L E J E U D E
— C A R T E S —
J’espère que nous ne resterons pas trop longtemps dans le manoir Jäger. Soit, je suis capable de faire des efforts pour le bien d’Eren. Cependant je commence à être lasse d’évoluer dans un univers où je ne suis décidément pas la bienvenue.
Mes dents craquent la surface d’une pomme lorsque je mords dedans. Le silence de cette pièce est tel que tous les regards se tournent vers moi, réprobateurs, en entendant ce son.
Je ne prête pas la moindre attention aux visages sévères des gouvernantes occupées à organiser la table pour le dîner de ce soir.
Assise sur une chaise, feuilletant un magazine, je les regarde à mon tour.
J’espère qu’elles ne s’imaginent pas que je vais baisser les yeux face à elles. Notamment la plus haute de taille, habillée d’un tablier brun ficelé si étroitement à sa peau qu’il pourrait la cisailler, qui me jauge avec une condescendance non feinte.
Observant la peau rougie par la pression des liens, je me contente d’un léger rire moqueur.
Avant de croquer dans ma pomme.
Face à mon indifférence, son imposante poitrine se gonfle et sa mâchoire se contracte. Elle prend grand soin d’inspirer, faisant mine d’exécuter de grands efforts pour se calmer.
Je ne peux m’empêcher de lâcher un autre rire sec.
— Enfin, ma chère, inutile de vous gonfler comme ça, vous allez exploser.
Des bruits secs résonnent aussitôt. Chaque ustensile que tenaient ses consoeurs est tombé sur le comptoir.
Figées, elles fixent la gouvernante en cheffe, visiblement terrifiées de sa possible réaction.
Cette dernière ne tarde pas à se faire entendre.
Abattant son rouleau à pâtisserie dans un claquement sec sur la table, elle époussette le tissu du tablier avant de le tendre brutalement. Gonflant ses poumons à bloc, elle gagne contenance.
— Mais enfin, où vous croyez être ?
— Dans une cuisine, je réponds simplement. Une cuisine où Eren a mangé librement ce matin pendant que vous cuisiniez, une cuisine où son père a fait de même en se permettant de se servir dans les aliments que vous utilisiez pour vos préparations, vous forçant à aller en rechercher…
Je croque une autre fois dans la pomme. Mes yeux se posent sur sa silhouette et, se faisant, je prends un malin plaisir à décrocher lentement le morceau du reste du fruit.
Puis, je mâche calmement, brisant chaque segment en des dizaines d’autres. Sous leur regard, tantôt appréhensif — quant à la réaction de la gouvernante en cheffe — tantôt excédés.
— Ouais…, je conclus dans un rictus narquois. Une cuisine.
— Mais cette cuisine n’est pas la vôtre et vous le savez.
— Ce n’est pas la vôtre non plus mais celle de la famille Jäger.
— Je sers cette famille depuis des années ! se redresse-t-elle soudain, outrée par mes paroles.
— Cela ne change en rien le fait que si je n’ai pas le droit d’être dans cette cuisine parce que je ne porte pas le nom Jäger, vous non plus.
Sa peau devient de plus en plus rouge à mesure des secondes s’écoulant. Et je ne peux m’empêcher de trouver quelque chose de réconfortant dans la teinte cramoisie de sa chair.
— C’est tout à fait différent !
— Pas tant que ça.
— VOUS N’AVEZ PAS VOTRE PLACE ICI ET TOUT LE MONDE AIMERAIT VOUS VOIR DÉGUERPIR.
Encore figées, les gouvernantes ont à présent la tête baissée.
A leur côté, la cheffe a enfin explosé. Ficelée à la manière d’un rôtie dans son tablier, sa peau rougie par le tiraillement, son chignon si serré qu’il semble sur le point de lui arracher les tempes, elle n’est que tension. Une silhouette sur le point d’exploser.
Alors, je crois que j’aimerai en rire.
Cependant un bras s’enroule autour de mes épaules et une silhouette se presse à mon flanc. Avec horreur, je reconnais l'odeur d’humidité et de moisissure qui embaume le manteau de Grisha Jäger.
— Enfin, Martine, ce n’est pas une façon de parler à nos invités.
Un frisson glacé coule le long de ma colonne.
Mon corps lutte contre le geste que je fais lorsque je tourne la tête, comme s’il tentait de me préserver d’un face-à-face avec Grisha. Mes articulations grincent presque, à la manière d’une machine aux rouages mal huilés.
Son regard trouve le mien quand ses lèvres s’étirent en un sourire jauni par la cigarette.
— Notre invité est ici comme chez elle. Nous sommes ravis de l’accueillir, prononce-t-il dans un sourire si faux, venimeux, que mes genoux en tremblent presque.
Son aura se déploie autour de moi à la manière d’une ombre. Elle me supplante, me forçant presque à courber l’échine.
Son torse est pressé à mon bras. Il y met tant de force que je crois un instant que je vais fondre en lui. Son visage est si proche du mien que ses lunettes pourraient glisser sur mon nez.
Et je ne manque rien de la lueur menaçante qui illumine son regard.
— Laissez-nous, déclare-t-il soudain.
La seconde d’après, les portes se referment. En un battement de cils, à peine perceptible, chaque employé de maison a quitté la pièce.
Grisha me relâche. Je m’éloigne aussitôt, faisant le tour du comptoir pour le placer entre nous.
Mon regard méfiant se pose sur sa silhouette. Un sourire amusé étire ses lèvres lorsqu’il ôte ses lunettes et commence à en essuyer les verres, comme si rien ne venait de se produire.
— Qu’est-ce que j’aime ces moments-là, rit-t-il en astiquant avec plus d’assiduité encore la surface.
— Quels moments ?
— Ceux-là ! s’exclame-t-il dans un autre rire. Ceux où la pimbêche qui croit tout contrôler réalise en face de qui elle est.
Ses gestes se figent. Ses lunettes demeurent dans ses mains quelques instants et il me gratifie d’un regard en coin, son éclat malicieux ne le quittant pas.
— Vous vous cachez dans l’ombre de mon fils… Quand réaliserez-vous qu’il ne vaut rien face à son père ? Que ses genoux tremblent autant que les vôtres lorsque je pénètre une pièce ?
Des volutes bouillantes éclatent dans mon corps. Je reconnais la sensation familière de la colère. Ma mâchoire se serre. Mes mains sont prises de spasmes.
— Oh, quel beau regard…
Penchant la tête sur le côté, il plonge ses yeux dans mon regard noir, visiblement amusé par la rage y grondant.
— Relevez donc la tête, vous êtes ridicule, ma chère.
Son sourire amusé ne me fait que bouillonner davantage.
Balayant la conversation d’un geste de la main, il saisit la pomme que j’ai abandonnée sur la table, à moitié mangée. Avec horreur, je le vois croquer dedans à son tour.
La bouche pleine, il observe mon expression écoeurée et mâche l’aliment dans un sourire avant de déglutir.
— Rien ne vous appartient, ici. Tout est à moi. De la pomme…
Il prend le temps de marquer une pause théâtrale.
— A la personne que vous croyez être l’amour de votre vie.
Je lâche un faible rire en entendant cela.
— Ce qui vous appartient surtout, chez Eren, c’est ses problèmes d’addiction.
Il ne répond pas. Je me décide à refaire le tour du comptoir, lui passant devant. Il ne me retient pas.
Alors, sur le pas de la porte que j’ouvre, je déclare simplement :
— Au revoir, Grisha.
☆
Dans le jardin, au moins, je pense qu’on me fichera la paix.
Le soleil est haut, dans le ciel. Mais les branches multiples et feuillues des arbres forment des ombrelles qui planent au-dessus de mon visage. Une douce chaleur caresse mes paupières closes.
Je hume l’odeur d’herbe mouillée qui se soulève à chaque brise printanière. Un sourire déforme mes lèvres tandis que je savoure l’instant.
Le sol semble être un matelas, sous mon corps. Des fleurs carressent mes joues et mon corps se détend.
Tout est si bon, ici, que j’aimerais ne jamais bouger. Alors je ne remue pas d’un pouce. Et ce, même lorsque j’entends des voix se rapprocher. D’abord, elles ne sont qu’un murmure sans distinction, au loin.
Petit à petit, elles se rapprochent. Comme si les deux personnes réduisaient la distance jusqu’à moi, tout en demeurant à une certaine distance.
— Et l’université, ça se passe bien ? retentit la voix de Carla.
L’autre ne répond pas tout de suite. Mais lorsqu’il le fait, je reconnais la voix de mon copain.
— Ça va mieux.
Un rire retentit.
— Ah… Cette fameuse (T/P). J’ai beau ne pas apprécier la femme qu’elle est, je crois que je peux consentir à accepter ta petite-amie.
Encore allongée, mes sens sont maintenant entièrement focalisés sur eux.
— Vraiment ?
Un sourire étire mes lèvres.
Je connais si bien Eren que le son de sa voix me permet de déceler le fait qu’il a violemment rougis en m’entendant dire.
— Tu… Tu l’acceptes ? Tu acceptes cette relation ?
— Si je refuse, crois-tu qu’elle acceptera le refus ?
Il rit doucement.
— Non… Pas ma (T/P). Ce n’est pas le style de ma (T/P).
— Et accepterais-tu mon refus ?
Un bref silence prend place.
— Je te respecte. Mais non.
Mon cœur s’emballe.
Jamais je n’ai douté de l’amour qu’Eren me porte. Chaque action qu’il me témoigne fait courir mon palpitant. Mes joues sont en permanence chaudes et je vis pour les instants où nous nous retrouvons tous les deux.
Car il les rend uniques.
Cependant, ses parents — et leurs opinions — comptent énormément pour lui. Je sais qu’il y dépend, d’une certaine façon. Qu’elles ont été la première addiction qu’il a connu.
Leur approbation.
— Elle est si spéciale que ça ?
— Oh, maman… Si tu savais.
Une larme naît, dans mon œil. Je la retiens un maximum, voulant garder cette perle pour moi.
— Je ne t’avais jamais vu amoureux. Et même si je ne comprends pas, Eren… Ton bonheur m’importe. Mais sache que si elle te rend malheureux d’une quelconque faç…
— Ça n'arrivera pas, maman. Elle… Crois-moi, elle m’a aidé là où nul autre n’est parvenu à le faire.
— Oh…
Dans le son de la voix de Carla, j’entends la claque psychique qu’elle vient de se prendre. Je crois qu’elle ne soupçonnait pas que j’ai pu avoir trait à l'abstinence d’Eren.
Mais elle le sait, maintenant.
— Je ne savais pas… Je crois que cette jeune fille a mérité ma haine… Mais peut-être un peu d’affection.
— Elle ne mérite aucune haine, maman.
— Laisse-moi en juger.
— Seulement si tu m’accordes ta bénédiction.
Mes yeux ouverts fixent les arbres. Mais je ne vois rien. Mon regard est embué par les larmes.
— Je te l’ai déjà accordé, Eren. Elle te rend heureux alors…
— Pas pour ça, l’interrompt-t-il.
Un silence prend place. ma respiration se coupe à ce son et je n’ose faire le moindre mouvement, osciller d’une quelconque façon.
— Je…
Il hésite. Mais il finit par déclarer :
— J’ai acheté ça…
Mon souffle se coupe. Serait-ce… Il tranche mes interrogations.
— J’aimerais la demander en mariage.
j'espère que ça vous aura
plu !
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