𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟕
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C H A P I T R E 2 7
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Sous les lueurs diaphanes des lustres de cristal, le froissement des étoffes revêt un caractère éthéré. À la manière de larmes de couleur, elles se versent en une rivière au rythme d’une douce mélodie. Les robes suintent, ondulant tandis que l'orchestre joue.
Cela fait quelques minutes maintenant que j’observe la valse qu’interprètent les nobles. Les couples tournoient, semblables aux pétales d’une fleur en pleine éclosion.
Jadis déjà, ce spectacle m’émerveillait.
Une certaine grâce habille les moindres gestes de ces dames. Une candeur accompagne les pas de ces messieurs. Et la toile qu’ils forment ensemble revêt quelques teintes constituant une palette bien unique.
Saphir, ocre, rubis, émeraude… Tant de nuances que j’ai oubliées sur les champs de bataille.
— Tout me rappelle ce moment.
La voix de Satoru est douce, à peine audible lorsqu’il prononce ces mots. Nul à part moi ne l’a entendu, emportée par la mélodie entonnée par l’orchestre.
Me tournant vers l’elfe, je suis surprise de ne pas découvrir un regard taquin ou un sourire malicieux.
Le menton levé, ses cils chutent en un voile clair sur son regard mirifique. Ce dernier suit calmement la valse interprétée par les couples de nobles. Un spasme secoue sa lèvre.
— Absolument tout, répète-t-il plus doucement encore, dans un murmure à peine audible que je lis quasiment sur ses lèvres.
Il y a quelque chose dans l’ombre qui couvre soudain ses traits. Il y a quelque chose dans la force mystérieuse qui fait tanguer ses iris. Il y a quelque chose dans l’immobilité de sa bouche. Il y a quelque chose dans ses doigts écartés, au bout de ses bras ballants.
Il y a quelque chose. Assurément.
Quelque chose qui ne me plaît pas.
D’ordinaire, ce que je remarque file dans mon crâne. Mes souvenirs demeurent, mais je n’y accorde absolument aucune valeur. Oui. Je me fiche de ce genre d’observations.
Seulement, là, c’est différent. Je n’aime pas ce que je vois. Je n’aime pas son sérieux soudain. Et je n’aime pas non plus ce qui brille au fond de ses yeux.
— Enfin finis de faire la cour à ces dames ? je demande dans un rictus, changeant aussitôt de sujet.
Aucune réponse.
Point de remarque sur ma jalousie. Aucune taquinerie complice. Non plus de sourire goguenard.
— Satoru.
Ma voix est ferme. Aussitôt, il se retourne.
Son visage s’illumine quand ses yeux se plissent, haussés par le mouvement de ses lèvres souriant. Son regard se fait soudainement plus doux.
En une fraction de seconde, il s’est métamorphosé.
— Oh… Ne me dis pas que tu es déçue que je ne t’ai pas accordée de danse ! Tu sais pourtant que tu es la seule et unique à mes yeux et à mon cœur, rit-il soudainement.
Mes yeux s’écarquillent sous ma capuche.
Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Qu’est-ce qu’il vient de se passer ?
Ce doit être la première fois en cent ans que mes pensées font écho à celles de la Pythie des Âmes. Mon regard ne quitte pas le visage illuminé de Satoru tandis que je me demande si je n’ai pas rêvé ce qu’il vient de se produire.
Je crois que si elle ne parlait pas dans mon crâne, s’indignant à son tour, je serais prête à croire que j’ai halluciné ce bref moment où ses yeux se sont perdus et qu’il a marmonné quelques paroles. Oui. Si le démon n’attestait pas l’avoir vu aussi, je ne croirais pas que cela ait pu survenir.
Comme si rien ne venait de se produire, il lance soudainement :
— Alors, comme ça, tu détestes l’idée que je parle à d’autres femmes ?
Mes sourcils se froncent aussitôt.
— La jalousie est un vilain défaut, ma chère…
— Je ne suis pas jalouse.
Il balaye ma phrase d’un revers de main.
— Oh, que je déteste l’idée de te faire ressentir une quelconque émotion négative ! Mais l’idée que tu sois jalouse est grisante…
— Je ne suis pas jalouse, je tonne à nouveau entre mes dents serrées.
— Oh, que je déteste l’idée de te contredire ! Mais…
— Oh ! je crache, agacée par ses insinuations.
D’un geste brusque, je tourne les talons. Cependant, j’ai à peine le temps de faire volte-face qu’il saisit mon poignet.
Vivement, Satoru tire dessus. Prise de court, je suis déséquilibrée. Je bascule en arrière et me retourne. Un cri manque de franchir mes lèvres. Je tombe et m’effondre sur lui.
Aussitôt, sa main saisit la mienne, l’autre se pose dans mon dos, m’empêchant de chuter. D’un pas fluide, il glisse sur le côté. Ce faisant, il nous emporte au milieu de la salle. Je n’ai pas le réflexe de lutter.
Avant que je ne m’en rende compte, nous sommes parmi les autres couples. Parfaitement synchronisés, nous dansons avec eux.
— Navré, ma chère, je suis allé un peu vite en besogne, sourit-il tandis que ses mains se raffermissent sur moi, me guidant dans notre duo. Mais me ferais-tu l’honneur d’accepter cette danse ?
Ma mâchoire se serre et je lutte contre l’envie de hurler. Tant bien que mal, je garde la tête froide, ne voulant pas attirer le regard des autres invités.
Si je sors mon épée maintenant pour tuer Satoru, cela risquerait de perturber quelque peu la soirée…
— Satoru, je vais te tuer.
Ses yeux étincellent entre ses cils blancs. Dans un sourire brillant, il considère ma menace, secouant doucement la tête.
Ensemble, nous continuons de danser. Comme lors de notre première rencontre, nous tournoyons au rythme de la musique.
— Ne me dis pas ce genre de choses… Tu n’as aucune idée de l’effet que ça a sur moi.
— Donne-moi une bonne raison de ne pas te tuer, je lâche tandis que nous évoluons parmi les convives
Tournoyant sur moi-même, je lutte contre l’envie de mordre sa main lorsque cette dernière me guide dans ma pirouette.
— Comment tu pourras m’épouser si tu me tues ?
— C’est censé me dissuader de te tuer ? je fais remarquer en arquant un sourcil. J’ai simplement plus envie de le faire.
— Que de répondants pour une femme jalouse…
Je ne dois pas lui répondre. Surtout pas. Mais, cela est si dur…
D’ordinaire, il me suffit de réaliser qu’une conversation est inutile pour la balayer d’un revers de main et ne pas y donner suite. Cependant, cette fois-ci, je n'arrive pas à m'en défaire.
À vrai dire, souvent au contact de Satoru, je peine à me détourner de nos discussions.
Ma mâchoire se contracte tandis que je tourne sur moi-même, emportée par ses gestes précis. Je m’efforce de ne pas lui répondre, refusant de lui donner satisfaction. Seulement, il réagit aussitôt à mon silence.
— Alors, je t’ai clouée le bec, hein ? fait-il remarquer dans un rire taquin.
— Continu et ce sont tes os que je vais clouer, et si tu c… C’est pas vrai, t’es encore en train de rougir ?
À la fin de ma pirouette, je reprends place en face de lui. Aussitôt, je remarque ses oreilles cramoisies et les rougeurs teintant ses joues.
Il ne me regarde pas, n’osant croiser mes yeux. Roulant des miens, je décide de laisser la conversation mourir.
Pour une fois qu’il se tait…
La musique continue et nos pas se déplacent naturellement sur son rythme doux. Nos jambes glissent, emportant nos corps dans un pêle-mêle gracieux. Bientôt, je tourne sur moi-même sans me soucier de ce qu’il se passe autour de nous.
Satoru est un bon danseur. Il est aisé de se laisser emporter par ses gestes précis. Cela a quelque chose de différent.
Presque grisant.
Sur les champs de bataille, mon épée guide l’assaut. Depuis un siècle, je ne reçois d’ordre de personne. La Pythie et moi luttons dans ce corps trop étroit, en quête du pouvoir. Le pouvoir d’agiter cette main qui portera le coup fatal.
Cette même main que Gojo tient si délicatement aujourd’hui, guidant la valse avec douceur.
Soudain, je sursaute de douleur. Chaque muscle de mon corps se contracte et mes yeux s’écarquillent.
Je cesse de danser. Satoru aussi.
Autour de nous, les couples continuent. La mélodie entonnée par l’orchestre se répercute sur les murs de la salle de bal.
Mon regard croise celui de Gojo.
Il est différent.
Tout est différent.
De l’air devenu plus épais au goût métallique du sang me revenant en souvenir. De la mélodie de l'orchestre étouffée, comme si je l’écoutais derrière une porte close, à ma vue se brouillant.
Mon cœur bat. Comme il ne le fait qu’avec lui.
Et, je pleure.
Pour la première fois depuis cinquante ans.
Sa main est serrée autour de mon poignet tandis que l’autre gît dans le bas de mon dos, me gardant contre lui. Nos torses sont collés l’un à l’autre, respirant d’un même geste.
Au bout de son pouce brille une bague surmontée d’une lame d’acier.
Il vient de planter cette dernière dans mon poignet.
Du sang coule le long de mon avant-bras, se perdant dans ma manche épaisse. Il jaillit de l’arme que l’elfe vient d’enfoncer dans ma peau. J’observe un instant la course de l’hémoglobine avant de poser à nouveau le regard sur Gojo.
Des larmes imbibent ses yeux.
— Tu savais que la créature qui a tué mon peuple les a empoisonnés ?
Ses cils sont humides. Je hais cette vision.
— Et tu savais que le poison en question était son sang ? Que celui-ci est hautement toxique pour les elfes ?
Le sang sur mon bras. Les larmes sur ses joues. La sueur sur nos fronts.
Il a compris.
Moi aussi.
Ce moment était inévitable, de toute façon.
Pourtant, je réalise désormais que je le fuis depuis le jour où mes yeux ont croisé ceux de Gojo. Je n’ai de cesse de courir, espérant fuir le dôme de verre du sablier ou même attraper ses grains avant que tous ne tombent.
Figer le temps.
Maintenant.
Je ne veux pas voir demain.
Seulement, il est trop tard maintenant. Satoru sait que celle qui a tué son peuple, la Pythie des Âmes et moi ne formons qu’une personne.
Je suis elle. Elle est moi.
Nous lui avons tout pris.
— Je savais que tu causerais ma perte, chuchote-t-il tandis qu’une larme roule sur sa joue.
Je n’ai pas le temps de réagir. Mon souffle se coupe. Mes yeux s’écarquillent.
Il pose ses lèvres sur mon poignet, embrassant le sang coulant sur ma peau. Ses yeux céruléens me fixent sans ciller une seule seconde. Il ne tremble pas.
Et ce, même lorsque ses pupilles s’élargissent soudain, avalant sa sclère ainsi que son iris. Ses globes oculaires se font entièrement noirs, semblables à des billes d’obsidienne.
Bientôt, le sang coulant dans ses veines s’assombrit. Chacun de ses vaisseaux apparaît autour de ses yeux et à la commissure de ses lèvres, ressortant à travers sa peau pâle. Ils ressemblent à des toiles d’araignées noires qui contusionnent son visage.
Je tremble.
Mon sang est toxique pour Gojo. Il vient de l’avaler.
— Sa… Satoru…
Des larmes dévalent mes joues. Je hoquète presque.
Quelle est cette douleur dans ma poitrine ?
Soudain, sa main agrippe ma capuche. Brutalement, il l’abaisse. Je ne lutte même pas lorsqu’il me découvre.
Un frisson court le long de ma colonne vertébrale. Pour la première fois depuis des années. Je ne porte plus de masque.
Les yeux de Satoru s’écarquillent en découvrant mon visage.
Un sourire hausse le coin de ses lèvres.
Du sang jaillit de sa bouche, coulant sur son menton. Il hoquète de douleur, luttant contre le poison courant maintenant dans ses veines.
Seulement, il trouve la force de murmurer :
— Je le savais…
Une toux le prend. De l’hémoglobine jaillit de sa bouche.
— …Tu es magnifique.
Et, sur ces trois derniers mots, il s’effondre brutalement à mes pieds.
Inconscient.
FIN DE LA PARTIE 1
• N D A •
j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !
je suis désolée pour l'heure
tardive. je voulais que ce
chapitre soit grandiose vu
son importance alors
je n'ai pas arrêté de le
réécrire
en tout cas, je tiens
à vous remercier pour
avoir lu cette première
partie !
n'hésitez pas à me dire
ce que je peux améliorer pour
la deuxième !
♡
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