𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟏








C  H  A  P  I  T  R  E   1  1


























           Les bras croisés sur ma poitrine, j’observe en silence le crâne décapité de l’homme posé devant moi. Une flaque de sang s’est formée sous la chair en lambeau, gondolant la table de bois. Quelques tâches violacées jalonnent ses lèvres et ses pommettes en sombres pétéchies.

           Devant moi reposent mes jambes, sur une chaise. À me voir ainsi, n’importe qui pourrait se méprendre et me croire endormie. L’ouïe en alerte, je suis pourtant prête à dégainer au moindre son.

— Des heures que tu passes ainsi à regarder le crâne de cet homme…, déclare une voix dans mon dos. Crains-tu ta rencontre avec son maître ?

           Doucement, je replace mes jambes sur le sol. Mora surgit alors devant moi et s’assoit sur le siège à présent libre. J’inspire à plein poumon son odeur de chanvre et remarque les cuticules qui étincellent au bout de ses doigts. Elle sort d’un rituel.

— J’ai aidé la pauvre Mélissa à dormir, ajoute-t-elle sans attendre de réponse à sa question, sachant pertinemment que je ne la lui apporterai pas.

           Acquiesçant lentement, je reporte mon attention sur les yeux révulsés de l’homme.

— Gojo Satoru arrivera dans la nuit, m’informe-t-elle.

— Depuis le Palais Impérial ? Je vois que je ne suis pas la seule à avoir recours à des astuces interdites.

           Le palais est à plusieurs jours de carrosse d’ici. À moins de demander à une personne de signe Taureau de créer un portail de téléportation pour nous rejoindre en quelques secondes, il ne peut pas faire autant de chemin d’ici à ce soir.

           Mora ne rétorque rien. Seul un soupir franchit ses lèvres. 

           Les pouvoirs que l’on peut développer grâce aux signes astrologiques sont très puissants. Afin d’éviter des débordements, l’Empire interdit formellement l’utilisation de la magie. Seuls sont habilités à se servir de leur pouvoir les personnes possédant une dérogation. Ni Gojo ni moi n’en avons jamais obtenu.

           Mes sourcils se froncent. Quelques images de nos entrevues me reviennent. Je me souviens nettement de ses yeux éthérés qui brillaient dans l’obscurité naissant de sa personne… Manier les ombres et la lumière n’est pas un pouvoir du zodiaque. Il a dû hériter cela de son ascendance elfique. Mais, je ne connais quasiment rien des pouvoirs des Elfes.

           Depuis le massacre du clan Gojo, l’espèce est éteinte. N’en reste qu’un hybride, né d’un père humain. 

           Satoru.

— Quel est le signe astrologique de Satoru ?

— Sagittaire.

           Je ne suis pas étonnée que Mora connaisse cette information.

— Ainsi, il est capable de divination ? 

           Ses épaules se haussent.

— Il n’a jamais entretenu ce don, il le juge inutile.

— Bien.

           Mon regard se fait sombre, sous ma capuche. Satoru est un ignare. Cependant, il en est mieux ainsi. Je préfère savoir qu’il se tient à l’écart de ce genre d'aptitude.

           C’est une voyante, un monstre capable de divination, la Pythie des Âmes, qui a tué son peuple. Je n’ose imaginer ce qu’il ferait de ce pouvoir, par simple désir de vengeance.

— Comptes-tu lui rendre la tête de son soldat ?

           J’acquiesce. Ma haine pour cet homme ainsi que son acte ne passera pas avant la volonté de celle qui l’a subie. Mélissa souhaite qu’il soit remis à sa famille.

— Puis-je te poser une question ?

— Je t’en prie, j’encourage Mora, les bras toujours croisés.

— Pourquoi la tête ?

           Je ne peux empêcher d’esquisser un rictus. La doyenne n’est pas une femme particulièrement expensive dans sa curiosité. La plupart du temps, elle cherche à satisfaire ses questions seules. Cependant, certaines interrogations doivent être posées.

— Parce que c’est facile à transporter.

— Juste pour ça ?

— Juste pour ça.

— Certains pensent que tu cherches simplement à effrayer tes adversaires.

— Nous deux savons que pour effrayer mes adversaires, il me suffirait d’ôter cette capuche.

           Mora est l’unique personne qui n’a jamais cillé devant mon visage. Elle est aussi l’une des deux seules personnes encore en vie à le connaître.

           Nous demeurons silencieuses un moment. Puis, la doyenne finit par se lever.

— Ton invité est là, déclare-t-elle doucement. Je vais vous laisser.

           Je la remercie d’un hochement de tête. Le bout de mes doigts est parcouru de fourmillement et une vague de chaleur coule le long de mon dos.

           Je ressens aussi sa présence.

— J’oubliais…, me rappelle Mora avant de sortir du couloir. Charles est revenu dans la région.

           Ma mâchoire se contracte.

— Je m’en occuperai.

           Elle acquiesce avant de tourner les talons. À ce geste, son long foulard blanc s’enroule autour de son corps dans un froissement d’étoffe aérien. Le tissu tombe alors au sol. Mora a disparu. Bientôt, le linge blanc se dissipe à son tour. Elle s’est téléportée.

           Mon regard s’attarde quelques instants sur l’endroit où elle se tenait encore, une poignée de secondes auparavant. Quand une voix résonne dans mon dos : 

— Je nous croyais plus proches que ça… Tu n’as même pas fait un joli paquet pour mon cadeau ? 

           Satoru apparaît dans mon champ de vision, me dépassant. Aussitôt, mon regard se voit attiré par sa crinière tissée à même le sélénite. Ses longs cheveux de givre coulent entre ses omoplates drapées d’une cape de soie pourpre. À la manière d’une colonne de lumière tranchant le sol ensanglanté d’un champ de bataille.

           Tirant une chaise, le mage se laisse choir dedans dans un mouvement d’une grâce telle qu’un instant, je songe que la gravité a dû se suspendre. Quelques éclats de magie scintillent d’ailleurs autour de lui, flottant en poudre irisée au moindre de ses gestes.

           Lorsque Satoru bascule la tête en arrière, j’aperçois mieux le visage que je n’ai pas pris le temps de regarder réellement avant cela. À chaque fois que je le croise, mes yeux se voient irrémédiablement absorbés par les siens, coruscantes célestines affûtées de cils de givre. Cependant, aujourd’hui, je note surtout la forme de ses lèvres pleines, la façon qu’elles ont de sourire.

           Il sourit. Comme s’il n’était pas devant la tête décapitée d’un de ses soldats.

— Comme le monde est petit ! Nous nous recroisons déjà ! Je me demandais quand nos routes se rencontreraient à nouveau.

— Tu ne vas pas me dire que je te manquais  ? je raille tandis qu’il étend ses jambes et les pose sur la table, poussant au passage la tête de l’homme qui roule avant de tomber au sol dans un bruit sourd.

           Une lueur de défi brille dans son regard. Mettant ses pieds sur la table, paradant fièrement dans son impolitesse, il cherche à me provoquer. Mais, je me fiche royalement du mobilier.

           Tournant la tête sur le côté, j’observe la vue que m’offre ce balcon intérieur. En  bas, autour du bassin principal exposé au ciel, s’affairent des servantes. Quelques femmes s’y prélassent en dégustant des fruits, levant le nez pour mieux s'émerveiller devant la pluie d’étoiles jalonnant le ciel.

— Et si je te dis que je brûlais d’envie de te revoir ? me provoque-t-il, sans doute frustré de n’avoir aucune réaction.

— J’en dirais que tu n’as jamais pris le temps de régler tes problèmes avec ta mère.

           Ses lèvres se pincent et il penche la tête sur le côté dans un rictus amusé.

— Je le cède, celle-ci est méritée.

— Tu veux un conseil ?

— De toi ? J’en prendrais une vingtaine, sourit-il d’un air narquois qui ne me fait pourtant pas douter de la sincérité de sa remarque.

Mène tes propres combats. Ceux de ta mère l’ont tuée. Inutile d’en hériter.

           Un rire franchit ses lèvres et il repose ses pieds au sol. Plantant son coude dans la table, il cale son visage sur sa paume, m’observant dans un sourire doux.

           Les bras toujours croisés, je ne bouge pas. Inerte face à son regard pénétrant, je ne cille pas derrière ma capuche noire. Il aime me dévisager comme s’il savait ce qu’il se trouve en dessous. Cependant, il n’en a pas la moindre idée.

— Mais comment faire quand ce combat semble si intéressant ? susurre-t-il dans le silence des lieux.

— Tu ne le gagneras jamais.

— Peut-être que ça n’importe pas. Peut-être que je souhaite simplement le vivre.

           Mes yeux roulent dans mes orbites.

— Tu mourrais de ma main pour cette simple expérience ?

           Sa main saisit la mienne. Je réprime le sursaut qui me secoue quand ses doigts s’entrelacent aux miens. Sa peau glisse sur mes gants et nos paumes liées frôlent ses lèvres. De sa bouche, il joue en m’effleurant sans jamais me toucher.

— Je mourrais de ta main pour bien moins que cela.

           Mes yeux se plantent dans les siens tandis que je tente de percer le sens caché de ce message. Il maintient ce contact visuel, bien qu’il ne voie rien de mon visage. Je m’efforce de ne pas retirer ma main de la sienne, ne voulant reculer. Cela le contenterait.

           Au bout d’un moment, il s'avoue vaincu et me relâche dans un soupir. 

— Tu es coriace.

— Si tu crois être une bataille, tu n’as aucune idée de ce qu’est un véritable combat, je soupire face à l’égo démesuré d’un mage convaincu qu’une guerrière peinerait à tenir sa main.

           Il rit doucement, sa tête basculant sur le côté.

— Me résister l’est.

— Ce qu’il ne faut pas entendre…

— Je me demande ce qu’en pense réellement la femme sous cette capuche.

— La femme sous cette capuche pense qu’elle est capable de te défigurer et qu’elle le fera volontiers si cela est le prix à payer pour que tu te taises.

           J’ignore sciemment la teinte rosée que revêtent les joues de Satoru et observe le crâne au sol.

— Pourquoi tu es venu si ce n’est pas pour payer tes respects à ce soldat ?

           Il ouvre la bouche. Je le devance aussitôt : 

— Dis que tu es venu parce que je te manque et je te pulvérise.

           Ses lèvres se pincent en une moue vexée. Posant son regard sur le sol, il marmonne : 

— C’est pas du tout ce que j’avais prévu de dire.

           C’est absolument ce qu’il avait prévu de dire.

           Abandonnant sa mine frustrée, il étend ses jambes sous la table et s’enfonce dans sa chaise.

— À vrai dire, j’ai un travail pour toi.

































•    N  D  A    •

on entame une petite
mission ensemble ??














































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