𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟓











C  H  A  P  I  T  R  E   1  5





















           Il ne m’est pas utile de me retourner. Je sais pertinemment qui vient de s’adresser à moi de cette voix grave et douce, presque feutrée. Je ne connais qu’une seule personne capable de prononcer des mots d’une façon si délicate que sa gorge semble engluée dans du miel. La première fois que je l’ai entendu, j’ai d’ailleurs songé que le timbre de ce garçon ne sied pas à son pouvoir sulfureux.

           Aujourd’hui, il n’est plus un adolescent ingénu qui tente de maîtriser un pouvoir de feu. Il est un homme passé maître dans son art.

— Bonjour à toi aussi, Yevhen.

           Page Ancestral Bélier. Disciple d’Arès. Pouvoir magique consistant en une force surhumaine.

           Me retournant, je découvre le visage de l’adulte qu’il est devenu. De longs cheveux noirs tombent devant un visage aux traits fins, marqué d’une peau hâlée. Entre de longs cils d’ébène, deux iris taillés dans de l’obsidienne me dévisagent, emprunt d’une noirceur dénuée de toute haine. Ce n’est pas là le regard d’un guerrier enragé, contrairement à ce que les légendes prétendent. Cependant, la réalité quant à ses yeux est subtile à déterminer.

           Yevhen a les prunelles de l’adolescent qu’il était. Mais plane sur ses pupilles les ténèbres de l’adulte qu’il refuse de devenir.

— Maman…

           Son œil droit s'humidifie et il bat des paupières, tentant de chasser la larme le picotant. Comprenant qu’il n’y parviendra pas, il tourne la tête sur le côté et s’éclaircit la gorge.

— J’ai entendu dire que tu étais venu au bal organisé en notre honneur, au palais.

— J’ai entendu dire que toi, tu n’y étais pas venu, je fais remarquer en réajustant le corps de Satoru sur mes épaules.

— J’avais mieux à faire.

— Je n’en doute pas.

           Aux yeux des Pages Ancestraux, nettoyer les pavés de toute une ville à l’aide d’une unique brosse à dent est une tâche plus intéressante qu’une soirée au palais impérial. Ils y ont passé leur enfance enfermés : la plupart d’entre eux font tout pour ne pas y retourner.

           Devant moi, Charles continue de descendre les escaliers. Les émeus se sont détournés de nous, vacant à leurs occupations. J'emboite le pas de leur chef et entends Yevhen nous suivre.

— Que fais-tu donc dans cette cave souterraine ? je demande alors que nous atteignons la fin des escaliers.

           Soudain, je me sens plus légère et un vent frais se presse à ma nuque. Aussitôt, je réalise qu’on vient d’ôter le corps de Satoru de mes épaules. Yevhen me dépasse, portant Gojo d’une seule main, avant de rejoindre Charles qui désigne un amas de paille, enfoncé dans le sable. Le prêtre bélier y dépose le croisé elfe.

— Tout pour frimer, hein ? commente l’émeu en constatant avec quelle facilité le mage déplace cette charge lourde.

— Je suis arrivé dans cette cave après que Noovcaharon ait fouillé dans mon avenir. Elle a vu que je te croiserai ici alors, je suis venu, me répond Yevhen en ignorant sciemment la remarque de Charles.

— Tu souhaitais à ce point me revoir ?

— On le souhaite tous. Te souviens-tu de notre dernière rencontre ?

           Il baisse la tête. Je lis dans la courbure de son échine qu’il est encore secoué par la façon dont l’armée impériale m’avait arrêtée, à l’époque. Cependant, il ne dit rien. Cela m’étonne même. Il ne me demande même pas si j’ai réellement commis le crime dont j’ai été accusée.

           Dans un soupir, il se laisse choir sur un imposant rocher de cornaline. À sa gauche, Charles s’y installe aussi, adoptant une position lui donnant l’air d’un cou planté sur un coussin de plumes. Regardant autour de moi, je réalise l’incongruité du décor nous entourant.

           Tout n’est que cornaline. Les escaliers menant au souterrain, les stalactites jaillissant du toit, les rochers en formes de chaises où des rapaces sont installés çà et là et même les grains semblables à du sable, sous nos pieds. Derrière nous, un gigantesque lac doré s’étend à perte de vue. Il ne fait pourtant pas sombre, ici. Des colonnes de lumières percent la voûte au-dessus de nos têtes, illuminant par moment nos visages. Et, à ce qui semble être des kilomètres au-dessus du lac, les rochers formant le plafond disparaissent pour laisser place au ciel.

— Si tu veux que l’hybride se réveille, tu vas devoir agir, fait remarquer Charles en désignant Satoru du menton. L’eau du lac est infusée en citrine, elle pourra faire effet.

— Je ne vais pas le réveiller. Je t’ai dit que j’irais chercher la femme seule.

— Hors de question, tonne Yevhen en secouant la tête.

— Je vaux vingt hommes de ta puissance.

— Pas avec ces chaînes.

— Avec ou sans ces chaînes, elle vaudra à jamais vingt pages ancestraux, résonne soudain une voix, à ma gauche.

           Vivement, nos trois têtes se tournent vers Satoru qui affiche un sourire brillant. Un coude planté dans la paille, sa tête logée dans sa paume et étendu sur le flanc, il nous observe de sa moue espiègle.

           À moins d’un traitement magique, personne ne peut se réveiller après avoir été assommé par une force ancestrale… Cela signifie qu’il n’a pas été inconscient la moindre seconde.

— Je rêve où tu as fait semblant de dormir ? demande Charles, hébété, tandis que l’elfe s’étire de tout son long dans un bâillement intense.

— Euh… Oui.

           Mes dents se serrent brutalement.

— Je t’ai porté sur une cinquantaine de mètres ! je m’exclame, posant ma main sur mon épaule endolorie tout en fusillant l’homme du regard.

— À ce propos…

           Louchant sur ses doigts, il pose le bout de son index droit sur le bout de son index gauche, gardant les pouces vers le ciel et le reste des doigts pliés.

— …On est quoi, nous deux ?

— Arès tout-puissant, soupire Yevhen en pinçant l’arête de son nez, fermant les yeux dans une moue consternée.

— Quoi ? je crache avec animosité.

— Je veux dire… Tu m’as porté sur ton dos dans la canicule du désert. Malgré le danger environnant, tu as veillé à mon transport et à ma sécurité, je…

           Face à nos trois pairs de yeux atterrés, il se racle la gorge et se redresse.

— Ce que je veux dire, c’est que c’était une curieuse façon de me demander de t’épouser, mais… J’accepte.

           Ulcérée, je ne sais que répondre. Face à mon mutisme, le sourire de Satoru s’agrandit : 

— Tu es émerveillée par mon audace ?

— J’aurais dû te laisser pour mort au milieu du désert.

           Je fais mine de ne pas remarquer les rougeurs qui teintent ses joues lorsqu’il détourne le regard. Ce gars-là a décidément quelque chose qui cloche chez lui, mais je ne suis pas payée pour le découvrir, alors je vais me contenter de l’ignorer.

Tu comprends mieux pour quelle raison j’ai décidé de déclarer la guerre aux humains ? Vous avez vu quel genre de spécimen, vous traînez dans vos rangs ?

— Je comprends ton choix, mon ami, répond Yevhen à Charles, arborant une mine solennelle en posant la main sur le cœur. 

           Satoru ne s’en formalise pas et se dresse soudainement sur ses deux jambes. 

— Quoi qu’il en soit, je refuse que tu exécutes cette mission seule, avec ou sans tes chaînes, reprend-il en secouant ses jambes engourdies.

— Tu ne peux rien me refuser.

           Un rictus étire ses lèvres.

— Tu me connais si bien… Oui, je ne te refuses rien. Demande-moi le monde et tu l’auras, rit-il en m’observant avec douceur. Mais jamais, je ne t’autoriserai à mettre en danger ta sécu…

           Sa voix meurt dans sa gorge à l’instant où son corps s’effondre entre Charles et Yevhen qui le contemplent quelques secondes. Leurs yeux se posent ensuite sur mon poing fermé que je viens d’abattre sur la joue de Gojo.

           À quel moment s’est-il imaginé qu’il pouvait m’autoriser quoi que ce soit ?

— Là, vous pouvez être sûrs qu’il dort pour de vrai, je souligne dans un mouvement de menton.

           Charles soupire avant de plonger l’une de ses pattes dans le sol, creusant le sable. Puis, saisissant entre ses serres une poignée de cornaline, il la jette au visage de Satoru qui tousse aussitôt, se réveillant en sursaut.

           De la poudre rouge macule ses longs cheveux blancs et il secoue la tête, essayant de se défaire des granules pourpres. J’admire ce processus. Les pierres des régions souterraines du désert sont connues pour leur puissance mais je n’avais encore jamais vu d’effet aussi rapide.

— Tu souhaites encore goûter mon poing ? je demande en croisant les bras, fusillant Satoru du regard.

— Ce serait étrange si je disais que oui ?

— Bien sûr que oui ! s’exclame Yevhen, déboussolé.

           L’hybride hausse les épaules, visiblement peu intéressé par la réaction du mage. À sa gauche, Charles tapote le sol du pied, commençant visiblement à perdre patience.

— Écoutez, je ne fais pas venir beaucoup d’humains sur mes terres et encore moins plusieurs en même temps. Alors, hâtez-vous d’expliquer votre venue.

— Ils l’ont déjà expliqué, gros pigeon. Il la suit et elle m’accompagne pour mener une mission. Suis un peu, soupire Satou en observant ses ongles sans grand intérêt.

— GROS PIGEON ? MAIS QUI ES-TU, SOMBRE HYBRIDE INUTILE ?

— Et bien, tu viens de le dire… Je suis un sombre hybride inutile, sourit-il avec malice.

— JE VAIS TE…

— Charles, je tonne fermement.

           L’émeu se tourne brutalement vers moi, son cou se tordant presque.

— Nous voulons secourir une femme. Tu en es ou non ?

— Vous ne trouverez jamais Sullyvan et Maël à temps pour exercer cette mission, fait remarquer Yevhen en acquiesçant à ses propres dires. J’accepte de vous rejoindre à leur place.

— Ça tombe bien, parce qu’on ne t’a rien demandé ! s’exclame dans un rire Satoru, attirant un caquètement de Charles.

— T’es pas des nôtres, petit mage ! Eh oui ! Tu n’es qu’un humain de…

           Gojo coupe aussitôt la parole de l’émeu : 

— Rectification. Puisque ça a l’air de faire chier le gros pigeon, j’accepte ton invitation à nous rejoindre.

— JE NE SUIS PAS UN PIGEON ! ESPÈCE DE SALE HYBRIDE DE M…

— Coo-roo-coo-coo…

— VENGEANCE ! hurle l’émeu en entendant Satoru imiter le roucoulement du pigeon.

           Je soupire quand Gojo se met à courir à vive allure, ses cheveux blancs volant derrière lui, tandis que l’oiseau le poursuit. Ses congénères observent la scène sans grand intérêt, s’approchant du lac pour s’y désaltérer. 

           À ma droite, Yevhen semble aussi dépasser que moi. Un soupir le prend : 

— Faire équipe avec Satoru… Tu es sûre que c’est une bonne idée ?

— Je suis sûre que c’est une idée absolument idiote.

           Sur ces paroles, je rejoins la course-poursuite, me plaçant au centre du cercle qu’ils tracent en se poursuivant. Ils ne sont plus qu’un amas de ligne de couleur filant à toute vitesse autour de moi. Je soupire en entendant leur conversation.

— Tu ne peux pas m’attraper, hehe !

— JE VAIS TE FAIRE PAYER TON AFFRONT, SALE HYBRIDE !

— Roo-coo-coo, oh le pigeon !

— JAMAIS JE NE REJOINDRAI TA QUÊTE ! JE FERAIS TOUT POUR QUE TU RATES, D’AILLEURS !

— Et qu’est-ce que tu vas faire ? Pondre des œufs et fienter sur mon crâne ?

— JAMAIS… ÉCOUTE MOI BIEN ! JAMAIS JE NE VOUS AIDERAI !

           Un soupir franchit mes lèvres que j’ouvre, prête à mettre un terme à cette dispute idiote. Ils me donnent le tourni.

— LE JOUR OÙ JE VOUS REJOINDRAIS SERA LE JOUR OÙ J'ACCEPTERAIS D'ÊTRE HUMILIÉ SOUS LE REGARD ENRAGÉ DE MA PROPRE POPULATION ! PLUTÔT LA TORTURE QUE LA SOUMISSION A LA RACLURE DE…

— Nous allons tuer un humain extrêmement puissant, je l’interromps d’une voix calme.

— Je suis des vôtres.

           Droit comme un “I”, Charles a cessé de courir. Le cou tendu, il m’observe avec attention. Satoru cesse à son tour de bouger, déboussolé par ce brusque revirement de situation. L’elfe m’observe, médusé par la rapidité avec laquelle j’ai convaincu un émeu résigné. Une lueur d’admiration naît dans ses yeux bleus.

           Ses joues rougissent.

— Enfuis-toi avec moi.

— Boucle-la, Gojo.

           Un rire franchit ses lèvres. Mais, Charles le couvre aussitôt dans un caquètement bruyant, agitant des ailes pour attirer notre attention.

— Partons sur le champ, nous avons de la route à faire !

           La tête haute, le rapace marche d’un pas confiant, s’éloignant de nous. Ni Yevhen ni Satoru ne le suivent. Nous trois demeurons debout, l’observant quitter sa tanière souterraine.

— Sait-il où on va ? Quelles direction nous devons prendre ? demande le mage.

— Pas du tout, répond l’hybride.

           Un soupir franchit mes lèvres.

           Cette mission va être pénible.

























•    N  D  A    •

j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !

encore désolée pour mon
oubli la semaine dernière
j'ai fais un chapitre plus long
pour me faire pardonner !

































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