──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟓𝟓
L E J E U D E
— C A R T E S —
La promesse que je me suis faite a été tenue. Charlotte chute. Depuis plusieurs jours maintenant.
Je n’arrive pas à savoir comment Eren le vit. Le nom de cette fille parcourt toutes les universités et, par conséquent, le sien aussi. Il fait semblant de garder la face, que cela ne l’affecte pas même un minimum mais je connais mon petit-ami.
— Alors, tu as passé une bonne journée mon coeur ?
Eren, assis au minuscule comptoir marquant l’entrée de notre cuisine, acquiesce doucement. Devant lui se trouve un ordinateur ouvert.
Le voyant est éteint. L’appareil n’est même pas allumé. Je me doute qu’en entendant que j’approchais, il s’est empressé de plier à la hussarde les draps du lit avant de s'asseoir au bar.
Il souhaite donner l’illusion que tout va bien, qu’il travaille ses cours toute la journée. Je n’ose pas lui parler du fait que je suis consciente qu’il passe son temps à dormir, essayant de fuir la réalité.
Je ne veux pas le brusquer.
— Dis, je murmure dans un sourire, posant un tote bag devant lui. Devine où je suis allée !
Ses sourcils se froncent et il tend la main vers le sac, tentant d’en extirper le contenu. Je lui assène alors une pichenette et il sursaute.
J’éclate de rire.
— Hé ! C’était très violent !
— Tu dois deviner sans regarder l’intérieur sinon ce n’est pas drôle !
Quelques instants, il fait la moue, tentant de m’attendrir. je suppose qu’il réalise relativement vite que cela ne le mènera nulle part car il reprend un visage sérieux.
S’enfonçant dans son siège, il chuchote :
— C’est trop nul comme jeu.
— Tous les jeux où tu perds sont nuls, à tes yeux, je déclare dans un rictus joueur.
Aussitôt, je titille quelque chose en lui. Ses yeux s’illuminent lorsqu’il réalise que je lui lance un défi. Il se lève théâtralement et se penche en avant, mains sur les cuisses, prenant une inspiration.
Je dois avouer que, même en connaissant la faculté d’Eren à faire preuve de ridicule même lorsque ce n’est fondamentalement pas nécessaire, je demeure surprise par cette réaction.
Il se redresse brutalement.
— Du hachis parmentier !
— Non, c’est…, je m'interromps brutalement en réalisant ce qu’il vient de dire. Du hachis parmentier ?
— Je sais pas, j’ai trouvé ça logique dans le contexte.
Ma voix jaillit comme un cri de désespoir lorsque je réponds :
— Pourquoi ?
Faisant la moue, il hausse les épaules sans conviction. Je secoue la tête, légèrement amusée.
Puis, saisissant le tote bag, j’en vide le contenu en déclarant fièrement :
— Je suis allé chez l’épicier où tu as trouvé de quoi fêter notre sobriété ! je déclare en me rappelant de ce moment où j’ai réalisé combien Eren était unique et touchant. Et j’ai trouvé de quoi passer une superbe soirée !
Sortant du thé, du chocolat en poudre ainsi qu’en tablettes et différents ingrédients, je lâche dans un sourire :
— Soirée cuisine devant une série, ça te tente ?
Là, je me tourne vers lui.
Il m’observe avec un sourire tendre, profondément amoureux. Je frissonne en voyant son regard si doux et me sens aussitôt prise d’une profonde vague de chaleur.
— Que… Quoi ? je demande dans un sourire maladroit.
Il s’approche de moi et, glissant une main sur ma joue, caresse celle-ci. La chaleur de sa paume m’apaise et il chuchote :
— Merci de ne pas me forcer la main. De me laisser prendre du temps.
Un frisson me parcourt.
— Eren, ne te sens jamais forcé de rien avec moi. Tu n’es pas obligé de tout me dire. Saches juste que si tu en as besoin, je serai là pour t’écouter.
Il sourit tendrement.
— Je…
Un soupir franchit ses lèvres et il s’assoit. Comprenant qu’il s’apprête à m’expliquer ce qui le tracasse, je m’assois à côté de lui.
Prenant sa main dans la mienne, je l’écoute.
— Depuis que Noor a envoyé la vidéo à Aïsha qui l’a publiée, tout le monde en parle. Et j’ai l’impression que partout où j’irais, on m’assimilera à elle. Je sais que je voulais la neutraliser mais… J’espérais aussi me défaire d’elle.
J’acquiesce doucement.
— Des questions tournent sans arrêt dans ma tête. Et si elle parlait de ma toxicomanie ? Et si elle se venge en s’en prenant à toi ? Et comment être sûr que ce qu’on fait n’est pas pire qu’elle ? Pourquoi c’est moi qui ai peur de mettre un pied dehors alors que c’est elle qui a mal agi ?
Au terme de cette logorrhée, il pousse un long soupir. Je réalise alors combien cela lui pesait sur le cœur, à quel point il avait besoin de laisser cela jaillir.
Alors je suis fière qu’il l’ait fait.
— Tout d’abord, je chuchote en caressant sa main, saches que je te suis reconnaissante de m’avoir parlé de ça parce que je sais que c’est dur pour toi.
Un sourire étire mes lèvres, mouillé de larmes.
— Et cela montre d’ailleurs que tu es bien plus fort que ce que tu ne crois.
Il acquiesce frénétiquement, tentant de se convaincre de mes paroles. Je sais que celles-ci lui sont cruciales, aujourd’hui. Il a besoin d’être rassuré.
Tout comme chacun lorsque la vie devient rude et complexe.
— Ecoute et procédons par ordre.
Je prends ses mains dans les miennes. Elles sont bien trop grandes pour tenir entièrement entre mes paumes mais cela semble l’apaiser légèrement. Je lui offre un faible sourire.
— Charlotte n’a plus aucune crédibilité. Les gens sur les réseaux sociaux la voient comme une folle. Ils sont ravis de voir cette fille riche, célèbre à qui tout sourit tomber. Nous avons tiré une force de quelque chose de terrible : la jalousie d’autrui.
Même s’il ne la connaissent pas forcément, certains seront ravis à l’idée de taper sur une personne ayant une vie idéale, de creuser sous ses pieds pour qu’elle chute.
Hafeez savait exactement ce qu’il faisait, en préparant ce plan. Des années à étudier le comportement des foules en ligne lui a permis de comprendre comment elles fonctionnent.
— Alors, si elle dévoile ta consommation de stupéfiant, deux choix s’offrent à toi : tu l’ignores et les gens seront trop occupés à s’en prendre à elle pour y faire attention ou tu as la sensation d'avoir la force de l’assumer et, crois-moi, ils lui feront un procès populaire pour avoir osé tenté de dévier l’attention de tous en évoquant la faiblesse de quelqu’un aujourd'hui sobre.
Je ne le dis pas mais il pourra aussi mentir, la faire passer pour quelqu’un qui cherche à tout prix à se dédouaner.
— Ensuite, elle ne s’en prendra pas à moi. Sur la base de cette vidéo, j’ai demandé une injonction d’éloignement.
Il se redresse vivement.
— Je ne t’en ai pas parlé car je n’étais pas sûre qu’elle serait acceptée mais il semblerait que la juge soit encline à nous l’accorder bien que rien ne soit officiel pour l’instant.
L’expression soulagée qui traverse ses traits me fend le cœur. Cette fille le terrifie vraiment.
— Et je promets que nous ne sommes pas pire qu’elle. Nous avons joué avec ses règles et avons simplement appelé à l’aide, d’une certaine façon.
Déposant un baiser sur sa tempe, je chuchote contre son oreille :
— Pour finir, je t’assure que tu n’as pas peur d’elle mais de l’avenir. Et le meilleur moyen de s’y mesurer est de l’affronter. Alors demain, je te propose de sortir comme si de rien n’était et agir comme si tu n’avais même pas eu vent de cette vidéo, que c’était juste une fille ayant eu un délire sur toi… Après tout, tout le monde sait que la porte sur laquelle elle frappait n’était pas ta porte.
Il acquiesce doucement.
Je pense qu’il avait besoin que quelqu’un lui dise ce qu’il désespérait d’entendre, le rassure en lui déclarant ces quelques mots. L’apaise.
Mes doigts s’entrelacent aux siens et, dans un sourire, je chuchote :
— En attendant, soirée films ?
Il acquiesce vivement et se lève de son siège. Puis, sans me regarder, embarrassé, il admet :
— Je… Je ne me suis pas lavé depuis plusieurs jours. Je vais y aller avant de manger, si ça ne te dérange pas.
Fière, j’esquisse un sourire.
— Bien sûr que ça ne me dérange pas ! Tu m’appelles si t’as besoin de quoi que ce soit, mon coeur.
Il acquiesce et s’apprête à entrer lorsque je l’interpelle. Il se tourne vers moi et je lui demande :
— N’ai pas honte de parler de ce genre de choses avec moi, Eren. Je suis ta petite-amie. Je suis là pour t’aimer, pas te juger.
Il m’offre un sourire ainsi qu’un remerciement avant d’entrer. A peine l’a-t-il fait que mon téléphone vibre. Il s’agit d’un message.
Les sourcils froncés, je découvre le numéro de Karim Hafeez. Étrange… Il ne m’envoie rien, d’ordinaire.
Déverrouillant mon écran, je lâche la tablette de chocolat qui s’effondre au sol en découvrant son message.
“De : Karim Hafeez.
Un contact à la police vient de m’informer que deux personnes avaient déposé une plainte officielle contre Charlotte pour abus de faiblesse et pornodivulgation.”
ils avaient besoin d'un petit
moment à eux
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