𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟔
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C H A P I T R E 1 6
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— Tout ce chemin pour ça ?
Le dernier mot que prononce Yevhen est empreint d’une particulière déception mêlée de consternation. Les bras croisés sur ma poitrine, debout à sa droite, je contemple la bâtisse érigée devant nous dans un silence énigmatique.
Les mains sur les hanches, Satoru lève le nez dans un sourire étincelant. Quelques instants, mon regard s’attarde sur les cils blancs, affûtant son regard azur. Ce dernier luit telle une coruscante lueur au milieu de la nuit, un phare dans l’obscurité. Il fait pourtant jour.
— Juste quand je commence à songer que les humains ne peuvent pas me décevoir davantage, ils y parviennent ! s’indigne Charles en observant les marches de marbre jaillissant du sable doré du désert, à quelques pas de nous.
Mon regard se porte sur les sculptures d’Hestia et Hebe, déesses du foyer et de la santé, qui encadrent l’imposante porte gravée de feuilles de laurier. Une délicate fragrance s’élève de l’entrée, embaumant nos narines.
— Cet endroit fait pourtant partie des plus beaux du désert ! s’exclame Gojo en observant les remparts jaillissant de cette imposante porte et s’étendant à perte de vue.
— Mais on s’en fout de ça ! s’exclame Yevhen dans un soupir, pinçant l’arête de son nez. Tu nous as emmenés aux thermes moraïennes ! On était censé partir en mission ! Est-ce que je peux savoir ce qu’on fout là ?
Pinçant les lèvres, Satoru hausse les épaules, visiblement imperméable à la colère des deux mâles.
— Il me faut un Sagittaire pour savoir où nous nous rendons et un Taureau pour nous téléporter là-bas…
— T’es pas Sagittaire, toi ? s’enquit Yevhen dans un haussement de sourcil.
— Oui, mais… Comment le phraser délicatesse ?
L’hybride hésite un instant.
— Je chie sur votre Ordre et vos pouvoirs magiques à la con et je préfère me faire cuire l’oreille que de me servir de sorts plébiscités par des abrutis congénitaux, sourit-il en dévoilant toutes ses dents.
— RÉPÈTE UN PEU ?
Dans un rire, Satoru s’élance vers la porte, Yevhen sur les talons. Les bras écartés, il sautille jusqu’aux marches des escaliers, ses longs cheveux ondulant en une cascade d’ivoire dans son dos.
— Je vous emmerde, hehe !
— JE VAIS TE FRACASSER, SALE ELFE DE MES D…
Soudain, Yevhen se tait. Ses yeux s’écarquillent lorsqu’il pose ses mains sur son ventre, se pliant en deux avant de tomber à genoux. Satoru contemple un instant la figure vacillante de l’humain avant d’éclater de rire. Yevhen s’évanouit.
Puis, le pointant d’un doigt moqueur, il revient sur ses pas et atteint notre hauteur :
— Oh le nul ! Eh, il est trop nul ! Booouh ! Venez, on le hue ! Il est tr…
Un claquement. Gojo s’effondre à son tour. Le cou de Charles se tend brutalement tandis qu’il regarde autour de lui, prêt à parer la prochaine attaque. Mais cela est complètement inutile, je le sais. À peine quelques secondes plus tard, ’oiseau s’effondre à son tour.
J’observe le corps du rapace quelques instants, sentant une aura crépitante flâner autour de moi. Un instant, je songe à la laisser venir, rester immobile tandis qu'elle m’attaque, d’imiter les autres et de m’effondrer. Ne pas me défendre.
Seulement mon regard se pose sur le visage endormi de Yevhen. Il a énormément grandi, depuis notre dernière rencontre. Ses traits se sont durcis, ses cheveux ont poussé et sa mâchoire s’est affirmée. Pourtant, lorsque je le vois endormi de la sorte, sa candeur me frappe.
“Bonjour, maman.”
Il restera toujours cet enfant, à mes yeux.
Une bulle de chaleur éclot dans mon ventre. Il me faut quelques instants pour réaliser qu’il s’agit de colère. La vision de Yevhen, inconscient après avoir été attaqué lâchement, me gonfle de rage.
Malgré mon émotion, ma voix ne tremble pas lorsque je déclare :
— Ses chaînes m’affaiblissent certes. Mais pas assez pour me rendre aussi peu puissante que toi.
Nettement, je sens une aura crépitante tourner autour de moi. Elle ne m’attaque pas immédiatement, comme les autres. Elle sait pertinemment qu’elle ne pourra pas me maîtriser aussi facilement qu’elle l’a fait avec eux.
Alors, elle hésite. Elle a toujours hésité.
Je me demande si elle a hésité de la même façon, le jour où elle a décidé de trahir ses valeurs et d’enfanter Sullyvan dans un sort monstrueux qui condamna ce dernier à une existence maudite.
— Je te sens hésiter, courant autour de moi. Ne te peine pas de la sorte… Tu ne seras jamais assez rapide, Mael.
L’aura bouge autour de moi. Elle tournoie à une cadence la rendant imperceptible. Cette aura appartient à Mael Mais cette dernière court si vite qu’elle n’est pas visible à l'œil nu. Cependant, qu’importe son allure, je peux sentir sa magie.
— Et ceci est un comble… Après tout, les Balances sont censées contrôler le temps. C’est pour cette raison que tu es si rapide… Mais, peu importe ta rapidité, je sens ta magie.
Un sifflement vrille à côté de mon oreille. D’un geste las, je propulse la chaîne autour de mon bras et tire brutalement dessus. Aussitôt, quelque chose la bloque. Ses maillons viennent de se refermer autour d’une proie solide.
Devant moi, agenouillée au sol, l’imposante chevelure de feu de Mael tombe sur ses épaules. Ses longs doigts diaphanes saisissent désespérément la chaîne enroulée autour de son cou, tentant de s’en défaire. Mais ma prise est trop forte.
En une fraction de seconde, je l’ai attrapé avec ma propre chaîne.
— Ne te fatigue pas. Les chaînes sur mon armure sont les chaînes de Marlow. Elles te privent de tes pouvoirs. Tu ne pourras pas t’en défaire grâce à la magie.
Aussitôt, un soupir contrit franchit les lèvres de Mael. Baissant la tête, elle contemple le sable devant elle.
— Pourquoi nous avoir attaqués ? je demande en contemplant les silhouettes endormies des trois mâles.
Entre les doigts de Mael s’enroulent les chaînes d’un pendule. Je reconnais là l’outil de prédilection des balances. La plupart des signes peuvent user de leur pouvoir sans catalyseur et les balances ne dérogent pas à cette règle. Cependant, leur puissance est décuplée s’ils se parent du collier adéquat.
J’esquisse un rictus en contemplant la surface blanche du pendule.
— La pierre de lune ? Comment veux-tu me vaincre avec un collier en pierre de lune ?
Ses doigts s’écartent et le bijou tombe dans le sable. Elle ne fait rien pour le rattraper. Je réalise alors que ce pendule n’est pas n’importe lequel.
— Je voulais l’utiliser une dernière fois… Avant de le rendre à son véritable propriétaire.
Une chaîne argentée, une pierre de lune taillée en cône et enrobée, en sa pointe, de lourds ornements de métal percés de sélénite. Je reconnais ce collier.
Il s’agit de celui de Lycus. L’ancienne prêtresse Cancer. Une femme ayant perpétré un massacre violent sur la population sephtis. Un monstre ayant amassé autour d’elle une armée de femmes, les sisnasas, afin d’imposer son règne de terreur sur le monde…
…La mère de Gojo Satoru.
— Elle m’avait donné son pendule, quelque temps avant son décès. Je… J’aimerais le rendre à celui à qui il revient de droit… Je n’en suis pas digne.
Son regard se pose sur la figure endormie de Gojo. Une bulle se forme dans ma gorge et je n’arrive pas à l’avaler, déglutissant péniblement en contemplant le pendule sur le sable.
— Elle t’avait donné ce pendule ?
Mael acquiesce, baissant les yeux. Cependant, je distingue aisément ses larmes. La vérité me frappe alors, brutale.
Mael, désespérée à l’idée d’avoir un enfant, avait utilisé la magie noire aux côtés de Lycus afin d’en façonner un. Ce dernier, né d’un sortilège maudit, est né au Tartare, le plus sombre endroit des Enfers. Et, il y a grandi.
Tout ce temps, j’ai songé que seul une envie d’un pouvoir encore plus grand, de façonner un objet issus des ténèbres pour mieux les instrumentaliser, les avaient poussés à de telles extrémités.
Jamais je n’avais réalisé que Lycus et Maël s’aimaient.
— Tu as fait savoir que tu comptais me tuer. J’accepte ma destinée, déclare Mael en baissant les yeux. Tues-moi.
Je contemple longuement les larmes coulant entre les cils de feu de la femme. Son épaisse chevelure forme un voile qui pare ses frêles épaules. Mais, quelque part, je sais que nulle étoffe ne saura jamais apaiser la glace qui a germé en elle.
Ma main se pose sur le pommeau de mon épée.
— Pourquoi avoir créé Sullyvan ? Pourquoi l’avoir fait venir au monde en sachant quel était le prix à payer ? Vous avez échangé une vie contre une autre, tué quelqu’un afin de le faire naître. Si tu voulais véritablement enfanter, pourquoi ne pas avoir fait comme tous les infertils du royaume et consulté un druide ? Pourquoi être allé aussi loin ? Vous aviez des solutions pour que votre enfant soit le fruit de l’amour, pourquoi en avoir fait le fruit de la haine ?
Malgré ses larmes, un sourire peu convaincu étire les lèvres de la femme. Sans même lever les yeux vers moi, d’une voix monotone où je devine sa douleur, elle déclare simplement :
— Oh, je t’en prie… Tu as beau te dissimuler sous cette capuche, tu ressembles plus à moi, à Lycus qu’à n’importe lequel de tes protégés. N’as-tu jamais accompli un acte de haine ?
Mon menton se hausse quand ma mâchoire se contracte. Je sais exactement à quoi elle fait référence.
— Tu sais pertinemment ce qui pousse un être à se détourner du chemin de l’amour pour privilégier celui de la haine. Il n’y a qu’un pas entre ses sentiers. Un seul pas comparé aux milliers de kilomètres que nous avons franchis en vain, lorsque nous tentions de faire le bien.
Je la dépasse, l’abandonnant dans mon dos. Ma chaîne glisse sur son cou, desserrant la prise sur sa gorge et chute sur le sable et traînant dans mon sillage. J’avance sans un regard pour elle.
Je ne la tuerai pas aujourd’hui.
Mais, Mael ne s’en contente pas.
— Le sait-il ? demande-t-elle soudain dans un rire provocant.
Sans me retourner, je cesse de marcher. À mes pieds, le corps inerte de Gojo est étendu.
— Lui qui maudit la Pythie des Âmes pour le massacre de son peuple, lui qui espère l’occire, lui qui demande sa chute chaque soir avant d’aller dormir… Sait-il qu’elle se trouve à côté de lui en ce moment-même ?
Mes yeux s’écarquillent sous ma capuche et je regarde par-dessus mon épaule, croisant le regard injecté de sang de Mael. Un rire incontrôlable secoue sa poitrine.
— Dis-moi, Pythie des Âmes… Que s’est-il passé pour que tu choisisses la haine, cette nuit-là ?
Mes mains tremblent sous mes chaînes. Je lutte contre le spasme violent qui glisse le long de ma colonne vertébrale.
— Tu veux que j’explique mon geste à Sullyvan… Mais serais-tu capable d’expliquer à Satoru pourquoi tu as massacré son peuple ? Lui qui semble si curieux à propos de tes chaînes, comment réagirait-il s’il découvrait que la raison pour laquelle lui seul peut les retirer est qu’elles sont une punition pour ce que tu lui as fait ?
Sa tête se secoue dans un mouvement hystérique.
— Ne me fais pas la morale, Pythie. Tu as fait sombrer ton visage et ton nom dans l’oubli, mais les Dieux, eux, n’ont pas oublié.
M’accroupissant à hauteur de Satoru, je glisse mes bras sous son corps gisant. Puis, le soulevant, j’ignore le rire machiavélique de Mael, dans mon dos.
La tête de l’elfe roule sur mon épaule. Ses bras tombent autour de mon corps. Il dort profondément. Cette fois-ci, je sais qu’il ne prétend pas être inconscient. Il l’est réellement.
Il n’a rien entendu de notre conversation.
— Je ne suis pas devin, mais voici ma prédiction…
Le gardant contre moi, je me tourne vers la femme hilare, encore à genoux.
— Le démon immortel que tu es va s’éteindre. Et celui qui soufflera la flamme de ta vie est l’être que tu tiens dans tes bras.
Ses doigts se referment sur le pendule. Elle semble savourer chaque instant de ce moment. Mais, je brise son rire d’une phrase.
— Je le sais. Et c’est précisément la raison pour laquelle je compte lui faire passer un pacte sacré, ici, aux thermes.
Sa réaction est immédiate. Son sourire fond et ses yeux s’écarquillent.
— T… Tu vas conclure avec lui un… pacte des thermes ? Dans les eaux sacrées ?
— Il va jurer de tuer la pythie des âmes.
Mael croyait me narguer en brandissant le fléau de la mort au-dessus de ma tête. Cependant, cela fait des années que je tente d’en finir avec cette sombre existence.
Mon regard se pose sur le visage endormi de Satoru. Il est la clé.
— Oui. Ce soir, nous conclurons le pacte des thermes.
• N D A •
j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !
il a été particulièrement
riche en révélations.
vous savez maintenant
ce que signifie le titre
♡
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