──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟔𝟒


















L  E    J  E  U    D  E
—     C    A    R    T    E    S     —
































— Violente est la chute pour une famille implantée dans le monde juridique depuis des années.

           Il me faut m'asseoir.

           Maladroitement, je cherche à tâtons le fauteuil derrière moi. Ma main trouve son cuir et je m’y agrippe avec force, ne détachant pas un instant mon regard du large écran plat sous mes yeux.

           Dessus y figure une journaliste. L’air austère derrière son micro bleu, elle attend devant l’imposant Palais de Justice que je reconnais bien.

— Ce mercredi, des personnes prétendant faire partie du célèbre groupe de hackers Anonymous ont publié une série de dossiers tout à fait compromettant pour la célèbre famille Hasting. 

           A l’écran, un gros plan d’un visage que je ne connais que trop bien. Charlotte Hasting.

— Tout a commencé il y a quelques semaines lorsque des vidéos compromettantes de la fille aînée ont été publiées. 

           Se matérialise sous mes yeux une vidéo de Charlotte, hurlant devant ce qu’elle croyait être notre appartement.

— Mais ce mercredi, tous sont tombés un à un.

           Je déglutis péniblement.

           Avant-hier, Grisha et moi avons eu une houleuse discussion au cours de laquelle j’ai laissé échapper — croyant qu’il était déjà au courant — que Charlotte avait agressé son fils.

           Il a ensuite disparu. Mais quelque chose me dit qu’il n’est pas étranger au torrent médiatique qui surgit maintenant.

— Le détournement de fonds du père, les nombreux abus de pouvoir de la mère et les sombres implications dans un scandale lié au proxénétisme du fils… Que savons-nous réellement sur la famille Hasting ? Que se cache-t-il, derrière les dorures de la Haute Société ?

           Putain de merde.

           Je peux aujourd’hui affirmer avec certitude que j’aurais assisté à une crise de colère de Grisha Jäger. J’y songerais sûrement plusieurs fois à l’avenir, avant de le provoquer.

           Une soirée. Il ne lui a fallu que d’une soirée pour annihiler une famille immensément puissante. Des générations de magistrats, juges, procureurs et avocats, de la haute société mêlée à du gratin prestigieux…

           Je ne sais si cet homme est follement puissant ou puissamment fou. 

           Mais, une chose est sûre, je ne suis plus autant à l’aise avec le fait qu’il ne m’apprécie pas.

           Assurément, il vaut mieux éviter de le comporter dans ses ennemis.

— Ce documentaire répondra à vos questions.

           L’écran s’éteint.

           Me tournant, je découvre la silhouette de Carla, plantée derrière le canapé. La main sur la télécommande, elle ne m’accorde aucun regard lorsqu’elle lâche : 

— Ne croyez-vous pas que vous pourriez faire mieux que de rester à vous bourrer le crâne de ce genre d’idioties ?

— Je…

— Eren n’a sûrement pas besoin de cela en ce moment, me coupe-t-elle avant que je dise quoi que ce soit, reposant sèchement la télécommande sur la table basse. Mais je suppose que je ne vous apprend rien…

           Se retournant, elle me montre théâtralement le dos avant de quitter la pièce. Un instant, je songe à lui hurler dessus, habituée à faire preuve d’une certaine animosité quand je suis dans cette maison.

           Cependant, elle dit vrai.

           Sans un mot de plus, je me lève et gravis les marches menant à l’étage. L’épais tapis onéreux couvrant le sol étouffe le bruit du moindre de mes pas. Mais rien ne fera jamais évanouir le son de mon cœur battant à tout rompre dans ma poitrine.

           Les moments “privilégiés” que Carla et son fils ont voulu rattraper se sont enchaînés au cours des derniers jours. Je n’ai pas eu le temps de voir Eren pour discuter de la conversation que j’ai eue avec son père.

           Hier, j’ai pourtant tenté d’attendre qu’il vienne se coucher. Cependant, assise sur le lit, je suis tombée comme une masse. Ce matin, quand je me suis réveillé, quelqu’un m’avait glissée sous les draps et rabattu la couverture sur mon corps.

           Il me manque. Je n’ai pas eu l’occasion de le voir depuis que je l’ai entendu informer sa mère des projets qu’il avait en tête pour nous.

           Maintenant, je vais devoir toquer à la porte de notre chambre; Si Carla est ici, cela signifie qu’Eren doit être rentré. Et je sais que je ne vais pas avoir la force de faire autre chose que de lui parler.

           Lui parler de l’effondrement de Charlotte. Lui parler du fait que chaque membre de sa famille, y compris elle, est mis en examen à l’heure actuelle. Lui parler du fait que son cauchemar persistant touche à sa fin.

           Mais aussi lui parler du fait que les policiers ont sans doute mis la main sur les vidéos l'incrimination. Les vidéos où Eren est dans un état lamentable, où Charlotte n’a daigné tenter de préserver sa dignité.

           Et surtout que son père est derrière tout cela car j’ai révélé son secret.

— Eren ?

           Je n’ouvre la porte qu’à peine, n’osant même pas glisser l’intégralité de mon corps dans la pièce. Seule ma tête dépasse de l’interstice tandis que j’observe la salle.

           Allongé sur son lit, torse nu, Eren a un bras calé sous sa tête tandis qu’au bout de l’autre se trouve son téléphone sur lequel il pianote.

           Lorsque ses yeux émeraudes se lèvent de l’écran et se posent sur moi, son visage s’illumine aussitôt tandis qu’un sourire le fend. Je frissonne à cette vision. Il a l’air si heureux de me voir…

— (T/P) ! 

           Aussitôt, il jette son téléphone sur le lit et se relève. A genoux sur le lit, il me laisse voir son torse imposant traversé de quelques tatouages.

           Je m’efforce de ne pas regarder ceux-là, ne voulant laisser la moindre chance à cette conversation de prendre un ton moins sérieux que celui que je compte lui donner.

           J’ai merdé. Eren doit le savoir.

— Viens, je me demandais quand tu aurais finis !

— Finis ? je demande, légèrement surprise.

           Il penche la tête sur le côté.

— Maman m’a empêché de te voir ces derniers jours car elle a dit que tu avais des examens à réviser.

           Oh la…

           Je comprends qu’elle ait eu envie de passer du temps avec son fils. Mais ma mâchoire se contracte violemment quand je réalise que j’aurais pu voir mon petit-ami pendant qu’il me manquait cruellement — et que, par ailleurs, je m’ennuyais ferme.

           Cette Carla me…

— Elle avait mal compris ? demande-t-il en constatant mon expression troublée.

— Je… Peu importe, je voulais te parler de quelque chose.

           Haussant les sourcils, il m’invite à poursuivre mes paroles. Prenant une profonde inspiration, je ferme la porte dans mon dos.

           Aussitôt, il réalise le caractère sérieux de la situation et s'assoit en tailleur. J’essuie mes paumes moites sur mon pantalon, n'osant pas le regarder. Nous nous asseyons tous les deux face à l’autre.

           Son regard cuit ma joue tandis que je regarde les draps, embarrassée.

— Je… Eren…

           Comment annoncer une telle nouvelle ?

— Est-ce… Tu as fait un tour sur les réseaux sociaux, dernièrement ?

— Non, mon parrain m’a recommandé de m’en détacher, annonce-t-il dans un regard interrogateur.

           Oh… Cela va être encore plus compliqué que ce que je pensais.

— Je…

           Embarrassée, je me réajuste sur le lit. Mes mains n’ont de cesse de s’essuyer sur les couvertures, tentant de trouver n’importe quelle prise. Je regarde partout autour de moi sauf Eren.

           Par où commencer ?

— Je…

— (T/P).

           Sa voix est douce lorsqu’il saisit ma main. Le contact de sa paume sur moi est si doux, si inattendu, que je ne réfléchis pas avant de le regarder.

           Il m’offre l’un de ses sourires si doux dont il a le secret.

— Je n’aime pas te voir si angoissée à l’idée de me parler… Tu sais que tu peux me dire n’importe quoi ?

           J’acquiesce doucement, nerveuse.

           Bien sûr, notre relation a beaucoup évolué et il n’est plus du genre à exploser pour un rien. Cependant, aujourd'hui, il ne s’agit pas d’un rien. Et je pourrais aisément comprendre qu’il éclate.

           Bon sang, j’ai royalement merdé.

           Je lui lance un regard et surprend la lueur inquiète dans ses yeux. Là, je ne tiens plus :

— Charlotte et différents membres de sa famille ont été mis en examen.

           Ses sourcils se haussent brutalement et il s’affaisse. Il s’attendait visiblement à bien des nouvelles, sauf celle-ci.

Immobile, ne sachant trop comment il prendra la nouvelle, je l’observe. Crispée, je le détaille tandis que ses yeux verts s’agitent dans leurs orbites, avalant cette information et tentant de la digérer.

           Les secondes passent sans qu’il ne dise quoi que ce soit. Nerveuse, j’attends.

           Puis, il finit par chuchoter : 

— C’est une bonne nouvelle, je suppose…

           Sa main s’entrelace naturellement à la mienne. Je la presse en retour, le cœur battant à tout rompre.

           Je vois dans le choc apparent sur ses traits qu’il ne sait pas réellement quoi penser de cette nouvelle. Je le comprends. Alors je me contente de lui apporter un peu de chaleur.

           Bien que je demeure terrifiée à l’idée d’aborder le reste de la conversation.

— Je… Mais pourquoi ?

           Je n’aime pas la peur mêlée d’incompréhension sur ses traits. Le simple fait de mentionner Charlotte le terrifie.

— A vrai dire, sa famille est mêlée à beaucoup de méfaits comme des abus de pouvoir, du proxénétisme, de la corruption… Ta sœur, elle, a été arrêtée pour trafic de stupéfiants et…

           Ma voix se fait rauque.

— …Agressions sexuelles.

           Il se crispe, contre moi. Je serre sa main plus fermement. 

           Que faire ?

           Procéder comme avec un pansement que l’on arrache, en lui disant la vérité sur mon lien avec ces révélations ? Ou en lui laissant un peu de répit, abandonnant la conversation ici pour y revenir un autre jour et vivre dans le secret ?

           Eren répond à cette question à ma place.

— Je… Comment… Ça fait des années que les agissements de cette fille sont un secret de polichinelle ! Pourquoi maintenant ? Que s’est-t'il passé ?

           Un frisson me parcourt en entendant le désarroi dans la voix d’Eren. Je déglutis péniblement.

— Ton père a voulu te protéger…

           Sa main lâche brutalement la mienne, comme si je venais de le brûler. Il recule, m’observant de ses yeux écarquillés.

           Mes paupières me brûlent en réalisant qu’il me jauge avec méfiance.

— Eren…

— Comment tu sais que c’est lui ?

           J’avance. Il recule.

           Une larme coule sur ma joue.

— Eren, je…

— Réponds ! tonne-t-il agressivement.

           Quelle étrange sensation…

           Se retrouver devant le gouffre sans d’autre choix que d’y sauter. Savoir que reculer est possible, mais ne fera que précipiter la chute. Devoir annihiler ce que l’on chérie pour mieux le préserver.

           Quel étrange paradoxe…

— Que lui as-tu dit ? demande-t-il, des larmes imbibant ses yeux.

           Il voulait m’épouser…

           Et je réalise que les paroles que je vais prononcer changeront radicalement ses plans. Mais je ne peux pas lui mentir. Cela nous tuerait.

— Eren, je…

           Le pire dans la certitude que les mots que je vais dire vont signer notre fin, c’est quand elle est balayée par le silence. Car je n’ai même pas besoin de dire quoi que ce soit, en réalité.

           Le visage d’Eren s’assombrit brutalement. Chacun de ses traits retombe.

           Et soudain, nous sommes de retour à cette fête. Il me semble que la nuit est noire et que la musique bat son plein. J’ai la sensation que nous nous tenons à nouveau l’un devant l’autre, furieux d’avoir été forcés à travailler sur un sujet en commun.

           Inconnus débordant de haine.

           Il m’observe comme si je n’étais plus. Comme si les derniers mois avaient été soufflés.

           Et aucune émotion en traverse sa voix, pas même la colère, lorsqu’il me demande : 

— S’il-te-plaît, va-t-en. 








































un peu de drama
sinon c'est pas fun
😌

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