𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟖
𔘓
C H A P I T R E 4 8
𔘓
Je crois que je déteste le lieutenant Oliveira.
Alors que James et moi étions sur le point de fondre dans un moment privilégié, une sonnerie a retentit. Il s’agissait d’un appel de la policière.
A présent, nous nous trouvons devant elle. Assis sur ces sièges de métal. A la lueur grésillante des néons, nous observons son visage sombre.
Ses mains rachitiques manipulent un dossier, feuilletant ses pages.
— Navrée de vous avoir fait venir si rapidement. Il se trouve que je suis tombée sur un élément qui me semble plutôt intéressant…
Elle contemple un instant ses doigts, réfléchissant sans doute aux mots qu’elle devra employer. Et c’est lorsque je la regarde se triturer les méninges, ouvrir et fermer la bouche plusieurs fois à la manière d’un poisson, que je réalise que la suite va faire mal.
Très mal.
Car une personne devant annoncer une bonne nouvelle ne pèse pas autant ses paroles.
Sous la table, je glisse une main sur la cuisse de James. Ses doigts glissent par-dessus les miens et il les serre en prenant une profonde inspiration. Sa poitrine se gonfle.
Lui aussi, a compris que la suite allait être compliquée à entendre.
— Nous avons mis la main sur un document… Une énième conspiration de Dumas seulement celle-ci a l’air étonnamment…
Ses lèvres se pincent.
— …réelle.
Du dossier, elle extirpe quelques photographies. Des clichés de ce qui semble être un carnet griffonné avec frénésie. Je reconnais l’énorme feutre rouge dont Dumas s’est servi, tapissant ses murs.
Je m’apprête à les saisir quand elle les retire. Mes doigts se referment sur le vide et je la regarde, surprise.
Le lieutenant baisse les yeux, murmurant simplement :
— Je vous préviens… C’est choquant.
Mes sourcils se froncent et je saisis les images. Crocodile ne fait le moindre geste vers elles, ne voulant visiblement pas s’y risquer. Je peux le comprendre.
Un frisson de dégoût parcourt mes muscles et je lis rapidement les inscriptions. Je reconnais effectivement l’écriture d’Antoine. Il est celui ayant écrit ce journal, pour sûr. Je fronce les sourcils, en brandissant une à la lumière des néons blafards afin de la lire.
Cependant, je n’ai pas parcouru un cliché que de la bile remonte le long de ma gorge, la griffant dans un geste amer et brûlant. Les images tombent sur la table, face contre terre, lorsque je les lâche. J’écarquille les yeux.
— Je vous avais prévenu, se défend le lieutenant dans un soupir triste face à ma réaction.
Je ne réponds pas.
Mes paupières se ferment tandis que j’avale doucement les paroles que je viens d’absorber. Un instant, je tente de me convaincre que j’ai mal compris ce que j’ai parcouru.
Cependant, je n’ose même pas lire à nouveau les paroles.
— V… Vous dites que c’est réel ? je demande en désignant du menton les clichés dissimulés.
Elle les zieute du coin de l'œil.
— J’espère que ces textes ne le sont pas dans leur intégralité, mais…
— Mais même le plus infime détail est sordide, ici, je murmure d’une voix rauque, mes doigts tremblants.
Crocodile ne dit rien, les bras croisés. Mes doigts s’entrelacent mieux encore aux siens. Plus que jamais, je ne veux pas qu’il me lâche. Je veux qu’il demeure accroché à moi, telle une ancre.
Il répond bien à la pression de ma main. Je frissonne. Son pouce caresse mon poignet et il me contemple un instant.
Il ne lui suffit que d’un regard. Un seul. Et il saisit l’horreur de la situation. Quelque chose traverse ses iris ambrés. Un éclat de terreur et de dégoût profond.
Il ne sait même pas ce que je viens de lire. Mais il est conscient que peu de choses peuvent me plonger dans un tel état.
— Dites-moi, demande-t-il d’une voix douce au lieutenant.
La femme hésite un instant, rassemblant ses pensées. Je suppose qu’il était plus facile de nous laisser lire les textes seuls que de formuler à haute et intelligible voix la réalité.
Elle déglutit péniblement.
— Antoine Dumas croyait qu’un réseau pédophile marchandait des enfants, dans les hautes sphères de la société…
— Enormément de thèses complotistes tendent dans cette direction et n’ont jamais été prouvées, objecte James en serrant plus fermement ma main.
Son témoignage me revient à l’esprit. L’horreur des cours de piano qu’il a connus, enfant. Je sais que, plus que quiconque dans cette pièce, la théorie qui vient d’être évoquée le chamboule.
— Je me souviens même que certains sur internet évoquaient le sous-sol d’une pizzeria. Sans aucune preuve.
Bien sûr, le premier réflexe de James est de rejeter en bloc cette hypothèse. Et je peux le comprendre. Lui qui a passé sa vie à fuir ce qu’il avait subi n’a sans doute pas la force de s’y confronter sous une autre forme, maintenant.
— Antoine était un timbré qui produisait plus de théories du complot que de CO2. Alors j’aimerais bien savoir ce qui vous fait croire une seule seconde qu’il dit la vérité. Et surtout, pourquoi vous en parlez à des civils.
Le ton de James se fait agressif, il cherche à se défendre. Quand bien même le lieutenant n’a jamais été déplacée envers nous, il ira jusqu’à montrer les dents pour se protéger.
Elle ne s’en formalise pas, se contentant de rassembler les photographies et de les ranger dans son dossier.
— Parce que certains des petits garçons mentionnés dans cette liste ont existé… Et que ceux que nous avons contacté ont témoigné avoir subi des attouchements de la part d’un homme.
La voix du lieutenant se fait soudain plus sombre. Sans aucune agressivité, avec même une certaine délicatesse qui ne lui ressemble pas. Une tendresse forcée, comme si sa voix était un vent qui pourrait briser le cristal fragile de notre peau.
Et c’est à l’instant précis où je la regarde, à la seconde où je remarque le regard doux qu’elle pose sur James que je comprends.
Une pierre tombe dans mon estomac.
— Certaines des victimes mentionnées par Antoine n’existent même pas ou ne correspondent pas à la description physique qu’il a dressé d’eux. Mais d’autres…
Soigneusement, elle pose le dossier à côté d’elle. Ma gorge se serre et je ferme les yeux, tentant d’encaisser le coup qui s’apprête à nous percuter.
James sert violemment ma main. Il me fait mal mais je ne dis rien. Je sais qu’il ne se rend pas compte de la force avec laquelle il broie mes doigts. Il est simplement sous le choc, se préparant à encaisser. Alors j’ignore mes phalanges s’écrasant les unes aux autres.
Car le lieutenant Oliveira a beau être une sympathique femme, elle n’est pas du genre à nous partager des informations sur une enquête en cours, simplement pour nos beaux yeux.
Il y a une raison pour laquelle nous sommes là.
— Mais d’autres, reprend-t-elle d’une voix rauque, joignant ses mains qu’elle pose sur la table, entre elle et nous, sont bien réelles. Tout correspond : leur nom, description physique, lieu de vie…
— Assez, avertit James d’une voix calme où j’entends tout de même les relents de sa colère.
Mais le lieutenant ne l’écoute pas. Dans une grimace, elle insiste ;
— Et il est fait mention d’un garçon aux yeux jaunes et cheveux noirs. Un garçon aux épaules larges.
— Assez…
— Un garçon qui a tenté de mettre fin à ses j…
— J’AI DIT ASSEZ, VOUS ÊTES BOUCHÉE OU QUOI ?
Je sursaute quand la table vole à travers la pièce, se fracassant contre le mur. Le dossier s’éclate sur le sol tandis que le lieutenant se lève dans un bond.
Aussitôt, la porte de la salle d’interrogatoire s’ouvre à la volée sur une horde de policiers. Ceux-là hurlent, inondant le bureau de leur présence se précipitant sur James.
Mais le lieutenant les arrête d’un geste de la main, brandissant sa paume :
— C’est bon, c’est bon ! Je vais bien ! Laissez-moi finir cet entretien !
Ils ne l’écoutent pas tout de suite, se considérant les uns les autres d’un regard interrogateur.
— Je vais bien, je vous l’assure ! insiste-t-elle alors.
Ses épaules se soulèvent difficilement tandis qu’elle reprend sa respiration. De toute évidence, elle a eu très peur. Mais ils se laissent convaincre et s’en vont.
Ce n’est que lorsque la porte se ferme derrière eux, nous laissant tous les trois seuls dans la pièce, qu’elle se détend.
— Bien.
Son regard se pose sur la table, renversée et quatre pieds en l’air. Elle médite quelques secondes sur cette vision. Avant de se tourner vers James :
— Si vous le voulez bien, nous allons finir ce que nous avons commencé.
Rectification : je suis sûre que je déteste le lieutenant Oliveira.
𔘓
j'espère que ce
chapitre vous aura
plu !!
𔘓
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top