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C H A P I T R E 2 4
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— Tu m’entends ? Tu m’entends ?
La voix affolée de Gojo vrille mes tympans tandis que deux paumes caressent mon visage, à travers ma capuche. Quelques gouttes s’échouent sur le tissu de mes vêtements, me ramenant à la réalité.
— Réponds-moi ! Je t’en supplie ! Réponds-moi !
Entre mes paupières mi-closes, je distingue les longs cheveux de Satoru maculés d’eau. Quelques gouttelettes se dégagent de ses mèches plaquées à son front, chutant sur mon torse dans un rythme soutenu.
Ses yeux de célestines brillent dans l'obscurité tamisée des termes. Seule sa voix s’élève dans la salle.
— Ce que tu peux faire comme bruit, je soupire en roulant des yeux sous ma cape.
Aussitôt, ses yeux s’écarquillent. Une lueur les allume lorsqu’il réalise que je suis vivante. Je peux entendre son cœur battre à tout rompre et il fond sur moi.
Sa tête se pose sur mon ventre, m’arrachant presque un sursaut. Un instant, l’envie me prend d’abattre ma main sur l’arrière de son crâne. Aussitôt, je me résigne à ne pas le faire.
Satoru pleure.
Étrange. Jamais je n’aurais cru voir des larmes parcourir le visage d’un elfe. Ces dernières sont brillantes, semblables à des perles scintillantes. Elles ne sont que lumière dans l’obscurité pénétrante des termes.
Je ne saurai expliquer pourquoi mon cœur se serre dans ma poitrine. Je me croyais pourtant éloignée de multiples sentiments et émotions humaines comme l’empathie. Ces dernières ne sont qu’embarras.
Je ne souhaite pas m’incomber de ce fardeau.
Semblable à un panier d’osier dont les tiges mal tressées grattent la peau ou à un seau percé d’eau qui dégouline à mesure qu’on le déplace d’une salle à l’autre… Tout cela ne fait aucun sens pour un démon.
Oui. Je me fiche de ressentir de l’empathie.
Alors, je ne comprends pas pour quelle raison mes doigts gantés glissent soudain dans les cheveux longs de Satoru. Les mèches tournoient autour de mes phalanges et je garde les yeux fixés sur le ciel au-dessus de nos têtes.
Les étoiles sont multiples sur la toile sombre. Pétéchies de lumière, elles illuminent cette voie qu’elles lactent, tenant compagnie à la superbe lune.
Pleine lune… Symbole de renouveau.
Ce soir, en effet, nous avons signé le tournant de nos existences communes. Et, tandis que je sens l’homme secoué par les sanglots se blottir contre lui, je peine à déglutir. Ma gorge est serrée.
Ne réagis pas ainsi, Satoru. Tu devras me tuer, de toute façon.
— Je… J’ai eu tellement peur…
Son hoquet secoue mon corps jusqu’à mes entrailles. Je tente d’étouffer ses sanglots, mais je ne fais que les aspirer. Comme si les plaies du passé formaient encore de géantes plaies en moi, leurs trous laissent filer ses larmes.
Elles inondent la cage dans laquelle j’ai enfermé, il y a fort longtemps, mon humanité.
Il a rappelé à toi ton humanité… Et, au lieu de profiter de ce renouveau… Tu le traites ainsi ? Tu le forces à sacrifier la seule personne à qui il tient.
Tais-toi, Pythie des Âmes. Je t’en prie. Tais-toi.
Jamais. Pas après cet acte d’égoïsme qu’a été la signature de ce pacte. Jamais, je ne me tairai. Tu m’entends ? Ce n’est pas que moi que tu cherches à tuer. C’est lui aussi.
— Ne meurs jamais, chuchote Satoru dans un son à peine audible, semblable à une plainte étouffée.
— Tu ne devrais pas t’accrocher au démon que je suis.
— Tu n’as rien d’un démon, à mes yeux.
— Je sais.
Mon soupir est un cri de défaite étouffé. Bien sûr, il ne verra jamais celle que je suis réellement. Jusqu’à l'ultime seconde, il ne réalisera pas que mon sang a empoisonné ses pairs.
Il se raccroche à moi pour vaincre sa solitude. Mais, cette dernière est le fruit de mes gestes.
— Promets-moi de ne pas partir.
— Je ne peux pas, je murmure sous ma capuche, sentant mes doigts trembler entre ses mèches. Je dois m’en aller. Le monde n’a pas besoin d’un démon.
— Qu’en sais-tu ?
Baissant les yeux, je croise les iris brillants de Satoru. Sa main posée sur la mienne, glissée dans ses cheveux, la maintient en place.
Le contact de son corps sur le mien est chaud. Je sens mon sang pulser dans mes veines. Mon cœur bat dans ma poitrine. Mon souffle est sporadique. Mes pensées courent. Mes muscles tremblent.
Tu l'avais oublié, n’est-ce pas ?
Oui. J’avais oublié ce que cela faisait d’être humaine. Et chacun de mes contacts avec Satoru me le rappelle.
Tous les jours un peu plus.
Comme s’il se tenait au sommet du sablier et que ses respirations faisaient tomber les graines de vie qui me percutent alors. Moi, assise au fond depuis si longtemps.
Prisonnière du temps.
— Ne m’abandonne pas. Pas toi.
Désolé, petit, mais je vais jouir de mon droit d'aînesse. Après un si long sommeil, l’heure est venue pour moi de prendre la main.
Mes yeux s’écarquillent. Les paroles de la Gardienne des Thermes vrillent à mon esprit.
« Tu garderas ces chaînes et ne pourras donc pas utiliser tes pouvoirs. Quand le démon voudra prendre la main, tu tomberas inconsciente et tu ne pourras pas résister. Car tu gardes ces chaînes, mais je la libère des siennes. »
Non. Laisse-moi encore quelques secondes. Je t’en prie.
Te laisser ? Et m’as-tu laissée, moi, quand je t’ai demandé de ne pas signer ce pacte ?
Mes yeux s’écarquillent. Satoru me serre plus fort contre lui.
— Gojo, je…
Ma phrase est avalée et je me sens tirée en arrière. Les mains sombres de ma psyché se referment sur mes bras.
Mes paupières se ferment. Je sombre dans l’inconscient.
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Le labyrinthe de mon esprit n’a pas changé.
Partout autour de moi, des escaliers se succèdent. Au-dessus de ma tête et en dessous de mes pieds, le même décor vertigineux se répète. Son obscurité croissante et stérile manque de me faire basculer.
Les marches que je franchis ici ne me font ni avancer ni reculer. Je stagne. Qu’importent les kilomètres parcourus.
Soudain, mon regard est attiré par un mouvement sur l’une des marches.
— Bon sang, j’avais oublié ! je m’exclame dans un cri, posant la main sur mon cœur qui s'est emballé. Tu m’as fait peur !
— Tu es l’unique personne à blâmer. Si tu me rendais visite plus souvent, on n’en serait pas là, vrombit une voix sépulcrale et rocailleuse.
Sur un escalier me faisant face, une boule de la taille de ma paume, recouverte de poils blancs, me regarde. Au sommet de son crâne, quatre feuilles vertes jaillissent, lui tenant lieu d’oreille. Seuls deux yeux, des billes noires plantées au milieu, permettent de comprendre qu’il s’agit d’un être vivant.
La Pythie des Âmes… Entre sa voix, son pouvoir, sa nature démoniaque et sa réputation, absolument rien ne laisse présager que son apparence physique est celle-là.
— Je ne compte pas rendre visite à quelqu’un qui a trahi son hôte !
— POUR LA ÉNIÈME FOIS, JE NE LES AI PAS TUÉS !
Les escaliers tremblent quand vrombit son hurlement de tonnerre. Quelques gravats tombent dans le puits ténébreux des étages inférieurs. Ils disparaissent bien vite, aspirés par l’obscurité.
Croisant les bras sur ma poitrine, je lui lance un regard réprobateur.
— Tu sais ce que c’est, ton problème, à toi ? vrombit le démon en sautillant, son corps rond dépassant à peine une marche. La communication ! Même avec ton propre esprit !
— Ce n’est pas une question de communication, tu as tué un peuple !
— JE VAIS SÉVIR FACE À CES ACCUSATIONS !
Regardant autour de moi, j’ignore la minuscule boule de poils et sa crise de nerfs.
— Quoi qu’il en soit, laisse-moi sortir.
— Non, refuse la boule de poils en se dandinant d’un pied sur l’autre, arborant une moue satisfaite.
— Non ? je répète.
— À toi de savoir ce que cela fait d’être enfermée durant des décennies.
Observant autour de moi, je considère d’un regard mauvais ce labyrinthe d’escaliers. Il ne m’est absolument pas plaisant à regarder.
Je m’imagine encore moins y demeurer enfermée.
— Tu ne peux t’en prendre qu’à toi si la déco est naze. C’est ton esprit, ça.
La pythie sautille.
— Mais, depuis que t’as rencontré l’elfe, il y a une fleur ! Une seule, un peu grincheuse… Mais t’as qu’à travailler là-dessus, méditer un peu. Ça lui donnera des couleurs.
Un soupir franchit mes lèvres.
— En parlant de lui… Tu es consciente qu’il va t’étriper dès qu’il te croisera ?
— Non, il ne m’a rien fait, me répond-elle simplement, ses oreilles de feuilles remuant pour balayer l’information.
Je me fige.
— Comment ça, il n’a rien fait ?
— J’ai pris ma forme naturelle, pas celle-ci, mais celle faisant plus peur. Je lui ai dit qui j’étais. Il m’a regardé et a déclaré qu’il renonçait à se battre. Et voilà !
La pythie rit doucement.
— Je dois avouer que ça me convient. Je n’aime pas la violence.
Elle sautille d’une marche, levant les yeux.
— Là-dessus, bonne nuit ! J’ai envie de profiter de mon corps pour me promener !
Dans un bond, elle disparaît.
Je ne réagis pas, médusée par sa déclaration.
Satoru Gojo a fait quoi ?
• N D A •
JE SUIS DÉSOLÉE POUR
L'HEURE TARDIVE
J'ÉTAIS EN TRAIN DE
PRÉPARER LE CHAPITRE
25
j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !
chapitre assez mystérieux...
une idée de ce qui a motivé
cette réaction chez satoru ?
♡
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