𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟖
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C H A P I T R E 2 8
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Le silence est tombé sur les thermes moraïennes, prolongeant la délicate caresse de la nuit. Le voile opaque et ténébreux de l’éther s’abandonne en un drap apaisant sur le Désert des Evilans.
Quelques torches illuminent les pierres des thermes.
— Serait-ce son retour que tu guettes de la sorte ? résonne une voix dans mon dos.
Les mains posées sur le balcon de pierre, je ne réponds pas à Mora. Un soupir franchit mes lèvres tandis que je contemple son somptueux palace, plongé dans le calme nocturne. Elle soupire en constatant que je me conforte dans le mutisme.
Ici, personne ne parle de Gojo Satoru.
Les bouches sont closes et les discours, rares. Nul ne songerait s’autoriser quelques discours sur l’hybride. Les rumeurs sont un mal qui ne peut ronger les pierres des thermes. Plus que jamais. J’y veille.
Est-il vivant ? Est-il mort ? A-t-il survécu ? Peut-il même survivre ? Son âme est-elle stagnante, à la lisière entre Gaïa, notre terre, et Hadès, seigneur des défunts ?
Je ne sais plus rien. Je ne veux plus savoir.
— Comment va-t-elle ? je finis par demander, mon regard toujours posé sur les thermes.
— Comme une femme qui s’est rendue trop tard ici.
J’acquiesce doucement. Ma gorge se serre. Je n’aime pas cela.
Quand mes yeux se ferment, des spasmes apparaissent malgré mes paupières closes. Je revois son sourire imbibé de sang. J’entends encore sa toux lorsqu'il chantait mes louanges. Je le ressens s’écrouler contre moi, emporté par le poison.
Je n’avais pas réalisé quelle place il occupait dans mon quotidien.
Aujourd’hui, mes souvenirs me font mal. Je n’arrive plus à les balayer d’un revers de main. Je ne parviens pas à secouer la tête et à passer à autre chose. Je ne peux me défaire de quelques réactions primaires.
Mes paumes qui deviennent moites. Ma respiration qui se coupe. Ma gorge qui se serre. Mon cœur qui bat.
Il bat souvent. Trop souvent.
— Je comprends que tu demandes de ses nouvelles à elle, déclare soudainement Mora, mais je crois que tu gagnerais à me demander comment, lui, va. J…
— Silence.
Elle se tait aussitôt.
— Je ne veux pas entendre parler de lui, je déclare fermement.
— Je suppose que je peux quand même considérer cela comme une victoire. Avant ce soir, tu refusais d’entendre parler d’elle aussi.
Mon cœur se serre. Encore.
Que je hais les émotions que je ressens depuis que Satoru a croisé ma route. Que je hais Satoru.
Par-dessus tout. Mais en deçà aussi.
— Tu lui as manquée, j’en suis sûre, fait remarquer la doyenne en prenant place à côté de moi, une odeur de thym embaumant le châle blanc enroulé autour de sa tête.
— Je ne peux pas la revoir. Pas maintenant.
Le regard de Mora s’adoucit.
— Rien ne t’en empêche…
— J’ai fait une promesse. Et je tiendrai ma promesse.
— Crois-moi, elle se fiche de cette promesse.
Mes doigts tremblent presque dans mes gants. Je me demande ce que dirait Gojo s’il était là. Sans doute lâcherait-il quelques remarques sur les mystères embaumant ma personne et à quel point il rêverait d’en être un…
Cette pensée m’arrache presque un sourire.
— Les antidotes aux philtres d’amour… Voilà quelque chose de bien complexe à trouver. Ces dernières années, tu as passé le plus clair de ton temps à en chercher. À vrai dire, la seule fois où tu as mis cette quête entre parenthèses a été la période où tu t’es élancée sur les traces de cette jeune fille avec Charles, Yevhen et Sar…
— Je le sais, je la coupe abruptement. J’étais là.
Elle sourit doucement à cette remarque.
— Quoi qu’il en soit… En ce qui concerne notre chère patiente qui vient d’arriver… Tu as connu cette gamine quand elle était enfant. Elle a fait une erreur monumentale quand tu étais prisonnière. Je comprends que tu te sentes coupable de ne pas avoir été là pour l’empêcher de boire ce philtre d’amour, mais…
Mora penche la tête sur le côté.
— Faire la promesse que tu ne la reverras pas tant que tu n’auras pas trouvé l'antidote au philtre…, souffle Mora doucement. Tu ne crois pas que c’est un peu exagéré ?
— Cette gamine avait besoin de repères et j’étais ces repères. Quand j’ai été incarcérée, elle s’est retrouvée seule et a dû se débrouiller seule. C’est à cause de mon incarcération qu’elle en est venue à faire une telle erreur. C’est donc mon erreur et non la sienne. C’est à moi de la réparer.
— T’es-tu seulement inquiétée de savoir ce qu’elle en pensait ?
Un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Ma mâchoire se contracte. Mora soupire.
Mon absence de réponse en est une suffisante.
— Ne vois-tu pas l’absurdité de ton raisonnement ? Elle a commis des actes insensés parce qu’elle ne t’avait plus et tu décides de t’en aller plus longtemps encore ?
Mes yeux se baissent.
— Oh, ma petite, tu as besoin d’entendre ce que personne n’osera te dire parce que cette cape, cette armure et cette épée font peur à tous…
Les yeux de Mora se plantent dans les miens. Elle ne cille pas lorsqu'elle assène :
— Tu es une pétocharde.
Je soutiens son regard. Il ne tangue pas.
— Cette grosse armure ne m’a jamais convaincue, je sais ce qu’il se passe en dessous. Cette façon que tu as de balayer chaque sujet de conversation, d’en faire l’affaire d’un autre jour, d’un autre état, de te dire que si ça ne t’intéresse pas, ça n’ira pas plus loin…
Elle penche la tête sur le côté. Un pan de son foulard se défait à ce geste.
— …C’est parce que tu es terrifiée à l’idée d’être arrachée à nouveau à ceux que tu aimes, sur qui tu veilles.
Je ne réponds pas. Je ne veux plus rien entendre.
Elle soupire face à ce silence.
— Cette gamine a besoin de toi. Promesse ou pas, pense à l’enfant qu’elle était quand tu l’as rencontrée, à l’adolescente qu’elle était devenue quand tu y as été arrachée…
Mon cœur bat à toute vitesse. Les images me reviennent en spasmes. Je revois son sourire imbibé de sang. J’entends encore sa toux lorsqu'il chantait mes louanges. Je le ressens s’écrouler contre moi, emporté par le poison.
Gojo Satoru.
Nous ne parlons même pas de lui. Pourtant, inlassablement, mes pensées se dirigent sur sa personne.
— Jamais tu ne te demandes quelle adulte elle est devenue ? me tire-t-elle de mes songes.
Haussant le menton, j’observe les termes en contrebas. Le regard de Mora me brûle quelques instants. Elle attend une réponse. Mais je ne la lui donnerai pas.
Au bout de quelque temps, elle soupire, résignée.
— Penses-y. C’est tout ce que je te demande, chuchote-t-elle avec douceur.
Tournant les talons, elle disparaît du couloir. Le son de la porte se fermant résonne, sec, et son odeur de thym s’évanouit.
Le dos droit, le regard rivé devant moi, je ne cille pas ni ne fais de geste dans sa direction. Le visage fermé, je tente d’observer une stature impeccable. Indéchiffrable.
Cependant, mon cœur bat à vive allure et du sang afflue dans mes doigts. Quelques fourmillements les parcourent tandis que je salive. Un florilège de sensations tombe en cascade sur moi, tandis que mes émotions s’animent dans mon crâne.
« …mais je crois que tu gagnerais à me demander comment, lui, va. »
Je l’ai compris. Mora l’a formulé de sorte à que l’information ne m’échappe pas. Elle voulait que je le saisisse. Et je l’ai fait.
Je peux en être certaine.
Gojo Satoru est vivant.
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Les vapeurs cotonneuses des encens de guérison forment des volutes nuageuses s’étirant en films autour de moi. Quelques spasmes de fumées s’accrochent à ma cape noire, laissant un parfum de cannelle sur son tissu.
Les tissus rouges se perdent sur les murs des thermes, habillant la salle d’une aura écarlate. Un peu partout flottent d’ailleurs des lanternes dont les flammes projettent des lueurs orangées. Ces dernières se déclinent en nébuleuses, illuminant les étagères garnies de potions et de livres.
Je me trouve dans le cœur des thermes. Un endroit où je ne suis quasiment jamais allée. Un lieu où seules les guérisseuses peuvent entrer.
Le laboratoire.
Le lieu où les remèdes sont concoctés et les formules magiques, élaborées. Une zone saturée de connaissances.
— J’ai entendu dire que notre nouvelle patiente se trouvait ici ? je demande à une servante qui passe à côté de moi, un plateau garni de plantes dans la main.
Milla s’arrête et regarde par-dessus son épaule, jetant un coup d'œil à une arcade perçant un mur, au fond de la salle. Cette voûte est dissimulée par un rideau de perles, je ne peux pas voir ce qu’il se trouve derrière.
Cependant, je sais qu’il s’agit de notre nouvelle patiente.
— Elle avait besoin de soins particuliers.
— Je ne savais pas que l’on pouvait amener des patients au sein du laboratoire, je fais remarquer en fronçant légèrement les sourcils, nullement sûre d’apprécier le traitement de faveur dont bénéficie la femme. Il me semblait que ce lieu n’était fait que pour les servantes, les guérisseuses.
Milla hausse les épaules.
— Ce n’est pas n’importe qui. Et puis, vous devriez être contente que nous nous occupions à ce point d’elle. Il paraît que vous l’avez élevée.
Ma gorge se serre. J’acquiesce doucement.
— Comment va-t-elle ? je demande en fixant l’arcade voilée du rideau de perles, ne sachant si je dois y entrer ou non.
— Mal.
L’honnêteté de la servante est déroutante.
— Elle s’est laissé dépérir depuis plusieurs mois. De tels maux sont compliqués à guérir. Mais nous allons le faire. Nous devons le faire.
Toujours face au rideau, je glisse un regard en biais à la servante :
— Vous paraissez bien déterminée à aider notre patiente.
— Bien sûr que oui ! s’exclame-t-elle dans un sourire.
Une lueur illumine son regard lorsqu’elle lance :
— Elle est tout de même notre impératrice. Egarca Evilans.
• N D A •
j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !
il ouvre cette partie 2
alors il était relativement
calme
mais je vous promets que les
choses vont vite se corser
j'ai peur qu'il n'ait pas été
très clair. avez-vous
compris le rapport entre tp
et egarca evilans ?
♡
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