──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟓𝟖
L E J E U D E
— C A R T E S —
Comment annoncer à Eren que, faute de preuves, le juge n’a pas accepté ma demande d’ordonnance restrictive contre Charlotte ? Et surtout, comment le faire alors qu’il stresse déjà tant ?
— T’es sûr qu’elle est bien faite, un ? Il n’y a aucune bosse mais ce n’est pas non plus lisse comme une piste de ski ?
Les bras croisés, je ne peux m’empêcher de sourire en regardant Eren inspecter sa coupe de cheveux dans le miroir.
Jamais je ne l’avais vu aussi apprêté.
Ce matin, alors que je machonnais distraitement mon petit-déjeuner, encore dans les vappes, je l’ai vu sortir en trombe de la salle de bain, une simple serviette enroulée autour de la taille et des gouttelettes courant le long de son torse svelte.
Un sérum rétinol dans la main, il m’a déclaré, paniqué, qu’il ne se souvenait pas du tout des instructions de la pharmacienne et craignait de faire une erreur. Je lui ai dit que ce qu’il me montrait ne s'utilise que la nuit et il a alors poussé un juron. Voulant lui venir en aide, je l’ai suivi dans la salle de bain.
Ma mâchoire s’est décrochée en découvrant son intérieur.
— Eren, tu vas simplement voir ta mère. Tu ne peux pas réellement faire de faux pas, contente-toi d’être toi-même et elle sera sûrement ravie de voir son fils.
— Je… Oui, mais non.
Mes sourcils se froncent et je balaye du regard l’étalage de produits autour de moi.
Il y a quelques jours, lorsque le brun a posé des sacs de luxe devant moi de sorte à me pomponner, j’ai cru qu’il avait honte de ma façon de me présenter. Cependant, maintenant que je le vois agir de la même façon, je me demande s’il ne craint pas simplement l’opinion de sa mère en règle générale.
— Pourquoi ?
Par le biais du miroir, nous échangeons un regard insistant. Il ouvre la bouche mais finit par la refermer, s’emparant d’un stick de contouring et accentuant le trait de sa pommette déjà définie.
Je me fige à ce geste.
Lorsque je l’ai connu, la drogue avait creusé les traits de son visage. Depuis qu’il est sobre, il réapprend doucement à s’alimenter et mange davantage. Bien sûr, il a pris du poids, ce qui est logique. Cependant, il donne ici la sensation qu’il préférait son visage d’avant.
Ou a-t-il peur de ce que dira sa mère en voyant qu’il a pris des joues ?
— Parle-moi, je murmure d’une voix implorante.
Ses lèvres se pincent. Interrompant son geste, le stick toujours posé sur sa peau, il me regarde à nouveau à travers le miroir.
Mais cette fois-ci, un soupir résigné franchit ses lèvres lorsqu’il repose le maquillage qu’il range.
— Je… Ma mère est une mère géniale. Mais…
Son visage s’assombrit.
— On ne peut pas dire que moi, je suis un fils génial.
Mes sourcils se froncent et je me décale du radiateur. Mon regard se pose sur la dizaine de produits cosmétiques et le maquillage qu’il a acheté pour l’occasion. Quelques crèmes coiffantes trônent aussi là.
Tant d’efforts, juste pour lui plaire… Alors oui, il est un fils génial. Sans doute pas selon sa définition du terme. Mais il est génial.
— Elle n’a jamais rien dit mais elle sait que je consomme. Je l’ai deviné, il y a un moment. Il s’agit d’un secret de polichinelle dans la famille…
Il s’observe dans le miroir. Ses iris s’attardent sur le trait brun soulignant sa pommette droite.
— Aujourd’hui, je suis sobre. Et je veux lui montrer que tout a changé, dans ma vie.
— Eren.
Doucement, je saisis son visage en coupe, le poussant à se tourner vers moi. Un sourire doux étire mes lèvres quand je plonge mon regard dans le sien.
Du pouce, je tente d’essuyer la trace de contouring et ne fait que l’étaler. Qu’importe.
— Quand tu regardes ce miroir, tu vois un vestige de celui que tu étais, ce qui est normal. Mais réalise que nous voyons tous celui que tu es devenu.
Jetant un regard aux produits amassés devant nous, je chuchote :
— Tu es… splendide. Tu n’as pas besoin de plus.
Un léger sourire étire ses lèvres.
Saisissant un disque de tissu, je l’imbibe de démaquillant avant de me tourner vers lui. Là, l’observant quelques instants, je lui demande silencieusement si je peux effacer ce qu’il a fait.
Il acquiesce.
Je dépose le linge sur sa peau. Puis, tout doucement et délicatement, je commence à essuyer sa chaire.
— Le maquillage est un outil fabuleux, une façon d’exprimer son art. Tu entends ? je demande dans un sourire. S’exprimer.
Mes sourcils se froncent et j’efface une trace de correcteur cachant un bouton de stress.
— Pas à se réprimer. Tu n’es pas en train de te maquiller car cela t’aide, toi mais parce que tu espères te faire accepter de quelqu’un d’autre.
A mesure que je frotte, des traces diverses apparaissent : cicatrices en demi-lune, vestige des ongles qu’il a planté dans sa peau en étant stressé, vaisseaux éclatés, cernes, boutons…
— Eren… Tu es beau.
Enfin, je cesse de regarder chaque détail de son visage et découvre ses yeux.
Ceux-là sont remplis de larmes.
Désarçonnée, j’ai un mouvement de recul. Mais il ne me laisse pas le temps de m’éloigner et me serre brutalement dans ses bras. Ceux-là s’enroulent autour de mon corps et sa tête s’enfouit dans le creux de mon épaule.
— Merci… Merci tellement…
Un sourire étire mes lèvres et je passe mes doigts dans ses cheveux, massant son crâne. Il sanglote sur mon pull et je le laisse faire, tentant de l’apaiser de murmures doux.
Un baiser est déposé sur mon épaule. Je souris à cette sensation. Eren est si doux, dans le moindre de ses gestes…
— Maintenant, on va s’habiller comme tous les jours, se prendre par la main et y aller ensemble. D’accord ?
Il acquiesce en reculant. Je pose une main sur sa joue. Mon pouce caresse sa pommette et il sourit.
— D’accord.
☆
— Oh ! J’ai cru que ça ne finirait pas !
Étirant mes jambes de toutes mes forces, je me retiens à l’encadrement de la portière de la voiture pour ne pas tomber. Loin à l’extérieur, je pousse les guiboles, me soulageant.
— Tant que ça ? résonne la voix de mon copain, assis sur le siège conducteur.
Etant donnée l’insistance de Grisha Jäger à venir frapper à notre porte tous les jours, je pensais que le domicile familial se trouvait autrement plus près. Hors, il s’est avéré qu’il nécessitait quatre heures de voiture.
Je ne sens plus le moindre de mes muscles après être restée assise si longtemps.
— Oh oui, tant que ça ! Tu m’as dupé, monsieur ! Il y a eu tromperie sur la marchandise ! Je fonds !
— Puis-je aider ?
Je me relève brutalement en entendant cette voix féminine. Mais ma tête heurte alors le plafond de la voiture et, assommée, je retombe sur le siège.
Plaquant une main sur mon front, je réprime mille jurons en me disant que la femme qui vient de nous accoster, alors que nous nous sommes garés devant la maison de Carla Jäger est sans doute… Et bien, Carla Jäger.
— Ça va aller, je couine en fronçant chaque trait de mon visage.
— Tout va bien ? demande le brun d’une voix me laissant deviner qu’il lutte actuellement de toutes ses forces pour ne pas éclater de rire.
Les dents serrées, il me faut me remémorer plusieurs fois que je l’aime pour ne pas lui en coller une.
— Quelle question, Eren… Assurément non, elle ne va pas bien.
Cette voix…
L’entendre me fait l’effet d’une douche froide. Si froide que j’en oublie la douleur. Chaque trait de mon visage s'affaisse et je me liquéfie presque.
Mes yeux s’ouvrent et je me redresse, découvrant celle qui vient de se planter à côté de Carla Jäger. Et, malgré le contre-jour, je devine aisément de qui il s’agit.
Charlotte. En chair et en os.
désolée pour le retard !
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