𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟐


















𔘓

C  H  A  P  I  T  R  E    5 2

𔘓


























































           Je crois que jamais je n’avais entendu de silence si bruyant.

           Sur ma poitrine, mes bras croisés tentent de ramener à mon corps chaque parcelle tentant de le fuir. Ma respiration, mes pensées, mes idées, mon identité… Rien de tout cela n’est certain. Je crois que je pourrais perdre ce qui constitue ma personne, l’essence même de mon être.

           Tout est en suspens. Rien n’est sûr.

— Vous êtes bien culottée de revenir ici, après ce que vous avez osé faire.

           Pour la première fois, je suis d’accord avec la mère Harold.

           Je crois que je n’étais pas tout à fait maîtresse de mes émotions ni capable de prendre de décision sensée, lorsque j’ai composé le numéro d’un service de taxi. Et je l’étais encore moins quand, me glissant dans le véhicule, j’ai indiqué cette adresse au chauffeur.

           Quelque chose flotte en moi. Et j’agis à travers cette chose. Elle marche pour moi, vit pour moi, décide pour moi.

           Et là, elle a pris l’initiative de me mener jusque ici. 

— Sauvage et maintenant muette ? Vous n’arrangez pas votre cas, ma chère.

           Sous son chignon si serré qu’il pourrait en arracher ses tempes, elle me jauge. Perchée dans l’encadrement de la porte de son manoir, emmitouflé de l’étoffe satinée de son écharpe, elle balance cette dernière d’un geste dédaigneux par-dessus son épaule : 

— Je ne suis pas venue regarder une impertinente même pas fichue de parler. Si vous n’avez pas d’excuses à me présenter, je m’en vais.

           Si elle fait mine de se retourner, elle ne quitte pas réellement le seuil.

           Au lieu de cela, ses yeux s’attardent sur ma silhouette. Je devine qu’elle me provoque, essaye de m’inciter à dire quelque chose. N’importe quoi.

           Car elle a beau me haïr, sa curiosité est plus grande. Et elle se demande sans doute ce que fait l’impertinente petite-amie de son fils ici, sans ce dernier, qui plus est après l’avoir giflée.

           Penchant la tête sur le côté, je la regarde quelques instants.

— Vous n’êtes qu’une saleté de vipère.

           Courroucée, elle se redresse vivement.

— Pardon ?

— Culottée de me dire muette alors que vous êtes manifestement sourde, ma chère.

           Ses yeux s’écarquillent tant qu’ils semblent sur le point de sauter en dehors de ses orbites. Je distingue les bords rougeoyant de ses sclères. Elle tire tant sur son nerf optique qu’il pourrait rompre à tout instant.

           Et une certaine satisfaction me prend en voyant cela.

— Vous avez fait plusieurs heures de route pour venir m’insulter ? lâche-t-elle, absolument scandalisée.

— Oui.

           Sa main se pose sur son corps tandis qu’elle prend une grande inspiration. Tournant la tête, elle regarde partout autour de nous, cherchant un témoin de la scène odieuse dont elle est victime.

           Mais personne ne nous regarde.

           A vrai dire, personne ne nous regarde jamais. Les gens se fichent de ce qu’il se passe dans notre crâne. Même s’ils en font l’objet de quelques sujets de conversation, ils s’en foutent profondément.

           Cela ne rend que plus difficile d’accepter ce qu’elle a infligé à son enfant pour défendre l’image de la famille. Ce que les autres pensent d’eux.

           Car les autres s’en foutent. Les autres ne sont pas importants.

           Pas autant que lui.

— Faites attention, ma chère. Vous êtes partie sur un éclat de violence, la dernière fois, comme la petite caïra que vous êtes. Mais ne me sous-estimez pas.

           Un sourire malicieux étire ses lèvres et elle hausse avec fierté le menton. 

— Je peux aussi vous faire mal.

           Un instant, je médite sur ces paroles.

— Excellente idée.

— Pardon ? réagit-t-elle aussitôt, haussant les sourcils.

           Médusée, elle n’ajoute rien à sa question, se contentant de m’observer tandis que je retire ma veste à l’effigie des Winx, montrant le tee-shirt Kylie Jenner que je porte en-dessous. Je jette mon manteau sur le sol sans ménagement.

           Avec précaution, je retire la montre que je porte. 

           Il y a quelques mois, James m’a surpris à loucher dessus, dans son bureau. Il m’a demandé d’arrêter de planifier des cambriolages à opérer chez lui. Outrée, j’ai affirmé que je n’étais pas une voleuse.

           Puis je l’ai volée.

           Deux semaines après, j’ai voulu la lui rendre. Il l’a refusée. Depuis, je la garde précieusement.

           Me redressant, fin prête, je recule de quelques pas. Sautillant sur place, je fléchis les genoux plusieurs fois sous le regard médusé de Madame Harold. 

           Puis, levant les poings à hauteur du visage, je lance : 

— Viens te battre, morue.

           Outrée, la bouche ouverte, elle ne répond pas. Visiblement estomaquée, elle ne remue pas d’un cil. Figée, elle ressemble à une statue.

           Je saute plusieurs fois dans sa direction, menaçante. Mais elle ne réagit pas.

           Tendant le bras, je lui donne une pichenette sur le front. Puis je recule à toute vitesse. Sa réaction est immédiate.

— BON SANG MAIS VOUS AVEZ QUEL ÂGE ?

           Je me redresse aussitôt, sur la défensive. Attrapant le bas de mon tee-shirt, je le tends brutalement, tentant de me donner un air plus soigné.

           Son regard glisse sur le visage de Kylie Jenner qui bouge à ce geste. Elle pousse un soupir.

— Bon sang, mais qu’ai-je fait à Dieu pour qu’il me punisse ainsi ? murmure-t-elle, sur le point de pleurer, en me regardant, exécutant le signe de croix.

— Je ne suis vraiment pas sûre qu’il soit judicieux de le mentionner dans notre conversation.

— Et pourquoi cela ?

           Glissant les mains dans les poches, je bombe légèrement le torse, rejetant mes épaules en arrière. 

— Parce que la discussion que je compte avoir avec vous ne risque pas de vous placer sous le meilleur jour, croyez-moi.

           Elle amorce un rire moqueur, prête à traiter cette déclaration comme toutes les autres que j’ai pu faire. Cependant, à l’instant où sa main se lève pour balayer mes paroles, elle se fige.

           Son regard vient de croiser le mien. Elle a compris.

           Elle sait de quoi je suis venue lui parler.

           Sa gorge tressaute lorsqu'elle déglutit péniblement. Il me semble même que sa main tremble quand elle pose sur le cadran de la porte, ouvrant davantage cette dernière.

           Un pas en arrière. Elle libère le passage en prononçant une parole déconcertante : 

— Entrez.

           Aucune tasse de thé ni biscuits. Rien pour accompagner l’invitée que je suis.

           Une partie de moi aime à penser que je suis parvenue à atterrir sur la liste noire de la famille Harold, celle comprenant les gens à qui est destiné un désagréable accueil. Cependant, je n’ai même pas réussi cet exploit.

           Madame Harold ne veut pas de personnel de maison ici car nous allons parler d’un bien fâcheux sujet.

           Celui de l’agression de son fils.

— Parlez.

           Son dos ne touche pas le fond du fauteuil. Elle se tient à son bord, raide comme un piquet. Ses doigts saisissent un cheveux imaginaire qu’elle ôte du tissu. Elle prétexterait n’importe quoi pour ne pas avoir à me regarder.

— C’est vous, n’est-ce pas ?

Elle ne répond pas. Je n’ai pas besoin de réponse. Bien sûr que c’est elle.

A cet instant précis, James est en train de faire une déposition incriminant ses parents. Nous en avons longuement discuté et il en a conclu qu’il s’agissait de la meilleure chose à faire. Il ne voulait pas que je sois présente, à sa sortie du commissariat. 

           Il a beau me faire confiance, je comprends qu’il ait besoin de faire certaines actions seul.

           Tout comme moi.

— Répondez-moi. C’est vous, n’est-ce pas ?

— Quoi donc ? demande-t-elle en haussant la tête d’un geste surpris, comme si elle venait tout juste d’entrer dans cette conversation.

— C’est inutile. Je n’ai pas de micro et même si j’en avais un, vos avocats se feraient un plaisir de démonter cette “preuve”, usant de l’argument de l’illégalité d’un tel enregistrement.

           Ses yeux s’abaissent tandis qu’elle évalue de la tangibilité de cette affirmation. Lorsque sa tête acquiesce légèrement, plus pour elle que moi, je déclare : 

— Je ne veux pas vous condamner, ce n’est pas mon travail.

           Ma main se crispe sur mon siège.

— Je… Je veux juste comprendre.

           Car s’il existe une probabilité, même infime, qu’elle ait tenté de protéger James, je veux le savoir. Si je peux lui montrer même un fragment d’amour que sa mère a pu lui manifester, j’irais le chercher jusqu’au tréfond du trou noir qu’est lâme de cette morue.

           Elle pousse un soupir.

           Soudain, je réalise. Ses yeux brillent. Des larmes emplissent ses cavités orbitales, créant un masque luisant sur ses globes.

           Elle… pleure ?

           Mon coeur fait un bon à cette vision. Je ne sais trop ce qui pousse ma cage thoracique à se contracter soudainement. Mais la sensation est douloureuse, pour sûre. Elle me cuit.

— Je…

           Peut-être lui reste-t-il une part d’humanité finalement ?

           Ses mains tremblent, sur le fauteuil. Elle agrippe l'accoudoir, tentant de rester en place. Mais ses épaules tremblent. Je ressens toute sa sincérité.

           Elle est brutalement honnête. Je vois bien qu’elle ne fait pas semblant.

— Il fallait… protéger.

           Un soupir souffrant franchit mes lèvres.

— Que…

           Ele tremble de plus belle, la tête baissée.

           Lorsqu’elle la relève, des larmes maculent ses joues. Et sa voix se brise quand elle prononce ces paroles : 

— Qu’auraient dit les gens, s’ils avaient su ?

           Je tressaille.

           Mes yeux s’écarquillent et l’image de James me vient. De la bile me griffe la gorge et je tremble, incontrôlable.

           Les gens ?

           Me revient la silhouette de l’enfant qu’était James, prostré.

           Les gens ?

           Me reviennent les cauchemars qui le guettent, chassant le marchand de sable.

           Les gens ?

           Me revient son sourire s’effaçant lorsqu’une musique est jouée au piano.

           Les gens ?

           Me reviennent les mots teintés de peur qu’il prononçait, quand nous nous rendions chez ses parents pour la première fois.

           Les gens…

           Encore et toujours les gens…

           Un rire franchit mes lèvres. Surprise, elle se redresse dans un sursaut. Je crois qu’elle avait même oublié ma présence.

           Mais cela lui revient, maintenant.

           Et ma langue se fait acérée quand je vocifère : 

— Espèce de salope.





























𔘓

j'espère que ce
chapitre vous aura
plu !!

𔘓























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