L E J E U D E
— C A R T E S —
NON SANS UNE POINTE de nervosité, je pousse la porte de ma chambre. Le soleil n’est pas encore couché, Noor ne dort sûrement pas. Je vais bien devoir me résoudre à l’affronter et j’ai pris la décision de le faire en cette journée particulière.
Hier, le professeur Hafeez a convoqué Eren et moi dans sa salle de cours avant de nous remettre des cartes visant à nous apprendre à travailler ensemble. Le jeu a très mal commencé, nous deux ayant formulé des reproches à l’idée de travailler avec l’autre et celle du brun m’a plutôt heurté.
Selon lui, je suis une mauvaise amie car n’ai pas été capable de voir que Noor avait besoin d’aide. J’ai d’abord juré, eu envie de le frapper, imaginé multiples façons de me venger de tels propos. Puis j’ai réalisé qu’une part de vérité se cachait dans ses paroles. Je suis toujours tellement occupée à parler de moi, évoquer ma vie, la disséquer sous le regard de Noor que pas un seul nstant je me suis arrêtée puis me suis tournée vers elle pour lui demander comment, elle, elle s’en sortait au quotidien.
Aujourd’hui, je suis bien décidée à mettre les points sur les « i » et les barres sur les « t ». Mon amie vit une période compliquée et, bien que je n’accepte pas ce qu’elle a pu me dire, je me dois d’être à ses côtés. Pour toutes les fois où elle a été aux miens.
— Noor, je lance en ouvrant la porte.
— Mauvaise pioche.
La voix malicieuse qui me répond me donne envie de gronder de colère. Ma mâchoire se contracte et je regarde autour de moi, ne voyant aucune trace de ma meilleure amie. En revanche mon pire ennemi, lui, est présent. En chair et en os.
Là où il ne devrait pas être.
— Vire tout de suite ton cul de mon lit si tu veux pas te prendre un pied dedans, Jäger.
— Tes draps sentent bon, c’est à croire que tu dors pas dedans, lance-t-il en projetant une balle de tennis au plafond qui y rebondit avant de tomber dans ses mains dans un bruit sec.
— Je suis pas étonnée que tu sois surpris, tu nettoie sans doute jamais ta literie. Mais j’aimerais bien garder cette bonne odeur alors vire tes miches puantes de mes couvertures ou je te les fais bouffer.
Regardant le plafond, le brun y lance à nouveau la balle qu’il attrape. Puis, celle-ci dans les mains, il marque un temps d’arrêt avant d’afficher un rictus et me regarder de ses yeux émeraudes plissés, visiblement amusé.
— Que de menaces et de douces mélodies à mon oreille.
Mon sang ne fait qu’un tour. Je hais son visage, ses manières, son arrogance, sa condescendance, sa façon de croire que tout lieu lui appartient, sa personne, ses valeurs, ses pensées, ses travaux, sa présence. Je hais tout. Absolument tout chez lui.
Mais cela a empiré depuis qu’il s’est permis de tenir les propos qu’il a tenu sur mon amitié avec Noor.
— Vires de là. Très vite. Ou je t’en colle une.
— J’aimerais bien voir ça, rit-t-il.
Me jetant sur le lit, je ne lui laisse pas le temps de réagir et m’élance sur lui, rivant mon coude en direction de son torse à la manière d’un combattant de MMA. Je m’apprête à m’écraser sur lui, mon coude avant tout, sur son torse, quand il roule sur le côté.
— PUTAIN, C’EST QUOI TON PROBLEME !? s’exclame-t-il en se relevant, réalisant que je m’apprêtais à le blesser très sérieusement.
— MON PROBLEME C’EST QUE T’ES CHEZ MOI, ICI, TU FAIS PAS CE QUE TU VEUX ET TU TRAINES SUREMENT PAS TON SALE CUL DEGUENILLE DANS MON PLUMARD, ESPECE DE CON !
— TU SAIS CE QU’IL TE DIT, LE CON ?
— Puis-je savoir ce qu’il se passe ici ? résonne soudain une voix dans notre dos.
D’un seul geste, nous nous tournons vers ma colocataire qui vient d’arriver. Debout sur le seuil de la porte de notre chambre, elle nous observe. A ses mains, des sacs de course se tiennent, visiblement remplis d’un nouveau stock pour le réfrigérateur. Ses yeux soulignés d’un trait d’eyeliner blanc forment une harmonie avec le voile couleur saumon l’habillant.
Allongée sur mon lit, le coude planté dans le matelas, je regarde brièvement Eren qui est debout à côté de moi. Vu de l’extérieur, la scène semble étrange. Pas même sexuelle. Simplement incompréhensible.
— Ta pote est complètement tarée ! lance Eren. Elle a essayé de m’agresser !
— J’ai rien essayé du tout, si je voulais t’agresser, j’aurais réussi, espèce de con ! je tonne.
Levant les mains en l’air, Noor nous fait signe de nous calmer. Je remarque que ses ongles ne sont plus aussi longs qu’avant. Elle les a coupés. Elle m’avait parlé du fait qu’elle aimait beaucoup se faire des manucures et, bien qu’elle savait qu’en islam les ongles devaient être gardés courts, elle avait du mal à passer le cap.
Mon cœur se serre. J’aurais dû être là quand elle a pris la décision de renoncer à cette part de coquetterie qu’elle affectionnait tant.
— Est-ce qu’on peut m’expliquer sans s’énerver ce qu’il se passe ici ? Pourquoi Jäger est dans ma chambre ? Pourquoi (T/P) souhaite manifestement le blesser gravement ?
— Ah parce qu’elle était même pas au courant que tu venais ? je fulmine. J’espère que c’est une blague ? Tu penses pouvoir ramener tes miches dans n’importe quelle chambre de filles quand ça te chante ? Mais t’es quel genre de pervers, gros dégueu…
— Mais c’est pas vrai. Noor ! Dis à ta pote de la boucler ! J’arrive pas à en placer une !
Je lève les yeux au ciel, croisant mes bras sur ma poitrine et me tournant. Arborant une mine boudeuse, je baisse la tête en le fusillant du regard. J’aimerai lui arracher les yeux.
— Hier, tu m’as dit que tu me prendrais une carte alors je passais te la donner, c’est tout.
— Et comment t’es réussi à entrer ? demande Noor.
— Ah, euh… J’ai pris tes clés.
Mes yeux s’écarquillent et je me redresse brutalement. Ma colocataire anticipe la colère noire dans laquelle je m’apprête à me plonger et prend les devants, avançant d’un pas en levant les mains en signe de paix.
— Est-ce que tu peux répéter ça, s’il-te-plaît, Eren ? demande-t-elle d’une voix bien trop douce.
— Tout à l’heure, quand on s’est croisé, je t’ai dit que j’avais la dalle et tu m’as dit que t’allais cuisiner pour (T/P) mais qu’elle allait sans doute pas venir puisque cette abrutie te fait la gueule.
— Je n’ai sûrement pas employé ses termes, se défend aussitôt Noor en levant un doigt.
— Non mais t’aurais pu parce qu’elle est vraiment complètement débile.
Mes poings se serrent et je me retiens de gronder une injure. Je vais me le faire, ce connard. Je n’arrive pas à digérer l’ampleur de son toupet. Mais je compte bien lui faire ravaler jusqu’à la dernière goutte de son culot.
— Bref, tu m’as dit de faire comme chez moi et passer donc j’ai fait comme chez moi et j’ai pris tes clés pour t’attendre.
— C’est pas vraiment ce que j’entendais par faire comme chez soi, Eren.
— En même temps, comment tu veux qu’un abruti pareil comprenne quelque chose aux conventions sociales. On parle d’un mec qui s’allonge avec ces chaussures sur le lit d’une nana après l’avoir accusée d’être responsable du harcèlement de sa pote.
— Pardon ?
La voix de Noor est grondante et ses yeux, écarquillés. Eren me lance un regard noir. Nous deux savons qu’elle n’aurait jamais digéré ce qu’il s’est permis de me dire hier. Alors le dénoncer était le meilleur moyen de le mettre en mauvaise posture. Je lui tire la langue pour le narguer.
Aussitôt, levant les mains l’air en signe de capitulation, il s’empresse de s’excuser :
— Comprends-moi, cette nana est vraiment insupportable alors je me disais qu’elle avait besoin qu’on la rappelle à la réalité. Toi-même quand je t’ai demandé de lui parler de tes problèmes, tu m’as dit que ça servait à rien car ça l’intéressait pas ! Je m’excuse du peu mais c’est quand même parfaitement surprenant qu’une « meilleure amie » se fiche du harcèlement d’une personne !
— Tu as dit quoi ?
Ma voix est douce. Ce qui est surprenant compte tenu de la façon qu’elle avait d’hurler sur Eren, il y a quelques instants. Ma gorge me tiraille encore légèrement mais je me contente de regarder mon amie, ou plutôt ma colocataire, qui affiche soudain une moue affligée.
Se décalant d’un pas, elle fait silencieusement signe au garçon de s’en aller. Il s’exécute aussitôt, comprenant que la suite des évènements ne sera sûrement pas des plus plaisantes. Une fois qu’il referme derrière lui, laissant les clés sur le comptoir, elle dépose les sacs au sol sous mon regard consterné.
— Noor, c’est une chose que tu aies du mal à me faire confiance et que tu me balances des horreurs au visage mais s’en est une autre que tu te permettes d’en parler à des personnes qui chercheront le moindre prétexte pour me le mettre dans la gueule !
— Le monde ne tourne pas autour de toi, (T/P), soupire-t-elle en déballant les aliments.
Je la regarde sortir quelques plaques de viandes premier prix qu’elle dispose dans le congélateur d’un air las et presque agacé par notre discussion. Comment peut-elle semblé si peu intéressée, soudainement, par le sujet qu’on aborde ?
— Je te prierais d’arrêter de reporter la faute sur moi quand j’essaye de te parler, je tonne.
— Mais le problème est que c’est de ta faute si je ne te parle pas ! s’exclame-t-elle. Tu te fiches des autres, passes ta vie à parler de toi et toujours toi ! Et tu te plains que j’en ai assez et ne me confie pas à toi mais quand je t’explique pourquoi, tu claques la porte et ne reviens pas durant plusieurs jours !
— Je ne peux pas deviner qu’il y a un problème si tu ne m’en parles pas, Noor. Tu as laissé la situation dégénérer au point de fuir nos repas en tête-à-tête et tu ne m’en parles que maintenant. Je serais sans doute moins blessée si tu avais eu la présence d’esprit de te montrer moins égoïste !
Ses yeux s’écarquillent et ses mains se figent. Lentement, elle me regarde, prenant le temps de digérer les paroles que je viens tout juste de lui asséner. Un rire sans joie franchit ses lèvres et je sens une colère se former dans son estomac.
Ses sourcils se haussent.
— Egoïste ? répète-t-elle.
Je ne réponds pas, gardant mon regard dur ancré sur sa personne.
— Moi, égoïste ?
Sa main se referme sur sa viande.
— Est-ce que la fille qui passe son temps à cracher sur les autres, se plaindre pour un rien, pleurer tout le temps, parler de sa petite personne sans jamais se soucier de celle d’autrui est en train de me dire que je suis égoïste ? Est-ce que la gosse qui n’a PAS ETE FOUTUE DE SOUTENIR SA MEILLEURE AMIE DANS L’ETAPE LA PLUS IMPORTANTE DE SA VIE SE PERMET DE LUI DIRE QU’ELLE EST EGOISTE ? ET POURQUOI ? PARCE QUE J’AI PAS APPELE A L’AIDE ASSEZ FORT ?
Mes yeux s’humidifient et ma gorge se serre.
— MAIS JE VAIS TE DIRE UN SCOOP, MA CHERIE. LES GENS DEBROUILLARDS, INDEPENDANTS, QUI ATTENDENT PAS QU’ON PRENNE LEURS MAINS POUR LEUR FAIRE TRAVERSER LA RUE N’ONT PAS QUE CA A FAIRE DE RACONTER LEURS PETITS TRACAS A LEUR ENTOURAGE ET PARVIENNENT A BOUT DE CES TRACAS TOUS SEULS !
— T’es vachement parvenue à bout de ces tracas. T’es même pas foutue d’aller en cours.
Ma voix est grondante. Je pourrais regretter les mots que je prononce mais Noor est allée si loin et ma colère est telle que je ne ressens aucune once de culpabilité. Pas même quand son regard retombe et qu’une larme roule sur sa joue.
— Tu ne peux pas me reprocher de ne pas avoir remarqué que tu allais mal alors que tu as tout fait pour le cacher. Et tu ne peux pas me reprocher de demander de l’aide des autres quand j’en ai besoin simplement parce que toi, tu as honte de le faire et que ça t’a mise dans un état pareil.
Mon cœur bat à toute vitesse. J’aimerais qu’elle fasse quelque chose. Qu’elle me hurle dessus que je ne comprends rien. Qu’elle éclate en sanglots en me disant que ses repères sont bouleversés et qu’elle craint juste d’avoir échoué. Qu’elle se réfugie dans mes bras en disant qu’elle ne sait juste plus où elle en est et qu’elle est terrifiée à l’idée de ne pas réussir à s’en sortir toute seule.
Mais, au lieu de ça, elle se tourne et range les biscuits dans le placard avant de déclarer :
— On mange du riz au curry, ce soir. Sors les ingrédients, s’il-te-plaît.
eren un peu trop
à l'aise
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