𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟓
𔘓
C H A P I T R E 2 5
𔘓
Le silence m’angoisse.
Depuis plusieurs heures, la lune sourit en un croissant étincelant. Une serpillère dans la main, allongée sur le sol, la tête reposant sur le ventre d’Hermès, j’observe l’astre dans le ciel obscur.
Mes rats se sont lovés sur ma poitrine lorsque j’ai pris cette position, alors qu’il faisait encore jour. Je m’étais donné pour objectif, aujourd’hui, de faire de cet appartement un endroit plus agréable, propre, mieux décoré. Cependant ma force n’aura duré que quelques minutes, le temps de pousser les meubles et passer l’aspirateur.
Mes canapés plaqués contre le mur, l’un devant l’autre, ma télévision remise dans la pièce d’à côté et tous mes livres jetés sans ménagement sur le sol, je suis déjà épuisée.
— Oh, comment font-t-ils tous au quotidien ? je geins d’une voix éteinte, levant la main vers le ciel.
Nestor, que j’ai dérangé dans ce geste, se relève de son sommeil. Dressé sur les pattes arrière, il me regarde avec réprobation.
— Oh, c’est bon, j’ai le droit de jouer la drama-queen une fois de temps en temps.
Je n’ai pas le temps de contempler la face outrée de mon rongeur que des coups sont portés à la porte. Aussitôt, Hermès redresse la tête qu’il avait abandonné sur le sol et échange un regard avec moi.
Les grands yeux de l’animal se plongent dans les miens quelques instants avant que je demande :
— T’attends quelqu’un ?
Aucune réponse. Situation relativement normale compte tenue du fait que je fais face à un canidé.
Dans un soupir, je me relaisse tomber sur son ventre :
— Alors, ça attendra.
Mais le visiteur indésirable n’est pas de cet avis. D’autres coups sont portés, plus fermement cette fois-ci. Mes joues se gonflent et je serre les poings, agacée.
— JE NE SUIS PAS LÀ ! je hurle à plein poumons, faisant sursauter Nestor qui, furieux, s’en va dormir contre la joue du chien.
— (T/P), arrêtez vos sottises et ouvrez cette porte.
James Harold. Ou plutôt Crocodile.
Je m’apprête à lui hurler d’aller se faire mettre lorsqu’il intervient, me prenant de cours :
— J’ai ramené à manger. Chinois pour nous. Boucher pour Hermès. Et primeur pour les rats…
Je soupçonne parfois Hermès de comprendre notre langue car le canidé se lève soudain. Nestor, une nouvelle fois dérangé, proteste violemment tandis que ma tête tombe sur le sol.
Là, crâne sur la moquette, regardant la lune à travers la vitre, je ne remue pas.
— Ecoutez-moi bien, je tonne en bougeant l’index à la manière d’une maitresse d’école sermonnant un cancre, moi vivante, jamais cette porte ne s’ouvrir…
Un grincement retentit et je redresse la tête, toujours allongée sur le sol. Atterrée, je découvre Hermès, à côté de la porte ouverte, assis sagement.
Dans son encadrement, Crocodile se tient, quelques sacs en tissu suspendus à son crochet tandis qu’il abandonne quelques doigts sur le sommet du crâne du chien.
Ma mâchoire se contracte en découvrant l’un de ses habituels costume impeccable, d’un violet sombre, habillé d’un long manteau noir. Ses chaussures cirées pénètrent mon appartement et je hurle :
— ET OH ! QUI VOUS A PERMIS DE FOULER MON SOL MAGNIFIQUE DE VOS PIEDS QUI SONT ALLES DEHORS ?
— Je compte trois crottes de rat sur le sol magnifique en question.
Mes lèvres se pincent. J’ai encore grand mal à enseigner la propreté à mes rats. Mais j’ai bon espoir qu’un jour, ils cessent et déféquer absolument partout.
De pure mauvaise foi, je rétorque à cela :
— C’est une expression artistique.
Roulant des yeux, il ferme derrière lui et avance, cherchant la table pour y déposer les sacs. Hermès se frotte d’ailleurs à l’un d’entre eux, sa queue s’agitant à toute vitesse.
Seulement James se fige sur le sol de la pièce.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé, ici !? s’exclame-t-il, atterré, face aux livres éparpillés sur le sol, à la table plaquée face contre le mur, les quatre pieds dehors et les canapés refourgués au loin.
Les joues gonflées, je regarde à nouveau le ciel, toujours allongée.
— Expression artistique, je lâche simplement dans un grognement.
Je ne sais pas pour qui cet abruti se prend, au juste. Il a dû chercher le morceau le plus sanguinolant et juteux de la boucherie pour qu’Hermès se soit précipité sur la porte comme il l’a fait. L’odeur a dû le captiver, le poussant à ouvrir la porte comme je le lui ai appris.
Seulement si j’ai perdu une bataille, la guerre n’est pas finie. Mes rats sont toujours de mon côté…
Nestor se rue sur Crocodile, courant le long de sa jambe. Atterrée, je le vois disparaitre dans le sac que tient James, tombant dedans. Je n’ai même pas le temps d’écarquiller les yeux que son frère, Eugène, l’imite.
Outrée, je me redresse face au rictus de James.
— Que voulez-vous ? Les rats ont un odorat surdéveloppé et…
— La ferme.
Il semble surpris. Mais à quoi s’attend-t-il, au juste, entrant chez moi sans y être invité en alpaguant mes animaux ?
Un soupir franchit ses lèvres et il pose le premier sac en lin au sol. Là, il en sort mes deux rats qui se débattent violemment, tendant leurs petites pattes en espérant obtenir un bout de laitue.
Là, il sort divers papiers craft sur lesquels sont disposés des bouts de légumes hachés finement. Puis, se levant, il s’en va chercher un plat dans lequel il place les abats et autres pièces de viande qu’il dispose devant Hermès.
Le chien me regarde, demandant silencieusement la permission. Mon cœur se serre à cette vision et j’acquiesce. Aussitôt, il se rue sur les pièces de viande.
— Ce n’est pas en achetant mes animaux que vous m’achèterez moi, je chuchote en regardant les tâches de jus de viande et tomates se créer sur la moquette.
Tant pis, cet appartement est dans un état déplorable, de toute façon.
Dans un soupir, James vient se placer à côté de moi. Il ôte son manteau et son odeur s’insuffle dans mes narines lorsqu’il s’assoit juste à côté de moi, sur le sol.
Nous deux faisons face aux animaux que nous observons, d’abord dans un silence pesant.
— Expliquez-moi.
Son chuchotement me surprend d’abord. Mais je me contente de hausser les épaules. Là, je le vois se tourner vers moi du coin de l’œil.
Son regard est brûlant, sur mon visage, mais je fais mine de n’avoir strictement rien remarqué.
— Vous ne vous souciez pas du regard des autres. Jamais. Vous n’en avais jamais rien à faire de ce que les gens pensent de vous et c’est un pouvoir que très peu de gens possèdent. Il est d’une rareté qui fait sa préciosité.
— J’espère que vous n’êtes pas venu ici me débiter des poèmes, je ronchonne.
Il rit doucement. Peut-être nerveusement. Je ne saurais le dire.
James Harold sait se montrer impénétrable.
— Pourquoi semblez-vous avoir été si marquée par le fait que je sois la personne derrière cette plume ? demande-t-il doucement. Crocodile compte pour vous, j’ai bien compris que ces œuvres vous avez aidé à une période de votre vie mais…
Il laisse son regard couler sur les romans graphiques empilés sur le sol.
— …Le fait que je sois lui ne change rien.
— Si, je lâche d’une voix rauque.
— Pourquoi ?
Je ne réponds pas.
Il dit vrai lorsqu’il affirme que ne plus me soucier du regard des autres a débloqué des pouvoirs chez moi. Je ne me suis jamais sentie aussi libre, heureuse et épanouie que depuis que je m’en suis affranchie.
Seulement… Je crois que le regard de James compte, au final. Et que réaliser pleinement ce dont je me doutais sans en avoir conscience, à savoir que ce Crocodile qui avait une si basse opinion de moi, était en fait lui, m’a marquée.
D’une part, car c’est au contact de ce webtoon que je me suis libérée et me suis assumée. Alors me voir rabrouée par son auteur car je vivais selon sa philosophie m’a ébranlée. D’autre part…
Je ne saurais l’expliquer. Ce que pensent les gens de moi n’importe pas.
Seulement il n’est pas « les gens ».
Et, à partir du moment où j’ai réalisé quelle opinion il avait de moi, je crois que cette insouciance de cristal s’est vue brisée, laissant place à l’enfant qui se tenait derrière. Celle qui n’a jamais réellement guéri.
Celle qui mangeait dans les toilettes de son entreprise en lisant un webtoon.
— (T/P) ? insiste-t-il.
Mais ça, je ne le lui dirais jamais.
— Nichons.
— Vous savez que c’est la technique la plus stupide que j’ai jamais vue pour changer de sujet ? rit-t-il en secouant la tête.
Ce rire m’avait manqué. L’impression que ce que je fais n’est pas complètement insupportable, au final.
Un sourire étire mes lèvres malgré moi.
Se retournant, il plonge la main dans un quatrième sac en lin que je n’avais pas remarqué. Celui-ci, replié sur lui-même, doit contenir quelque chose de petite taille — et donc pas une partie de notre diner.
— Bon, écoutez. Je n’aime pas vous voir comme ça alors, je vais essayer de réveiller celle que j’ai toujours connue, en vous…
Il sort un linge blanc. Il s’agit d’un tee-shirt qu’il déplie avant de le retourner, me montrant son motif. Mes yeux s’écarquillent face au visage de Kylie Jenner, encadré de cheveux mentholés.
Ses yeux sont à demi-clos tandis qu’elle regarde le ciel en une moue franchement peu avantageuse.
— J’ai pensé que vous aimeriez compléter votre collection de memes sur les Kardashians.
Mes yeux s’écarquillent et mon cœur s’emballe. Je ne peux m’empêcher de sourire face à ce haut que j’arrache presque de la main de Crocodile.
L’observant quelques instants, je redresse la tête pour regarder l’homme. Les sourcils haussés et le regard lumineux, il semble excité à l’idée de voir ma réaction.
Je me renfrogne aussitôt.
— Vous savez… C’est une mauvaise idée de m’offrir ce genre de choses si vous trouvez déjà que je ne suis pas assez professionnelle. Vous êtes mon patron, vous ne devriez pas m’encouragez dans…
Son crochet se pose sur mes lèvres, les scellant soudain. Le métal froid m’arrache un frisson tandis que ses yeux ambrés se plongent dans les miens.
Je déglutis péniblement.
— Arrêtez ça.
Son ordre me désarçonne.
— Pour nul au monde vous ne devriez changer qui vous êtes.
Mes yeux se ferment. Il n’a pas tort. Vivre pour moi-même, non pour l’opinion des autres, devrait être mon seul crédo.
— Et pour rien au monde je ne voudrais vous voir changer.
J’ouvre brutalement les paupières. Son visage se penche sur le côté tandis que ses yeux parcourent à toute vitesse mon faciès, analysant jusqu’au moindre de mes traits.
— Vous êtes sacrément unique, comme personne.
Son crochet glisse le long de ma bouche, caressant ma joue.
— Alors j’en oublie ma fierté et vous supplie réellement…
Son autre main saisit l’autre côté de ma tête. J’ai soudain chaud, au creux de sa paume et son crochet.
— …Restez fidèle à vous-même. Le monde a besoin de gens comme vous.
Il hésite un instant, baissant les yeux sur mes lèvres.
— J’ai besoin de gens comme vous.
𔘓
il est temps de
revenir à la
normale
j'espère que ce
chapitre vous aura
plu !!
𔘓
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