𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟕














C  H  A  P  I  T  R  E   1  7























           Quelque chose ne va pas.

           Autour de nous, les eaux se reflètent en nébuleuses chatoyantes sur le marbre des thermes. La moindre respiration résonne en froissement d’âme sur la pierre sculptée.

           Le visage assombri, Mora conserve une mine recueillie. Le voile blanc retenant ses cheveux d’argent se froisse de la même façon que sa mine soucieuse. Les mains posées sur son sceptre imposant, elle considère longuement les trois silhouettes allongées au sol. Yevhen, Charles et Satoru viennent tout juste de se réveiller après l’attaque de Maël.

— Ils sont sans doute trop faibles pour mener la mission.

— Faible ou pas, on y va, lui grommelle Yevhen dans un grondement rauque, posant la main sur ses yeux dans une grimace d’inconfort. Il y a une personne qui a besoin d’aide.

— Vous faites vraiment chier, les humains, à faire du mal à vos pairs, comme ça. Maintenant, je suis obligé de me bouger alors que je viens littéralement de me faire éclater le crâne.

           Un crissement franchit le bec de Charles, semblable à un bruit de strangulation. Je considère l’émeu avachi près du bassin, son bec frôlant la surface de l’eau.

           Après le départ de Maël, Mora a silencieusement pris place sur le perron. Nous n’avons échangé aucun mot, nous contentant de reconnaître la présence de l’autre. Elle a entendu ma conversation avec la Prêtresse Balance. Mais, elle n’en a pas été surprise.

           Elle sait qui je suis, ce que j’ai fait. Elle le savait déjà lorsqu’elle est partie me chercher en prison. Arquella Evilans m’y avait enfermée, a priori pour me punir de l’anéantissement du clan Gojo. Cependant, la vérité est différente.

           Elle devait m’écarter du palais impérial pour pouvoir marier Egarca Evilans, sa fille, à Elio. Cette alliance politique était importante, plus que le bien-être de son enfant. Je l’avais pourtant avertie du danger de cet homme. Mais, elle n’avait pas souhaité m’écouter et m’a écartée.

           L’année dernière, Elio Evilans a fomenté un Coup d’État afin de tuer Egarca Evilans.

Ce n’est pas une question. Nous avons simplement été assommés, nous pouvons dépasser cela, grommelle Gojo. Cette femme a besoin de nous.

           Aucun parmi eux n’a cherché à savoir ce qu’il s’est passé. Ils ne savent pas qui leur a fait cela ni que Mora et moi les avons portés à l’intérieur des thermes. L’unique information qu’ils ont est qu’une force invisible les a immobilisés en quelques secondes. Ils ne souhaitent pas en savoir plus. Autre chose occupe leurs esprits.

— Mora… Si une de tes servantes est habilitée à nous téléporter, nous allons nous y rendre dès maintenant, soupire Gojo d’une voix rauque.

           La femme acquiesce. Mais, elle n’a pas besoin de faire appel à l’une de ses disciples, au contraire. Pourquoi le maître se rangerait-il derrière son élève ?

           Levant une paume dans les airs en un geste solennel, Mora ferme les yeux. Sans même nous demander où nous souhaitons nous rendre ni ce que nous comptons faire, elle exécute un mouvement circulaire. Elle n’a pas besoin de poser de question. Elle sait.

           Suivant le mouvement de ses doigts, un cercle scintillant d’une lueur violette se forme autour d’un amas de ténèbres. Ce dernier ondule en mille et un miroitements et éclats de lumière. Il pulse quelques instants, attirant le regard des trois mâles qui fixent le portail.

— Comment savez-vous où nous nous rendons ? demande Yevhen dans un soupir admiratif face à la passerelle magique qui vient d’être matérialisée.

— Il est bien des choses que je sais, mon petit.

           Me redressant, je considère leurs silhouettes au sol. Tête basse, j’enjambe le corps de Gojo sans ignorer le sourire qui courbe ses lèvres à ce moment. Étendu sur le dos, ses yeux suivent le mouvement de ma cape lorsque cette dernière passe au-dessus de son torse.

— Allons-y.

— À tes ordres, rit-il doucement.

           Levant les yeux au ciel, je soupire tout en m’engouffrant dans la brèche créée par Mora. Un rire ingénu résonne dans mon dos. Je l’impute à l’hybride.

           Le scintillement du cercle émet un son aigu lorsque je le traverse, semblable à un gobelet rempli de métal que l’on secoue. Mes yeux ne distinguent rien de l’autre côté du portail lorsque je m’y engouffre, seulement un amas de ténèbres. 

           Mon pied s’enfonce dans une matière granuleuse. Du sable. Ce dernier, même à travers ma botte, me paraît frais. J’en déduis, en plus de l’obscurité environnante, que nous nous trouvons dans une salle close, sans la moindre source de lumière ni de chaleur.

           Soudain, une main s’entrelace à la mienne. Des doigts fins m’enserrent et je me tourne aussitôt, reconnaissant Gojo Satoru.

— Qu’est-ce que tu fais ? je tonne en fixant le vide, ne discernant rien dans les ténèbres omniprésentes.

— J’ai… J’ai peur du noir, se justifie-t-il.

— Satoru.

— Oui ?

— Tu vois dans le noir.

           Un silence me répond. Nul ne pipe mot. Charles et Yevhen se contentent de patienter en silence tandis que le portail se referme, nous laissant dans l’obscurité complète.

— Et alors ? finit-il par demander au bout d’un silence embarrassant.

— Tu n’as pas besoin de saisir ma main.

— J’ai toujours besoin de saisir ta main.

— Ce qu’il ne faut pas entendre, soupire Charles, dans notre dos.

           Secouant vivement ma paume, je me dégage de celle de Gojo qui émet un couinement. À ce son, je roule des yeux avant de tourner sur moi-même, cherchant même la plus infime source de lumière afin de me guider. Mais les ténèbres sont totales.

           Les secondes s’égrènent sans que le moindre mot soit prononcé. Yevhen perd patience avant moi : 

— Gojo, étant donné que tu es le seul ici à voir dans l’obscurité, est-ce que cela te déchirerait de nous indiquer où aller ?

           L’intéressé ne répond pas. Il ne faut qu’une poignée de secondes avant que je ne perde patience à mon tour et crache : 

— Bon sang, qu’est-ce que tu fais de si important pour que tu ne nous répondes pas ?

— J’attendais de voir si, comme tu ne vois rien, tu allais me rentrer dedans par inadvertance, me répond-il avec une honnêteté bouleversante.

— Ta sincérité te perdra, Humain.

— Hybride, le corrige Gojo. Et je suis prêt à me perdre si cela me donne l’occasion de me rapprocher d…

           Sa voix meurt dans un couinement de douleur. Je devine que Charles vient de lui asséner un coup de serre. Je n’ai le temps de soupirer de lassitude que des mains saisissent mes épaules et un front se plaque contre mon omoplate.

— Protège-moi ! hurle Gojo en se cachant derrière moi.

— Et pourquoi je ferai une chose pareille ?

— Parce qu’il m’attaque.

— Et que feras-tu quand moi, je t’attaquerais ?

           À travers cette phrase, j’espère le convaincre de fuir. Mais, il se cramponne plus intensément encore à moi. D’abord agacée, je finis par m’estimer heureuse qu’il ne m’ait pas gratifiée d’une phrase telle que : “si c’est toi qui m’attaque, cela me convient”.

           Je commence à cerner les contours de cet individu. Il dessine un portrait précis. Celui d’un homme perturbé. 

— Loin de moi l’idée d’interrompre la séance de drague la plus méprisable du monde animal mais, une âme requiert secours, prononce Yevhen d’un ton ennuyé.

           Gojo émet un son que je ne saurai identifier. Mes sens vrillent aussitôt, soudain en alerte. Quelque chose ne va pas… Je ne peux cerner l’émotion que vient d’éveiller cette brève mélodie étouffée. Cependant, je suis consciente d’avoir bien compris ce qu’il se passe.

           Gojo nous cache quelque chose.

— Je vais vous permettre de voir, suivez-moi, déclare-t-il d’une voix soudainement sérieuse.

           Un claquement retentit. Aussitôt, la salle s’illumine. Une à une, des flammes bleues s’allument autour de nous. La première jaillit devant mes yeux. La seconde, dans mon dos. Petit à petit, une dizaine de bougies azur balaye l'obscurité. 

           Je redécouvre le visage de chacun, illuminé par cette lueur froide. Charles m’apparaît, sérieux. À sa droite, Yevhen se montre soucieux. Quant à Gojo, devant eux…

           Je ne saurai rien dire de lui. À part qu’il me regarde. Encore.

           Cependant, maintenant, son regard est plus intense qu’il ne l’a jamais été. Dans l'obscurité, les célestines brillent de mille feux. Éternels oxymores, elles se résument en une rivière de braises, des flammes gelées. À la frontière de l'invraisemblable, elles se disputent deux opposés, coexistant dans le désir de s'annihiler mutuellement.

           Est-ce l'intensité de ses prunelles ? Est-ce la douleur que je lis en ces pupilles ? Est-ce le bouclier qui se cristallise autour en un iris brutal ? Ou est-ce simplement lui, illuminé d’une lumière née dans son âme, la quintessence de sa magie ?

           Satoru… Je crois que je le vois pour la première fois.

           Sans un mot de plus, il se retourne. Je réalise alors que derrière lui se trouve une porte. À l’instant où il saisit la poignée verrouillée de cette dernière, j’observe la pièce nous entourant.

           Les murs de pierres sont poisseux, rendus noirs par une matière visqueuse mélangée de poussières qui grimpe autour de nous. Tout n’est que saleté et fraîcheur, ici. Même le sable sous nos pieds est sale.

— Où sommes-nous ? demande Charles.

— Je crois que nous sommes là où elle est retenue…

           Quand Yevhen prononce cette phrase, je suis son regard. Les bougies bleues se déplacent alors jusqu’au fond de la salle, illuminant un matelas posé sur le sol et traversé d’une large auréole brune, de la taille d’un corps. On y devine qu’une personne y a passé des semaines sans bouger, marinant dans sa propre crasse. Au-dessus, plantées dans le mur, de larges chaînes pendent dans le vide.

— Si nous sommes dans sa cellule, où est-elle ? demande Charles en se perchant sur une patte, se penchant entièrement pour observer de près les tâches sur le lit improvisé.

           Une force inconnue me pousse à tourner la tête vers Gojo. Il a la réponse à cette question, je le sais. Depuis que nous sommes arrivés ici, malgré ses blagues habituelles, quelque chose ne va pas. Je sais qu’il nous cache quelque chose.

           Dos à nous, debout devant la porte, l’elfe ne réagit pas.

— Satoru ? j’insiste en avançant d’un pas. Où est-elle ?

           Cependant, sans aucune réponse, il quitte la cellule.













































•    N  D  A    •

j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !

bah dis donc gojo, petit
cachotier


































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