──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟒𝟑



























L  E    J  E  U    D  E
—     C    A    R    T    E    S     —












































           Le salon commencera bientôt et nous n’avons reçu aucune information dessus. Je n’en suis pas bien surprise, il me semble que la légende de la cacophonie des administrations est véridique partout.

           Un stylo à la main, je rature les quelques mots déposés sur mon cahier. Lorsque l’institution chargée de l’évènement nous contactera, nous devrons avancer un projet, leur dire comment se créera notre stand et ce que nous aimerions avoir en place.

           Je n’ai absolument aucune idée.

— Eren ne t’est d’aucune aide ? retentit la voix grésillante d’Adélaïde, depuis le haut-parleur de mon téléphone.

           Je jette un regard par-dessus mon épaule, regardant les pompes qu’exécute le brun. Un casque sur la tête, il écoute une émission tout en travaillant ses muscles.

           Mon regard s’attarde d’ailleurs sur la sueur coulant le long de ses bras, retraçant le dessin de certains tatouages.

— Il me… soutient émotionnellement.

           Elle éclate de rire, ayant sans doute deviné ce à quoi je fais allusion.

— Bon, quoi qu’il en soit, ne te creuse pas trop la tête. Quand je vais aux salons du livre, la plupart ont des arcades, des posters, des prospectus et une table.

— Je… Je sais mais j’aimerais essayer de marquer les esprits, je lâche maladroitement. Enfin, je ne veux pas non plus qu’ils n’en dorment pas la nuit car là, je sais qu’Eren serait très friand d’idées.

— Dis à ton amant que plus personne ne veut voir son pénis.

           Evidemment, Adélaïde a eu vent de son… moment de liberté et nature au début du semestre. Parfois, riant bruyamment, je resonge à cet évènement qui l’a d’ailleurs conduit ici, à New-York.

— Vous comptez faire quelque chose, aujourd’hui ? demande-t-elle. Il y a des choses à faire, dans cette ville !

— Bien sûr, qu’il y en a… Mais je crois qu’Eren veut surtout qu’on s’installe dans la suite qu’il a réservé, dans un autre hôtel.

           Un rire me répond.

— Le fameux hôtel avec spa et tout ? A ta place, je ne serais déjà plus dans cette chambre !

           J’éclate de rire. Cela ne m’étonne pas. Adélaïde a beau être d’un naturel calme et sage, elle peut se comporter en véritable chipie, parfois.

           Quoi que, je dois m’avouer aussi débordante d’excitation à l’idée de m’allonger dans le jacuzzi dont il m’a tant parlé.

— Adélaïde ! Le petit frère, s’te plaît ! retentit une voix bourrue, dans le fond.

— Je dois te laisser, ma belle. Les piliers de bar m’appellent !

           Je souris et la salue. Nous échangeons quelques dernières blagues avant de raccrocher. J’observe le téléphone quelques instants, un sourire aux lèvres.

           Une odeur de sueur m’embaume soudain et deux mains se glissent par derrière, sur mes joues. Son ventre se plaque à mon dos et je ne peux réprimer un sourire.

— Alors, comme ça, tu as hâte que je t’emmène à l’hôtel ?

— Je croyais que tu écoutais ton émission, que tu ne m’aurais pas entendue…, je minaude en levant la tête, regardant son visage, au-dessus du mien.

— J’ai infligé beaucoup de sévices à mon corps mais sûrement pas celui de me rendre sourd en mettant le son à fond.

— Oui ! Ce serait tout à fait déplacé ! je feins d’être outrée, écarquillant les yeux.

           Il rit doucement avant de se pencher sur moi, déposant un baiser sur mes lèvres. Mes yeux se ferment et je savoure la douceur de ce contact si léger.

           Bientôt, sa bouche s’entrouvre et nos langues se rejoignent. Je gémis doucement dans ce baiser avant que nous nous séparions.

           Ses yeux demeurent plantés dans les miens et il caresse mes joues. Son front arrive à hauteur de mes lèvres alors j’y dépose un autre baiser.

           Il sourit avant de me rendre la pareille.

— (T/P), chuchote-t-il.

— Mmm ?

           Etourdie par notre bisou, je n’arrive même pas à réfléchir correctement et me contente de le regarder, enivrée par ce moment si simple.

— Tu compte me parler de ce que t’as dit Noor, ou pas ?

           Mes yeux s’écarquillent et je me redresse brutalement. Rompant brutalement le moment, je me retourne sur ma chaise, fronçant les sourcils.

           Et je ne contrôle vraiment mon ton, quasiment animal, lorsque je crache :

— De quoi tu parles ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

           Ses yeux s’écarquillent. Je me suis soudain bien bête de réagir si vivement. Mes épaules s’affaissent et je soupire. Secouant la tête, je balaye l’air de la main.

— Laisse tomber, ma réaction est complètement stupide.

— Pas le moins du monde.

           Reculant, il s’assoit sur le lit. Je le regarde faire, comprenant qu’il s’agit d’une façon silencieuse de me demander d’expliquer ma réaction si vive.

— Noor a sacrément déconné, ces derniers temps, je murmure. Mais je te jure que jamais elle ne tenterait de semer la zizanie entre nous. Elle a des défauts, mais pas ceux-là.

           Il acquiesce. Il le sait. Il la connait. Elle est son amie.

— Mais on a réussi à arranger les choses entre nous et c’est récent. Je voulais que ça reste entre nous deux et quand elle m’a appelé, je lui ai demandé qu’elle cesse de s’en mêlée. Alors…

           Je soupire bruyamment.

— Mais si je sais très bien qu’elle ne pensait pas à mal, j’avoue que je suis agacée d’entendre qu’elle t’a appelée.

           Il sourit.

— Je comprends.

           Ses lèvres, toujours incurvées en ce rictus bienveillant, ont le don d’apaiser les battements saccadés de mon cœur.

— Elle m’a juste appelé pour me dire ce qu’elle t’avait dit, ce qu’elle t’avait poussé à me demander, déclare-t-il. Elle sait qu’il s’agit d’un sujet sensible alors elle voulait m’assurer, si jamais tu m’en parlais, que c’était elle qui t’avait demandé de le faire. Que tu n’avais pas fouillé dans mon passé et outrepassé les limites.

           Je vois…

           Noor m’a effectivement demandé de parler à Eren d’une certaine Charlotte, une ex-petit-amie. J’ai pris la décision de ne pas le faire par respect pour le passé qu’il avait choisit de taire, sa vie privée.

— Elle voulait t’aider en te conseillant de me parler de ça mais ne voulait pas empirer les choses si jamais tu me posais cette question sans qu’elle m’y est préparé.

           Je suppose que cela partait d’une bonne intention… Mes épaules se haussent.

— De toute façon, je ne t’en ai pas parlé.

— Là est justement ce qui me surprend, dit-t-il. Tu n’es pas curieuse ?

— Bien sûr que si. Mais c’est ton passé. Et si tu n’as aucune envie de m’en parler, alors ça te regarde. Je t’ai forcé la main une fois et je regrette amèrement car cela t’a fait du mal.

           J’avais besoin de savoir. Mais cela ne valait sûrement pas le prix que j’ai payé en voyant la honte sur le visage de mon petit-ami.

           Jamais je ne saurais lui expliquer que ce n’est pas de sa faute. Qu’il était gravement malade et qu’elle était simplement très mal intentionnée. D’une part, je peux comprendre qu’il soit embarrassé, qu’il n’ose en parler. Peut-être songeait-t-il que je plaquerais une main sur ma bouche et rirait bêtement en le traitant de pute.

           Seulement, d’autre part, il ne pourrait avoir plus tort sur ma possible réaction. L’insulter, alors qu’il admet avoir vécu une situation si rude, serait simplement me montrer odieuse et indigne de lui.

           Il était malade. Comme moi je l’ai été. Mieux que quiconque, je sais ce que la dépendance nous pousse à faire.

           Qu’il faut être con pour se moquer d’une personne malade. Qu’il faut être émotionnellement débile. Qu’il faut être dénué de tout sens commun.

           Je ne suis pas comme cela. Et si d’autres le sont, tant pis pour eux.

— Eren, je chuchote en voyant les ombres sur son visage. Je ne veux plus en parler car je vois que cela t’a fait du mal. Mais ne pense pas que je te juge ou te méprises. Pas une seule seconde je ne le fais.

           Il sourit doucement. Ses yeux se plongent dans le vide et il semble songer au passé lorsqu’il chuchote :

— Un matin, je sortais de chez elle. Il était tôt. J’avais essayé de ne pas y retourner. Et quand j’y suis allé, j’avais un peu d’argent. Pas assez. Mais presque. J’avais tenté de négocier.

           Ses mains tremblent. Je me lève, m’agenouille devant lui et les saisis.

— Elle n’avait rien voulu savoir. Elle ne voulait pas de mon argent. Et les autres dealers non plus, il n’y avait pas assez… Elle m’a aussi menacé de tout dire à mes potes. De leur expliquer que… Comment elle disait, déjà ? Ah oui ! Que je « n’étais qu’une pute sans aucune estime d’elle-même. »

           Il frissonne. Une larme coule sur sa joue.

— Alors je l’avais fait. Et crois-moi, j’avais eu besoin d’un sacré paquet de drogue pour oublier ça, après. Alors, je suis sorti. Il faisait encore nuit. Je…

           Sa voix meurt dans sa gorge.

— Je suis parti dans une salle de cours vide pour prendre ma dose. Mais la porte s’est ouverte. Je me suis caché derrière une armoire. Et… Tu es entrée.

           Mes sourcils se froncent.

           En début d’année, avant ma rechute, il m’est arrivé de marrainer certaines personnes qui venaient tout juste de décrocher. Elles m’appelaient à n’importe quelle heure du jour et de la nuit et je sortais de la chambre pour ne pas réveiller Noor.

— J’ai pas trop compris, au début, à qui tu parlais. T’étais au téléphone et tu parlais d’étapes, d’un long chemin… Puis, quand t’as parlé d’alcool, j’ai compris que t’étais une marraine abstinence.

           Pas exactement. J’aidais simplement des personnes qui traversaient la même chose que moi.

— D’abord, j’ai levé les yeux au ciel. Sérieux, je voulais ma dose et une putain de marraine d’abstinence se ramenait ? rit-t-il. Et puis t’as parlé de la famille de ce mec, du fait que sa femme était partie avec les gosses.

           Je vois de qui il parle. Joël. Le couple était alcoolique. La femme a su mieux le cacher. Elle a eu la garde des enfants.

           Cela a failli tuer le pauvre homme.

— Et tu as parlé du fait que ce dont il avait le plus besoin, ce qu’il aimait le plus, se trouvait auprès de quelqu’un dont il n’avait pas besoin, qu’il haïssait. Je vais être honnête, mes souvenirs de cette époque sont morcelés mais…

           Il sourit.

— Je me suis dit que j’étais comme cet homme, que la coc était comme ses enfants et sa femme, comme Charlotte.

           Je ne dis rien sur la comparaison plus que déroutante d’enfants de cinq et six ans à des stupéfiants.

— Tu lui as dit que sa femme le tuait doucement. Que débattre avec elle, se disputer le poussait sur une pente dangereuse qui pouvait mettre en danger tout ce pourquoi il travaillait. Et que même s’il aimait ses enfants, il devait être en mesure de s’aimer assez pour demeurer en état de s’occuper d’eux quand il les récupèrerait.

           Il chuchote :

— Le coc me faisait du mal mais elle, elle me tuait. Et j’ai réalise l’absurdité de la situation : aller chez elle pour prendre ma dose et prendre ma dose pour oublier que j’étais allé chez elle.

           Ses yeux sont mouillés. Il rit doucement.

— Après t’avoir entendue, je suis devenu clean.

           Mes yeux s’écarquillent.

— Jusqu’à ce que je trouve un moyen de voler de l’argent à mon père, vingt-quatre heures plus tard. Mais pendant une journée, j’ai lutté contre l’idée de retourner chez elle. Grâce à tes paroles.

           Mon cœur s’emballe. J’entrelace mes doigts aux siens et réalise que je pleure. Il le fait aussi. Des sanglots secouent nos torses et je me jette dans ses bras.

           Il me serre avec force, hoquetant.

— Déjà à l’époque, tu m’avais donné une force inimaginable. Puis, après ce jour, je te cherchais dans les couloirs du regard. J’ai parlé de toi à Noor. J’ai voulu te suivre sur les réseaux… Tu m’avais bloqué.

           Et notre histoire a commencé. Un travail m’a été donné, il sauté sur l’occasion pour me parler.

— Je ne comprenais pas pourquoi tu me détestais, rit-il doucement. Moi, j’étais très loin de te détester… Jusqu’à ce que j’apprenne à te connaitre.

           Je ris bruyamment. Toujours lovée dans ce bras, je chuchote :

— Avec le recul, je me rends compte que je n’avais aucune raison de te détester. J’ai simplement écouté des rumeurs. Je n’aurais pas dû.

           Un sourire étire mes lèvres et je le regarde.

— Je ne devrais jamais les écouter. Pas avant, pas hier non plus et pas demain.

           Il sourit à nouveau. Une larme roule sur sa joue. Je l’embrasse doucement.

— Je t’aime, Eren.

           Il me serre contre lui. La douceur de ce moment ne dure pourtant pas. Car dans ma poitrine, une pointe de métal est née, griffant mon cœur. L’appel de la vengeance est la marche rythmant ces battements.

           Eren n’en saura rien. Je l’en protègerais. Mais je vais retrouver cette Charlotte.

           Et je vais lui faire payer.
















































ultime arc qui approche
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