𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟏






























𔘓

C  H  A  P  I  T  R  E    4 1

𔘓

















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           Si la quintessence du malaise était un déjeuner, il s’agirait absolument de celui-ci.

— En tout cas, monsieur et madame Harold, je dois m’avouer fan au millième degré de vos petits concombres !

— Des cornichons, me corrige les lèvres pincées de la mère.

           Des cheveux blonds tirés en un chignon si serré que les racines semblent sur le point de céder, deux sourcils tracés d’un trait de crayon foncé, des rides plissant une lèvre supérieure orné d’un crayon à lèvres rouge pétant, la matriarche revêt des airs de perruche. Avec son haut port-de-tête et la condescendance habillant ses prunelles ambrées, sa silhouette semble toute droit sortie d’un bouquin se déroulant au cœur de l’aristocratie. 

           Etrange, d’ailleurs. Dans ses yeux, tout est similaire à son fils. Le diamètre de l’iris, la teinte de la blanche sclère, les cils allongés et la paupière étroite… Pourtant, pas une once de la chaleur du regard de James ne se retrouve dans le sien.

           Deux billes de glace ocre.

— Vous avez des couverts, servez-vous en pour manger, aboie-t-elle sèchement, sans même daigner m’accorder ne serait-ce qu’un coup d'œil.

           Un instant, je songe à sourire.

           Cependant, l’iris grise que pose la patriarche sur moi, aussi froide que celle de sa femme, peut-être légèrement plus éléctrisée, m’en empêche aussitôt. Hervé Harold ne possède qu’un seul œil.

           Mais quel œil…

           Une paupière tombante, engloutissant le peu de cils qu’il possède lui confère un air revêche presque hypnotisant. Lorsqu’il pince ses lèvres aussi fines que des lames de rasoir, son philtrum tressaute, faisant ressortir la zone sombre où devrait se trouver la barbe qu’il rase de près.

           Des cheveux argents, coiffés en brosse et plaqués le long du bandeau de son cache-oeil, un costard soigné, un parfum musqué… Tout chez lui — ainsi que dans son couple — respire l’aisance financière.

           L’autorité que s'octroient les riches.

— Mon cher, trouves-tu normal que le fils que nous avons durement élevé depuis des années nous impose une telle présence ? demande la femme en me jetant un dernier regard.

— Pas le moins du monde, ma chère, réplique alors l’autre, passablement agacé.

— Mon cher, je lâche alors à l’intention de James. Trouvez-vous normal de déjeuner en face de deux spécimens si… Oh, je préfère ne pas terminer ma phrase.

           Là-dessus, je saisis la cuillère à pamplemousse pour manger mes grains de riz. Je peux presque entendre leurs dents grincer lorsque je fais cela.

           Soudain, la main de James se glisse sur ma cuisse. Je sursaute presque mais me ravise. Son pouce effectue quelques mouvements circulaires, à travers mon pantalon.

— Oh mais je vous en prie, terminez-donc votre phrase, ma chère.

           Dans un geste sec, Hervé pique un haricot vert, émettant un bruit strident.

— Oh, mais je ne voudrais pas vous vexer !

— Oh mais non… Vous pensez bien, lâche-t-il avec hargne dans un sourire forcé. Je suis du genre ouvert aux critiques.

— Ah oui ? Et quelle partie de vous s’ouvre-t-elle autant puisque votre esprit est si fermé ?

— Je ne…

— QUITTEZ IMMÉDIATEMENT MA TABLE !

           Le hurlement de Nora Harold a été si soudain que même sa chaise met quelques secondes à tomber, réalisant qu’elle vient se lever avec brutalité.

           Les yeux de la mère de James lancent des éclairs lorsqu’ils se posent sur moi. Mais ils se font plus brutaux encore lorsqu'elle les fait glisser sur mon petit-ami.

           Ce dernier garde la tête baissée, affichant une soumission dont je ne l’aurais jamais cru capable.

           Et à la façon qu’ont ses doigts de se serrer sur ma cuisse, appelant silencieusement à l’aide, je réalise soudain. Une vérité morbide mais évidente se trouve dans chaque détail de sa personne.

           Son refus de retourner dans cette demeure, sa volonté d’exercer sa véritable passion, caché sous un pseudonyme, son crochet, fixé au bout de son bras…

           Qu’importe la raison précise de sa tentative de suicide. Je suis maintenant convaincue que les deux personnes en face de moi n’y sont pas étrangères.

— Vous venez sous mon toit, mangez à ma table et prononcez de telles insanités ? Croyez-vous que le nom Harold est dénué de tout honneur pour penser que nous allons laisser ceci se produire ?

           Brutalement, elle abat le plat de sa main sur la table.

           Je hais le sursaut violent qui prend James. Et je déteste son mutisme, son incapacité à faire une action aussi anodine que de lever la tête pour les affronter.

— Sachez une chose, mademoiselle (T/N). J’ai vu bien des personnes odieuses dans les fréquentations de James… Mais un dîner me suffit à comprendre que vous êtes la pire de toutes.

           James remue. Je devine qu’il souhaite dire quelque chose. Mais il n’y arrive pas, luttant contre ses démons. Contre la peur qui le dévore toujours plus à chaque instant.

           Ces gens le terrifient.

— Ciel ! Et dire qu’il avait Candice… Cet amour que nous avons toujours chéri… J’ai d’ailleurs hâte que cette pauvre petite arrive, elle, elle en vaut la peine ! Oh ! Nous l’avions… Et maintenant, nous voilà confrontés à cela

           Elle accompagne ce dernier mot d’un geste dédaigneux que je ne souligne même pas.

           Tournoyant sur elle-même dans une succession de pas théâtraux, davantage destinés à amuser la galerie qu’à communiquer la moindre émotion, elle se fige soudain. A la manière d’une perruche au sommet d’un perchoir, elle tourne la tête vers moi et me considère avec toute la condescendance pouvant l’animer.

— Sachez une chose, ma chère. James Harold n’a pas ma bénédiction.

— Et vous n’avez pas la mienne, je rétorque sombrement.

           Ma réponse semble la prendre de court. La mâchoire serrée, j’engloutis une autre bouffée de riz avant d’essuyer ma bouche d’un geste qu’elle trouverait vulgaire. Je lui lancerais bien ma serviette au visage mais la simple idée qu’un domestique devrait alors se courber pour la ramasser me révulse.

           Je repose donc le tissu et me lève. Chaque personne dans cette pièce me suit du regard.

           Le temps m’a appris à me distancer de mes propres émotions. Je n’ai que faire de l’opinion qu’ont les autres de moi. Je ne me mets pas en colère, ne suis pas triste et encore moins amère. Je me contente d’écouter sans arrêt la moindre de mes envies, suivre chacune de mes pulsions.

           Tant et si bien que je n’ai jamais réellement éprouvé de rage. Ou du moins, pas depuis longtemps.

           Mais je la sens, cette bonne vieille flamme en moi.

— Je… Je vous demande pardon ? sourit-t-elle avec une grande condescendance. Parce que vous croyez que les nuages attendent la pluie pour exister ? Mais enfin, reprenez-vous, regardez où vous êtes.

           Dans un rire moqueur, je m’exécute.

           Mes yeux parcourent cette pièce aux murs de bois sombre, ces statues de bronze, ces fenêtres de vitraux ne laissant que difficilement passer la lumière. Ici, tout est opulent.

           Étouffant.

— Et bien… Qu’il-y-a-t-il donc à voir ? je demande avec mépris, ne daignant m’extasier devant quoi que ce soit.

           Je remarque aisément le poing d’Hervé Harold qui se serre, sous la table. Mais je note surtout les doigts de James qui, eux, tremblent.

           Alors je contourne cette table.

           Oui, je ne suis pas du genre colérique. Cependant, lorsque l’on s’autorise à allumer la flamme de la rage en moi, je fais toujours tout ce qui est en mon pouvoir pour brûler.

           Et ce, au degré le plus douloureux.

           Doucement, je marche jusqu’à Nora. Faisant dos à la table tandis qu’elle lui fait face, je m’arrête juste à côté d’elle. Nos épaules se frôlent.

           Elle ne me regarde pas lorsque je tourne la tête sur le côté, gardant la tête haute.

— Je ne sais ce que vous lui avez fait pour qu’il tremble comme une feuille dès que vous ouvrez la bouche…, je murmure tout bas, de façon presque inaudible.

           Mon sang ne fait qu’un tour en apercevant l’ombre du rictus qui étire ses lèvres.

           Elle est consciente de ce qu’elle lui fait. Cela la fait même sourire.

           Pour ma part, je ne souris pas.

— Mais sachez que si son équilibre semble instable, je suis son pilier.

           Mes dents se serrent. Elle daigne enfin me regarder.

— Et moi, je ne tremble pas.























𔘓

j'espère que ce
chapitre vous aura
plu !!

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