──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟓𝟕
L E J E U D E
— C A R T E S —
— Des abrutis pareils mériteraient d’être mis sous cloche, je vous jure !
— Je trouve votre réaction légèrement excessive.
— ET EN QUOI MA RÉACTION EST-T-ELLE EXCESSIVE ?
La main de Karim Hafeez fend l’air dans un geste théâtral qui marque son agacement. Assise sur le canapé de l’ancienne confrérie d’Eren, allongée contre son torse, j’observe le professeur passer un savon à Conny et Jean.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu parlé d’eux. Mon petit-ami et moi avons donc décidé de leur rendre visite.
— Et bah, tu sais quoi ? murmure Eren dans le creux de mon cou. Je ne sais pas si c’est lié au fait de te fréquenter mais je me sens vachement plus mature, en les regardant.
— Eren, tu as fait l’exacte même chose il y a un mois mais tu t’es foiré.
Il ne prend même pas la peine de feindre d’être vexé par ma remarque. Un rire secoue sa poitrine et il lâche :
— C’est vrai qu’eux, ils se sont clairement pas foirés.
— MONSIEUR JAGER, VOUS TROUVEZ CA DRÔLE ?
Les yeux de Karim Hafeez semblent sur le point de sortir de leurs orbites tant il les écarquille. Mes lèvres se pincent tandis que je tente de réprimer un fou rire violent.
Le brun des iris du professeur ressort étrangement, aujourd’hui. Il faut dire que sa peau ne revêt plus une teinte hâlée mais jaunie. Et je me doute qu’il a pourtant passé des heures à se récurer sous la douche.
Vivement, il se tourne vers les deux étudiants.
— SERIEUSEMENT ? METTRE UN BOUILLON DE CUBE DANS LE POMMEAU DE DOUCHE PARCE QUE VOUS N’AVEZ PAS EU LA MOYENNE DANS MA MATIÈRE ?
Une odeur de poulet embaume la pièce depuis qu’il est arrivé.
Il y a un mois, Eren avait tenté de faire la même chose à Aïsha. Cependant, après une erreur de manipulation, le jet s’était ouvert tandis qu’il se trouvait en-dessous.
Même en n’y restant qu’une dizaine de secondes, il n’était pas parvenu à en retirer l’odeur avant cinq douches.
Le professeur Hafeez, lui, a de toute évidence mis très longtemps avant de s’en rendre compte.
— Qu’avez-vous à dire pour faire défense ? tonne-t-il en les regardant avec animosité.
Les lèvres de Conny se pincent. Mais il essaye tout de même, dans une grimace presque douloureuse :
— Le bouillon de cube était halal.
— Dégage.
— Oui, monsieur.
La tête baissée, Conny marche docilement jusqu’au fond de la confrérie où il se positionne dans un coin, face au mur. Jean le regarde faire et esquisse un sourire moqueur.
Cependant, dès qu’il se retourne, croisant le regard de Karim Hafeez, il imite son collègue. Je me retiens d’éclater de rire, enfouissant mon visage dans le torse de mon copain.
Eren pose sa main sur ma tête. Fermant les yeux, je profite quelques instants avant de murmurer dans le tissu de son vêtement :
— Dis-moi qu'il ne nous regarde pas.
— Non seulement je vous regarde, mais je suis derrière vous.
Un hurlement me prend et je sursaute violemment hors du canapé. Eren fait de même, lâchant un cri bien plus aigu, semblable au crissement d’un ongle sur un tableau, puis s’échouant sur le sol.
Karim s’apprête à lever les yeux au ciel mais préfère finalement les écarquiller pour regarder Eren, consterné.
Ce dernier, allongé sur le parquet, met quelques instants avant de se défendre :
— C’est (T/P) qui a crié comme ça.
— C’est absolument faux ! nous répondons en chœur, abasourdis.
Là, dans un geste théâtral, Eren pose une main sur son cœur avant de basculer la tête en arrière. Ses yeux s’écarquillent quand il accuse le coup de notre vive réaction.
Je lève les yeux au ciel, dépassé par son côté dramatique.
— L’amour de ma vie vient de me trahir !
— Eren, lèves-toi et arrêtes d’en faire des tonnes, gronde Hafeez en roulant des yeux.
De mon côté, je ne réagis pas, trop sonnée par ce que vient de dire Eren.
Soit, il a prononcé ces cinq mots d’un air boudeur et pour faire une plaisanterie. Mais il m’a présenté comme étant “l’amour de sa vie vie”.
Mon cœur bat à toute vitesse tandis que je le dévisage, hébétée. Mon estomac se noue et je déglutis péniblement. Jamais je n'aurais cru que quelqu’un me désignerait par ces termes un jour.
— Relevez-vous ! gronde Karim.
— Oh, c’est bon.
Toujours boudeur, Eren peste en se redressant. Il passe une main dans ses cheveux emmêlés et soupire en jetant un regard mauvais à son professeur. L’autre ne relève pas, visiblement habitué aux bêtises de mon petit-copain.
Non. Il se contente de nous lorgner quelques instants. Puis, il soupire :
— Cassez-vous.
— Et oh ! je tonne.
— Ouais ! Dis-lui, ma belle ! renchérit Eren en se plaçant derrière moi pour mieux être protégé.
Montrant le dos de sa main, le professeur écarquille les yeux avant de prononcer entre ses dents serrées :
— Eh ! Vous la voulez, celle-là ?
— Bah vas-y, viens nous chercher ! lance Eren.
Très. Mauvaise. Idée.
Un homme imbibé de bouillon de poulet — même s’il est halal — n’a absolument plus rien à perdre.
— D’accord.
Ces deux syllabes, prononcées par Karim d’un ton désintéressé, achèvent de me terrifier.
Brutalement, il s’anime. Je hurle en le voyant se jeter sur nous. Aussitôt, je m’empare de la main d’Eren et cours à toute vitesse. Le brun se laisse faire.
Dans notre dos, les pas précipités de Karim retentissent tandis qu’il nous court après. Et la situation empire lorsque Eren lance, par-dessus son épaule :
— C’est pas comme ça que vous épouserez Noor !
— MAIS POUR NOTRE SURVIE, TAIS-TOI ! je hurle.
La porte s’ouvre à la volée quand nous atterrissons dans l’allée. Quelques passants de la cité universitaire se tournent vers nous. Nous prenons grand soin de les ignorer.
J’aimerais dire que jamais mes pieds n’ont tapé aussi fort le sol. Que je ne me suis jamais sentie courir aussi vite. Que jamais le monde autour de moi n’a été réduit à un tel amas de lignes filant dans mon sillage.
Seulement, je me souviens du gardien nous ayant pourchassé, il y a quelques mois.
Et une fois encore, cela était de la faute d’Eren.
— PUTAIN MAIS T’EN RATE PAS UNE, TOI !
— MAIS QU’EST-CE QUE J’AI FAIS !? hurle-t-il dans sa course.
Nos mains toujours liées, nous allons de plus en plus vite. Je ne sais pas si le professeur nous suit encore. Je crains de ralentir la cadence pour le regarder.
Alors je cours. Pénétrant le jardin universitaire.
Les arbres ne sont plus que des amas verts et bruns, autour de nous. Nos chaussures frappent l’herbe à mesure que nous avançons. Nous filons à vive allure.
Soudain, le choc.
Une racine d’arbre retient mon pied. Mon corps poursuit sa course. Ma jambe se tend brutalement et je bascule vers l’avant.
Dans ma chute, je sens que j’emporte Eren. Il n’a que le temps de pousser un juron.
Mon épaule percute le sol en premier. Nous roulons ensemble dans un pêle-mêle de couleurs et nous confondons l’un en l’autre. Je ferme les yeux, ayant le tourni à cause du paysage tanguant autour de moi. J’attends que cela passe.
Il me faut quelques secondes avant de réaliser que j’ai fini de tomber. Eren me sort alors de ma torpeur :
— Bon. Le côté positif, c’est que le professeur ne nous suit plus.
Je ris doucement.
Allongé à côté de moi, il bascule sur le dos. Je l’imite et nous observons les branches d’un arbre, au-dessus de nos têtes.
Son corps est chaud, contre le mien. Ce contact a quelque chose d’apaisant. Le silence se fait très vite calme et je ferme les yeux, ma poitrine se soulevant largement à cause de ma respiration.
— Je le pensais, tu sais ? résonne soudain la voix d’Eren.
Mes yeux s’écarquillent.
— Tu es l’amour de ma vie.
un peu de fluff pour préparer le terrain...
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