𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐎𝟗
𔘓
C H A P I T R E 9
𔘓
— Allons, allons…
La voix grave de James Harold ne peut avoir la moindre emprise sur ma colère. Mon poing s’abat, fermé, sur le tableau de bord. Un cri sourd franchit mes lèvres.
— Enfin, inutile de s’énerv…
— Inutile !? je crache, mes yeux s’écarquillant.
Me tournant violemment vers lui, je le foudroie du regard. Son profil brille à la lueur du soleil filtrant par le pare-brise. Il caresse d’ailleurs son nez droit ainsi que la cicatrice le barrant.
Je distingue nettement la pomme d’Adam tressautant soudain dans sa gorge.
— Ecoutez, je…
— Non, j’écoute pas, je grogne. Non mais pour qui il se prend, cet enfoiré ?
Jetant mon téléphone sur le tableau de bord, je croise les bras dans un geste rageur. L’appareil renvoie un reflet lumineux sur le pare-brise, réverbérant la lueur du soleil. Mais je ne le change pas de place.
Il me semble qu’un simple contact avec lui pourrait me brûler.
— Woaw… Vous semblez réellement vexée.
Je ne réponds pas, faisant la moue. D’un air mauvais, je fusille mon téléphone du regard. J’aimerais pouvoir le détruire par la pensée.
Le silence se prolonge, tendu. La voiture s’arrête à quelques feux rouges, s’enfonçant dans mon quartier tandis que je continue de mépriser l’objet rectangulaire.
— Vous l’avez lu, hein ?
— Pardon ? répond-t-il aussitôt, visiblement surpris que je reprenne la parole et daigne rompre ce silence tendu.
Je jette un rapide regard à l’homme qui avale péniblement.
— Vous avez lu le chapitre de Crocodile, n’est-ce pas ? Sinon, vous n’auriez pas tenté de m’empêcher de le lire, tout à l’heure.
— Je…
Sa voix s’étrange et il baisse la tête, lâchant un sourire. Puis, capitulant, il admet :
— Oui, je l’ai lu.
— Je m’en doutais, je lâche dans un râle pénible.
Il ne répond pas. Quelques instants durant, le silence pénible revient. Cependant, il l’interrompt bien vite dans un raclement de gorge.
— Je… J’ignorais que vous étiez amatrice de webtoons.
Je ne réponds pas, vexée par ce que je viens de lire.
Enfin, il a révélé l’antagoniste que nous tous, lecteurs, attendons depuis des mois. Avant mes projets de licenciement, la découverte de ce personnage occupait tout mon temps. J’utilisais ma seconde identité, celle de S. Ralyk, pour tenter de dénicher, en avant-première, un visuel de ce personnage.
Sans succès.
De toute façon, que m’aurait apporté une telle découverte ? Sans doute une euphorie, jusqu’à lire les actions et pensées de ce personnage, au cours du chapitre.
— Je… Vous qui n’attachez d’importance à rien, je n’aurais jamais cru que cela vous vexerait autant.
Mon regard se pose sur le rétroviseur. Je ne peux m’empêcher d’analyser mon reflet, ne faisant que confirmer ce que j’ai vu, dans ces planches.
Le nouvel antagoniste du Temple des Narcisses a mon visage. Trait pour trait. Jusqu’au moindre détail.
— Je… Ce n’est qu’un personnage, vous savez ? tente d’insister James Harold dans une grimace.
— Un personnage qui a mon visage. Qui est censé être l’antagoniste le plus impressionnant d’une œuvre qui fera sans doute une centaine de tomes et qui s’avère être…
Mes lèvres se pincent.
— Allons, ce n’est pas si terrible, essaye-t-il en garant la voiture.
— Pas si terrible ? je tonne, ignorant le fait que nous sommes arrivés à destination. Avons-nous lu la même chose ? Ce personnage est lâche, égoïste, pleurnichard, bête et ridicule !
Dans la première scène, il se fait dessus. Il n’est qu’amas de clichés grotesques et puériles. Enfantin, il ferait rire une classe de maternelle.
Non seulement Crocodile m’a habituée à mieux… Mais je n’arrive même pas à être excitée à l’idée de l’avoir inspiré.
De toute évidence, il me connait. J’aurais préféré que non.
— Je croyais que l’opinion qu’ont les autres de vous ne vous inquiètent pas, s’étonne-t-il.
— Non, c’est… C’est différent.
Je sens le regard ambré du noiraud sur moi. Pensant, il sonde mon être, l’agrippe presque avec brutalité. Ses iris se font chaudes, cuisantes.
Secouant brutalement la tête, je sors de la voiture.
— Attendez, votre téléphone.
Je l’ignore, les mains s’enfonçant dans mes poches.
— Nous y sommes.
Ouvrant la porte de mon appartement, je laisse James Harold me suivre. Il m’a assurée qu’il ferait directement venir une équipe de vétérinaires hors-pair ici pour s’occuper d’Hermès.
Les oreilles de l’animal se dressent d’ailleurs lorsqu’il m’aperçoit et un sourire fend mon visage.
— Mon bébé !
J’écarte les bras et il se relève péniblement. Voulant limiter ses déplacements, je me jette sur lui. Mes bras se referment autour de son corps lorsque mon visage se loge sous le sien, dans le creux de son cou. Sa chaleur essuie aussitôt les résidus sombres que le webtoon de Crocodile avait laissé derrière lui.
Je m’en contrefiche. Hermès est là. Et, bientôt, toute cette maladie ne sera qu’une sombre et ancienne histoire.
— Mon bébé… Comment tu vas ? je chuchote en déposant un baiser sous son oreille. Tu as mal ?
L’animal m’observe de ses grands yeux. Je ne peux m’empêcher de laisser un large sourire fendre mes lèvres. Il est absolument adorable.
— Ne t’en fais pas. Tout cela sera bientôt de l’histoire ancienne. Monsieur Harold va t’aider… Pas vrai, monsieur Harold ?
Me tournant vers la silhouette plantée à côté de moi, je réalise qu’il n’observe pas mon chien. Depuis tout à l’heure, planté droit, il garde le nez rivé sur ma bibliothèque.
Je ne distingue trop ce qui traverse ses traits. Mais il observe avec attention les tomes du Temple des Narcisses alignés sur les étagères ainsi que les figurines du webtoon posées devant eux.
— Vous… Vous les avez tous achetés…
Son murmure est rauque. Un instant, il me semble qu’il se parle plus à lui-même qu’à moi.
Alors je ne réponds pas.
— Vous… Vous avez acheté tous ses livres et Crocodile vous a dessiné dans l’un d’entre eux…
Il ajoute plus sombrement :
— Sous les traits ridicules d’une femme pétant sans arrêt et se faisant dessus de peur.
Mes lèvres se pincent et je hausse les épaules.
— Je suppose que ce n’était vraiment pas cool de sa part, je chuchote.
— En effet.
Sa voix est rauque et ses yeux sont vitreux, continuant d’observer l’étalage de livres. Il n’a pas cillé une seule seconde, absorbé par sa contemplation.
Je réalise qu’il est sonné que mon auteur favori ait pu me faire une telle chose. Me levant, je l’approche. Me plantant à côté de lui, je lance :
— Hé… Ne vous en faites pas pour moi. J’ai été vexée, au début. Mais c’est juste un con, c’est pas grave. Y’en a plein, des cons…
Je le désigne de la main.
— Regardez, vous, par exemple.
Il me fusille du regard, par-dessus son épaule. Ses yeux ambrés semblent s’obscurcir quand ses pupilles se dilatent brutalement. Je distingue nettement l’instant où sa compassion cède à sa colère.
Ses lèvres se pincent et sa puissante mâchoire se contracte. Il me semble que quelque chose, dans ce qu’il dégage, s’obscurcit.
— Evitez de me contrarier.
Je hausse les épaules.
— Vous savez très bien que m’ordonner de faire quelque chose est le meilleur moyen pour que je fasse l’inverse. Bon, vous appelez vos vétos, ou pas ? Parce que moi je fais pas garderie alors va falloir aller chez la voisine si vous êtes juste passé prendre le goûter.
Ses yeux se plissent et il fronce les sourcils.
— Vous êtes une femme absolument détestable.
— Faux, je suis une femme absolument pressée, je lâche dans un sourire provocateur.
Levant les yeux au ciel, il sort son téléphone de sa poche. Dans un soupir, il ouvre le numéro de son contact avant de porter le téléphone à son oreille.
Ses yeux ambrés demeurent figés sur moi tandis qu’il écoute la voix du vétérinaire. Quelques bribes de cette dernière me parviennent.
— Dis-moi, j’ai un animal qui a besoin d’attention, ici. Tu pourrais venir voir ? Oui… Oui, y’a un chien, aussi.
Mes sourcils se haussent brutalement et j’ouvre la bouche, prête à le houspiller. Aussitôt, sa large main se pose sur mes lèvres, en étouffant le moindre son.
S’écarquillant, mes yeux se plantant dans les siens qui ne me quittent pas une seule seconde. Il me dévisage avec un ennui presque insultant.
— Oui… Une intervention chirurgicale. Sur place, ce ne serait pas possible ? Je m’en doutais… Je t’envoie l’adresse, tu passes chercher le chien ? Ah, t’as de quoi noter ? Encore mieux…
James Harold donne mon adresse sans me quitter des yeux une seule seconde. Sa paume demeure figée sur ma bouche, caressant mes lèvres. Chaude, elle enferme mes paroles sans que je ne songe même à lutter contre elle.
Du sang afflue avec force dans mes tempes tandis que mon cœur bat à toute vitesse.
— Tu viens bientôt ? Parfait.
Il raccroche. Sa main range le téléphone dans sa poche. Il me dévisage quelques instants. Sa paume ne quitte pas ma bouche lorsqu’il lâche :
— Et vous, vous vous tenez convenablement. D’accord ?
𔘓
disons que Crocodile
n'a pas assuré, sur
ce coup
j'espère que ce
chapitre vous aura
plu !!
𔘓
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