tête, Hector Evilans ne cesse de me poser des questions intrusives. Son sourire narquois ne le quitte pas.

— Allons, vous ne me connaissez pas ! perd-il patience. Pourquoi vous refusez de me parler ?

           Les lèvres closes, je confirme implicitement sa question.

— Vous devriez me faire confiance ! Je suis le neveu de celle que vous avez élevée comme votre nièce. Techniquement, vous êtes ma grand-mère.

— Tu ne sais pas comment les arbres généalogiques fonctionnent, je réponds simplement, plutôt consternée par sa démonstration d’absence d’esprit logique.

           Il hausse les épaules.

— J’en ai pas besoin pour être empereur.

— Notre empire est foutu.

           Loin d’être agacé par ma remarque, il esquisse un sourire taquin.

Vous savez que c’est inutile de mentir à quelqu’un de signe astrologique poisson ? fait-il remarquer. Notre pouvoir, c’est de détecter les mensonges. Vous ne pensez pas du tout que notre empire est foutu.

— Je pense que si tu étais au pouvoir, quelqu’un d’autre te volerait le trône dans la soirée et tu serais trop bourré pour t’en rendre compte.

           Il baisse les yeux. Un instant, je crois l’avoir vexé.

Woaw… Sans même me parler, vous avez compris que j’étais alcoolique. Il n’y a aucun doute, vous êtes vraiment une pythie, vous.

           Mes yeux roulent dans mes orbites. Je soupire et réoriente la conversation vers sa tournure initiale.

Quoi qu’il en soit, je sais que tu ne comptes pas devenir empereur. 

— Comment pouvez-vous savoir une chose pareille ? réagit-il aussitôt sans pour autant démentir. Tout le monde veut être empereur.

           Mes épaules se haussent. 

— C’est moi qui ai entraîné la première génération de Pages Ancestraux. Au sein des douze signes astrologiques, j’ai cherché et trouvé les plus aguerris des combattants.

           Douze signes astrologiques. Douze dieux. Douze Pages Ancestraux.

Toi et le nouveau page Cancer, celui qui a pris la place de Lycus, vous êtes les deux seuls Pages Ancestraux que je ne connais pas. Je ne vous ai pas entraînés. Je ne vous ai pas élevé. Mais…

— Si ce « mais » est suivi d’un « tu peux quand même m’appeler maman », je vous fais la démonstration de mon alcoolisme.

— Coupe-moi encore la parole et je te tue.

— Oui, madame.

           La tête baissée, les joues gonflées à la manière d’un enfant venant d’être grondé, Hector fixe le bassin d’eau céruléenne sous ses yeux. 

— Je n’ai pas besoin de vous avoir élevé pour savoir que vous êtes comme les dix autres… Vous détestez le trône. Vous exécrez l’idée de devenir empereur.

           Hector me jette un regard, par-dessus son épaule.

— Ah oui ? Et pourquoi cela ?

— Les Pages Ancestraux sont des sots qui se croient au-dessus des lois et des règles. Le trône suppose d’obéir aux règles. Sinon, un torrent de malédictions déchirait l’empire. Et c’est pour ça qu’aucun d’entre vous ne voudra jamais du trône.

           Je souris doucement.

Même Lycus, pourtant assoiffée de pouvoir, n’a jamais lorgné dessus.

           Les épaules du gamin se haussent.

— On n’est pas tous comme ça.

— Si. C’est même à ça qu’on vous reconnaît.

           Il ne répond pas. Je l’observe un moment tandis qu’il fixe la surface plane du bassin.

Alors, toi qui te fiches de succéder à ta tante, j’aimerais quand même comprendre ce que tu fais là. Et ne me dis pas que tu viens veiller sur elle, car sinon tu serais restée à ses côtés. Tu ne m’aurais pas suivie ici.

           Un long soupir franchit ses lèvres et il baisse les yeux. Quelques instants, il ne répond pas.

           Finalement, il prononce quelques mots. Des syllabes que j’ai redoutées d’entendre.

— S’il te plaît… Explique-moi comment elle en est arrivée là.

           Par-dessus son épaule, il me jette un regard douloureux. Je reconnais aussitôt la lueur illuminant sa souffrance. La même a percé mon cœur le jour où, sortant de prison, j’ai appris qu’Egarca avait épousé Elio Evilans.

— Je veux savoir…

           Son regard se pose sur l’horizon. Il me semble que quelque chose s’étiole en lui lorsqu’il chuchote dans le calme des thermes : 

Qu’est-il arrivé à Egarca Evilans ?







































•    N  D  A    •

j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !

je vous demande de vous
accrocher un peu

je pense que gojo vous manque
mais il faut poser le décor de la
partie 2 !!

ps : rendez-vous tout à l'heure
pour connaître le nom du gagnant
du concours, celui sur qui sera
la prochaine fanfiction
























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