𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐
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C H A P I T R E 2
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— Les chaînes… Pourquoi ?
Le marquis de Wolfrid n’est pas bien bavard. Le soleil a eu le temps de se coucher puis de se lever à nouveau, sans qu’il décroche le moindre mot. Cela fait deux jours maintenant que nous avons quitté les thermes.
Mora m’en veut pour cette décision, je le sais. Sur le seuil du bâtiment, ses mains desséchées ont saisi les miennes lorsqu’elle m’a suppliée de rester. Cependant, je ne le peux pas.
L’heure est venue pour moi d’affronter mon destin.
— Et bien, mortel. Tu sembles moins bavard que moi, fait remarquer le marquis, face à mon mutisme.
Mon armure lourde me maintient immobile malgré les secousses du carrosse dans lequel nous nous trouvons. La façon qu’a Wolfrid de remuer par à-coup indique que nous traversons un chemin rocailleux.
Cependant, l’homme garde la tête droite et la mâchoire serrée. Imperturbable.
— Ceci dit… Quel genre de mortel souhaiterait parler du fait que son corps est paré des chaînes de Marlow ?
Nombreuses sont les chaînes qui traversent mon armure. Glissantes le long de ma cape, rampant sur la ferraille de mes grenouillères, s’insinuant entre les plaques de métal sur mon torse… Fines, semblables à de simples bijoux, elles n’attirent d’ordinaire pas le regard.
Hormis celui d’une personne qui a connu la guerre, qui sauraient les reconnaître entre mille.
— Là où j’ai mené des batailles, déclare-t-il d’ailleurs, son regard suivant le tracé d’une des chaînes, le long de mon bras, j’ai croisé ces chaînes. Et jamais, je n’ai entendu d’histoires joyeuses sur la raison pour laquelle certains humains les portent.
Il rit doucement. Sans aucune moquerie… Peut-être un brin de désorientation. Je ne saurai le dire exactement. Il y a quelque chose d’insondable, dans la voix de cet homme.
— Je me demande quelle créature mythique, tu as bien pu provoquer, mortel, pour que le courroux de Marlow s’abatte sur toi… Dix fois ? Sans doute plus. Il y a tant de chaînes, sur ton armure.
Une chaîne pour un acte de haine. Tels sont les mots de la légende.
— Cela en valait la peine ?
Sous ma capuche, je détaille son visage froid.
— Tu as réussi à tuer cette créature ?
Le battement que fait mon cœur en réponse à cette question est lourd. Il frappe ma poitrine comme une massue. Ma respiration se bloque un instant et je refuse de le laisser voir cela.
Quelques secondes, je demeure silencieuse.
— L’homme que vous craignez… La raison pour laquelle vous m’avez engagé. Même lui, n’a pas su se mesurer à elle.
Un éclat de surprise traverse le regard du marquis, aussitôt avalé par un rictus malicieux.
— Alors c’est elle que vous avez affronté ? Évidemment que vous ne l’avez pas tuée… C’est un miracle, en revanche, que vous soyez encore en vie pour en témoigner.
Le marquis regarde un instant à travers la petite fenêtre du carrosse, détaillant le paysage défilant doucement. Ses yeux sombres s’attardent sur le flanc de la montagne rocailleuse que nous côtoyons.
— Je comprends mieux que vous portiez une capuche et ne laissez rien voir de votre peau. Vous devez être défiguré.
Ses yeux glissent sur ma silhouette, la détaillant un instant. Les sourcils à peine froncés, le marquis semble chercher quelque chose, n’importe quoi dans ma figure, qui pourrait lui donner un indice sur la personne assise, sous cette armure.
— Allons… Il vous manque un œil ? Les deux ? Vous possédez toujours votre mâchoire sinon, vous seriez incapable de parler. Vos membres sont là… Mais qu’en est-il de votre chair ? Est-elle carbonisée ?
D’un geste de la main, il désigne ma personne. La chevalière à son doigt brille alors d’un éclat doré. Cette lueur accroche mon regard un instant. Puis je reporte mon attention sur le parquet noir de ce carrosse.
— J’espère que vous n’êtes pas offensé par mes questions, déclare-t-il après un bref silence. La guerre m’a amputé d’une certaine… délicatesse.
— Nul besoin de vous cacher derrière la guerre. Vous êtes simplement mal élevé, de toute évidence.
Il éclate d’un rire grave. Sa réaction me désarçonne quelque peu. Je me serais attendue à le voir se jeter sur moi, furieux de cet affront. Bien sûr, il m’aurait ensuite fallu expliquer à Mora pourquoi j’avais tué l’un de ses clients les plus réguliers. Mais si tel avait été le prix à payer pour qu’il se taise…
Son doigt me pointe tandis qu’il sourit. La chevalière à son annulaire brille un peu plus.
— Là, je reconnais le guerrier téméraire qui a affronté la… La…
Il ne termine pas sa phrase. Nul ne prononce son nom impunément. Alors, aussi fort et admiré soit-il, le marquis se taira.
— Un soldat qui ose me remettre à ma place, un soldat qui ose affronter cette créature… Je peux lui faire confiance en ce qui concerne ma protection.
— Vos critères d’évaluation trahissent une absence totale de logique, j’affirme peu flattée par ses phrases bateaux.
Il ne s’en formalise pas, se contentant de hausser un sourcil interrogatif.
— Le fait que je vous réponde signifie que je suis insolent. Beaucoup d’insolents sont morts. Ne serait-ce que l’année dernière, tous les insolents qui ont trahi l’impératrice ont fini sur le bûcher. L’insolence n’est que la preuve de l’insolence, pas d’autres choses. Ce n’est pas un gage de force, simplement de manque de respect. Ne vous méprenez pas trop longtemps sur ce point, vous risqueriez d’engager un bouffon comme escorte.
Il ne répond pas. Mais l’éclat malicieux de son regard brille davantage.
— Je crois que je ne vous ai jamais entendu parler si longtemps. Mais votre chemin de pensée m’intéresse… Expliquez-moi maintenant en quoi le fait que vous ayez affronté cette créature et survécu ne vous confère pas une certaine stature.
— La légende affirme que nul n’a vu son visage, car dès l’instant où vous la rencontrez, vous êtes déjà mort.
— Et je suis admiratif d’une telle légende, répond-il, les yeux pétillants de malice. Un jour, je l’espère, les rumeurs diront cela de moi.
— Votre naïveté est touchante.
Un rire grave secoue sa poitrine.
— Mais comme personne ne l’a rencontré assez longtemps pour témoigner de sa force, je reprends calmement, les légendes autour d’elle ne sont pas forcément vraies. Vous ne vous êtes jamais dit qu’elle n’était peut-être pas à la hauteur de ce que les rumeurs racontent à son propos ?
Son regard parcourt les chaînes de mon armure.
— Mortel, cela fait dix ans que plus personne n’a de doute sur la puissance de ce monstre.
Un énième sourire étire les lèvres de cet homme. Je n’avais encore jamais croisé de fervents admirateurs de cette créature. Cela me fait froid dans le dos.
— Après tout, cette créature est la raison pour laquelle il n’existe plus qu’un seul survivant au sein de la dynastie Gojo.
Les chaînes se font plus lourdes, sur mon armure.
— Nul ne comprendra jamais la raison qui a poussé ce monstre à sortir de l’ombre, ce soir-là… Mais en une nuit, elle a massacré l’intégralité du clan Gojo, ne laissant dans son sillage que deux survivants.
Lycus et Gojo. La mère et le fils.
Quand, l’année passée, Lycus a été tuée par la prêtresse Nime, des verres se sont levés en l’honneur de cette femme. Aujourd’hui, de nombreuses personnes attendent avec impatience le moment où le dernier membre de cette dynastie périra, lui aussi.
Gojo Satoru est loin d’être le mage le plus apprécié.
— Et c’est l’exacte raison, reprend l’homme dans un rire, pour laquelle cette créature a beau effrayer le monde entier, des millions de personnes brûlent des encens en son honneur.
— Cette créature n’est pas un Dieu, vous ne devriez pas la vénérer.
— Allez dire cela aux populations que la tribu Gojo terrorisait… Sans l’intervention de ce monstre, elles seraient encore réduites à l’état d’esclaves.
Une bulle désagréable enfle dans ma trachée.
— Rien n’excuse un génocide.
Il ne répond pas. Comme le reste des hauts dignitaires de l’armée. Nul ne parle jamais du clan Gojo. Il s’agit d’un sujet maudit, une tache sombre de notre histoire.
Cette nuit-là, l’Empire a refusé d’agir pour aider le clan. Depuis des décennies, ils refusaient de respecter les lois et continuaient d’étendre leur territoire, asservissant les populations des terres où ils posaient pied. Alors, la famille impériale Evilans a considéré que s’ils refusaient de se soumettre à leurs lois, ils méritaient leur sort.
L’intégralité du clan Gojo, à l’exception de deux personnes, a péri ce jour-là. Des millions d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards qui n’étaient parfois même pas d’accord avec les actions de leurs dirigeants. Tous se sont éteints dans d’atroces souffrances.
Le lendemain, Lycus a écrit une promesse à l’Empire. Quelques mots que les troubadours se sont empressés de chanter dans la ville.
“Pour chaque vie que vous avez ôtée, j’en prendrai une à mon tour.”
Le temps a passé. Lycus, entourée d’une horde de guerrières, s’en est régulièrement pris aux plus faibles d’entre nous, les sephtis. Une femme, la prêtesse Nime, s’est dressée contre elle. Sa fureur n’en a été que plus noire encore.
Deux ans après le massacre de la population Gojo, Lycus a posé pied sur une île. Elle y a décimé tous les habitants.
Un génocide pour un autre. La décadence de l’esprit humain. La honte d’une civilisation.
Dans un murmure, j’insiste :
— Rien n’excusera jamais un génocide.
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• NDA •
j'espère que ce début
vous plaît bien ! gojo
n'est pas encore
arrivé mais il ne
saurait tarder...
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