𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟑























C  H  A  P  I  T  R  E   2  3







































           Une tempête se tapit au fond de mon être.

           Entre les vapeurs épaisses s’élevant des termes, les yeux célestins de Satoru étincellent. Lueurs mirifiques perçant la pénombre, ils s’allument d’une magie puissante et coruscante.

— Ô esprit des termes, entends cette prière…

           Cotonneuse, la voix de Mora se voit étouffée par les épaisses volutes s’élevant. Portant son timbre grave et obscur, les servantes hument longuement. La mélodie de leur chœur remue sur mes tympans, me plongeant doucement dans une transe.

           Les limbes de leur chant m’ensevelissent. Entremêlés à mes doigts, ceux de Gojo sont chauds. Ils me tiennent fermement, appréhendant la suite du rituel.

— Emporte ses âmes avec toi maintenant…

           Les servantes hument à nouveau, ponctuant les paroles de Mora. La voix de cette dernière me semble lointaine, comme si un dôme s’était refermé sur nous.

— Satoru, j’appelle faiblement l’elfe qui me regardait déjà. Es-tu sûr de vouloir conclure ce pacte ?

           Je ne sais ce qui me pousse à lui poser cette question. Après tant d’années à espérer rejoindre les Enfers, au terme de si longues soirées répétées à songer à la froide nuit où la dynastie Gojo a été écrasée, suite à ces cauchemars… Je ne peux pas douter. Je dois mourir.

           Cependant, s’il n’arrive pas à m’occire, cela lui coûtera ses pouvoirs. Survivra-t-il sans ? Et, même s’il parvient à m’éliminer… Que deviendra-t-il ?

           Gojo Satoru… Qui seras-tu demain ?

— Je te vengerai. Quoi qu’il m’en coûte, j’écraserai cette créature qui t’a fait subir cela, m’accorde-t-il pour seule réponse.

           Un rire résonne en moi. Sépulcral et sinistre, il naît dans mon ventre, se répercutant sur les parois de mon corps à la manière d’une vague grandissante.

— Promets-moi juste une chose…

           Mes doigts tremblent entre ceux de Satoru. Une force grandit en moi, enlisant chacun de mes muscles. Des spasmes courent le long de ma colonne vertébrale, luttant contre l’éveil du démon.

           Elle arrive. Je peux entendre son rire lointain.

— Après cela, quand j’en aurai fini avec elle…

           Une larme coule sur son visage lorsqu’il étire ses lèvres en un sourire vibrant.

— Montre-moi ton visage, demande-t-il alors que la voix lointaine de Mora entame le chant sacré des termes, celui-là même qui nous plongera dans une transe dont on ne reviendra pas. Récompense-moi ainsi, en me montrant celle que j’admire tant.

           Mon menton tremble. Un rire guttural s’élève dans ma poitrine, menaçant de franchir la barrière de mes lèvres.

Tu le verras, je chuchote à demi-mot, peinant à lutter contre le démon s’agitant en moi.

           Il le verra ? Réellement ? Lorsqu’il ôtera le linceul qui habillera ton corps inerte ?

           Un rire me secoue sans franchir mes lèvres. La bouche close, je lutte contre le démon qui se débat en moi. Une chaleur brûlante cuit mes entrailles en un déferlement de douleur. Cependant, je reste debout.

           Le contact de la peau de Gojo contre mes mains me maintient hors du torrent provoqué par la Pythie des Âmes. Une guerre se déchaîne dans ma poitrine.

           Mais, je garde le regard planté dans celui de Satoru.

           Qu’il s’avise de passer ce pacte, rit la voix sépulcrale dans ma tête. Qu’il essaye simplement d’annihiler une puissance millénaire… Je le tuerai et je te maintiendrai en otage, comme toi tu le fais depuis que tu as enfilé ses chaînes.

           Non. Je ne la laisserai pas faire. Nous avons détruit trop de vies, ensemble. La Pythie des Âmes et moi ne pouvons plus prétendre être dignes d’exister.

           Nous devons disparaître.

           Soudain, un hurlement retentit. Perçant les vapeurs des bains, pénétrant le dôme invisible qui nous couvre, la voix de Mora s’élève. Marquant la fin de la chanson, son cri mélodieux couvre le chœur des servantes des termes.

           Mon souffle se coupe. Mora a fini ses incantations.

           Le rituel s’apprête à commencer.

— Satoru, je couine à travers la douleur brûlante déchirant ma poitrine. Quoi qu’il arrive, ne lâche pas mes ma…

           Une main se referme soudain sur mon pied. Ma voix meurt dans ma gorge. Je n’ai pas le temps de lutter. Mon corps est tiré sous la surface. L’eau des termes se referme sur moi, étouffant le cri que je pousse alors.

           La main de Satoru s’arrache de la mienne. Je tends les bras, tentant de la récupérer. Cependant, il est trop tard.

           Le rituel vient de commencer.



































           Le moindre souffle cogne contre la pierre en mille échos.

           Ouvrant les yeux, j’émets un grognement en me retournant sur le dos. Il me faut quelques instants avant de réaliser que je ne me trouve pas dans un lit. Que ce réveil n’est pas commun.

           Les eaux thermales. Les vapeurs épaisses. Les mains de Satoru. La voix de Mora. Les chœurs des servantes. La Pythie des Âmes se débattant en moi. La main attrapant mon mollet. Mon corps emporté dans le bain.

           Au-dessus de ma tête, le plafond est constitué de la surface d’un lac. Un remous calme agite à peine la lisière de ce bassin. 

           Autour de moi, des colonnes d’eau céruléenne traversent la vaste salle. Leur socle et leur sommet sont formés de savants ornements dorés, donnant sur la toiture aquatique ou sur le sol sur lequel je gis.

           Ce dernier, fait de marbre beige, est anormalement chaud sous mon corps. L’observant quelques instants, je distingue même les nuages cotonneux d’une dense vapeur s’en élever.

— N’aies pas peur… Approche donc.

           Une voix masculine et douce retentit dans les thermes. Éclatant en écho sur les colonnes d’eau, elle se répercute jusqu’à moi. Me redressant, je cherche son origine.

           Mon regard aperçoit alors une silhouette, au fond de la salle. Assise sur un trône de coquillage, entouré par deux colonnes d’eau, une femme se tient.

— Oui, approche-toi, insiste-t-elle, une voix masculine et grave sortant de sa cage thoracique.

           Ses cheveux sont constitués de bulles de savon blanches entourant un petit visage traversé d’un nez en trompette. Sous son menton pointu, un long cou donne sur un bustier de coquillage se finissant en une robe aussi fluide que de l’eau.

— Qui êtes-vous ? je demande avec méfiance, me relevant soudain.

           Obéis-lui, petite impertinente, gronde une voix en moi.

           Je ne maîtrise pas mes jambes qui marchent soudain. Contre ma volonté, j’avance jusqu’à la silhouette assise devant moi. Cette dernière sourit.

           Un cri étouffé franchit mes lèvres quand je tombe à genoux, au sol. Une main invisible se presse à ma nuque, me forçant à baisser la tête.

Toutes mes excuses, prononce la Pythie des Âmes de sa voix caverneuse, à travers moi, cent ans de possession ne m’ont pas suffi à éduquer cette impertinente.

— Où est Satoru ? 

           Ma question est immédiatement suivie d’un coup violent porté à ma joue. Je m’effondre sur le côté, sonnée par la force du démon.

Petite impertinente ! gronde la Pythie des Âmes avec colère après m’avoir giflée. La Gardienne des Thermes te demande de lui faire face et tu l’importunes avec de stupides questions ! N’as-tu pas honte ?

— Laisse donc, ma chère…

           La femme à la coiffure de bulles croise des jambes sur son trône, plantant un coude dans le siège et appuyant son visage sur son poing fermé. Ses yeux, semblables à des perles nacrées fendues en leur milieu, me regardent calmement.

Sa question est naturelle. Son âme recherche désespérément sa moitié.

           Ma mâchoire se serre, mais je ne dis rien. Je ne sais pas qui est l’inconnue devant moi, mais elle semble familière du démon. Ainsi, elle ment sûrement pour me pousser à me rétracter. Seulement, que la Pythie le veuille ou non, je signerai ce pacte.

           Me redressant péniblement, je regarde autour de moi. Il n’y a en effet aucune trace de Satoru.

Je ne comprendrai jamais les humains… On te confie un démon d’une puissance inestimable, ce dernier te rend immortelle et te donne des pouvoirs invincibles et toi… Toi, tu cherches à l’occire.

— Nous avons tué des centaines de personnes, je gronde animalement.

           Une main invisible se referme sur ma gorge, celle de la Pythie. Je garde cependant la tête haute, plantant mon regard froid dans celui de la femme. Cette dernière le soutient quelques instants.

           Elle doit y voir quelque chose qui lui plaît, car un sourire étire bientôt ses lèvres.

Vous ? répète-t-elle en minaudant. Ou était-ce un accident ?

           Chacun de mes muscles se tend. Mais, la main sur ma gorge me maintient immobile.

— Est-ce pour cette raison que tu as enfilé ces chaînes ? Pour arrêter d’avoir des visions ? Parce que le propre d’une pythie, le rôle premier de ces dames est de recevoir des messages des dieux…

           Penchant la tête sur le côté, elle sourit doucement.

Je suppose que tes épaules ne pouvaient pas endosser un tel rôle.

— Au contraire, elle le peut tout à fait, gronde le démon à travers moi. Pourquoi crois-tu que je suis si furieuse qu’elle porte ces chaînes ? Je ne suis pas une force instable qu’elle n’a pas su maîtriser. Son erreur est la sienne ! Je ne mérite pas de mourir pour sa bêtise !

           La main se resserre brutalement sur ma gorge, me soulevant de terre.

C’EST ELLE QUI A TUÉ LES GOJO ! PAS MOI !

— Assez.

           À l’instant où la créature aquatique soupire ce mot, la prise sur ma gorge se referme. M’écrasant brutalement au sol, je prends une profonde inspiration.

— Je l’ai fait disparaitre momentanément, déclare la femme sur le trône dans un regard sérieux. Car je ne veux que personne ne nous interrompe.

           S’appuyant sur son coude, elle sourit.

— Tu sais, les créatures de la carte, toutes sans exception, parlent de ce que tu as fait, cette nuit-là. Et tout le monde se demande ce qu’il s’est passé dans cette tête d’humain. Qu’est-ce qui a bien pu te pousser à les tuer tous ?

           Un frisson parcourt mon corps, se répandant dans le moindre de mes muscles et l’enlisant. Je m’ébroue presque, tentant de chasser la fraîcheur sinistre s’emparant de mon être à ces souvenirs.

           Les corps empilés, l’odeur de putréfaction, les feuilles mortes, les peaux salies, les hurlements de douleur…

— Raconte-moi.

           Seule la Gardienne des Thermes peut accepter que je signe un pacte avec Satoru. Je n’ai pas d'autre choix que d’obéir.

J’ai eu une vision… Les Gojo allaient tuer la population la plus faible de tous. Eux, des elfes immensément puissants, allaient massacrer ceux qu’on appelle sephtis, des humains dépossédés de pouvoirs magiques et donc considérés comme maudits.

           Silencieuse, elle me laisse poursuivre.
           
— Je suis allée voir les Gojo pour parlementer. Indignés par mon accusation, ils ont déclaré que je n’étais qu’une menteuse cherchant à salir leur réputation.

           Mes lèvres se pincent. Les siennes aussi.

— Les visions sont des messages divins. Les visions ne peuvent pas être des mensonges, objecte-t-elle dans un froncement de sourcils.

— C’est la raison pour laquelle j’ai insisté. Je leur ai dit que ma vision avait été limpide ; parmi eux, une personne fomentait un génocide. Et… Cela ne leur a pas plu. Furieux, ils ont annoncé qu’ils massacreraient bel et bien les sephtis afin d’envoyer un message. Nul ne pouvait ternir la réputation des êtres sacrés qu’ils étaient.

— Alors, dans un ultime recours, tu t’es tranché les veines au-dessus des réserves d’eau de l’armée. Car le poison des démons est hautement toxique pour les elfes. Ainsi, dès qu’ils se sont lavés les mains, ont bu… 

           Elle se taît un instant. 

— Ils se sont condamnés. Tous.

           J’acquiesce doucement.

Cela correspond à l’histoire que racontent les rumeurs, en effet. Mais, ce que je ne comprends pas… C’est pour quelle raison tu t’en es pris aux civils.

           Ma gorge se serre. Mes mains tremblent dans les longues manches de ma cape.

— Ils… Ils avaient leur propre réservoir d’eau, distinct de l’armée. Les robinets des maisons étaient reliés à une centrale et celui des casernes, à une autre…

           Un spasme me parcourt.

— Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Seule l’armée devait mourir. Je devais détruire leur force militaire pour les empêcher d’attaquer les sephtis.

— Alors, tu ne sais pas pour quelle raison l’autre centrale a aussi été empoisonnée ? demande-t-elle en plissant les yeux, sondant mon visage qu’elle peut voir malgré ma capuche enchantée.

— Je ne le sais pas.

           Quelques instants, elle m’observe. Puis, après ces quelques secondes d’inspection, elle soupire doucement.

Crois-tu que c’est le démon en toi qui a décidé d’empoisonner ces deux centrales et non une seule d’entre elles ?

— Seule la Pythie des Âmes était au courant de ce que je comptais faire.

           Un soupir franchit ses lèvres. La Gardienne des Thermes observe les colonnes d’eau durant de longs instants. Puis, son regard se perdant dans le vide, elle chuchote sans trop réfléchir : 

Ma pauvre enfant… Je vois les cicatrices sur ton visage et ton cou… Combien de fois as-tu cherché à te suicider pour l’empêcher de nuire ?

           Je ne réponds pas. Seule une larme dévale mes joues, vestige des hurlements des civils, cette nuit-là. Mes yeux se ferment et reviennent à mon esprit les corps jalonnés de nécrose, là où ils étaient rentrés en contact avec de l’eau.

           Un an plus tard, lorsque Lycus a décidé de massacrer les sephtis en représailles, je sais qu’elle ne songeait qu’à une unique vision, celle des cadavres empilés dans des lambeaux de chair putréfiés. 

Soit, j'accorderai ta requête. Je te laisserai signer ce pacte.

           Un frisson nauséabond parcourt mon échine.

Mais tout être a le droit de se défendre. Et je ne lui retirerai pas ce privilège.

— Que voulez-vous dire ? je demande fébrilement, sentant mon estomac se nouer.

Je veux dire que pour signer ce pacte, Gojo met en jeu ses cheveux. Pour que toi, tu puisses aussi le ratifier, tu vas devoir mettre en jeu la liberté de la Pythie.

           Mon cœur rate un battement tandis que je me fige. Comme si ses paroles n’avaient été qu’un seau glacé lancé sur moi, je tremble soudain avec violence.

— Tu garderas ces chaînes et ne pourras donc pas utiliser tes pouvoirs. Quand le démon voudra prendre la main, tu tomberas inconsciente et tu ne pourras pas résister. Car tu gardes ces chaînes, mais je la libère des siennes.

— Cela signifie qu’après la signature du pacte, la Pythie des Âmes pourra prendre possession de moi quand il le veut et recommencer à massacrer des populations ? je demande dans un spasme de terreur.

           La gardienne acquiesce sinistrement. L’air sombre, elle argumente : 

— Pour que Satoru la tue, il faudra qu’elle lui apparaisse sous sa véritable forme, de toute façon.

           Un frisson glacé court le long de ma colonne vertébrale.

Alors ? Acceptes-tu les termes de ce contrat ? 

           Le risque est conséquent. Cependant, le démon en moi sera forcé d’accepter les termes du contrat. Lui qui m’avait promis que si je signais le pacte, il exploserait et raserait tout sur son passage, cette voie permet au moins de maintenir la paix quelque temps.

           Cependant, cela signifie que Satoru ne m’affrontera pas moi, simple humaine.

           Il devra se mesurer à une entité millénaire.

Peut-il même y survivre ? je demande, mon cœur se serrant douloureusement.

— Oh, il peut la vaincre. Mais pour ce qui est de survivre à l’idée qu’il t’ait tuée… Et bien, je ne suis pas une pythie, mais je connais la réponse à cette question.

           Ma mâchoire se contracte aussitôt à ces paroles et je serre le poing. Mon sang n’a fait qu’un tour à l’évocation d’un amour réel qu’il me porterait.

           Ses paroles ne sont que celles d’un homme appréciant charmer. Et je ne laisserai sûrement pas des flatteries factices m’empêcher d’éliminer une menace qui plane sur l’intégralité de la carte.

           Alors, je ne réfléchis pas davantage.

J’accepte les termes du contrat.

           Les yeux clos, la gardienne acquiesce. Un sourire léger étire ses lèvres.

— Dans ce cas…

           Une main se referme brutalement sur mon mollet. Le sol s’ouvre sous mes pieds et je chute dans un long hurlement.

           À l’instant où je sens mon corps retomber dans l’eau des thermes, un rire sinistre résonne en moi. Mes paupières se ferment, je tente de faire taire cette voix sépulcrale. Mais, cela est peine perdue. Elle a gagné en puissance. L’eau se referme contre ma silhouette, pressant le tissu de ma cape à mes membres.

           Le timbre rocailleux et sinistre de la Pythie des Âmes résonne longuement dans ma tête lorsqu’elle chuchote : 

           Je sens que je vais m’amuser.






































•    N  D  A    •

j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !

honnêtement, je crains qu'il
n'ait pas été très clair...
est-ce que c'était
compréhensible ?

je pense qu'on peut dire
qu'on glisse lentement
sur la partie 2 de cette
fanfiction et le cœur de
l'action :)






































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